28 février 2007

Le péril technique


La mondialisation est une source de richesse considérable, elle a permis de sortir des centaines de milliers de personnes de la pauvreté (ce qui se reflète peu dans le taux de pauvreté mondiale puisque dans le même temps la population augmente) et semble profiter globalement aux pays riches comme aux pays pauvres, à l'exception d'une grande partie de l'Afrique. L'efficacité du libéralisme et du capitalisme financier ne saurait donc être remise en cause, c'est le système le plus productif qui soit. Cependant, cette efficacité se fait en partie au détriment de la qualité de vie des individus : moins de sécurité d'emploi, plus de flexibilité, une grande pression sur les salariés en particulier sur les cadres,... Il semble que nous vivons dans un monde où l'homme n'est plus au centre. Une raison principale semble expliquer cette situation : l'effacement progressif de l'éthique face à la technique.

La technique est vue par beaucoup comme un moyen utilisé par l'homme : il la contrôle et l'utilise pour poursuivre d'autres fins comme le progrès. C'est à cette vision que s'est opposé le philosophe Heidegger, pour lui la technique n'est plus un moyen mais une fin, le monde moderne se caractérise selon lui par la victoire de la "pensée calculante" sur la "pensée méditante". Le projet moderne, depuis Galilée et Descartes, consiste en effet en une tentative d'objectivation de la nature, cela a commencé avec les sciences de la nature, ce qui a permis un extraordinaire développement technique, pour continuer avec les "sciences sociales". L'économie, la sociologie, la didactique,... tout aujourd'hui est technique. L'essence même de l'homme est réduite à une fonction d'utilité censée représenter ses préférences et le but de l'entreprise se résume à maximiser un profit.

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que personne ne "tire les ficelles", il n'y a pas de réunions secrètes de méchants capitalistes qui cherchent à dégrader les conditions de vie des salariés : chacun agit individuellement en se disant que s'il refuse telle décision pour des considérations éthiques, cela ne changera rien puisque les concurrents n'auront pas les mêmes états d'âmes. De plus, la technique rassure en même temps qu'elle déresponsabilise : il est facile de se cacher derrière un objectif de performance qu'on essaye de remplir plutôt que d'examiner les conséquences (sociales, environnementales,...) de ses actes. La spécialisation des carrières, que ce soit dans la finance, le commerce ou l'industrie accroît encore cette déresponsabilisation des acteurs économiques : plus personne ne sait exactement quel est son rôle et sa place exacte dans l'économie, nous manquons cruellement d'une vision globale de la société et de son organisation.

Jusqu'où l'homme peut-il aller, instrumentalisé par la technique ? Très loin malheureusement, les grands conflits du XXème siècle sont là pour le rappeler. On peut penser bien sûr à l'organisation méthodique de la politique d'extermination nazie qui a conduit ce qu'il est convenu d'appeler de "braves pères de famille" à prendre part à des actes de pure barbarie. Un autre exemple frappant est celui de la guerre du Vietnam, rapporté dans le film-documentaire "Hearts and minds". On y entend des pilotes chargés de bombarder des villages Vietcongs expliquer comment ils avaient réussi à se perfectionner aux fur et à mesure de leurs missions, faisant abstraction totale des victimes civiles. Bien évidemment, ces deux exemples ne visent pas à comparer la barbarie des guerres à la dureté du capitalisme mondialisé, ils sont simplement là pour rappeler les risques encourus si l'homme n'est plus le maître de la technique mais son esclave.

Quelle réponse peut-on apporter face à cette situation ? Seul un retour de l'éthique et une prise de conscience des limites du projet moderne pourront remettre l'homme au centre de la société. L'homme se caractérise avant tout par sa volonté de liberté, il n'acceptera pas d'être un artefact du marché, il comprendra que son bonheur ne dépend pas uniquement de l'argent qu'il gagne en étant performant, il voudra redonner du sens à son existence et à son travail. On commence à voir se dessiner un tel mouvement avec l'investissement croissant des individus dans des associations d'utilité publique ou dans des ONG, souhaitons qu'il ne s'agisse pas simplement d'un phénomène de mode mais d'une prise de consicence plus profonde.

09 février 2007

Tout ne va pas si mal au Parti Socialiste


Les dirigeants socialistes doivent exceller dans l'art du grand écart : après un discours "à gauche toute" prononcé par Ségolène Royal en début de semaine, qui a même été salué par Arlette Laguiller, la candidate socialiste a reçu aujourd'hui de trois parlementaires socialistes, dont son rival malheureux aux primaires Dominique Strauss-Kahn, des propositions en matière de fiscalité. Ce rapport permet de revenir un peu dans le réel, reste à savoir s'il influencera davantage Ségolène Royal lors de son discours de dimanche que les propositions de LO ou de la LCR. Examinons plus en détails les propositions avancées.

Les parlementaires socialistes souhaitent tout d'abord rendre l'impôt plus lisible en annonçant le taux moyen d'imposition plutôt que le taux marginal (qui est le taux auquel est taxé le dernier euro de votre revenu). Cette mesure est de bon sens et elle pourrait certainement montrer que si les impôts sont élevés en France ils ne sont pas aussi excessifs que certains le prétendent. Pour aller dans le sens de la simplification de la perception de l'impôt, est proposée la retenue à la source. Les socialistes sont donc sur ce point à l'unisson du gouvernement, les principaux opposants à cette réforme étant les syndicats des impôts. Espérons que cette réforme cent fois mise sur la table voie enfin le jour après 2007 quelque soit le vainqueur de l'élection. Dans le même esprit de simplification on trouve le plafonnement et la remise à plat des niches fiscales, idée partagée par certains parlementaires de droite. On comprend la logique de cette réforme qui vise à éviter le contournement de l'impôt, pour autant il est difficile pour l'Etat d'abandonner le levier fiscal pour inciter les acteurs privés à faire certains choix.

DSK propose également de revenir sur le bouclier fiscal alors que Nicolas Sarkozy propose de l'établir à 50% des revenus. Ces deux démarches me paraissent excessives, dans un cas on retombe dans ce tropisme bien Français qui consiste à nourrir du ressentiment contre ceux qui réussissent et qui font l'activité du pays, ce qui aboutit au départ de nombre d'entre eux à l'étranger, et dans l'autre cas on prend le risque d'annoncer une nouvelle baisse d'impôt dans un contexte de dette importante ce qui n'est pas très raisonnable.

Autre sujet abordé : la refonte des impôts locaux qui sont très souvent les vestiges d'impôts très anciens et mal adaptés aujourd'hui que ce soit du point de vue de l'efficacité (taxe professionnelle qui pénalise les investissements) ou de la redistribution (taxe d'habitation qui ne tient pas compte de la capacité contributive des personnes). En ce qui concerne les comptes sociaux, les parlementaires socialistes proposent d'interdire de présenter une loi de financement de la protection sociale en déséquilibre. A cette action ex ante, je préfère l'idée lancée par le site Débat2007 de Michel Pébereau d'agir ex post en ajustant le taux de CSG pour qu'il n'y ait jamais de déficit des comptes sociaux. Malheureusement, en ce qui concerne les retraites, c'est toujours la fuite en avant, on remet en cause la réforme Fillon au motif qu'elle ne solutionne pas entièrement pas le problème. Il serait temps que le PS adopte le langage de vérité sur ce sujet explosif du financement des retraites, la seule chose qui est sûre c'est qu'il faudra aller encore plus loin dans la réforme (allongement de la durée de cotisation, hausse des cotisations, baisse des pensions ou les trois à la fois).

Venons-en aux propositions les plus novatrices et les plus intéressantes de ce rapport. DSK propose d'instituer un nouvel impôt "citoyen" qui serait payé par tous les ressortissants français qu'ils soient expatriés ou non, en fonction de leur capacité contributive. Cette idée est à la fois pertinente et légitime, en effet elle répond en partie au problème de l'évasion fiscale et elle se justifie par le fait que tous les Français ont une dette vis-à-vis du pays qui les a formé et qu'ils bénéficient également de son rayonnement culturel et économique. Ce qui semble difficile, c'est la mise en place pratique de ce nouvel impôt et en particulier sa perception. En matière d'incitation fiscale, les socialistes proposent de moduler le taux de TVA en fonction du respect pour l'environnement de certains produits et d'instituer une taxe carbone, il faudra tout de même avoir l'aval de l'OMC pour appliquer cette dernière idée car certains pays pourraient y voir une arme protectionniste déguisée.

Enfin, j'ai été particulièrement intéressé par le paragraphe consacré à la réforme de l'impôt sur les sociétés puisqu'il reprend plusieurs idées que j'avais déjà avancées dans ce blog (cf. les articles "Eloge du pragmatisme" et "Un rêve : la fusion de la France et de l'Allemagne"). On propose en effet de moduler son taux en fonction de la réalisation de plusieurs objectifs fixés par le Parlement (émissions de gaz à effet de serre, pourcentage de CDI dans l'entreprise), le but étant bien évidemment que les entreprises internalisent certains risques sociaux ou environnementaux. Cette idée est une manière moderne d'envisager le rôle de l'Etat dans la mondialisation : un Etat stratège qui incite et qui contrôle. DSK propose également d'engager des discussions avec l'Allemagne pour avoir un impôt sur les sociétés identique dans les deux pays et lutter ainsi contre la concurrence fiscale qui sévit actuellement en Europe. Voilà un exemple concret de rapprochement entre nos deux pays qui peut être gagnant-gagnant.

Après avoir lu ce document on reprend un peu confiance : d'une part le débat sur la fiscalité est au coeur de la campagne ce qui est le signe que les vrais enjeux sont abordés et d'autre part on revient dans un schéma plus "classique" ou le PS a des choses à dire qui sont à la fois raisonnables et en opposition avec le programme de l'UMP : enfin un vrai débat d'idée ! Quelque soit son orientation politique, on peut donc être reconnaissant envers Dominique Strauss-Kahn et ses deux collègues. Cela fait d'autant plus regretter le résultat des primaires socialistes...

03 février 2007

Réhabiliter les corps intermédiaires


De quel mal profond souffre la France ? Qu'est-ce qui rend les réformes si difficiles dans notre pays ? Généralement, on répond à ces questions par des considérations psychologogiques ou sociologiques qui dénoncent le "tempérament Français" : nous sommes des protestataires, des idéalistes qui ne conçoivent le mouvement que dans la révolution et non dans la réforme. Nous sommes donc victimes de nos vices individuels, fruits d'un important héritage historique. Même si cette thèse a sa part de vérité, je pense que c'est avant tout de nos vices collectifs, c'est-à-dire de notre manière d'organiser la société que nous souffrons le plus aujourd'hui. En effet, en France, les corps intermédiaires n'ont pas la place qu'ils devraient occuper dans une grande démocratie, j'essayerai tout d'abord d'expliquer cette spécificité française avant de plaider pour une réhabilitation de ces corps intermédiaires.

Les corps intermédiaires sont toutes les organisations d'individus qui se situent entre le citoyen et l'Etat, il peut donc s'agir de syndicats, d'associations ou d'organisations territoriales. En France, ces corps intermédiaires n'ont pas très bonne presse, on conçoit la République avant tout comme la relation directe entre le citoyen et l'Etat. La Révolution est souvent accusée d'être la cause de la disparition de ces corps intermédiaires, et il est vrai qu'habitée par la modernité, elle a voulu casser tout ce qui rappelait l'Ancien Régime et qu'elle a substitué dans les consciences la confrontation des intérêts à la recherche de l'intérêt général. Mais le mouvement de déconstruction des corps constitués est antérieur à 1789, c'est la centralisation du pouvoir sous la monarchie absolue qui a progressivement retiré le pouvoir aux organisations locales pour tout mettre sous le contrôle de l'Etat. Comme le montre Alexis de Tocqueville (encore lui) dans "L'Ancien Régime et la Révolution", le vrai pouvoir dans les provinces françaises à la fin du XVIIIème siècle n'était pas dans les mains de la noblesse mais dans celle des intendants, souvent issus du Tiers-Etat et qui représentaient le pouvoir royal. Ce sont eux qui étaient chargés de lever l'impôt ou de recruter pour l'armée.

Nous sommes donc les héritiers de cette histoire singulière qui confère au pouvoir central un rôle omnipotent dans la vie politique, puis économique puis sociale de notre pays. Au nom de l'égalité des citoyens et de leur protection face à la société, on exige que tout soit décidé par l'Etat, qu'il s'agisse du salaire minimum, du temps de travail, du tracé des routes ou des programmes scolaires. Loin de remettre en cause l'égalité des conditions des citoyens, je pense qu'il faut mettre plus de mouvement et plus de liberté dans la société, ce qui passe nécessairement par une profonde réhabilitation des corps intermédiaires. Trois pistes doivent être envisagées : favoriser un syndicalisme de masse, approfondir et clarifier la décentralisation et donner l'autonomie nécessaire à certains organismes publics.

Si la démocratie sociale ne fonctionne pas correctement, c'est que ses principaux acteurs, à savoir les syndicats salariaux et patronaux, y sont trop faibles. Ainsi, le pouvoir qui est dévolu à certaines organisations est décorrélé par rapport à la représentativité. Ce manque de légitimité des acteurs sociaux induit de leur part un comportement moins responsable et plus contestataire. C'est donc paradoxalement parce qu'ils sont faibles que les syndicats parviennent à bloquer le pays sur certaines réformes. D'un point de vue strictement utilitaire, les salariés n'ont aucun intérêt à adhérer à un syndicat puisqu'ils bénéficieront de toutes façon des accords trouvés par les cinq centrales syndicales et les trois organisations patronales. A ce niveau, le militantisme syndical devient vraiment un acte de foi. Pourquoi ne pas envisager une adhésion des salariés aux syndicats "par défaut", libre à eux ensuite de démissionner, un peu comme ce qui se passe en Allemagne pour la déclaration de la religion. On pourrait également envisager que seules les personnes syndiquées bénéficient des accords obtenus par leur centrale. Une fois les partenaires sociaux renforcés et responsabilisés, on pourrait envisager de leur confier davantage de responsabilités comme la fixation pour chaque branche du salaire minimum ou de la durée de travail.

La décentralisation se justifie par le principe de subsidiarité : la meilleure gouvernance consiste à confier la responsabilité d'une action publique à la plus petite entité capable de résoudre le problème d'elle-même. Il tombe en effet sous le sens qu'on administre mieux quand on est près du terrain et que l'on peut vérifier les résultats des politiques menées. Toutefois, les dernières réformes de décentralisation n'ont pas convaincu les Français puisqu'elle se sont traduites par une accumulation d'échelons intermédiaires aux compétences souvent croisées. Il faut donc effectuer un double mouvement : donner aux collectivités locales plus de pouvoirs et clarifier leurs sources de financement tout en simplifiant les différents échelons administratifs. Pour faire simple il faut confier toute l'organisation de la vie locale (transports en commun, enseignement primaire, politique culturelle,...) aux communautés urbaines et aux communautés de communes, la politique sociale aux départements (du moins son exécution), le développement économique aux régions en enfin recentrer l'Etat sur ses missions régaliennes.

Enfin l'Etat doit donner plus d'autonomie à certains organismes publics. Plutôt que d'en régir le fonctionnement quotidien, il devrait plutôt donner des objectifs de résultats. Par exemple, il faut laisser les présidents d'universités libres de choisir qui ils recrutent, quels cours ils proposent, quels financements ils choisissent ou quel système de bourses ils accordent. Comme la liberté implique la responsabilité, les responsables de ces organismes publics pourraient être démis de leurs fonctions plus facilement qu'aujourd'hui. Il faut cesser d'avoir le culte de l'uniformité pour prendre en compte la diversité des situations et des territoires, ce qui ne doit pas empêcher l'Etat d'être le garant de l'égalité entre les citoyens. Plutôt que de de concevoir le salut de notre système politique par la démocratie participative qui n'a aucun sens dans un pays de plus de soixante millions d'habitants, je pense qu'il faut réhabiliter et approfondir la démocratie représentative ce qui passe par une promotion des corps intermédiaires.