13 octobre 2007

Faut-il libérer la croissance ?


Parmi les innombrables commissions installées par Nicolas Sarkozy, une retient particulièrement l'attention, il s'agit de la Commission pour la Libération de la Croissance Française, dirigée par l'ancien conseiller de François Mitterrand, Jacques Attali. Il s'agit en effet de s'attaquer à la faiblesse principale de la France qui est le manque de dynamisme de son économie. Notre pays croît moins vite que le reste du monde, ce qui peut sembler normal, mais surtout, il croît moins vite que les pays voisins comparables, ce qui l'est beaucoup moins. Il s'agit donc de repérer les freins à la croissance, ce à quoi se sont attelés bon nombre d'experts et de politiques avant M. Attali. Un constat semble se dégager : notre pays souffre d'un déficit de libéralisation. En effet, qu'il s'agisse du marché des biens, du marché du travail ou du marché des services, les régulations publiques sont trop nombreuses et trop contraignantes pour la libre entreprise.

De nombreuses activités, comme la grande distribution, les taxis, les notaires ou les auto-écoles sont accusées de profiter de protections réglementaires (loi Galland, numerus clausus,...) pour se constituer des rentes au détriment du pouvoir d'achat du plus grand nombre. Cette analyse est juste et elle est mise en avant pour justifier la libéralisation d'autres secteurs beaucoup moins consensuels comme l'éducation, la médecine ou la protection sociale. C'est ici qu'il faut s'arrêter et réfléchir un peu sur cette notion de croissance : faut-il la considérer comme le but indépassable de la politique économique ? Peut-elle entrer en contradiction avec d'autres principes de la vie en société ? Est-elle l'unique déterminant de la puissance des Etats ?

La croissance mesure l'efficacité d'un système économique, elle est donc intimement liée à l'organisation de ce système. L'histoire économique montre de manière assez claire que c'est le marché qui permet d'obtenir la plus forte croissance quantitative. Ouvrir un secteur au marché n'assure pas une baisse des prix, comme on essaye de le faire croire souvent, mais bien une augmentation de l'activité totale de ce secteur. La libéralisation des renseignements téléphoniques est un bel exemple en la matière : les prix ont augmenté, la qualité de service a diminué mais le marché a explosé. Partant, si l'on considère qu'une bonne politique économique consiste à soutenir l'activité, dans le but d'augmenter l'emploi, les échanges, la production et les services, alors il faut tout libéraliser. On diminuerait très certainement le chômage en confiant au marché l'éducation nationale, la justice, la protection sociale et peut-être même l'ordre public. Chacune de ces missions serait rémunérée à son juste prix et à chaque besoin de la population, le marché apporterait une réponse appropriée.

Cette présentation du problème permet de comprendre qu'une augmentation de la croissance ne s'obtient pas sans douleur, qu'il faut que la population la "paye" d'une manière ou d'une autre, soit en acceptant de travailler davantage, en renonçant à certaines protections, en déteriorant l'environnement ou encore en renonçant à certains principes qui participaient jusque là à leur qualité de vie. Le passage à une société de consommation totale a un coût en termes culturels et civilisationnels, cela tend à remplacer complètement l'"être" par l'"avoir" et provoquer ainsi de graves crises de sens dans la société. On n'est pas forcément plus heureux si on consomme davantage, le quantitatif n'influe pas sur la qualitatif (l'augmentation des ventes de disques ou de livres ne préjuge en rien de la valeur de ces biens culturels). Il y a un grand péril à faire de l'individu un simple consommateur dont on cherche à comprendre le fonctionnement à coups de promotions, de publicité et d'organisation des rayons dans les grandes surfaces, c'est une manière d'assujétir et d'insulter la nature humaine.

La croissance est également ce qui permet de financer les politiques publiques et la solidarité nationale, c'est une des raisons pour lesquelles cet objectif ne fait pas débat entre la droite et la gauche (les moyens de l'atteindre sont moins consensuels). Mais il faut prendre garde à ce que l'Etat ne devienne pas en la matière un "pompier pyromane" en voulant soigner les dégâts sociaux qu'il aura lui-même contribué à faire naître en faisant pression sur le corps social. Ainsi il est possible de supprimer la loi Galland pour baisser les prix dans la grande distribution mais il faudra ensuite s'occuper de la situation des fournisseurs complètement dépendants et pressurisés par certains hypermarchés. Il en va de même avec la libéralisation du marché du travail, véritable opportunité pour la croissance mais risque social majeur.

Même si le sujet est l'objet d'un vif débat entre économistes, une croissance soutenue semble très bien s'accomoder de fortes inégalités. En effet, s'il est efficace, le marché ne dit rien de la répartition des richesses. La société et l'Etat ne peuvent se satisfaire de cette situation, quitte à brider le développement économique du pays. L'Education Nationale, la souscription obligatoire au système de protection sociale et la progressivité de l'impôt sont à ce titre des instruments essentiels de l'égalité des chances chère à notre République. Il est également faux de postuler l'indépendance des questions de création et de redistribution des richesses, chacune influant sur l'autre. Les délocalisations ou les exils fiscaux rendent difficile, sinon impossible, une politique sociale ambitieuse. Avec la mondialisation, l'Etat est soumis à un chantage permanent : la compétitivité de son territoire et ce que cela implique sur sa fiscalité et les caractéristiques de son marché du travail.

Il ne faut pas perdre de vue que l'action politique a une mission civilisatrice qui ne peut se résumer à la bonne tenue de la croissance. Nous ne sommes pas encore des "homo economicus", pourvus d'une simple fonction d'utilité qu'un marché efficient permettrait de maximiser collectivement. La politique, ce n'est pas que de l'économie. Reste à savoir si nous pouvons nous permettre cette réflexion critique à propos de la croissance. La France, si elle veut continuer à peser dans le concert des nations, n'a pas véritablement le choix, elle ne peut pas continuer de subir un appauvrissement relatif. C'est cet impératif qui disqualifie les partisans de la décroissance. La véritable question, c'est quelle croissance voulons-nous ? Il y a d'autres voies que la société de consommation poussée à son paroxysme, on peut favoriser une croissance riche en innovations techniques et respectueuse des questions environnementales et sociales. La libéralisation de certains secteurs ne doit pas être exclue par principe mais elle peut s'accompagner d'interventions de l'Etat. La construction du TGV Est est un bel exemple en la matière : en rapprochant l'Alsace, la Lorraine et l'Allemagne de Paris, on fait naître de nouveaux projets chez les entrepreneurs, on développe le tourisme et en même temps on promeut un moyen de transport respectueux de l'environnement.

Derrière chaque plan de relance de la croissance, il y a un projet de société. Peut-on dire que l'écart de croissance entre la France et les Etats-Unis se traduisse par une moindre qualité de vie dans l'hexagone ? Que la Commission Attali libère la croissance française, mais qu'elle n'oublie pas de s'interroger sur la "qualité" de cette croissance et sur sa soutenabilité par le corps social français.

07 octobre 2007

L'exemple ovale


L'équipe de France vient de battre les All-Blacks, ultra-favoris de la Coupe du Monde de rugby. Certes, cet exploit ne saurait à lui seul augmenter la croissance française ou réduire les déficits publics, comme certains "naïfs volontaristes" aimeraient le croire, cependant le comportement des Bleus est un exemple pour tout le peuple Français. De surcroît, la société dans son ensemble aurait tout à gagner à s'inspirer davantage des valeurs qui font le rugby.

Les grands événements sportifs sont de puissants révélateurs de ce que sont les peuples au fond d'eux mêmes, ils font apparaître leurs qualités morales comme leurs faiblesses. Ainsi, assister au match devant le grand écran de l'Hôtel de Ville de Paris m'a plus renseigné sur le peuple français que n'importe quel sondage d'opinion ou étude sociologique. Côté faiblesses, on a des spectateurs et des médias convaincus de la défaite de leur équipe et qui semblent se complaire dans les premières minutes du match où les All Blacks imposent leur rythme et leur puissance. "De toute façon ils sont trop forts pour nous, ce sont eux qui vont gagner la Coupe du Monde" explique un mari à sa femme. Ces réactions sont les mêmes que celles qui ont précédé le huitième de finale contre l'Espagne l'année dernière dans le mondial de foot, elles composent ce défaitisme si bien analysé et condamné par l'historien Marc Bloch au moment de la débâcle de 1940. Plus qu'une faiblesse, il s'agit là d'une faute morale : même s'ils sont attachés à leur équipe, les Français ne souhaitent pas sombrer avec elle et, en cas de défaite, préfèrent adopter un ton sarcastique et moqueur plutôt que d'afficher une tristesse de circonstance et d'essayer de se remobiliser pour le match suivant.

Autre faiblesse : l'apparition sur l'écran du Président de la République venu assister au match dans les tribunes du Millenium Stadium provoque les sifflets et les insultes de la foule, pourtant, une bonne moitié a du voter pour lui quelques mois plus tôt. Cette hostilité n'a rien à voir avec le désaccord politique légitime, c'est un manque de respect profond à la fonction présidentielle et donc quelque part à la France. Ce déversement de haine à l'égard du pouvoir politique est un mal bien français qui n'a pas connu d'interruption de Richelieu à Sarkozy. Par manque de maturité, le peuple français refuse de penser que ses représentants politiques n'agissent pas contre mais pour lui. Difficile de penser qu'Angela Merkel subisse le même sort en Allemagne, même de la part de militants du SPD.

Côté forces, il y a ce fabuleux hymne national, repris par toute la foule qui s'est levée pour l'occasion, symbole d'un fort sentiment patriotique, base d'un fort lien social. Les Français aiment la France, peut-être même l'idolâtrent-ils parfois. A ce moment précis, aussi ridicule que cela puisse paraître, on se sent tous frères et tous fiers. Il ne s'agit pas d'un chauvinisme étroit, l'hymne néo-zélandais a été écouté dans le silence puis applaudi, mais d'une forme de cohésion et d'identité nationale que l'on se plait à exacerber lors des grands événements sportifs. Enfin il y a cette fabuleuse deuxième période où tout une foule soutient son équipe sans la moindre retenue et laisse exploser sa joie au coup de sifflet final. Au milieu des cris et des applaudissements, on sent une émotion et une grande sincérité. On ne peut pas aimer et comprendre la politique si on ne vibre pas dans ces grands moments de liesse populaire.

Après les spectateurs, les joueurs. Ils ont été exemplaires, combatifs et courageux, surtout en défense dans les dernières minutes du match. S'ils ont su contenir les assauts des All Black c'est par leur cohésion et leur rigueur défensive. Il faut ajouter à ces qualités morales une préparation très poussée et très professionnelle. Loin de se reposer sur son "french flair", l'encadrement de l'équipe de France n'a pas hésité à s'inspirer du jeu et de la préparation des nations de l'hémisphère sud ou de l'Angleterre. Courage, cohésion, rigueur, professionnalisme : un véritable projet de société !

Le rugby est un sport magnifique, c'est un combat où l'on respecte l'adversaire, où pour avancer il faut faire des passes en arrière et donc progresser tous ensemble, un sport de force où le génie a toute sa place comme Frédéric Michalak l'a encore démontré. Puissent les enfants français rejoindre massivement les clubs de rugby pour se nourrir de toutes ces belles valeurs.