26 décembre 2006

Des méfaits du Web 2.0


Il peut sembler paradoxal de vouloir pointer les méfaits du Web 2.0 et de tenir soi-même un blog, pourtant, à mesure que je connais ce milieu je sens poindre des dangers importants qui menacent l'information et la démocratie. Aujourd'hui l'heure est davantage à l'émerveillement devant l'émergence d'un nouveau type de média avec ses "cyber-journalistes" et ses "cyber-citoyens" capables de tout vérifier, de tout remettre en question et donc de briser les vérités officielles. Mais le monde du Web 2.0 n'est pas si idyllique, et trois dérives peuvent être mises en avant : la désinformation, la violence des propos et l'hypersurveillance.

La France du Général de Gaulle avait l'ORTF comme source unique d'information, les internautes d'aujourd'hui lui ont substitué Wikipédia. Bien entendu l'argument est un peu court car Internet permet une grande variété de points de vue et de sources d'information mais comme sur chaque marché, on assiste à des regroupemements, des oligopoles voire des monopoles. Wikipédia n'est pas une encyclopédie citoyenne, c'est surtout une collection de subjectivités. Nombreux sont ceux qui ont compris l'intérêt de maîtriser ce qui se disait sur eux, sur leurs domaines d'activité ou sur leurs adversaires. Il est si facile de mettre de l'idéologie dans un discours qui se veut objectif. Bien entendu, des systèmes de vérification et de contrôle existent, mais ils sont tous basés sur la démocratie et donc sur l'avis de la communauté, il n'existe pas d'institutions comme c'est le cas pour la presse. Ainsi certaines informations fausses circulent et se répandent rapidement sur le Web ce qui les rend crédibles. Autre disfonctionnement important : le Web 2.0 défend une information subjective, ceux qui ne sont pas présents pour se défendre en sont pour leur frais, ils laisseront sans réponses les attaques dont ils sont l'objet. Un blogger se rapproche d'un procureur tandis qu'un journaliste qui fait bien son métier doit plutôt s'inspirer d'un juge d'instruction en menant son investigation à charge et à décharge, en allant chercher l'opinion de ceux qui sont mis en cause. Comme pour la démocratie participative, il existe donc un "biais idéologique", ceux qui passent leurs journées sur AgoraVox ou Le Monde citoyen ne sont pas représentatifs du reste de la population, ils sont plus impliqués dans les débats du moment et les néo-marxistes y sont sur-représentés. De toute façon il y a un problème si l'on admet que les personnes politisées ne sont plus représentatives (je ne le suis plus moi-même) du reste de la population, pour le dire autrement, en reprenant les mots du philosophe Alain, les gens qui ne sont ni de droite ni de gauche (donc faiblement politisés) sont de droite, pourtant ils ont le même poids démocratique que les autres.

Le deuxième risque du Web 2.0 est très bien décrit par le philosophe Alain Finkielkraut bien qu'il maîtrise mal, selon ses propres termes, ces nouvelles technologies. Il y a une violence permanente sur les blogs ou les forums qui s'explique par l'anonymat des gens qui y écrivent mais également par l'absence du visage du destinataire. Comme nous l'apprend Lévinas (3 philosophes en un article, c'est pas mal), quand je rencontre autrui, je reste interdit devant son visage. Qui n'a jamais prévu de dire tout le mal qu'il pensait d'une autre personne et qui, se trouvant face à elle, a perdu tous ses moyens ? Cet interdit créé par le visage est une des bases de la vie sociale et de la civilisation, la communication virtuelle fait sauter cet interdit, ce qui peut libérer un torrent de haine. Les concepteurs du site AgoraVox en sont eux-mêmes conscients puisque dans chaque mail qu'ils envoient à un rédacteur il y a la mention : "Parfois, sur certains sujets -sensibles-, les réactions des lecteurs peuvent être très violentes et apparemment disproportionnées. Essayez toujours de -calmer le jeu- en répondant de manière factuelle et courtoise afin d'éviter tout dérapage ou polémique interminable". Ce garde-fou ne suffit évidemment pas.

Le dernier point que je voudrais signaler et qui explique l'anonymat de ce blog est l'hypersurveillance qui est à l'oeuvre sur Internet. La nouvelle arme absolue pour surveiller les autres est de taper leur nom sur Google et avoir ainsi accès aux propos qu'ils ont tenus, aux actions qu'ils ont menées ou aux commentaires dont ils sont l'objet. Il n'y a plus de distinction entre privé et public, dans la démocratie totale prônée par certains, tout le monde est en droit de tout savoir. Les plus exposés médiatiquement sont littéralement traqués par la blogosphère comme les hommes et femmes politiques qui voient surgir des vidéos pirates ou des attaques personnelles. Loïc Le Meur, pape du Web 2.0, l'annonce d'ailleurs avec enthousiasme : les hommes politiques ne pourront plus mentir, il y aura toujours un portable qui pourra enregister une vidéo clandestine ou un blogger caché qui pourra retranscrire des propos off. Finie donc l'hypocrisie qui règne entre les journalistes et les responsables politiques. Ces hymnes à la vertu, ont les a déjà entendu lors de la Révolution Française et plus particulièrement sous la Terreur. Qui ne voit pas aujourd'hui qu'Internet peut devenir l'outil par excellence du flicage, de l'hypersurveillance, de la dénonciation et de la calomnie. Ensuite, il ne reste plus qu'à laisser agir le fameux adage : "il n'y a pas de fumée sans feu" et le tour est joué, la réputation de la personne impliquée est définitivement salie.

Il faut d'urgence réintroduire des institutions et des instances de régulation dans le monde de liberté infinie qu'est Internet. On pourrait d'ailleurs s'interroger sur le fait qu'autant d'anticapitalistes investissent un moyen de communication et d'information aussi libéral, c'est la mariage de la carpe et du lapin !

17 décembre 2006

Je fais partie des 13%


Si l'on en croit l'IFOP, 87% des Français ont une bonne ou une très bonne opinion de Nicolas Hulot. Ce chiffre constitue un record dans l'histoire de ce baromètre, l'animateur de télévision surclasse donc Bernard Kouchner, Ségolène Royal ou encore Simone Veil. Et d'aucuns de célébrer cette belle unanimité, pour une fois nous sommes tous d'accord sur un sujet, l'écologie, et sur les solutions à y apporter. Pour une fois un homme a su imposer aux candidats à la présidentielles les mesures qui permettront de lutter contre le réchauffement climatique. Sauf que...

Sauf que si tout le monde s'accorde sur la réalité du réchauffement climatique, il y a débat sur son impact réel et sur les moyens à mettre en oeuvre pour agir. J'aimerais tout d'abord faire remarquer à quel point la position de certains écologistes est conservatrice : le monde actuel nous est décrit comme idyllique et chaque changement est vécu comme un cataclysme potentiel. En somme, il ne faut surtout toucher à rien et respecter le bel équilibre de la nature. Cette affirmation me semble relever d'une double erreur : d'une part le monde actuel est loin d'être parfait et nos lunettes de riches occidentaux troublent notre vision de la réalité du monde et d'autre part la Terre, la nature et le climat n'ont cessé d'évoluer au fil du temps sans que cela ne se traduise par une détérioration générale de la qualité de vie. Ce à quoi je m'oppose, finalement, c'est à une vision religieuse de la nature, qui prétend que chaque action humaine est une perturbation dangereuse d'un merveilleux équilibre. C'est notamment sous cet angle qu'est abordée la question des OGM.

Cette religion a ses prêtres médiatiques, chargés d'annoncer l'apocalypse et de dénoncer la vanité des hommes : "la nature va se venger" annoncent-ils de concert. Nous sommes mis au banc des accusés pour notre prométhéisme. Cet élément devrait nous alerter car il est dangereux d'aborder des problèmes scientifiques en des termes uniquement moraux. Quelles sont les solutions avancées par ces prêtres de l'écologie : la modération qui n'est qu'une manière sympathique de dire le rationnement, c'est-à-dire la gestion de la pénurie. L'innovation technologique est perçue comme ne pouvant qu'agir à la marge. Concrètement, c'est à un certain retour de l'économie dirigée et planifiée que nous sommes invités. Pour preuve : les mesures proposées par Nicolas Hulot dans son Pacte Ecologique relèvent essentiellement de l'action de l'Etat.

Je pense que s'il est bon d'aborder de manière approfondie ce thème, la façon dont le débat prend tournure est extrêmement dommageable : à cette éloge de la modération, je préfère la confiance dans le progrès technique. L'humanité doit s'adapter à la nouvelle donne par son génie propre, dire cela, ce n'est pas faire preuve de vanité. L'Etat peut bien entendu jouer un rôle grâce à la fiscalité, en rendant rentable des investissements et des technologies propres qui ne le sont pas encore, mais d'autres pistes doivent être envisagées. Citons entre autres l'investissement socialement et environnementalement responsable, appliqué par exemple par le fonds norvégien qui gère l'argent du pétrole et qui obtient malgré les contraintes qu'il se fixe des taux de rentabilité sensiblement supérieurs à ceux du marché, il y a là le début d'un cercle vertueux.

Contrairement à ce que l'on croît en Europe Occidentale, l'énergie du futur dans le monde sera le charbon. On peut s'en offusquer mais les faits sont là : cette source d'énergie fossile est la plus abondante et les pays en voie de développement, notamment la Chine construisent à un rythme très soutenu des usines à charbon pour produire de l'électricité (de même que les Etats-Unis qui disposent d'immenses réserves). Il faut donc massivement investir dans des usines à charbon propre et développer les technologies de captage et de stockage de CO2 pour pouvoir renouveler le parc de centrales et le rendre plus propres. Cet exemple montre bien que le défi environnemental peut être demain ce que les nouvelles technologies sont aujourd'hui en matière de croissance, il y a là des opportunités fabuleuses.

Investissons donc massivement dans ce domaine, faisons de l'Europe le leader mondial plutôt que de nous replier sur nous même et d'abandonner l'idée de croissance, donc de progrès, donc de civilisation.

15 décembre 2006

Fiscalité, Citoyenneté, Johnny Hallyday


C'est désormais une certitude : la vie est injuste. Parmi les inégalités les plus fortes, il en est une qui est rarement soulignée, c'est l'inégalité de traitement des artistes et des politiques devant l'opinion. Tout est permis pour les premiers, comme vient nous le rappeler l'exil de Johnny Hallyday en Suisse dans la charmante bourgade de Gstaad. Selon un sondage réalisé sur le site Internet du Figaro, 63% des Français comprennent la décision du chanteur, rejoints en cela par Nicolas Sarkozy, qui, il est vrai est un de ses amis proches.

Bien entendu, quelques voix se sont fait entendre, de manière timide comme celles de Dominique de Villepin, Jacques Chirac, Bernard Thibaut ou François Hollande, mais ces responsables politiques ont du se montrer très prudents et ajouter systématiquement qu'ils admiraient l'artiste et l'homme. Pendant ce temps, la rock-star faisait montre de toute sa poésie en déclarant à la presse : "J'en ai rien à foutre. Tout simplement, j'en ai marre, comme beaucoup de Français, de payer ce qu'on nous impose comme impôts, puis voilà, j'ai fait mon choix". Les fans apprécieront la finesse du style, les autres comprendront que l'Abbé Pierre a enfin trouvé son successeur pour défendre les plus pauvres contre les prélèvements obligatoires trop importants.

Sur le plan de la citoyenneté, l'attitude du chanteur est inqualifiable, elle devrait provoquer dans l'opinion les mêmes réactions que lorsqu'un homme politique est accusé de détournement de fonds. Mais c'est un fait que les Français sont sans états d'âmes à l'égard de ceux qui ont décidé de servir l'Etat (et qui gagnent nettement moins que s'ils partaient dans le privé) et d'oeuvrer pour le bien commun alors qu'ils sont prêts à trouver toutes les excuses pour les artistes ou sportifs qui gagnent des fortunes et qui s'expatrient pour ne pas payer d'impôts. De surcroît, ces "stars" poussent l'indécence encore plus loin en allant jouer les donneurs de leçons chez Ardisson ou les bons samaritains aux Enfoirés. La première des générosités, c'est celle qui consiste à payer ses impôts pour financer des écoles, des routes ou les aides sociales, le reste ne sert qu'à se donner bonne conscience à peu de frais.

Certains rejettent cette vision "morale" et citoyenne et soutiennent que cette expatriation est le signe que notre système fiscal est mauvais. Mais que faut-il faire ? Aligner nos taux d'imposition sur ceux qui ont cours en Suisse ? L'Europe est-elle condamnée à se livrer une concurrence fiscale qui met à mal tous les systèmes de protection sociale ? Je suis néanmoins d'accord pour remettre le problème de l'ISF sur la table : la première qualité d'un impôt n'est pas d'être idéologiquement pertinent mais d'être efficace. Ainsi, je propose de maintenir l'ISF en l'état mais de permettre des exonérations totales si l'argent de ces riches contribuables est investi là où l'Etat le juge pertinent, comme dans les Business Angels qui viennent soutenir les PME à fort potentiel de croissance. Une fois de plus, soyons pragmatiques.

Ne soyons donc pas arc-boutés sur des positions idéologiques, mais sachons également être inflexibles sur certaines questions qui relèvent avant tout de la morale. Une chose est sûre : il faut désormais boycotter Johnny Hallyday si l'on s'estime citoyen ou tout simplement mélomane...

06 décembre 2006

Populisme et Démagogie


J'ai souvent l'occasion de dénoncer le populisme et la démagogie qui règnent en politique. Pour moi, ce sont les deux cancers de la démocratie, qui peuvent la mener jusqu'au totalitarisme. Ces mots sont toujours cités ensemble car dans l'esprit de beaucoup ils ont une signification proche, je vais essayer de montrer dans cet article ce qui caractérise chacun de ces termes.

Avant toute chose, il faut en revenir aux définitions : le populisme désigne l'idéologie ou l'attitude de certains mouvements politiques qui se réfèrent au peuple pour l'opposer à l'élite des gouvernants, au grand capital, aux privilégiés ou à toute minorité ayant "accaparé" le pouvoir, accusés de trahir égoïstement les intérêts du plus grand nombre. Les populistes dénoncent la démocratie représentative et prône une démocratie plus directe pour "redonner le pouvoir au peuple".

Etymologiquement, la démagogie est l'art de conduire le peuple. Il n'y avait pas à l'origine une connotation péjorative, comme de nos jours. La démagogie est une attitude politique et rhétorique visant à essayer de dominer le peuple en s'assurant ses faveurs et en feignant de soutenir ses intérêts. Les propos démagogiques sont proférés dans le but d'obtenir le soutien d'un groupe en flattant les passions et en exacerbant les frustrations et les préjugés populaires. Pour cela, le démagogue utilise des discours délibérément simplistes, sans nuances, dénaturant la vérité et faisant preuve d'une complaisance excessive. Il fait ainsi appel à la facilité, voire à la paresse intellectuelle, en proposant des analyses et des solutions qui semblent évidentes et immédiates. Il n'est pas fait appel à la raison et il n'y a pas réellement de recherche de l'intérêt général.

Avant d'en étudier les différences il convient de remarquer ce qui rapproche populisme et démagogie : dans les deux cas il est question de flatter le peuple et de recourir à la simplicité voire au simplisme. Mais les définitions qui précèdent montrent bien que le populisme est beaucoup plus radical que la démagogie puisqu'il demande le retrait des élites alors que la démagogie est souvent utilisée par ces mêmes élites pour garder le contact avec la population. De plus, le populisme flatte les gens "par le haut" en leur promettant de reprendre le pouvoir qu'ils ont perdu au profit des élites alors que la démagogie les flatte "par le bas" en insistant sur l'insignifiant et sur les bas instincts que nous possédons tous.

Essayons mainteant de ranger certains types de discours dans ces catégories. Toutes les conversations du type "Café du commerce" tiennent à la fois de la démagogie quand il s'agit d'insister sur des caractéristiques morales de certaines populations ("ce sont des feignants", "ce sont des voleurs", "on nous vole notre argent"...) et du populisme en ce sens qu'ils prétendent apporter des solutions sans connaître tous les tenants et les aboutissants, en clair, l'expertise est niée et n'importe qui peut s'exprimer sur n'importe quoi. Tout ce qui relève de la démocratie participative relève selon moi exclusivement du populisme, en effet, on présente cette démarche comme noble et renouvelant la politique (pas question de démagogie donc) mais en même temps on remet en cause les principes mêmes de la démocratie représentative en dimininuant les échelons intermédiaires entre le pouvoir et la population. Ce mouvement participe donc de la volonté d'horizontaliser la société en faisant des experts et des savants des citoyens comme les autres. Tous les discours anti-élites, c'est-à-dire contre les énarques, les hommes politiques ou les grands patrons sont principalement populistes même si la démagogie s'en mêle parfois, notamment quand il est question d'insister sur des détails sans importance comme les excès de vitesse réalisés par les ministres dans le cadre de leurs fonctions ou le fait que les énarques soient payés pendant leur scolarité.

Mon intime conviction est que le populisme et la démagogie ont pour principale conséquence de détourner la population des vrais problèmes. On préfère parler de sujets périphériques ou rejeter la faute sur quelques uns (les élites en l'occurence) plutôt que de se rassembler sur les questions auxquelles notre pays doit impérativement répondre. C'est ce qui me fait craindre que des problématiques essentielles comme la dette ou l'enseignement supérieur soient escamotées durant la campagne électorale. Fondamentalement, je pense qu'une société "en ordre" est une société "avec des ordres" c'est-à-dire des intermédiaires, c'est-à-dire des élites. Il n'est pas bon de vouloir trop rapprocher le peuple du pouvoir pour la raison suivante : on ne peut exercer un pouvoir sans responsabilité, le député a du pouvoir mais en contrepartie il doit équilibrer un budget, il peut voter des lois mais doit respecter les normes juridiques supérieures, un homme politique peut être battu si les gens ne sont pas satisfaits de lui, même un juge peut être démis de ces fonctions (c'est rare j'en conviens) par le CSM en cas de faute grave. Mais quelle est la responsabilité de l'individu à qui ont confierait directement le pouvoir ? Elle serait très faible puisqu'il ne serait pas sanctionnable (on ne démet pas un citoyen de ses fonctions), il ne serait pas responsable, à court terme au moins, des équilibres financiers et il ne pourrait pas être déjugé par le peuple puisqu'il est le peuple. Pour que cette société d'ordre soit pérenne, il faut que le peuple accepte de faire confiance à des élites dans des domaines spécifiques qui dépasse sa compétence (pas les mêmes élites pour chaque domaine bien entendu) et qu'en contrepartie, lesdites élites ne trahissent pas le peuple pour leurs intérêts personnels mais, au contraire, se sentent liés au reste de la population.

Prenons donc garde à ne pas trop jouer avec le populisme et la démagogie, le deuxième nourissant le premier. La demande de populisme a toujours été très forte et je ne pense pas qu'il y ait eu des évolutions majeures au cours des dernières années. Ce qui a changé, c'est l'offre politique de populisme qui dépasse les simples partis extrémistes pour couvrir désormais tout l'échiquier politique.

29 novembre 2006

Un rêve : la fusion de la France et de l'Allemagne


Bien qu'étant néfaste quand elle est surexploitée dans le débat politique, l'utopie est un moteur nécessaire pour avoir une vision de long terme. Les rêves sont mieux à même de guider les hommes que les réalités froides. Je vais essayer d'exprimer ici un des rêves politiques que je caresse depuis plusieurs années et que j'essaye de formaliser : la fusion des Etats Français et Allemand. L'objet de cet article n'est pas de présenter un projet détaillé mais de jeter les bases d'une réflexion qu'il conviendra d'approfondir.

Commençons par un constat à la fois simple et indiscutable : la France et l'Allemagne sont les deux principales puissances d'Europe continentale, elles sont désormais liées par une grande amitié, elles possèdent des cultures assez proches et partagent les mêmes valeurs. Ainsi, il va pour moi sans dire que si la France doit un jour fusionner avec un autre pays, ce ne peut être qu'avec l'Allemagne, et réciproquement.

Mais à quoi bon vouloir fusionner ? Pourquoi ne pas en rester aux nations telles qu'elles existent aujourd'hui ou, au contraire, envisager un Etat supra-national paneuropéen ? A la première question, je répondrai que dans la mondialisation, la taille des entités politiques revêt un caractère essentiel. En effet, avec l'interdépendance des nations, tout devient très vite un rapport de force entre deux puissances. Ce qui fait la force d'un Etat, c'est sa population, son PIB, son territoire et son niveau technologique, une fusion entre la France et l'Allemagne augmenterait naturellement tous ces indicateurs. Pour exemple, le nouvel ensemble ainsi constitué serait la deuxième puissance économique (entre les Etats-Unis et le Japon), le septième pays le plus peuplé (contre 14 et 20 aujourd'hui),... De plus, les complémentarités des deux pays sont assez fortes : l'Allemagne a beaucoup de PME qui exportent tandis que la France a des champions nationaux dans la quasi-totalité des secteurs (sauf les nouvelles technologies), l'Allemagne exporte beaucoup dans le monde alors que la France le fait surtout à l'intérieur de l'Europe.

Pour répondre à la question d'un Etat supra-national européen, je m'interesserai à la question de la souveraineté : je pense que la France et l'Allemagne peuvent accepter une fusion "entre égaux", où chacun ne perdrait que la moitié de sa souveraineté, en revanche, il me paraît inenvisageable de noyer la souveraineté nationale dans un ensemble trop grand, le saut à franchir est beaucoup trop important. Peut-être que si ce processus de fusion franco-allemande aboutissait, il pourrait être le point de départ d'une nouvelle intégration européenne, beaucoup plus forte, mais je pense qui faut d'abord procéder par cercles concentriques, ne pas faire avancer tout le monde au même rythme. Ainsi, je pense qu'il vaut mieux être la plus grande puissance régionale d'Europe plutôt qu'une partie minoritaire d'une Europe unifiée, en tous cas pour l'instant.

Quel pourrait être le processus de rapprochement des deux pays ? Il a déjà été commencé avec le traité d'amitié franco-allemand, la brigade franco-allemande et certains Conseils de ministres communs. De toute façon, le processus ne peut être que graduel. Ce qui doit changer en premier lieu, c'est le fait d'afficher officiellement le projet de rapprochement entre les deux pays. Puis viendra le temps d'une défense et d'une diplomatie commune (avec des amabassades communes), on pourrait également encourager les jeunes des deux pays à faire leur service civil (qui existe déjà en Allemagne et qui va sans aucun doute être instauré en France) dans l'autre pays. Il faudra également imposer l'apprentissage de l'Allemand en France et du Français en Allemagne. Puis viendra le temps de la convergence des régimes sociaux, de la politique économique et des institutions avec des collectivités locales identiques (sous le format des Länder allemands). Enfin, on pourra créer un embryon d'Etat supra-national avec un gouvernement resserré (il faudra garder deux gouvernements nationaux) et une chambre parlementaire qui serait issue d'une fusion entre le Sénat et le Bundesrät, chargée des orientations stratégiques et de long terme.

L'idée est bien de construire un Etat en conservant deux nations. Les peuples et les cultures ne se fusionnent pas, il est ainsi hors de question, de mon point de vue, d'envisager une langue commune entre la France et l'Allemagne. Si ce projet utopique (pour l'instant) aboutissait, il faudrait prendre garde à ne pas heurter nos partenaires européens en leur donnant des gages de notre bonne volonté au sein de l'Union Européenne. Un projet ne doit pas chasser l'autre.

24 novembre 2006

Eviter un nouveau 21 avril


Alors que la pré-campagne électorale bat son plein, avec son lot de petites phrases, d'attaques et de démagogie, une information vient nous ramener à la dure réalité : un sondage CSA donne Jean-Marie Le Pen à 17% d'intentions de vote au premier tour. Jamais le leader du Front National n'a obtenu un score aussi important dans un sondage pour les présidentielles, alors que le microcosme s'agite pour savoir qui de Ségolène ou de Nicolas est le mieux placé pour l'emporter, un troisième personnage semble déterminé une fois de plus à jouer les trouble-fêtes.

Comment éviter à notre pays l'humiliation d'une nouvelle présence de l'extrême-droite au second tour de l'élection présidentielle ? Il y a selon moi quatre réponses à apporter à cette situation, deux sur le plan tactique et deux sur le fond.

Tout d'abord, il faut éviter toute tentative de diabolisation du Front National, en effet, le vote Le Pen est souvent un vote contre le système, la bien-pensance et tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à l'élite. Plus on trouvera de leaders politiques et d'intellectuels qui, la main sur le coeur, en appelleront à la République en danger, plus les électeurs du Front National se retrancheront dans leur vote de transgression. Il faut, au contraire, amener l'extrême-droite sur des problématiques précises, l'obliger à préciser son programme et donc à fâcher certaines catégories de la population. En particulier, s'il est un sujet où les thèses du FN sont très largement minoritaires, c'est bien la politique étrangère. Ainsi, si la campagne présidentielle aborde les vraies problématiques auxquelles notre pays est confronté (enseignement supérieur, recherche, dette, retraites, relations internationales...) alors la tentation extrémiste sera moins grande.

Une des principales leçons de 2002 et du référendum de 2005 est qu'une campagne longue défavorise le ou les favoris. Au fil des mois, à mesure que s'opère sur eux une focalisation médiatique, ils subissent des attaques de toutes parts, se voient obligés (plus que les autres) de préciser leurs propositions et donc de se couper de certains électeurs. Une des principales garanties contre la présence de Le Pen au second tour est donc de faire une campagne relativement courte (deux mois environ), très percutante. En ce sens, Dominique de Villepin, Jacques Chirac et ... Jean-Marie Le Pen ont raison : l'assentiment des Français se gagne dans le dernier mois de la campagne, les sondages trop loins de l'échéance ne sont qu'une mesure d'une opinion incertaine et pas encore cristallisée.

Sur le fond, comme je l'évoquais dans mon article "De la théorie des jeux en politique", la critique systématique, par les partis de gouvernement de la politique qui a été conduite par la droite et la gauche depuis plusieurs années est, selon moi, l'élément principal qui fait monter l'extrême-droite dans l'opinion. Le FN n'a plus besoin d'attaquer la classe politique en place puisque cette dernière se livre à une affligeante auto-flagellation. On tait consciencieusement les réussites et les atouts de la France pour n'en retenir que les difficultés, on décrit un pays au bord du précipite, qui perd pied dans tous les domaines. Comment s'étonner ensuite que les Français n'aient pas envie de se retourner vers celui qui leur dit que tout va mal depuis maintenant 30 ans ?

Enfin, il faut répondre aux inquiétudes des Français tentés par le vote extrême sans pour autant rouler sur les terres du FN. La stratégie de "droitisation" suivie par le président de l'UMP a eu pour principale conséquence de décomplexer l'électorat du FN et pas de récupérer des électeurs vers les partis de gouvernement. Ainsi, les Français attendent des réponses précises sur la mondialisation, l'insécurité et l'immigration. Tout discours bien-pensant déconnecté de la réalité doit être aujourd'hui combattu, l'heure n'est plus au politiquement correct mais à l'écoute des inquiétudes des Français. L'Europe doit également se remettre en question, partout les partis extrémistes progressent comme nous l'ont rappelé les élections aux Pays-Bas. L'absence de démocratie au sein de l'UE, avec des lobbies et des think tank qui pèsent plus sur la Commission que le peuple européen, nourrit le scepticisme. Bref, c'est à une remise en cause des attitudes de chacun : majorité, opposition, UE, médias... qu'il faut en appeler pour maîtriser cette vague extrémiste.

20 novembre 2006

Le thème de la présidentielle


Beaucoup s'interrogent sur ce que sera la "querelle" de l'élection à venir. Après la "fracture sociale" en 1995 et "l'insécurité" en 2002, quel thème viendra s'imposer dans le débat ? Cette question est très délicate et conditionne beaucoup de choses : elle peut détourner la campagne des vrais enjeux comme elle peut être une chance inédite de moderniser notre pays. Je me suis, sur ce sujet, forgé une opinion profonde : la question de la protection des démocraties occidentales (et en particulier la France) dans la mondialisation est désormais au centre du débat politique. Pour reprendre la typologie proposée plus haut, je pense qu'il s'agit là d'une bonne question à laquelle peuvent être apporté des réponses très diverses, certaines étant de très mauvaises réponses.

C'est finalement la question de la nation qui est posée : est-elle destinée à disparaître dans la mondialisation ? Quelle est sa fonction sociale ? L'heure est-elle venue de passer au post-nationalisme ? Je pense que la nation est une étrangeté puisqu'elle s'oppose au moteur de l'histoire : la liberté individuelle. Elle prétend mettre du lien social entre des "classes" qui n'ont pas de réels intérêts communs et, en tant que République, elle fait passer l'égalité au premier plan en assurant une action redistributive. Elle est le cadre de la politique qui, par définition, s'oppose au projet individualiste.

Aujourd'hui, la modernité c'est le post-nationalisme, on se veut "citoyen du monde", rebuté par les crimes commis au nom des nations, on s'en éloigne comme on s'est éloigné des religions pour les mêmes raisons. Mais on s'en éloigne surtout parce qu'on croit que l'on a intérêt à agir de la sorte : ceux sont les individus qui s'estiment assez forts pour affronter la mondialisation qui ne supportent plus ce carcan, ce sont certaines "élites" qui cherchent avant tout à sauver leur peau et à se valoriser au maximum dans un monde plein d'opportunités et qui ne se sentent plus liées par un destin commun avec les autres couches sociales.

Ainsi, dire que la France gagne globalement dans la mondialisation (de même que les autres pays) et que tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes est un discours (faussement) naïf dans la mesure où il y a des perdants objectifs dans la mondialisation. Le discours de certains économistes est de dire qu'il ne s'agit là qu'un problème de redistribution des richesses, l'important étant d'être gagnant globalement. Sauf que cette redistribution est devenue difficile voire impossible : les Etats rencontrent des problèmes de financement de la protection sociale considérable, ils sont soumis au chantage des "gagnants de la mondialisation" et des entreprises qui peuvent partir à tout moment si la fiscalité leur est trop défavorable. Les pays européens en sont donc réduits à s'aligner sur le taux d'impôt sur les sociétés le plus bas pour ne pas voir fuir les sièges sociaux.

Ce qui fait problème, ce sont les asymétries phénoménales qui existent entre les différents acteurs de la mondialisation, les salariés Français sont mis en concurrence avec des salariés des pays émergents (notamment la Chine) qui ont des salaires très bas et pas de protection sociale, les entreprises Françaises sont mises en concurrence avec des entreprises d'Europe de l'Est qui ne payent aucun impôt sur les sociétés. Dès lors la question de la protection de la France (mais plus largement de l'Europe) dans la mondialisation doit être posée. On ne doit cependant pas y répondre en termes simplistes : le replis protectionniste serait une catastrophe pour notre économie puisqu'un salarié sur quatre travaille pour l'exportation. La France est un excellent exportateur de services, de produits agricoles et dans une moindre mesure, de produits industriels.

Comment, alors, mettre en place ce que le Premier Ministre appelle "le patriotisme économique européen", quelle voie peut-on trouver entre le replis protectionniste et l'ouverture totale des marchés sans réglementation ? Nicolas Sarkozy propose de remettre la préférence communautaire au goût du jour, les Démocrates Américains ont axé une partie de leur campagne sur une modération du libre-échange pour protéger leur industrie, des économistes de renom comme Patrick Artus s'interrogent sur les moyens de limiter les OPA hostiles sur des groupes européens venues d'entreprises issues des pays émergents. Le débat est donc ouvert, et je prédis qu'il sera au coeur de la future campagne.

12 novembre 2006

Le néant


Affligeant ! Il faut se pincer pour le croire quand on écoute Ségolène Royal au Grand Jury RTL. Au prétexte de ne pas vouloir donner de "mesures gadgets", elle refuse d'avancer toute solution concrète et en reste à un niveau de généralités ineptes. Ainsi, pour relancer la croissance, il suffit d'élire Ségolène Royal, ce qui redonnera confiance au pays, comme par enchantement. Pour réduire le déficit, alors qu'on lui demande s'il faudra aumgenter les impôts ou limiter les dépenses de l'Etat, même réponse : la confiance réglera tous les problèmes.

Ajoutons à ce manque de consistance éclatant une versatilité face à l'opinion qui n'est pas la principale qualité requise pour diriger l'Etat : après l'encadrement des délinquants par des militaires, la suppression de la carte scolaire et les jurys populaires, voilà qu'elle recule sur sa proposition de 35h au collège pour les professeurs. On comprend bien la manière dont Ségolène Royal fait de la politique : on lance des idées à droite et à gauche, ça fait toujours parler, puis, quand on voit que ça heurte l'opinion, on revient sur ses déclarations.

Le summum a été atteint en fin d'émission grâce à la question très astucieuse de Nicolas Beytout (directeur du Figaro) : sachant que les Français sont très majoritairement pour un service minimum dans les transports en commun, faut-il instituer des jurys populaires sur cette question ? La prétendante PS a alors montré qu'elle excellait dans la langue de bois (à croire qu'elle a suivi des cours à l'ENA) : le problème n'est pas là, quand il y a grève c'est avant tout de la faute de la direction de la SNCF et que si elle arrivait au pouvoir alors il y aurait de la confiance et du dialogue social et donc de la croissance et moins de grève. Définitivement, Ségolène Royal a du choisir un lycéen de 1ere ES pour peaufiner son programme économique, il est étonnant que les réactions de la classe politique et journalistique ne soit pas plus sévère et plus vive devant tant d'incompétence.

09 novembre 2006

Sarkozy et la mondialisation


Je vous recommande la lecture du discours de Nicolas Sarkozy prononcé à Saint-Etienne sur la mondialisation (http://www.lefigaro.fr/medias/pdf/SarkozyDiscoursIntegral.pdf). Le président de l'UMP y présente sa vision de la mondialisation. Pour lui, c'est une donnée il faut donc l'accepter mais ne pas être naïfs quand à ces effets. En effet, si la France y gagne globalement, de nombreuses personnes sont largement fragilisées par ce processus. Il ne faut donc pas que l'Europe et la France renoncent à une certaine dose de protection qui existe dans tous les autres grands pays, en particulier les Etats-Unis et le Japon. Ce discours tranche avec le libéralisme affiché par le candidat UMP jusqu'alors. C'est le début d'un revirement vers le centre qui semble inévitable pour gagner une campagne présidentielle en France.

Seul bémol à relever dans ce discours plutôt réussi, qui transcende les clivages politiques, la volonté répétée de Nicolas Sarkozy de remettre en cause l'indépendance de la banque centrale. Cette indépendance est très importante pour donner de la crédibilité à l'euro. La politique monétaire agit sur le long terme et ne doit pas être influencée par des considérations politiques de court terme. De plus, lutter contre l'inflation est peut-être le meilleur moyen de lutter pour le pouvoir d'achat et donc pour les catégories en difficulté. L'objection émise à ce raisonnement par Nicolas Sarkozy (mais aussi par certains économistes comme Patrick Artus) c'est qu'avec la mondialisation et la baisse des coûts de production, le risque inflationniste est très faible et pas si lié que cela à la politique monétaire, l'inflation s'est elle aussi "mondialisée". Je n'ai pas l'expertise nécessaire pour trancher ce débat au combien important.

08 novembre 2006

Libéralisme, Etat et Nation


Tous ceux qui pensent que le système capitaliste et le libéralisme sont les conditions sine qua non du développement économique doivent oeuvrer pour rendre ce système durable. Cette tâche revêt deux aspects : être conscient de certaines dérives ou limites du capitalisme tel qu’on le connaît aujourd’hui et convaincre les citoyens qu’un tel régime n’est pas un mal nécessaire mais une véritable opportunité.

Ceci est particulièrement pertinent en France, pays le moins convaincu, si on en croit certains sondages récents, des vertus de l’économie de marché. Il est vrai que le discours libéral dominant dans notre pays insiste davantage sur la résignation que sur la conviction, le thème du déclin brandit par certains en est l’illustration : l’heure n’est plus à convaincre les Français de faire des réformes « libérales » parce qu’elles seraient bonne en-soi mais parce que « c’est cela ou le chaos ». De mon point de vue, il ne suffit pas d’agiter des peurs pour convaincre, il faut faire preuve de pédagogie et accepter le débat d’idée. A ce titre, il me semble incorrect de penser comme certains éditorialistes, intellectuels ou politiques qu’au fond, chacun sait exactement les réformes qu’il faut mener et la politique qu’il faut conduire pour le pays afin de le redresser.

Ainsi, il y aurait d’un côté les « milieux autorisés » qui savent et de l’autre le peuple qu’il faut convaincre coûte que coûte. Cette vision des choses amène à penser qu’il n’y a aucune différence entre la gauche et la droite et tend à nier l’idée même de débat démocratique. En politique il n’y a pas de vérités mais des convictions et des opinions, l’oublier, c’est basculer dans l’idéologie et risquer de vouloir faire le bonheur du peuple malgré lui. En effet, le système économique ne se développera jamais de manière durable contre le régime politique. Quoi qu’on dise aujourd’hui de l’affaiblissement du politique, il ne faut pas oublier qu’en dernier recours et dans les circonstances exceptionnelles, c’est lui qui prime grâce à sa légitimité populaire dont aucun autre type de pouvoir (économique, financier, social, …) ne peut se prévaloir. En démocratie, rien ne doit se faire contre les citoyens.

Quelles sont les limites du système économique actuel ? Selon moi, elles se caractérisent essentiellement par des atteintes portées au citoyen et au salarié. En effet, la principale vertu de l’économie de marché est de favoriser la libre initiative de l’entrepreneur et d’assurer une offre large à moindre coût au consommateur, mais ce mouvement s’accompagne d’une pression sur les salariés et d’une remise en cause du pouvoir des citoyens et des nations. En effet, la mondialisation brouille les cartes et met les salariés du monde entier en concurrence, c’est ainsi qu’on voit en Allemagne des ouvriers accepter un gel de leur augmentation salariale pendant plusieurs années face aux multiples menaces de délocalisation, à un autre niveau, beaucoup de cadres ont vu la pression qui s’exerce sur eux s’accentuer de manière colossale au cours des dernières années. Peut-on se résoudre à de telles dérives ? Quelle image les salariés peuvent-ils avoir de l’avenir dans ces conditions ? Une société dans laquelle « avenir » n’est plus associé à « espérance » est appelée à connaître de graves soubresauts.

Parallèlement, le pouvoir des Etats semble amoindri, ils ne sont plus les principaux décideurs en matière économique et sociale. Il faut souligner de ce point de vue que cette perte d’influence de l’Etat sur l’économie est une bonne chose, car administrer et entreprendre sont deux tâches largement indépendantes, l’essor des anciennes entreprises publiques privatisées (Air France, France Télécom,…) montre à quel point le libéralisme peut être source de développement économique et de création de valeur au sens propre. Ces éléments ne doivent cependant pas nous faire oublier que l’Etat, même s’il n’est pas actionnaire, est souvent un stakeholder incontournable. Il est à ce titre légitime qu’il s’inquiète des plans sociaux massifs, des risques de délocalisation et des OPA hostiles contre des groupes français stratégiques, car en cas de dégâts sociaux et industriels, c’est lui qui est appelé à la rescousse. Tous les sondages le montrent : les Français attendent beaucoup de l’Etat car ils voient en lui un facteur d’ordre, de justice et de stabilité dans un monde qui évolue très rapidement. Une opposition terme à terme entre libéralisme et Etat est donc selon moi vouée à l’échec.

Il faut promouvoir la liberté d’entreprendre et redéfinir le rôle moderne de l’Etat, c’est ainsi que le patriotisme économique prend tout sons sens. En effet, nous vivons en état de guerre économique permanente qui se gagne grâce à l’attractivité et à la compétitivité, cela nécessite donc une force d’impulsion et de coordination. Il faut savoir en revenir aux fondamentaux, le gouvernement doit défendre les intérêts de la nation : il ne suffit donc pas d’être les « bons élèves » du libéralisme et de la mondialisation, encore faut-il se battre à armes égales avec nos voisins. Trop souvent, les pays européens se comportent de manière trop doctrinale voire naïve sur ce sujet, en tous cas si on les compare aux Etats-Unis ou au Japon, les propos de certains membres de la commission européenne, assimilant le patriotisme économique à un protectionnisme camouflé en sont la preuve.

La faillite complète du communisme montre à quel point il faut se méfier des vérités révélées en matière économique et politique, ne soyons donc pas pavloviens en réclamant en toutes circonstances privatisations, baisse des tarifs douaniers et ouverture à la concurrence, sachons faire la part des choses en raisonnant sur des cas particuliers plutôt que sur des schémas théoriques qui ne reflètent que mal la réalité. Les évènements récents qui concernent des secteurs stratégiques pour l’indépendance de notre pays comme l’énergie et l’eau sont un très bon exemple en la matière. Est-il si évident que cela que la nationalité des entreprises opérant dans ces secteurs n’a pas d’importance ? La logique qui consiste au contraire à construire des « champions nationaux » ne se montre-t-elle pas plus pertinente ? Ainsi, on peut tout à fait concilier le libéralisme, c’est-à-dire limiter les interférences entre l’administration et les entreprises, améliorer le financement de l’économie par les marchés d’actions, développer les relations contractuelles entre salariés et employeurs, favoriser la prise de risque... avec la défense, par l’Etat, de l’intérêt national. En effet, aucun projet politique ne peut s’imposer s’il ne cherche pas à transcender l’intérêt individuel. La politique c’est avant tout, comme le souligne Alain Finkielkraut, « le souci du monde » et en particulier le souci de la nation.

23 octobre 2006

Non aux jurys populaires !


L'extrême-gauche est-elle en passe de pouvoir gagner les prochaines présidentielles ? Electoralement cela semble très peu probable, pourtant, une de ses mesures-phares est aujourd'hui soutenue par Ségolène Royal, candidate probable (à défaut d'être souhaitable) du parti socialiste. La presidente de la région Poitou-Charentes propose que des jurys populaires tirés au sort soient chargés de vérifier si les élus ont tenu leurs promesses en cours de mandat. Cette proposition est la plus forte sur le plan de la démagogie qui m'ai été donné d'entendre dans cette pré-campagne.

Faut-il que nous soyions gouvernés par de dangereux malfrats pour mettre ainsi sous surveillance les élus du peuple ? Quel mépris pour le suffrage universel et surtout quel danger pour la démocratie. L'idée-même de mandat politique avec une durée fixée à l'avance implique une certaine décorrélation entre la volonté de l'opinion au jour le jour et les décisions prises par les responsables politiques. Non contente d'être là où elle en est aujourd'hui grâce à l'opinion et aux instituts de sondages, Ségolène Royal leur rend aujourd'hui l'ascenseur. Ainsi, dans un terrible cercle vicieux, la démocratie représentative est en train d'être balayée par la dictature de l'opinion.

Je reprendrais enfin les propos du ministre de l'agriculture Dominique Bussereau qui sont un cruel - mais au combien juste - renvoi d'acenseur : "Si Madame Royal avait été soumise aux jurys populaires, elle ne serait pas aujourd'hui candidate à l'élection présidentielle. Battue à Trouville, battue dans les Deux-Sèvres dans son propre canton, battue à la mairie de Niort, peu présente à l'Assemblée nationale et venant par intermittence en Poitou-Charentes où elle n'habite pas, les jurys populaires l'auraient déjà sanctionnée."

16 octobre 2006

De la théorie des jeux en politique


La théorie des jeux a aujourd'hui le vent en poupe pour modéliser les décisions d'acteurs économiques dans un schéma non-coopératif. L'objet de cet article est de l'appliquer à la politique française. Imaginons tout d'abord N candidats qui ont exercé des responsabilités gouvernementales. Afin d'incarner le renouveau, chacun a individuellement intérêt à rejeter ce qui a été accompli au cours des dernières années pour ne pas apparaître comme le candidat du système. Cependant, si une majorité d'entre eux dénoncent leur "bilan commun" alors tous les candidats y perdent et ce sont les candidats des extrêmes qui remportent la mise car leur discours se trouve conforté par des hommes politiques ayant assumés des responsabilités.

Afin de résoudre le problème, il faut quelques notations : on note A le différentiel de voix (en %) obtenu par un candidat qui dénonce le système par rapport à celui qui ne le dénonce pas (si moins de la moitié des candidats agissent ainsi). On note B le poids total des extrêmes en temps normal et B+C leur poids dans le cas où la défiance est généralisée. Chaque candidat cherche à maximiser son score sachant qu'il estime que le nombre d'autres joueurs qui vont rejeter le système actuel est un nombre complètement aléatoire entre 0 et N-1. Le résultat est le suivant, les candidats vont tous "trahir le système" si C < A(N-1)(N/2-1/2), dans le cas contraire aucun ne va le dénoncer.

Il faut maintenant introduire des données numériques. Admettons que C=10% (gain des extrêmes si les partis de gouvernement dénoncent la situation actuelle), que A=5% (gain relatif d'un candidat qui dénonce le système) et que N=4 (candidats Verts, PS, UDF et UMP), dans ce cas on a bien 10<22.5 donc tous les candidats critiquent l'état actuel du pays donc les extrêmes remportent la mise. En revanche si N=3 (on enlève les Verts) et A=4% alors on a 10>8 donc les extrêmes ne montent pas. Si on reprend l'expression litérale, on remarque que plus il y a de candidats de "gouvernement" plus le risque de trahison généralisée est grand.

Revenons maintenant au monde réél et à la vie politique française. Je ne sais pas si la classe politique s'intéresse à la théorie des jeux, en tous cas les candidats (ou leurs porte-paroles) ont clairement adopté la stratégie du reniement du passé. Partout, du PS à l'UMP en passant par l'UDF on entend la même ritournelle décliniste : notre pays va très mal, tout ce qui a été fait depuis ces vingt dernières années est mauvais, il faut donc tout changer. Cette stratégie des partis de gouvernements est selon moi le principal moteur du vote contestataire puisqu'il tend à légitimer des partis extrêmistes qui disent que tout va mal depuis déjà longtemps. On ne prendra pas des voix à Le Pen en utilisant ses mots ou en reprenant ses thèmes mais bien en soutenant un minimum ce qui a été fait par le passé. Bref, il faudrait convaincre nos responsables politiques que, dans le cas de la France, C > A(N-1)(N/2-1/2), ce qui signifie en langage plus usuel que le risque extrémiste est très élevé.

14 octobre 2006

Eloge du pragmatisme


"Au possible nous sommes tenus", cette phrase est le titre d'un rapport de Martin Hirsch - président d'Emmaüs et membre du Conseil d'Etat - sur la pauvreté, elle est pour moi d'une vérité et d'une force considérable. C'est la réponse universelle à adresser aux révolutionnaires utopiques et aux conservateurs frileux, en effet, aux premiers elle dit que la politique ne peut faire abstraction du réel, ce qui compte n'est pas tant ce qui est souhaitable que ce qui est possible. Aux seconds, elle dit qu'il faut se retrousser les manches et tout faire pour améliorer la situation actuelle. Bref, "Au possible nous sommes tenus" devrait être le slogan de tous les réformateurs.

Au-delà, cette formule nous invite à nous débarrasser de l'idéologie et à promouvoir le pragmatisme. Ce mot a souvent mauvaise presse en France car il est associé au court-termisme et à l'absence de vision politique, bien au contraire, il faut y voir le refus de faire rentrer la diversité et la complexité du monde réel dans un schéma explicatif soi-disant universel. Le pragmatisme doit être vu comme un hymne à la créativité : les bons hommes politiques seront ceux qui sauront être suffisamment inventifs pour traiter des problèmes toujours plus délicats et originaux.

L'ancien monde était suffisamment lent pour faire la place aux idéologies qui n'étaient jamais que des vérités provisoires avec un temps de vie relativement long. Aujourd'hui tout va plus vite, les mesures politiques prises par l'ensemble des gouvernements de la planète sont partout examinées, copiées ou adaptées. Ce qui était vrai hier peut devenir une ineptie demain, il faut donc réagir, se réorienter, corriger le tir en ayant toujours un oeil sur la société, un peu à la manière d'un scientifique qui scrute ses expériences pour valider ses modèles théoriques.

Pour sortir des généralités et appliquer à moi-même le principe de réalité, je citerai une mesure concrète prônée par le même Martin Hirsch : l'internalisation par les entreprises des dégâts sociaux. L'idée est d'aligner les objectifs de la société et des entreprises par une fiscalité incitative. Ainsi, on pourrait taxer les industries agro-alimentaires en fonction du taux d'obésité chez les enfants ou encore les sociétés qui fournissent des crédits (Cofidis, Sofinco,...) en fonction du taux de surendettement de leurs clients...

J'irai même plus loin en proposant de substituer une partie des charges qui pèsent sur le travail par un impôt spécifique à chaque entreprise en fonction de son secteur d'activité. En plus des risques sociaux, on pourrait intégrer les risques environnementaux en appliquant le principe pollueur/payeur. Bref, des solutions originales existent, elles doivent être expérimentées d'abord à petite échelle puis étendues en cas de succès. Réactivité, inventivité et expérimentation, voilà ce qui devrait faire le succès du pragmatisme.

10 octobre 2006

Pour la diplomatie : Villepin ou Sarkozy ?


Les relations internationales ont le vent en poupe ces jours derniers dans la campagne électorale. Et il y a de quoi : la prolifération nucléaire de la Corée et de l'Iran, la situation en Irak ou la paix au Proche-Orient (auxquels il faudrait encore ajouter le Darfour, la Côte d'Ivoire ou la Thaïlande) sont autant de menaces graves pour la paix sur la planète. De plus, l'élection présidentielle doit choisir le chef de la diplomatie et des armées, autant ne pas se tromper de candidat.

On a assisté à une passe d'armes très intéressante entre le Premier Ministre et son Ministre de l'Intérieur sur ce sujet. Outre le fait qu'elle témoigne d'un affrontement tactique entre les deux hommes, il n'en reste pas moins qu'ils ont sur ce sujet deux visions largement différentes et toutes les deux respectables.

Résumons la position de chacun, telle qu'ils l'ont exprimée ces jours derniers : pour Nicolas Sarkozy, l'éthique et la morale doivent être plus présentes dans les affaires internationales, c'est pourquoi il préfère serrer la main de Georges Bush plutôt que de rencontrer Vladimir Poutine. A ce titre il pense que la France a intérêt à se rapprocher des Etats-Unis, plus grande démocratie du monde car, seul, notre pays ne peut pas réellement peser, au mieux est-il capable d'être donneur de leçons et arrogant. Le ministre de l'intérieur pense également que ce thème doit sortir du "domaine réservé" du chef de l'Etat, c'est-à-dire que le Parlement doit pouvoir se prononcer et délibérer sur la politique étrangère de la France.

A ces propositions, le Premier Ministre oppose sa vision "gaulliste" et met en avant son expérience. Pour lui, la politique étrangère doit viser un compromis entre le respect de l'éthique et des droits fondamentaux et les relations d'Etat à Etat. En clair, la morale ne saurait ignorer la Realpolitik. C'est pourquoi il refuse de critiquer vigoureusement la Russie car c'est selon lui un acteur important sur le plan diplomatique (cf. Iran et Corée du Nord) et énergétique. La diplomatie exige donc que les responsables politiques pèsent leurs mots et privilégient le compromis. En ce qui concerne la relation avec les USA, Dominique de Villepin refuse une alliance trop asymétrique comme elle peut exister entre USA et Royaume-Uni et, de fait, selon lui, la diplomatie Française pèse beaucoup plus que la diplomatie Britannique car on lui reconnaît une liberté de parole et d'initiative. Enfin, il pense que la politique de défense et la conduite de la diplomatie doivent rester dans le giron du Président de la République car c'est une manière de personnaliser la voix de la France et donc d'éviter les dissensions et les atermoiements. De plus, le Président est certainement la personnalité politique la plus à l'abris de pressions extérieures. C'est pourquoi Dominique de Villepin accepte que le Parlement débatte sur ces questions (comme sur le Liban) afin de dégager un consensus national mais refuse qu'il vote.

Pour savoir quelle vision est la meilleure il faut se demander à quoi doit servir la diplomatie aujourd'hui. Les priorités actuelles semblent claires : éviter la prolifération nucléaire et l'embrasement de certaines régions sensibles. Il faut donc donner raison à Dominique de Villepin de n'écarter personne des discussions et de garder de bonnes relations avec des puissances qui sont influentes sur ces dossiers comme la Russie et la Chine. Cependant, on voit bien que la patience de la communauté internationale envers l'Iran et la Corée du Nord sont sans résultats et que la culture du compromis doit parfois s'effacer devant une ligne plus ferme réclamée par les Américains. Que le langage diplomatique n'exclue personne et soit empreint de Realpolitik me paraît une bonne chose à condition que certaines limites soient posées et que le recours aux sanctions ou à la force ne soient jamais définitivement écartés.

Une chose est sûre : la France a eu raison de s'opposer à la guerre en Irak qui a vite tourné au fiasco et qui augmente l'instabilité régionale en même temps qu'elle réduit la capacité de projection de l'armée Américaine sur d'autres théâtres d'opérations. L'Iran a ainsi pu augmenter son influence sur cette région (et notamment sur l'Irak) et ne semble plus prendre les menaces américaines au sérieux. Evoquer l'arrogance de la France à propos de la crise Irakienne, comme l'a fait Nicolas Sarkozy, me paraît donc une erreur, d'autant plus que cette vision n'est pas partagée par les Français qui ont soutenu la position de leur pays à l'époque.

05 octobre 2006

La première des priorités : réformer l'Université


Dans son dernier livre, Daniel Cohen - abondamment cité sur ce blog - décrit le modèle français comme résultant de la contradiction entre un système de valeurs cléricales et aristocratiques. D'un côté la République prône l'égalité de tous (qui renvoie à l'égalité devant Dieu) mais en même temps elle fait l'éloge de la noblesse des conduites. D'ailleurs, dès la Révolution Française, le nouveau régime abolit les privilèges et institue en même temps l'Ecole Polytechnique et l'Ecole Normale Supérieure, c'est-à-dire qu'il créé une nouvelle aristocratie basée sur le mérite et les compétences.

Le système Français de l'enseignement supérieur semble l'héritier direct de l'opposition entre ces deux systèmes de valeurs. Les valeurs cléricales sont pour l'Université qui ne fait pas de sélection à l'entrée et qui ne demande pas de droits d'inscription très élevés et les valeurs aristocratiques pour les grandes Ecoles qui font au contraire de la sélection leur pierre angulaire et qui cherchent à pousser les élèves au maximum de leurs capacités. On voit que cette répartition des tâches ne se fait pas du tout à l'avantage de l'université qui devient un choix par défaut pour beaucoup d'étudiants.

Le problème, c'est que dans la société mondialisée basée sur la connaissance qui est la nôtre aujourd'hui, l'université est devenue un élément central, c'est l'institution qui prépare l'avenir et la croissance d'un pays. Or les universités françaises vont mal, comme le montre par exemple le classement de Shangaï. Certes cet instrument de mesure est très imparfait, il surestime le poids des prix Nobel et fait la part belle aux "grosses" universités, il n'empêche qu'il indique un décrochage indiscutable de la France dans ce domaine. Plus grave : des dizaines de milliers d'étudiants entrent chaque année dans des filières bouchées et sans perspectives, ce qui constitue un immense gâchis humain.

En France, dès qu'il y a un problème, on réclame - souvent à tort - plus de moyens. L'enseignement supérieur est l'un des rares domaines où cette "réclamation" me paraisse juste : notre pays dépense moins par étudiant que la moyenne des pays de l'OCDE, il est même certainement le seul au monde où l'Etat dépense plus par an pour former un lycéen qu'un étudiant. Cela ouvre le problème du financement des universités et notamment la question des frais de scolarité. Il est normal, dans une société basée sur la connaissance, de payer pour former son capital humain qui sera réinvesti tout au long de sa vie professionnelle. C'est ainsi que l'Angleterre développe un système de prêts garantis par l'Etat pour les étudiants qui s'endettent pendant leurs études et remboursent une fois qu'ils ont un emploi. Pour éviter que la question des frais de scolarité augmente encore la ségrégation sociale que nous connaissons déjà il faut mettre en place un véritable système de bourse basées sur le mérite et qui ne se limitent pas aux frais de scolarité mais prennent également en compte l'hébergement et la nourriture.

Il faut surtout aller vers plus d'autonomie financière des universités - comme le réclame Yannick Vallée - pour permettre à un président d'université de développer des filières avec l'aide d'entreprises. Il faut cesser d'ériger une barrière imperméable entre le monde de l'enseignement supérieur et celui de l'entreprise, il s'agit là de conceptions idéologiques éculées. Les lignes semblent bouger à ce sujet puisque certains socialistes comme Dominique Strauss-Kahn semblent prêts à s'engager sur cette voie. Cette question rejoint celle, plus vaste, de la gouvernance et de l'autonomie des universités. Aujourd'hui celles-ci sont gérées par des sortes de comités d'entreprise très disparates au lieu d'avoir un véritable conseil d'administration. Les universités doivent être capables de se diversifer et de spécialiser, chaque ville ne doit pas avoir sa propre université généraliste. Contrairement à l'enseignement général qui doit être le même pour tous (en tout cas cas dans chaque filière), l'enseignement supérieur doit être concurrentiel et proposer des projets éducatifs originaux. Voilà un vrai débat qui s'oppose au faux débat de la carte scolaire et de la compétition entre les collèges et les lycées.

Enfin, il reste un vieux serpent de mer : la sélection des étudiants. Certains y sont favorables comme le président de la Sorbonne Jean-Robert Pitte tandis que les syndicats étudiants y sont farouchement opposés au nom de la liberté de choix. La solution retenue par l'actuel ministre de la recherche de faire une présélection au mois de février précédent le bac me paraît aller dans la bonne voie. Chaque élève aura droit à une réponse personnalisée qui pourra l'aider à faire ses choix. Il faut en effet lutter contre les asymétries d'informations dans le système éducatif français qui sont souvent plus déterminantes que les inégalités sociales.

Il y a plusieurs raisons, malgré ce constat apocalytptique, d'être optimiste. Tout d'abord la campagne éléctorale qui vient permet de traiter toutes les questions et donne au pouvoir politique fraîchement élu une forte légitimité pour réformer et pour agir. Ensuite, il existe un assez grand consensus sur les modifications à apporter au système actuel chez les économistes, les profs et les présidents d'université et les politiques. Enfin, il y a un effet bénéfique paradoxal du classement de Shangaï et surtout de sa publicité : réformer les universités devient possible car pour les Français : "cela ne peut pas être pire". Ainsi, beaucoup de sujets en débat actuellement (autonomie, sélection, liens avec l'entreprise,...) n'auraient même pas pu être évoqués il y a quelques années. Signe que les mentalités évoluent.

29 septembre 2006

Le capitalisme est en danger


Le capitalisme est aujourd'hui le seul système économique sur la planète qui "fonctionne". Sa victoire sur le communisme a été totale au point que l'on peut se demander s'il n'est pas à son apogée. Et pourtant, de nombreux nuages s'amoncellent au-dessus de sa tête et sa durabilité peut être sérieusement mise en cause. Je vais essayer de décrire ces risques et ces dérives et j'essayerai d'esquisser des pistes de réflexions lors de prochains posts. Je note à ce propos que la plupart des candidats à la présidentielle ignorent copieusement ces sujets, préférant des thèmes moins économiques et plus vendeurs comme l'immigration ou la sécurité.

Le temps du compromis keynésien semble définitivement révolu, quelque chose s'est passé (ou cassé) dans les années 70 après les Trentes Glorieuses. On peut regretter, à juste titre, cette période où chacun dans l'entreprise - et principalement l'industrie - avait quelque chose à gagner : de la productivité contre des salaires, une perspective de monter les échelons au sein d'une même entreprise... Il faut toutefois regarder le monde tel qu'il est aujourd'hui : les actionnaires, qui étaient les grands absents du compromis keynésien, sont désormais aux premières loges. Leur regroupement en fonds de pension leur a permis de faire pression sur les entreprises pour comprimer la masse salariale, notamment en externalisant beaucoup d'activités. D'autres évolutions, très bien résumées dans le dernier livre de Daniel Cohen "3 leçons sur la société post-industrielles", ont progressivement conduit à un déséquilibre dans notre société, avec des gagnants et des perdants, à savoir les actionnaires et les consommateurs d'un côté et les salariés et les citoyens de l'autre. Il est intéressant de noter la profonde schizophrénie que cette situation créé chez chacun d'entre nous puisque nous sommes tour à tour salarié, citoyen, consommateur et parfois actionnaire.

Cette situation n'est selon moi pas durable, les citoyens ne tolèreront plus très longtemps que dans une démocratie, le vrai pouvoir ne soit plus dans leurs mains et les salariés n'accepteront plus de ne plus être rémunérés des fruits de leur travail. Certaines pistes sont évoquées pour aligner les intérêts de ces différentes catégories : développer la participation pour que les salariés profitent de la croissance de leur entreprise, augmenter le droit de vote au conseil d'administration pour les actionnaires qui restent longtemps au capital pour favoriser le développement à long terme des entreprises ou encore jouer sur les droits de douanes à l'échelle européenne. Ces pistes ne sont certainement pas suffisantes et elles méritent d'être creusées davantage.

Par ailleurs, une question hautement stratégique devrait agiter toute l'Europe : quelle attitude adopter face aux OPA qui semblent se multiplier contre les groupes européens ? Qu'adviendra t-il lorsque les immenses réserves d'épargne en Asie et en Russie se transformeront en investissements dans nos grandes entreprises ? Arcelor pourrait bien n'être que le prélude d'un mouvement plus vaste et très dangereux pour nos économies. C'est toute la question du patriotisme économique, qu'il convient certainement de considérer à l'échelle européenne, dont il est question ici.

Enfin je signalerai une dernière menace qui pèse inexorablement sur le capitalisme : l'épuisement des ressources, en particulier des matières premières. Nous avons vécu jusqu'à maintenant dans un monde où l'énergie était bon marché, il faudra désormais apprendre à se passer du pétrole, puis du gaz, puis de l'uranium... La question se pose également à propos de l'acier, du bois, de l'eau et elle se posera de manière de plus en plus forte à mesure que les pays émergents augmenteront leur demande en matières premières.

C'est de toutes ces questions dont il faut discuter maintenant. Le débat présidentiel devrait être le lieu où se tranche ces grands problèmes stratégiques, il semble que tel ne sera pas le cas, les principaux acteurs ayant préféré les conseils des communicants à ceux des économistes.

27 septembre 2006

Pour une révolution du Sénat


Depuis longtemps, je m'interroge sur les limites de la démocratie intégrale. Tocqueville avait compris très tôt que l'égalité des conditions pouvait être le début d'un processus favorisant l'individualisme et détruisant toutes les barrières morales et institutionnelles. Je pense pourtant que ces barrières sont essentielles à la démocratie pour éviter qu'elle ne sombre dans une démagogie, ainsi : "tout ne doit pas être démocratique dans une société démocratique", l'Ecole, la science ou encore la justice ne sont pas des questions d'opinion puisqu'elle s'intéresse, d'une manière ou d'une autre, à la recherche de la vérité. Dès lors il y a une asymétrie nécessaire entre le maître et l'élève, le scientifique et le néophyte ou encore le juge et le justiciable.

Il importe selon moi de consolider voire d'institutionnaliser ces asymétries. Il faut protéger la vérité contre l'opinion et donc les institutions contre la démocratie. C'est pourquoi je propose de modifier en profondeur le Sénat pour en faire le lieu de l'autorité morale, technique et intellectuelle. Aujourd'hui l'utilité législative du Sénat peine à s'affirmer, on peut très bien concevoir notre République avec une seule chambre : l'Assemblée Nationale. Il faudrait selon moi faire de la Haute Assemblée un rassemblement de personnalités dont les qualités morales et les talents sont indiscutables, qui auraient à se prononcer sur les grands sujets de société et les évolutions à long terme de notre République. Ce Sénat serait tout d'abord nommé par les autorités politiques en place puis il se renouvellerait par cooptation en choisissant lui-même ses nouveaux membres pour remplacer les anciens. Cette organe aurait l'indépendance et l'autorité nécessaire pour nommer les membres du Conseil Constitutionnel, du CSA et du CSM. Il pourrait voter des avis (non contraignants sur le plan juridique) sur les lois et autres évènements de la vie politique française. Il aurait également un rôle de prospective et publiant des rapports sur de grands sujets de fond.

Le but principal de cette proposition est de combattre l'horizontalité absolue qui tend à s'installer dans les sociétés démocratiques, en instituant un nouvel "ordre moral laïque". L'évolution actuelle de notre société principalement influencée par la consommation de masse et les divertissements médiatique doit nous interroger, il en va du processus même de civilisation.

26 septembre 2006

Halte à la démagogie


En dénonçant lundi matin sur Europe 1 la démagogie qui régnait en ce début de campagne présidentielle, Lionel Jospin a visé juste. On peut même parler de populisme quand on entend Nicolas Sarkozy dire que ses seuls juges "ce sont les Français" ou Ségolène Royal vanter les "citoyens experts". On peut certes penser qu'en démocratie tous les citoyens sont égaux et qu'ils ont donc le même droit de s'exprimer sur tous les sujets qui les touchent, mais l'égalité des droits ne signifie pas l'égalité des conditions, des mérites et des talents. L'ancien Premier Ministre socialiste a eu raison d'affirmer que dans une société démocratique, il subsistait des experts, des professeurs qui avaient une autorité (intellectuelle ou morale) suffisante pour s'exprimer et être écoutés. Comme l'écrivait Condorcet dans sa lettre à M. Turgot : "On confond le droit social de s'exprimer sur ce qui concerne la société avec celui, réservé aux Lumières, de se prononcer sur la vérité d'une proposition. On croit pouvoir juger et on se trompe".

La démocratie intégrale est une forme de totalitarisme, il est très dangereux de vouloir nier toutes les catégories intermédiaires entre le pouvoir politique et les citoyens. Il est choquant de voir comment le ministre de l'intérieur a ignoré les critiques que lui adressait le Premier Président de la Cour de Cassation Guy Canivet, il en va de même avec Ségolène Royal qui refuse d'écouter les scientifiques Français qui travaillent sur les OGM. Il faut remettre en valeur la place des institutions, des intellectuels, des scientifiques dans la société et cesser de surfer sur l'opinion grâce à l'émotion. Les revirements incessants de l'opinion française à propos de la détention préventive en raison des faits divers (le Chinois, les acquittés d'Outreau...) devraient amener les responsables politiques à prendre du recul sur les évènements et écouter les personnalités compétentes.

Prenons garde que cette élection présidentielle n'opère pas le basculement de notre pays d'une démocratie représentative à une démocratie d'opinion, soi-disant plus proche des préoccupations des citoyens mais qui ne sert pas, en définitive, leurs intérêts.

21 septembre 2006

Il faut sauver la carte scolaire...


Le débat présidentiel réserve parfois certaines surprises : qui aurait pu prévoir, il y a encore quelques mois, que le thème de la carte scolaire serait au coeur de l'actualité ? Il faut s'en féliciter car l'élection présidentielle doit être l'occasion de tout discuter, sans tabous.

Sur ce point comme sur tant d'autres, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal semblent se "marquer à la culotte" en affichant des positions relativement proche. Le premier propose la suppression pure et simple de la carte scolaire tandis que la seconde propose de profonds aménagements tout en disant que l'idéal serait sa suppression. Deux arguments motivent ces points de vue : la mixité sociale voulue par la carte scolaire est un leurre car beaucoup de parents (les plus riches et les mieux informés) la contourne, et ce système est une entrave à la liberté individuelle.

Il y a une véritable logique libérale à souhaiter une grande autonomie des établissements scolaires et le libre choix pour les parents, il s'agit de diversifier l'offre éducative et de les tirer vers le haut grâce à une concurrence entre collèges ou lycées. Toutefois, cette manière de voir les choses me paraît très théorique. Quand les parents choisissent l'école de leurs enfants, il ne le font pas en raison des différents projets éducatifs mais plutôt en fonction de la réputation de l'établissement. Le problème reste alors entier : si tous les parents veulent mettre leurs enfants dans le même collège, comment choisit-on ? Sur quels critères ? Il y a fort à parier qu'un tel système augmenterait davantage les inégalités entre les élèves issus de différentes classes sociales.

L'argument de Ségolène Royal est différent, il consiste à dire : puisque certains contournent la carte scolaire, ce qui a pour conséquence de réduire la mixité sociale alors il faut stopper l'hypocrisie et la supprimer. Avec ce type d'arguments, on pourrait supprimer les impôts à cause des fraudeurs fiscaux ou la police à cause des délinquants. On ne peut pas justifier une réforme d'un système au motif que certains le contournent.

Il ne s'agit pas de dire que le système actuel est parfait, il y a des aménagements à apporter mais ils doivent selon moi tout mettre en oeuvre pour renforcer la mixité sociale qui est une nécéssité absolue en République. Une idée, avancée par certains, consiste à redécouper la carte scolaire en "camembert". Ainsi, chaque zone aurait une part de centre ville et de banlieue ou de campagne. Les zones seraient alors plus homogènes. Il faut également augmenter l'offre d'enseignement des les collèges et lycées en difficulté pour qu'ils puissent proposer les mêmes options que les autres. Enfin, la proposition du premier ministre de permettre aux élèves des collèges Ambition Réussite qui ont eu une mention très bien au brevet de choisir le lycée de leur choix me paraît aussi aller dans le sens de la méritocratie républicaine.

18 septembre 2006

Des valeurs c'est bien, un projet c'est mieux


La société française est aujourd'hui à ce point morcelée qu'il paraît inimaginable de vouloir trouver un projet commun mobilisateur pour l'ensemble des Français. Que partagent, en effet, les cadres dirigeants des entreprises qui s'intéressent au débat sur les stock-options et les travailleurs peu qualifiés qui peinent à trouver un emploi ? Qu'ont en commun les "bobos" (terme que j'utilise ici sans aucune connotation péjorative) parisiens épris de culture et de générosité à l'égard de ceux qui souffrent comme les sans-papiers et les retraités des campagnes qui ne connaissent pas Internet et qui ont peur de l’immigration ?

Et pourtant, si on croit en la politique, on ne peut perdre l’espoir d’un grand projet de société qui serait profitable pour tous et qui consacrerait l’unité des Français. En appartenant à la même nation, nous avons une communauté de destin, l’idéal républicain ne peut s’accommoder du communautarisme et du corporatisme qui ne sont jamais que des individualismes de groupe. Au-delà du bonheur individuel, il est une satisfaction de l’esprit incomparable que de voir que son pays avance et que le sort de ses concitoyens s’améliore, c’est en tous cas mon point de vue.

L’élection présidentielle telle qu’elle est organisée oblige les candidats présents au second tour à rassembler et donc à essayer de trouver un message commun pour l’ensemble de la population, c’est d’ailleurs pour cela qu’il ne faut surtout pas revenir sur ce système majoritaire à deux tours. Aujourd’hui, si l’on observe les deux favoris que sont Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, on constate qu’ils adoptent une stratégie similaire : rassembler sur des valeurs plutôt que sur un projet. Je ne condamne pas cette démarche, elle est pour moi nécessaire mais certainement pas suffisante.

Il est heureux de constater que les Français se retrouvent encore sur les valeurs de travail, de mérite, de justice et d’ordre, bref que ce qui constitue le socle de la République est encore très présent dans la société, mais la tentation pour les candidats peut-être d’insister uniquement sur ces valeurs essentielles au détriment de leur projet concret. Car pour faire vivre ces principes, il faut des propositions concrètes et ce sont elles qui doivent alimenter le débat présidentiel. Que signifie réhabiliter le travail ? S’agit-il de réduire le chômage, d’augmenter le salaire, de revenir sur les 35 heures ou encore de permettre à ceux qui veulent travailler plus de faire des heures supplémentaires exemptées de charges sociales ? Il en va de même du mérite qui est derrière tout le débat sur l’égalité des chances.

Alors de grâce mesdames et messieurs les candidats à la présidence de la République, n’en restez pas aux slogans et aux principes, bien qu’ils soient essentiels, mais essayez de proposer un projet qui puisse rassembler véritablement les Français, un nouveau compromis social.

16 septembre 2006

Déclinologues ou idéologues ?

En fustigeant les déclinologues lors de ses vœux à la presse le 10 janvier dernier, Dominique de Villepin a mis le doigt sur un phénomène majeur qui gagne une partie du monde intellectuel français : le déclinisme est désormais à la mode, il gagne toutes les strates de la société, qu’il s’agisse d’économistes, de journalistes ou de politiques. Selon ces porte-étendards de la faillite française, notre pays serait mal géré, au bord de la faillite, son modèle social tiendrait plus, en termes de performances, d’un pays de l’ex-Europe de l’Est que d’une démocratie occidentale digne de ce nom, les seuls emplois préservés du chômage seraient des contrats précaires qui ne manqueront pas de disparaître face à la concurrence des pays émergents, enfin, la mort de notre industrie ne serait plus qu’une question d’heure.

Bref, amis Français, ouvrez vos parasols, sortez le vin rouge et le roquefort et mettez en valeur votre patrimoine culturel, car votre seul salut réside dans l’accueil de touristes venus d’un lointain monde prospère pour séjourner dans cet immense camp de vacances qu’est devenu la France. A quoi bon, en effet, tenter de résister à cet immense mouvement mondial qui nous submerge puisque la source de tous nos maux semble être congénitale, l’échec est désormais l’apanage de la France, c’est même devenu notre marque de fabrique. Finies les explications macroéconomiques et géopolitiques : notre croissance est molle, notre chômage élevé et notre dette faramineuse parce que nos dirigeants sont naturellement incompétents et que nous ne faisons pas assez d’efforts.

Les Allemands aussi connaissent des problèmes conjoncturels d’ampleur mais ils s’en sortiront car ils sont plus sérieux et plus courageux, les Américains et les Japonais ont une dette plus importante que nous mais ils la surmonteront car ils sont plus malins et plus influents. Ainsi va la pensée, à peine caricaturée, de certaines de nos élites, qui ont réussi à faire de ce prétendu déclin français leur fond de commerce, car s’il est un domaine en pleine croissance, c’est bien le commerce de ces ouvrages qui débordent d’auto-flagellation. Faut-il y voir le signe d’un sursaut salvateur ou bien l’expression d’arguments d’autorité empreints d’idéologie ? Notre pays est-il au bord de la banqueroute, ou le pays de Molière serait-il, comme l’a déclaré José Manuel Barroso à l’Assemblée Nationale, atteint du syndrome du malade imaginaire ?

Un trait caractéristique des partisans du déclin est l’imprécision voire l’inexactitude de leur discours qui se veut globalisant. Ainsi, quand il s’agit de chercher des responsables à la situation actuelle de la France, la réponse est à la fois unanime et devenue rituelle : « c’est à cause des gouvernements de droite et de gauche confondus qui ont tout faux depuis vingt ans », à ceci près que certains préfèrent dire trente ans et d’autres dix ans. A quoi bon, en effet, s’embarrasser avec des chiffres, qu’importe que le début de la crise ait eu lieu sous Giscard, Mitterrand ou Chirac, qu’il soit du aux chocs pétroliers, à la chute du communisme ou à la mondialisation, la seule chose qui compte selon les déclinologues, c’est que notre pays va droit dans le mur et que cela fait longtemps que cela dure. Tant d’imprécision devrait suffire à discréditer un tel discours, d’autant plus qu’à cela s’ajoutent certains mensonges éhontés comme le fait que notre pays est l’un des plus inégalitaires alors qu’il l’est, selon les indicateurs couramment utilisés par les économistes, nettement moins que la plupart de nos voisins occidentaux, les inégalités ont même diminué en France de 1970 à 1985 et elles sont restées stables depuis, ce qui s’explique en partie par l’augmentation du SMIC durant toutes ces années. La manière dont sont décrits certains pays étrangers, qu’il convient d’appeler des « modèles » est également contestable. On insiste peu sur la désindustrialisation massive qu’a connu le Royaume-Uni, on oublie de rappeler que l’emploi dans ce pays a moins progressé depuis 1980 que dans la zone euro même si les salaires y ont plus fortement augmenté, on omet facilement de signaler que du fait d’un faible taux d’épargne des ménages, la balance courante des Etats-Unis est fortement déficitaire chaque année ou que même si l’Espagne connaît une forte baisse du chômage, celle-ci se fait au prix d’une large déqualification de la main d’œuvre puisque ce sont principalement des emplois de services à la personne peu qualifiés qui sont créés, ce qui peut menacer sa croissance à long terme. En un mot, on oublie de rappeler que les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît, que chaque pays connaît des difficultés spécifiques et qu’il tente d’y remédier en tenant compte du contexte international mais aussi de son histoire et de sa culture.

Symétriquement, on évite d’insister sur ce qui fonctionne en France, comme la forte natalité qui fera de notre pays le plus peuplé du continent européen en 2050 ou la surreprésentation des entreprises françaises dans le classement des 100 plus grandes entreprises mondiales. Pire, on tente de transformer des réussites en échecs, comme ce fut le cas pour l’implantation d’ITER à Cadarache, n’a-t-on pas entendu à cette époque que cette décision allait coûter cher à la France et ne nous rapporterait pas grand-chose, bref que notre naïveté avait été exploité par la finesse des autres puissances mondiales, sur ce dossier comme sur tant d’autres.

On voit, à travers toutes ces contre-vérités que toute pensée globalisante est vouée à l’échec, le réel résiste à ce qu’il convient d’appeler les idéologies, dont le déclinisme n’est qu’une forme parmi d’autres. Car si la plupart de ces intellectuels qui ne cessent de voir la France tomber affirment rejeter toute forme d’idéologie, leurs arguments n’étant basés que sur des faits objectifs et quantifiables, force est de constater qu’ils cherchent, à travers ce discours, à imposer une vision de la société, que l’on peut grossièrement qualifier d’anglo-saxonne et qui assimile toute spécificité française à un handicap. En substance, si nous voulons être forts dans le monde moderne, soyons ternes et transparents et mettons nos principes « républicains » au vestiaire car ils ne sont que le signe de notre grandiloquence.

Qui ne voit pas qu’en annonçant constamment une chute programmée, inexorable et irréversible de notre pays, les déclinologues cherchent à faire peur à l’opinion, celle-là même à qui l’on avait réussi à faire peur avec l’insécurité galopante lors de la campagne présidentielle de 2002. Il y a dans cette manière de procéder une volonté de s’asseoir sur la démocratie, d’imposer des idées minoritaires par la peur. Ceux qui réclament l’abandon du modèle français accompagné d’un rétrécissement permanent du périmètre de l’état ayant définitivement échoué à rassembler les Français de manière positive sur leurs propositions, ils cherchent désormais à récuser l’idée même de choix politique : la France n’a plus d’alternative, sauf à sombrer définitivement. En désenchantant ainsi la vie politique, en substituant aux utopies la froide réalité d’un monde moderne caractérisé par le renoncement, en rejetant toujours à demain les améliorations des conditions de vie, les déclinologues sont en train d’enfoncer notre pays dans une profonde déprime, ce que les préfets ont récemment appelé la « sinistrose des Français ». Comment peut-on, en effet, espérer donner confiance à un peuple si toutes les images qu’on lui renvoie de son pays sont négatives ? La crise de notre modèle d’intégration en a été un révélateur, un pays qui ne s’aime pas lui-même ne peut pas espérer être aimé par les personnes qui le rejoignent.

C’est bien à la lucidité des Français qu’il faut en appeler, à la fois vis-à-vis de ceux qui promettent des lendemains qui chantent mais qui refusent toute modernisation de notre pays, s’arc-boutant sur des positions défensives et protectionnistes mais également vis-à-vis de ceux qui en appelle à une refonte totale de notre modèle social afin d’éviter le déclin. Entre l’immobilisme et la révolution il existe d’autres voies, qui acceptent de prendre en compte la complexité du monde et cherchent à répondre concrètement aux problèmes que chaque pays ne manque pas de rencontrer. C’est en acceptant de regarder la réalité en face tout en restant fidèles à ce que nous sommes et à nos principes que nous parviendrons à surmonter les défis qui sont devant nous.

12 septembre 2006

Contrat social et service civique


La crise récente en banlieue, en plus des problèmes de respect de l’ordre public, de lutte contre les trafics, d’emploi ou de logement qu’elle soulève, montre à quel point le lien entre la jeunesse et la nation est ténu. La République, qui a pour vocation de lier les individus entre eux, de leur transmettre des valeurs communes et les réunir dans une communauté de destin, se doit de réagir. En effet, contrairement à certaines démocraties, pour qui l’intégration se résume en « parler la langue, payer ses impôts et respecter la loi », le modèle républicain tente de faire à chacun une même place, mais lui demande en retour d’accepter des contraintes et de respecter des valeurs fondamentales comme la liberté, l’égalité ou la laïcité. Les principes de ce modèle sont justes et ne doivent en aucun cas être abandonnés, ils doivent au contraire s’incarner plus fortement dans la réalité, afin de passer des mots aux actes. Il faut donc redonner du sens à la citoyenneté, renforcer le Contrat Social passé entre les citoyens et l’Etat.

Toutefois, dans nos démocraties, ce contrat est au mieux tacitement accepté et au pire ignoré par nos concitoyens, à aucun moment de la vie civique nous ne prenons véritablement la décision d’accepter un quelconque contrat avec l’Etat de même que nous n’acceptons jamais officiellement la redistribution qu’il opère en vue de réduire les inégalités. Il convient alors de se demander si, en pratique, une telle situation pose problème, car la politique doit répondre à des problèmes concrets par des réponses concrètes, et non en rester à la théorie ou à l’idéologie : une politique est entièrement déterminée par l’ensemble des décisions « pratiques » auxquelles elle a conduit, je ne crois pas à une théorie ou à une idéologie qui sous-tendrait l’action politique, la volonté politique n’a elle-même de sens que si elle débouche sur des réponses opérationnelles. Je vais donc essayer de montrer tout d’abord en quoi le caractère tacite du lien entre l’Etat et les citoyens pose problème puis je développerais ce qui me semble être une solution possible : l’établissement d’un « nouveau Contrat Social ».

Le problème de l’appartenance à une nation pose celui de l’identité, quelle soit politique, religieuse, culturelle,… Dans le modèle républicain français, l’identité qui prime est la nationalité, nous sommes des citoyens français avant d’être membre d’un parti politique, habitant d’une région, européen, croyant ou non croyant,… C’est bien cet idéal républicain qui permet, en retour, l’égalité de tous les citoyens vis-à-vis de l’Etat, qui est en péril aujourd’hui. Je pense en effet que la citoyenneté recule face au communautarisme, au radicalisme religieux et à certains séparatismes ou même pire, au désespoir. Mais ceux qui participent de ce mouvement de repli sur soi ne sont pas les seuls en cause, ils ont souvent été préalablement victimes d’injustices, de discriminations qui les ont porté à croire que l’égalité républicaine était un leurre. Certains autres trouvent illégitime le concept de nation et le juge même sévèrement au regard des conflits qui ont émaillé une Europe en proie au nationalisme le plus extrême au siècle dernier, ils se sentent davantage « citoyens du monde » mais dénoncent également la mondialisation telle qu’elle s’opère aujourd’hui. Et comment ne pas évoquer la question de l’Europe ? La nation doit-elle se fondre dans l’union pour donner naissance à un peuple européen, uni par une communauté de destin ? Peut-être un jour tel sera le cas, mais je pense qu’à l’heure actuelle, le concept le plus pertinent d’identité reste la nationalité et qu’il faut essayer d’en convaincre nos concitoyens. En effet, je crois à l’ambition des peuples à jouer un rôle important dans le monde, ils doivent pour cela être relayés par une puissance politique suffisamment significative à l’échelle du monde et suffisamment « petite » afin que chaque citoyen n’ait pas l’impression d’être un grain de sable parmi des millions.

Un autre problème se pose : celui du désinvestissement de bon nombre d’individus de la vie publique, qui se traduit de manière éloquente par l’abstention massive lors des scrutins qu’ils soient nationaux, régionaux, locaux ou européens. Car si la démocratie est, loin s’en faut, le meilleur des régimes politiques, il doit nécessairement impliquer un engouement, disons au moins un intérêt, pour la vie publique. Une démocratie saine nécessite deux efforts réciproques : les responsables politiques doivent expliquer leurs actes et leurs projets aux citoyens tandis que ces citoyens doivent faire l’effort d’être réceptifs à ces propos. Aujourd’hui, ce double effort n’est pas totalement respecté, et l’opinion publique devient de plus en plus un clone de l’opinion médiatique, en d’autres termes, les membres du microcosme politico-médiatico-intellectuel, comme le dirait Raymond Barre, qui eux sont de plain pied dans l’actualité politique, passent du rôle de relais d’opinion à celui de précepteur d’opinion. Comme le pronostiquait Benjamin Constant, la liberté des anciens, qui consistait à participait à la vie de la nation a été remplacée par la liberté des modernes, tournée vers l’individu. De plus, la communication, sensée rapprocher la parole politique des citoyens n’a d’autres effets que d’appauvrir le message des responsables publics, la forme prend le pas sur le fond et c’est au travers d’un prisme étroit que beaucoup de nos concitoyens jugent l’action politique. Il faut donc donner à chaque citoyen, les bases nécessaires pour qu’il puisse s’intéresser et s’impliquer (via le vote ou l’engagement) dans la vie publique.

Voici donc pour ce qui est des maux consécutifs, selon moi, au délitement du lien unissant l’Etat et les citoyens, passons désormais à ce qui pourrait être une solution, c’est tout l’objet de ce paragraphe. Quelle est la situation actuelle ? Aujourd’hui les jeunes n’ont, comme tout contact avec la nation que la Journée d’Appel de Préparation à la Défense qui donne une idée très brève de ce qu’est l’armée française, au point que l’on peut se demander si elle apporte réellement quelque chose à l’armée et aux jeunes. On a sous-estimé le lien social que pouvait créer le service national au sein de la population, je pense profondément que les expériences partagées par tous renforcent la République. Bien entendu, je ne souhaite pas un retour au service militaire, ce que je préconise, c’est de remplacer la JAPD par un service civique pouvant prendre la forme d’un service civil, auprès de services sociaux, d’associations, de prisons, d’hôpitaux… ou d’un service militaire. Ce service serait obligatoire pour tous les jeunes entre leur 18ème et leur 25ème année et devrait au moins durer six mois. Les jeunes ayant déjà eu à faire avec la justice pour des faits graves pourraient se voir imposer un service militaire. Il faudrait tout mettre en œuvre pour qu’à l’occasion de ce service, les jeunes de milieux très divers se côtoient. Ainsi des ressources humaines très importantes seraient disponibles pour relancer l’action de certains organismes d’utilité publique, les jeunes découvriraient un nouvel univers, ils pourraient se sentir utiles pour les autres et l’éloignement causé par ce service civique pourrait symboliser la fin de l’adolescence et l’entrée dans le monde adulte, avec les responsabilités que cela suppose. A la fin de ce service, les jeunes signeraient un Contrat Social avec un représentant de l’Etat, contrat qui reprendrait les principes constitutionnels de la République, qui stipulerait l’existence d’un intérêt général supérieur aux intérêts particuliers ou catégoriels ainsi que la primauté de la nationalité sur toutes les autres formes d’identité. J’insiste bien sur le fait que la signature d’un tel contrat devrait être librement choisie, il n’est pas question d’obliger quiconque à l’approuver car cela le transformerait en une forme de serment d’allégeance envers l’Etat que je trouve incompatible avec les valeurs de la République.

Le civisme fait partie intégrante de la cohésion sociale, et les propositions ici évoquées ont pour unique objectif de renforcer le sens civique de nos compatriotes. Face au pessimisme généralisé qui règne, on ne sait trop pourquoi, dans notre pays depuis trop d’année, il faut savoir opposer, à mon sens, une politique volontaire qui réhabilite l’Etat sans pour autant sombrer dans un nationalisme dont on ne connaît que trop les excès.