25 novembre 2007

Lettre à un jeune qui manifeste


Permets-moi, jeune étudiant, de te prodiguer quelques conseils et de t'avertir de l'impasse qui caractérise ton mouvement actuel. Officiellement, c'est le retrait de la loi Pécresse sur l'autonomie des universités que tu réclames, tu crains une privatisation de l'enseignement supérieur et une sélection à l'entrée de l'université. Comme chaque génération, tu veux ton Mai 68, ton acte de révolte vis-à-vis du gouvernement, des adultes, de la mondialisation ou encore des entreprises. Ces revendications patchwork tentent de dissimuler l'absence totale de revendication précise et de vision politique claire.

Sur le fond, il est stupéfiant que tu défendes avec autant d'acharnement le modèle de l'université française tel qu'il existe aujourd'hui et qui est en faillite en ce qui concerne ses deux missions principales : le développement des connaissances et l'insertion dans la vie professionnelle. Redescends un peu sur terre et regarde ces innombrables filières sans débouchées dans lesquelles bon nombre se précipitent. Tu essayes d'idéaliser cette université, de l'inscrire dans le rêve que tu te construis depuis plusieurs années pour échapper à la réalité : un monde sans sélection, où l'on fait ce qu'on a envie, où l'on travaille modérément et où l'égalité règne. Mais ce rêve devient vite un cauchemar car après avoir multiplié les deuxièmes années de médecine, de psychologie, de littérature ou de sociologie, sans en avoir achever une seule, tu te retrouves lâché sans filet dans la vie professionnelle, courant de petit boulot en petit boulot, de l'ANPE aux ASSEDIC. Oui, la sélection et l'autonomie sont nécessaires dans l'enseignement supérieur, la loi votée cette année ne va d'ailleurs pas assez loin en ce sens.

A quoi s'oppose la sélection ? A la cooptation. La sélection est le bras armé de la République pour récompenser le mérite. C'est le gage d'un système d'excellence. Il faut que tu te rendes bien compte de la rupture qui s'opère entre le secondaire et l'enseignement supérieur. Jusqu'au baccalauréat, la sélection est quasiment absente, l'objectif est de prodiguer un enseignement homogène à tous les types d'élèves et sur tout le territoire. Chaque jeune doit en effet bénéficier d'un socle solide de connaissances générales. La logique de l'enseignement supérieur est radicalement différente : il s'agit de permettre à chaque étudiant de s'épanouir dans une discipline précise, en étant confronté aux problématiques actuelles de la recherche. Cela suppose un très grande diversité des formations, ce qui doit entraîner une spécialisation des universités pour que chacune ne propose pas les mêmes licences et les mêmes masters. Pour pouvoir offrir dans chaque domaine, une formation d'excellence, il est impératif de vérifier l'adéquation des étudiants et de leur filière. Tu peux tourner autour du pot autant que tu le veux, cela s'appelle la sélection. Aujourd'hui, toutes les formations d'"élite" pratique cette sélection, qu'il s'agisse des écoles d'ingénieurs et de commerce ou de la médecine et du droit à l'université.

L'autonomie, comme tu l'as compris découle immédiatement de l'hétérogénéité de l'enseignement supérieur que je viens de décrire. Il n'est plus question de décider des programmes ou des règles d'administration depuis un ministère : c'est à chaque université de se prendre en main. Pour cela, elle doit disposer d'un exécutif fort, comme c'est le cas pour les entreprises (PDG) ou pour les pays (chef d'Etat et de gouvernement) : le Président d'Université doit être le véritable maître à bord, l'autonomie doit donc s'accompagner d'une réforme de la gouvernance des établissements d'enseignement supérieur. C'est à chaque université de définir sa stratégie, de miser sur telle ou telle filière, d'investir dans des labos, de recruter les meilleurs professeurs. Pour cela, on ne doit pas l'empêcher d'aller chercher l'argent là où il se trouve : chez les entreprises ou chez les fondations de droit privé comme il en existe tant aux Etats-Unis. Il n'y a rien de choquant à ce qu'une chaire d'université soit cofinancée par une entreprise, cela répond à un double défi : développer la recherche privée qui est léthargique dans notre pays et favoriser l'insertion des étudiants dans le monde professionnel. Faut-il te rappeler à cet effet que les trois principaux candidats à la présidentielle (N. Sarkozy, S. Royal et F. Bayrou) sont tous les trois favorables à cette autonomie des universités comme ils l'ont encore récemment rappelé ?

Plutôt que de défendre avec acharnement un système qui ne marche pas, tu ferais mieux de réclamer un mouvement de réforme de l'université beaucoup plus vaste, en insistant également sur les conditions de vie étudiante. Plutôt que de politiser le débat en essayant de rejoindre le mouvement des cheminots et des fonctionnaires tu ferais mieux de t'investir au maximum dans ta formation, pour ne pas te rendre compte quelques années plus tard de cet immense gâchis. Plutôt que de défendre des statuts, projette-toi vers l'avenir. Et toi lycéen, plutôt que de te regarder dans le miroir embellissant de la révolte politique, développe l'humilité de l'élève qui n'a pas encore toutes les clés en main pour comprendre le monde extérieur et qui cherche à s'élever par sa formation. Rends-toi compte du grotesque de tes représentants syndicaux qui cherchent à faire "comme les grands" et à entrer en politique par le biais de la révolte. Tu ne devrais d'ailleurs pas avoir de représentants, être lycéen, ce n'est pas une condition sociale car tout le monde (ou presque) passe par là. Ne crois pas ceux qui te disent qu'en démocratie tout doit être démocratique et que la voix d'un lycéen vaut bien celle d'un citoyen ordinaire, qu'il soit professeur, étudiant ou cheminot. A la base de l'éducation, il y a une asymétrie entre le maître et l'élève, n'oublie pas que tu es en formation et qu'avant que tu deviennes majeur, tu n'es pas un citoyen à part entière.

Il faut que cette mobilisation s'achève. Que les lycéens regagnent les cours, que les étudiants se remettent au travail, que les universités se réforment. Tout cela dans un seul but que la France avance et que les Français aient toutes les cartes en main pour aborder l'avenir.

14 novembre 2007

Les sangsues de l'économie


Depuis la révolution libérale des années 80 (Reagan, Thatcher), le système capitaliste s’est peu à peu libérer de l’influence, parfois même de la tutelle, des Etats. Au fil des privatisations, le marché a reconquis des secteurs perdus depuis l’après-guerre, au fil des déréglementations, il a su se déployer dans toute sa force et dans toute son efficacité, au fil de la mondialisation enfin, il a su inverser le rapport de force qui l’opposait aux Etats. Désormais, c’est le pouvoir politique qui fait tout pour rendre son territoire attractif pour les entreprises, plus question de traire les vaches à lait qu’étaient les grands groupes industriels. Face à la concurrence indienne et chinoise, les gouvernements tentent un peu partout dans les pays occidentaux de diminuer le coût du travail.

Mais s’il a su se libérer du carcan étatique, le capitalisme n’en est pas moins libre de tout mouvement. D’autres contraintes l’enserrent, de nouvelles sangsues le ponctionnent. Ces sangsues sont des secteurs d’activité qui permettent aux entreprises – dans le meilleur des cas – d’améliorer leur rentabilité et leurs résultats mais qui n’ont aucune utilité sociale ou, pour le dire autrement qui ne vont pas dans le sens de l’intérêt général. Ces activités ne créent pas de la richesse, il la transfère. Bercées par le mythe de la « création de valeur » le capitalisme moderne se tourne de plus en plus vers ces services qui sont souvent des secteurs de l’économie qui ont été dévoyés. On s'imagine qu'en multipliant les transactions on aboutit à une création spontannée de richesses.

La finance est essentielle pour le développement économique. Depuis la naissance du capitalisme on sait qu’il est vital de placer les capitaux là où ils seront les plus rentables. Pour faire court, il s’agit de mettre en relation ceux qui ont de l’argent (les rentiers) avec ceux qui ont des idées (les entrepreneurs). Ce principe, qui est la base du capitalisme est louable autant qu’il est efficace, l’essor de la microfinance démontre qu’il peut également être juste. Plus que le nerf de la guerre, la finance est le nerf de l’économie. Pourtant, on constate depuis plusieurs années une dérive de la finance qui quitte de plus en plus la sphère économique pour se tourner vers la pure spéculation. Le développement des mathématiques financières est, de ce point de vue, édifiant : on fait abstraction du monde industriel et économique pour ne plus raisonner qu’en terme de gestion des risques et d’augmentation de la rentabilité. L’entreprise devient une machine à faire du 15% de marge chaque année, quelque soit ses spécificités et son secteur d’activité. Les fonds de pension entrent et sortent du capital des entreprises comme bon leur semble, provoquant des catastrophes sociales. Avec la mondialisation, le capital est sûr de sa force et devient arrogant face au travail, c’est lui qui a toutes les cartes en main. Des solutions existent pour réorienter la finance vers ses missions originales : faire que les droits de vote des actionnaires dépendent de la durée de leur investissement, inciter les banques (notamment les banques françaises) à prendre moins de risques dans des montages financiers abstraits du type subprimes mais à en prendre davantage pour développer et soutenir les PME et les starts-up.

Le marketing est une autre sangsue de l’économie. Contrairement à la production, il ne créé pas de valeur ajoutée. Bien entendu il permet de faire grossir la taille des marchés, en créant sans cesse de nouveaux besoins chez les consommateurs mais il est indifférent du point de vue du bien-être social. De même que la finance cherche à faire se rencontrer les rentiers et les entrepreneurs, le marketing, dans sa mission première est un moyen de rapprocher les besoins d’un consommateur avec les produits proposés par les entreprises. C’est donc un système d’information qui participe du progrès économique. En effet, il faut bien un moyen de faire connaître les innovations et les améliorations techniques au grand public, d’apparenter au mieux l’offre et la demande. Mais il n’est plus question de cela aujourd’hui : le marketing est avant tout un outil qui permet de créer des besoins artificiels chez le consommateur pour qu’il finisse par désirer ce qu’on a à lui vendre. Ce système, qu’on peut appeler la société de consommation, permet une augmentation considérable de la croissance quantitative, mais certainement pas de la croissance qualitative, du progrès technique et du bien-être social. Quelle utilité a-t-on, en effet, à satisfaire un désir qui vient juste d’être créé ? On peut parfaitement estimer que cette situation est équivalente au statu quo. Le marketing ne cherche pas à nous faire plaisir mais à nous faire mal, à faire naître en nous l’envie et la convoitise. Les pratiques commerciales permettent également de faire du neuf avec du vieux et de présenter comme des nouveautés des produits dont on a juste changé l’emballage. Dès lors, il faut trouver des systèmes ingénieux permettant de distinguer la « bonne » publicité, qui annonce de véritables innovations, du bourrage de crâne. On peut imaginer une taxation qui frapperait ce deuxième type de publicité, bien entendu, toute la difficulté réside dans la discrimination entre ces deux pratiques commerciales. Il faut en effet taxer la publicité à hauteur des dégâts qu’elle provoque dans la société : nullité des programmes de télévision, abaissement du niveau culturel général, aliénation des individus.

La liste des « sangsues » n’est pas close, on peut y ajouter les multiples conseillers en optimisation fiscale, les cabinets d’avocats qui profitent d’une judiciarisation croissante des affaires, les multiples consultants qui brassent des concepts vagues, abstraits et souvent fumeux et demandent en retour des indemnités faramineuses. Toutes ces activités sont aujourd’hui florissantes et ceux qui les exercent touchent des salaires colossaux, souvent supérieurs à ceux des dirigeants d’entreprises. On peut parler d’un immense détournement de fonds à l’échelle planétaire qui se fait au dépend du bien commun. Bien entendu, il s’agit là d’un tableau fortement noirci, il n’est pas question de remettre en cause le capitalisme mais bien de souhaiter un retour à son essence originale pour que le système économique participe du progrès humain.

01 novembre 2007

La dictature du politiquement correct


Tout ce qui entrave la liberté de penser doit être vigoureusement combattu, il faut ainsi lutter contre le dogmatisme, l'étroitesse d'esprit mais aussi contre le politiquement correct. En effet, la police des mots et de la pensée a aujourd'hui le vent en poupe, les antifascistes veillent et sont prêts à démarrer au quart de tour pour dénoncer pêle-mêle les atteintes aux droits de l'homme, le machisme, le racisme et pour débusquer les supposer réactionnaires.

Le politiquement correct, c'est l'inverse du populisme puisqu'il prospère plutôt chez les élites que chez le peuple et qu'il évite à tous prix la subversion quand ce dernier la promeut et l'instrumentalise. Pour autant ces deux doctrines se renforcent et se nourrissent l'une de l'autre. Le MRAP et SOS Racisme ne seraient rien sans le Front National, comme le tribun démagogue a besoin de l'"establishment" pour exister et donner toute sa mesure. Chacun fait le jeu de l'autre en servant d'épouvantail.

Le politiquement correct a souvent pour origine des combats nobles et des causes justes, mais il opère des généralisations abusives et dangereuses, il jette l'anathème sur quiconque ose remettre en cause ces questions de près ou de loin. Il va sans dire qu'il faut défendre l'antiracisme ou l'égalité entre les hommes et les femmes, ce n'est pas une raison pour interdire toute discussion sur des sujets connexes comme l'immigration ou la parité. En empêchant le débat public sur ces questions, on ne fait que mettre un couvercle sur une marmite en ébullition, car ce qui ne peut plus être ouvertement exprimé est alors insinué et continue à se diffuser dans la société. La censure et la mise à l'index n'ont toujours fait que renforcer ce contre quoi ils étaient censés lutter.

Les médias ont également une responsabilité écrasante dans l'installation du politiquement correct. De Delarue à Ardisson, on glorifie une tolérance aussi insipide que stupide et on vilipende toute pensée qui ne rentre pas dans le moule. Les talk-shows sont devenus des salons mondains de plus en plus déconnectés de la réalité et éloignés des préoccupations des Français, où les tenants de la pensée unique se retrouvent entre eux. On dénonce la main sur le coeur l'utilisation politicienne de l'insécurité mais on habite dans un appartement du XVIème arrondissement protégé par trois digicodes et plusieurs vigils, on s'en prend au gouvernement qui fait des cadeaux aux riches mais on n'hésite pas à faire de l'optimisation (voire de l'expatriation) fiscale. Dans une démocratie, les médias doivent véhiculer les opinions et non les prescrire. Ce n'est pas à eux de juger si une personnalité est fréquentable ou si une idée est défendable.

Ce qui est le plus condamnable dans le politiquement correct, c'est qu'il pousse au simplisme et au manichéisme. Le monde est divisé en deux : d'un côté les victimes et de l'autre les salauds. Si vous apportez la moindre nuance aux thèses antiracistes c'est que vous êtes raciste, si vous pensez que le colonialisme n'est pas qu'une entreprise d'exploitation alors vous êtes un néo-colonialiste, si vous voyez la parité comme une entrave à la promotion par le mérite ou que, tout simplement, vous estimez que le tennis féminin n'offre pas le même spectacle que le tennis masculin alors vous êtes un machiste. Il n'y a plus de place pour la demi-mesure ou la nuance.

Le monde scientifique n'est pas épargné par ce mouvement depuis que l'écologie est devenur la forme ultime du politiquement correct : on refuse d'ouvrir certains débats concernant le réchauffement climatique par peur de passer pour un destructeur de la nature à la solde des industries polluantes. En étouffant le débat sur ce sujet crucial, on ne rend pas service à la planète : ces questions sont tellement complexes qu'elles exigent la confrontation de tous les points de vue, aucune piste ne doit être négligée. Le GIEC (Groupement International des Experts Climatiques), qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix, est en cela une bien curieuse assemblée : on demande à des chercheurs de parvenir à un consensus, comme si la vérité scientifique était affaire d'opinion et de compromis. Les grands scientifiques ont pourtant souvent raison seuls contre tous, certains ont même été brûlés pour cela.

Le politiquement correct est une doctrine curieuse, c'est la tolérance universelle à l'exception de ce qui est intolérable. Il s'agit donc d'une forme de totalitarisme qui pourrait bien être le communisme du XXIème siècle.