16 février 2009

L'économie, c'est quoi ?

Comme le fait remarquer un lecteur assidu de ce blog, cet article traite du processus Production-Consommation et pas de l'economie au sens large. En particulier, il n'est pas question ici d'échanges. J'essayerai de consacrer bientot un article a ce sujet.


Avant de discuter des théories, il est préférable de s’accorder sur le cadre général dans lequel elles s’inscrivent. C’est le cas de la physique quantique, qui est une théorie-cadre, dans laquelle peuvent se développer des théories plus particulières comme l’interaction entre la matière et le rayonnement ou encore la chimie. C’est également le cas de la philosophie, qui expose tout d’abord une « theoria », c’est-à-dire une représentation du monde (le cosmos pour les stoïciens, l’amour pour les chrétien, le chaos pour Nietzsche) dans laquelle peut se déployer une morale. Il en va de l’économie comme de la physique ou de la philosophie, l’objet de cet article est donc de préciser quelle est ma représentation globale de l’économie, la matrice à partir de laquelle examiner l’ensemble des théories économiques.

Pour être générale, cette théorie doit faire abstraction des systèmes économiques, c’est-à-dire qu’elle doit être également valide dans le cadre du capitalisme que du communisme, du libéralisme comme du totalitarisme ou de l’esclavagisme, du troc comme de l’échange par la monnaie. En effet, il y a bien eu une économie en URSS comme il y en a eu une sous le régime nazi qui, bien qu’étant basées sur des principes complètement antagonistes, s’inscrivaient dans le même cadre général que l’économie de marché. Une autre condition de la généralité est de restreindre au maximum le nombre de concept nécessaire pour décrire la réalité. Pour reprendre l’exemple de l’électrodynamique quantique, elle permet d’expliquer tous les phénomènes physiques et chimiques à l’exception de la gravitation et de ce qui se passe dans le noyau des atomes à partir seulement de trois briques élémentaires : le déplacement d’un photon d’un point à un autre, le déplacement d’un électron d’un point à un autre et l’interaction entre un photon et un électron (obsoprtion ou émission).

Pour l’économie, cinq briques élémentaires sont selon moi nécessaire, ou plutôt quatre plus l’être humain qui est l’origine et la finalité de toute action économique. On peut donc reprendre la célèbre phrase de Protagoras en ce qui concerne l’économie « l’Homme est la mesure de toute chose ». En plus de l’homme, il faut ajouter les concepts de capital, de ressource, de biens (ou de service) et d’utilité. Ces cinq briques essentielles de l’économie forment un cycle représenté schématiquement ci-dessous :



1. Définitions des principaux concepts

Commençons par définir les termes. L’Homme ne pose pas de problème, si ce n’est le politiquement correct qui devrait m’inciter à utiliser les termes « Etre humain » ou « Individus » et que je vais choisir ici d’ignorer tant pour des raisons pratiques qu’idéologiques. L’Homme est le constituant élémentaire de la société dans laquelle va s’opérer les échanges qui caractérisent l’économie.

Le Capital a ici un sens très général, ce n’est pas simplement l’opposition au travail comme dans la théorie marxiste. J’appelle Capital tout ce qui est productif, c’est-à-dire ce qui est à la base du processus de production mais qui ne disparaît pas dans ce processus, même s’il peut s’user. Cette notion recouvre bien évidemment l’ensemble des machines, les lopins de terre ou encore les mines. Mais il faut y ajouter l’être humain en tant que force de travail, d’animal laborans. Ce capital humain se décompose en un capital physique (substituable à la machine) et à un capital intellectuel.

La principale caractéristique du Capital est de fournir des Ressources productives. A la différence du capital, la ressource disparaît au cours du processus de production, c’est le carburant de l’économie. Reprenons les différents types de capitaux pour voir à quelles ressources ils correspondent. Pour les machines, il s’agit de leur utilisation pendant une période donnée, par exemple, la ressource d’un marteau c’est sa capacité à enfoncer des clous. Pour les mines, il s’agit bien évidemment des matières premières (minerai, pétrole, gaz,…) qui y sont extraites pendant une période donnée. Pour la terre, il s’agit de la récolte, par exemple la moisson de blé. Vient alors une question intéressante : un sac de blé, est-ce du Capital ou une Ressource ? Tout dépend en fait de l’usage que l’on en fait : si on l’utilise comme semence pour l’année suivante, c’est du capital, si on l’utilise pour produire de la farine, c’est évidemment une ressource. Enfin, le Capital humain a pour ressource le travail, qu’il soit manuel ou intellectuel. A travers tous ces exemples, on voit bien qu’alors que le Capital peut être évalué de manière ponctuelle, les Ressources n’ont de sens que sur une certaine période.

Les Biens (ou les services) sont le résultat du processus de production, ils sont formés à partir des ressources utilisées et, généralement, ont une valeur supérieure à la somme de ces ressources, c’est lors de cette étape de l’économie que l’on peut parler de valeur ajoutée. Ces biens sont soit consommés, soit épargnés pour venir augmenter le stock de Capital. Ce qui distingue principalement les biens et les services, c’est la nature des ressources qu’ils emploient : alors qu’un bien nécessite des matières premières, des machines et du travail, un service requiert principalement du travail.

L’Utilité est le résultat du processus de consommation pour les individus. C’est une notion essentiellement subjective, qui recouvre à la fois les besoins et les plaisirs de chacun. Cette utilité ne doit pas être confondue avec le bonheur puisqu’elle ne tient compte que de la satisfaction apportée par les biens et les services produits par l’économie. Chaque discipline doit savoir trouver ses limites, pour l’économie, il s’agit précisément de s’arrêter à la notion d’utilité et de ne pas se laisser entraîner par l’idée de bonheur. C’est pour cela qu’aucune politique ne saurait se réduire à des considérations économiques. De par sa subjectivité, la notion d’Utilité est plus difficile à définir et surtout à représenter, en particulier on peut s’interroger sur son caractère absolu ou essentiellement relatif (utilité cardinale ou ordinale).


2. Relations entre ces différents concepts

Après les avoir définis, il s’agit désormais d’esquisser les principales relations qu’entretiennent ces cinq concepts les uns avec les autres. Si l’on reprend le schéma ci-dessus, cela revient à expliciter chacune des flèches.

La relation Homme – Capital

Cette relation est la question essentielle du système économique et du régime politique dans lequel s’inscrit l’économie. Dans le système capitaliste, cette relation repose sur la propriété : chaque individu possède un certain nombre de capitaux : des machines, des outils et bien entendu des forces de travail. Dans un monde libre, chaque Homme est propriétaire de sa propre force de travail et uniquement de celle-ci, contrairement à ce qui se passe sous le régime de l’esclavage. Dans un régime communiste et centralisateur, c’est l’Etat qui possède tous les capitaux et qui les assigne aux différentes individus, la relation n’est donc plus directe mais indirecte. Notons d’ailleurs que même dans les démocraties libérales, un grand nombre de capitaux sont publics c’est-à-dire également possédés par l’Etat. On pourrait également imaginer d’autres systèmes d’organisation, comme l’anarchie où les capitaux n’appartiennent à personne ou encore une organisation pré-sociale où s’appliquerait à tout moment la loi du plus fort. Une autre question fondamentale à propos de cette relation concerne la transmission des capitaux. En effet, si le Capital humain disparaît en même temps que celui à qui il appartient, il n’en va pas de même pour les machines ou les mines. On peut imaginer un système où les biens d’une personne décédée sont donnés à l’Etat qui les redistribue ensuite à toute la population, ou bien qu’ils deviennent la propriété de ses enfants, de sa veuve ou encore d’une personne de son choix. C’est donc au sein de cette relation entre l’Homme et le Capital que s’établissent les grands choix politiques et en particulier la question de la propriété et celle de la succession.

La relation Capital – Ressources

La distinction entre le Capital (qui est un stock) et les Ressources (qui sont un flux) est l’élément essentiel de cette « théoria » économique que j’essaye de construire. La société a en effet tout à gagner à ce que ceux qui possèdent les capitaux les utilisent au maximum de leurs possibilités. Une machine inutilisée au fond d’un garage, un château qui tombe dans l’abandon : voilà des pertes irréversibles pour l’économie. C’est la raison pour laquelle la fiscalité sur le capital est importante : d’un point de vue strictement économique, une personne qui possède un capital dont elle n’arrive pas à assumer l’entretien et l’utilisation doit le céder à ceux qui en ont les moyens. Si l’on s’intéresse maintenant au Capital humain, on est amené à inverser la relation habituellement supposée entre développement économique et chômage. L’idée couramment avancée (et qui est juste à court terme) est que la conjoncture économique détermine l’emploi et donc le chômage. On parle souvent du taux de croissance minimal d’une économie en-dessous duquel on détruit des emplois. En réalité, dans un raisonnement à plus long terme, il faut inverser la causalité pour dire que le chômage se traduit par une sous utilisation et une plus forte dépréciation du Capital humain ce qui limite donc le développement économique. Le « bon capitaliste », d’après ce que je viens d’esquisser, ce n’est pas celui qui possède que ce qui lui est utile mais celui qui permet de tirer le plus de ressources du Capital qu’il possède.

La relation Ressources – Biens

Cette relation recouvre la quasi-totalité du processus productif : il s’agit de l’utilisation des ressources mise à disposition par les Capitalistes pour produire les biens de consommation et d’investissement. Le lieu de cette relation, c’est l’entreprise privée (dans un régime capitaliste) ou la manufacture nationale (dans un régime communiste). Très souvent, cette relation entre les Ressources et les Biens n’est pas directe, elle est intermédiée : on trouve ainsi des agences pour l’emploi qui mettent en relation les travailleurs avec les entrepreneurs ou les banques qui mettent en relation les détenteurs de capitaux avec les entrepreneurs. Cette étape du processus économique, où les Ressources sont transformées en Biens, est essentielle puisque c’est là que se forme toute la richesse de l’économie, c’est-à-dire toute la valeur ajoutée. Pour évaluer la performance d’une économie, on ne s’intéresse d’ailleurs qu’à cette relation en calculant la somme de toutes les valeurs ajoutées de toutes les entreprises pour aboutir au Produit Intérieur Brut. Comment répartir cette richesse créée dans les entreprises ? Il est convenu que cette valeur ajoutée doit se répartir entre le Travail, le Capital et les impôts payés à l’Etat. Dans le cadre proposé dans cet article, cette répartition prend tout son sens : seuls les Capitalistes sont rémunérés, selon la productivité de leurs capitaux. Il n’y a donc pas de différence fondamentale entre l’actionnaire qui réclame son dividende en échange du prêt de ses capitaux-machines, le travailleur qui réclame son salaire en échange de l’utilisation de son capital-humain ou de l’Etat qui réclame des impôts en échange de l’utilisation de biens et de services publics (infrastructure, police, justice, éducation…).

La relation Biens – Capital et la dépréciation du Capital

Comme on l’a déjà indiqué, le Capital est un stock, entre deux périodes il peut donc être diminué ou bien être augmenté. La diminution, c’est ce que l’on appelle la dépréciation du Capital, ce qui correspond généralement à son usure. La machine s’abîme quand on l’utilise, la mine se vide quand on l’exploite, le travailleur se fatigue physiquement et oublie des choses qu’on lui avait enseignées. Il y a donc un risque qu’année après année, le stock de Capital s’amenuise et qu’au bout d’un certain temps aucune activité économique ne soit plus possible (même si certains lecteurs attentifs de ce blog m’objecteront qu’une suite positive décroissante ne tend pas forcément vers zéro !). Pour augmenter le stock de Capital, il faut donc utiliser une partie de la richesse ou de la valeur ajoutée obtenue par la création de Biens pour le renouveler. C’est ce que j’appelle l’épargne ou l’investissement, qui sont dans ma bouche parfaitement synonyme l’un de l’autre. Un bien épargné c’est un bien qui n’a pas vocation à être consommé mais à être investi pour augmenter le stock de Capital. On peut ainsi épargner du travail ou de l’utilisation de machines pour construire d’autres machines, de même on peut épargner du travail pour se former et augmenter ainsi son Capital humain. Entre l’artisan qui construit un outil et le futur travailleur qui étudie, il n’y a donc pas de véritable différence : il s’agit de travailler aujourd’hui pour une activité pas immédiatement productive mais qui augmentera sa productivité à l’avenir. C’est donc l’épargne ou l’investissement qui fait intervenir l’idée de temps dans l’économie et plus particulièrement la notion de calcul intertemporel. Quelle préférence faut-il accorder au présent sur l’avenir et comment la société peut-elle inciter les individus à épargner pour assurer la prospérité future ? Cette réflexion nous conduit inévitablement à la notion de taux d’intérêt qui sert grosso modo à rémunérer le temps que l’artisan a sacrifié pour fabriquer son outil quand il décide de le prêter. Pour le travailleur, l’incitation à se former ne vient pas du taux d’intérêt mais de l’espoir de toucher un meilleur salaire s’il fait de plus longues études. Là encore, intérêt, salaire, impôt, tout ceci n’a qu’un seul nom : rémunération du capital.

La relation Biens – Utilité

Cette relation porte un nom très simple : c’est la consommation. On peut d’ailleurs envisager cette relation dans les deux sens : les individus retirent de l’utilité des biens qu’ils consomment ou les entreprises produisent les biens qui procurent de l’utilité. Tout dépend qui si l’on prend le point de vue de l’offre ou celui de la demande. Il faut avoir à l’esprit que l’augmentation de l’Utilité des consommateurs est la raison d’être de toute l’économie : la propriété, le travail, l’investissement n’en sont que des moyens. Citons à ce propos cette réplique amusante d’un économiste américain à propos du plan de relance de Barack Obama « On nous annonce que ce plan va relancer la croissance et faire baisser le chômage, c’est une bonne nouvelle, même si cela aurait été encore mieux qu’il relance la croissance sans augmenter le travail ! ». La consommation repose sur deux intermédiaires principaux : la distribution et le marketing. Idéalement, ces intermédiaires sont un système de logistique et d’information qui met en relation des consommateurs qui ont des envies avec des entreprises qui ont des produits. Plus souvent, ils consistent à vendre de gré ou de force aux acheteurs ce qui a été produit.

La relation Utilité – Homme

C’est la partie un peu philosophique de l’économie, qui consiste à se demander « A quoi bon ? ». Pourquoi vouloir à tout prix augmenter son utilité, ses plaisirs ? Cela nous rend-il plus heureux ? La réponse la plus sage que l’économie puisse faire à ces questions est précisément de ne pas chercher à y répondre et de laisser cette réflexion fondamentale à la philosophie, à l’art et à la politique, qui semble beaucoup mieux placés pour y répondre. L’économiste, comme le scientifique, doit davantage se focaliser sur la question du comment que sur celle du pourquoi.

3. Questions en suspens et Conclusion

Plusieurs questions mériteraient (et mériteront certainement dans les semaines à venir) d’être traitées à travers cette représentation de l’économie. Tout d’abord, quel est le rôle de la monnaie dans l’économie, quelle est son influence sur chacune des relations explicitées au cours de cet article ? Ensuite, comment valoriser les Capitaux ? Théoriquement, la valorisation d’un Capital doit être la somme actualisée des revenus futurs que ses ressources permettent de produire. Cette valeur se rapproche de ce que Marx appelle la valeur d’usage, valeur que le marché est sensé refléter à tout instant. Comment se fait-il que la valeur d’usage et la valeur de marché puissent différer (bulles financières) ? Enfin, quelle place accorder au prêt et au crédit dans cette représentation de l’économie ?

S’il fallait résumer la résumer en un minimum de mots, je dirais que « l’économie, c’est de la compatibilité et de la morale ». Par comptabilité j’entends une prise en compte de la réalité matérielle du processus de production (on ne peut pas utiliser plus de ressources qu’il n’y en a de créées, on ne peut pas emprunter plus de biens qu’il n’y en a de prêtés…) et par morale j’entends une organisation collective tacitement acceptée par l’ensemble de la société. On a bien vu en effet que toute l’économie repose au départ sur un choix politique qui est celui de la relation entre l’Homme et le Capital. C’est parce que l’esclavage était moralement inacceptable qu’il a été abandonné, de même que l’expropriation de masse par l’Etat. Un système économique ne peut donc persister que s’il est jugé légitime.

L’économie, c’est donc à la fois les marchés et la politique, les premiers apportant l’efficacité quand le second apporte le consensus social. A l’heure où le capitalisme est considéré comme le pire de tous les maux, je reprendrais donc à mon compte cette citation d’Henri Guaino : « le capitalisme est essentiellement moral ».

11 février 2009

Retour sur l'intervention de Nicolas Sarkozy


L'actualité va vite, très vite, surtout avec Nicolas Sarkozy. Une annonce succède à un plan, un déplacement à une intervention médiatique. L'objet de ce blog n'est pas de suivre cette actualité au jour le jour mais de prendre du recul pour analyser les faits. C'est pourquoi un retour sur la dernière prestation télévisée du chef de l'Etat s'impose. Après les manifestations du 29 janvier et avant la rencontre des partenaires sociaux le 18 février, cette prise de parole du chef de l'Etat était très attendue pour comprendre la politique poursuivie par la France face à la crise. Reprenons donc, point par point ce qu'a dit le chef de l'Etat.


"La crise du siècle"

Nicolas Sarkozy a commencé son intervention en expliquant que la crise économique actuelle est la plus importante depuis 1929 et qu'elle marquera donc le XXIème siècle. Sans sous-estimer l'importante dégradation de la conjoncture internationale, on est en droit de se demander s'il est du devoir du chef de l'Etat de dramatiser ainsi cette crise. L'économie, pour prospérer, a besoin de confiance, pas de défiance, et dire que tout va de mal en pis, c'est contribuer à cette spirale négative. En procédant de la sorte, Nicolas Sarkozy essaye de se dédouaner des conséquences sociales de cette crise. Effectivement, contrairement à ce que clame l'opposition, sa politique économique n'est pour rien (ou en tout cas pour pas grand chose) dans la mauvaise situation actuelle, mais ce faisant, le Président de la République pense plus à protéger sa popularité qu'à restaurer la confiance. Il joue donc sa carte personnelle avant l'intérêt général.


Le plan de sauvetage des banques

Nicolas Sarkozy a eu raison de dire que le plan de sauvetage des banques était indispensable. Là encore, tout responsable politique aurait été contraint d'adopter des mesures similaires s'il avait été aux responsabilités. Il était donc essentiel de dénoncer ce mythe de "miliards d'euros donnés aux banques en récompense de leur mauvaise gestion". Notons seulement que Nicolas Sarkozy est ici victime de son excès de communication de l'automne dernier : en parlant de milliards à tout bout de champ, il a voulu montrer que son volontarisme était capable de grandes choses. Le Président de la République a ensuite fait preuve de génie politique : pour démontrer que l'Etat ne faisait aucun cadeau aux banquiers, il a assuré que l'argent prêté rapporterait 1,4 milliards d'euros en 2009 et que cette somme servirait à financer des mesures sociales. D'une pierre, deux coups. Il convient toutefois de prendre certaines distances avec le propos présidentiel. D'une part, les détails du calcul de ces intérêts n'est pas très clair : a-t-on bien pris en compte ce que coûte l'argent emprunté par l'Etat pour le prêter aux banques (4% environ) ? Ensuite, il faut également considérer l'argent que l'Etat a emprunté pour monter au capital des établissements bancaires : dans ce cas on verra s'il y a plus-value au moment où l'Etat se désengagera. Enfin, il faut bien comprendre que si les banques préfèrent se financer à 8% auprès de l'Etat plutôt que d'aller sur le marché (à 10 ou 11%), c'est que le marché estime qu'il y a un risque de défaillance des banques, l'Etat supporte donc ce risque puisqu'il assume le différentiel entre le taux de marché et les 8% auxquels il prête. Le calcul de 1,4 milliards ne vaut que si aucune banque ne fait défaut, dans le cas contraire (peu probable), ce ne sera pas un gain mais une gigantesque perte pour l'Etat.


Le modèle social Français

Interrogé par David Pujadas (pour une fois pertinent) sur sa critique du modèle social Français au cours de la campagne électorale, le Président de la République a feint de n'avoir jamais parlé de cela et a relativisé la rupture promise. Il a ainsi profité de l'amnésie chronique qui frappe l'opinion et la classe journalistique. Pourtant Nicolas Sarkozy a bien clamé haut et fort, aidé en cela par tous les déclinologues qui l'ont soutenus (Nicolas Baverez) que le modèle social Français était nul et qu'il fallait vite regarder du côté des Etats-Unis ou de l'Angleterre. Au point que dans le programme du candidat de l'UMP, figurait un dispositif proche des "subprimes" pour faciliter l'accession à la propriété des classes moyennes. Aujourd'hui, ce discours est passé de mode, et Nicolas Sarkozy a donc choisi (avec raison) de retourner sa veste en déclarant que quand on regardait la situation des pays anglo-saxons "on avait pas envie de leur ressembler".


La relance par l'investissement

Nicolas Sarkozy a été convaicant dans sa justification de la relance par l'investissement. La priorité du gouvernement doit effectivement être l'emploi, il faut donc trouver des projets qui peuvent démarrer tout de suite sur tout le territoire. Cette relance présente également l'avantage de créer des actifs (même si la liste des 1000 projets du gouvernement laisse parfois pantois) qui pourront être mis en face de la dette contractée par l'Etat. Le Président a également eu raison de défendre la suppression d'un poste de fonctionnaire sur deux pour chaque départ à la retraite. Si l'Etat veut, aujourd'hui comme à l'avenir, investir massivement, il doit diminuer ses dépenses de fonctionnement qui lui font perdre en agilité.


Chômage partiel et chômage des jeunes

Le Président, décidément dans une bonne phase, a ensuite proposé des pistes intéressantes d'utilisation d'une partie des 1,4 milliards d'euros pour des dépenses sociales. Il s'agit en particulier d'augmenter ce qui est versé aux chômeurs partiels et d'aider les jeunes qui sont au chômage et qui sont non-éligible au système d'allocation chômage. La priorité de l'Etat doit être, en effet, de garder au maximum les personnes dans l'activité pour éviter les effets d'hysteriesis qui résulteraient d'un éloignement prolongé de l'emploi. De même doit-il soutenir la trésorerie des PME pour éviter que les faillites ne se multiplient. La crise et ses conséquences sont inévitables, il faut tout faire pour que les dégâts qu'elle engendre ne soient pas irréversibles.


Le soutien du pouvoir d'achat des classes moyennes

Après cette bonne passe, Nicolas Sarkozy s'est laissé entraîné à la facilité. On savait depuis une demie-heure qu'il n'était plus question de "rupture" mais on a été surpris de le retrouvé quasiment "chiraquisé", c'est-à-dire en égrénant une série de mesures dont il n'a pas le premier centime en poche. Suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu (décision à laquelle il souhaite associer les partenaires sociaux alors que c'est le Parlement, dans notre pays, qui décide de la fiscalité), hausse des allocations familiales... Après avoir brillament expliqué pourquoi il fallait relancer par l'investissement, le voici qui prétend relancer le pouvoir d'achat par l'endettement. J'ai déjà eu l'occasion de dire sur ce blog à quel point ce type de relance était immoral, sauf à augmenter les impôts après la crise. Qu'on le dise une fois pour toutes : le pouvoir d'achat ne se décrète pas, c'est une résultante de l'activité économique d'un Etat. Faire croire qu'on peut vivre mieux en s'endettant c'est mentir ! Nicolas Sarkozy prend ainsi le risque d'alourdir la dette de manière structurelle et pas simplement passagère.


Le partage des profits

On a eu ensuite droit à la ritournelle sur le partage des profits en trois tiers : un tiers pour les salariés, un tiers pour les actionnaires et un tiers pour l'investissement. Pour information, aujourd'hui les profits se répartissent de la manière suivante : un tiers pour les actionnaires, plus d'un tiers pour l'investissement et moins d'un tiers pour les salariés. Nicolas Sarkozy pense donc que les entreprises Françaises investissent trop. Mais ce qu'il faut bien comprendre, c'est que ce débat n'a absolument aucun sens. Le profit est une notion comptable pas vraiment pertinente pour la question du partage des richesses, ce qui compte c'est le partage de la valeur ajoutée. En effet, une entreprise achète des biens intermédiaires et vend des produits finis, la différence entre les deux s'appelle la valeur ajoutée. Ce montant lui sert à rémunérer ses salariés, ses actionnaires (qui lui fournissent son capital) et l'Etat ! Mieux vaut une entreprise qui paye très bien ses salariés et ne les intéresse pas aux profits que l'inverse, surtout dans une période de crise où les profits sont bas. La vraie question c'est donc le partage de la valeur ajoutée, qui est d'ailleurs assez stable en France depuis le milieu des années 80 selon l'INSEE contrairement à ce que l'on entend dans la bouche de tous les politiques (la rémunération du travail a même plutôt progressé). De plus, vouloir instituer une règle rigide de partage des profits c'est méconnaître la diversité des situations des entreprises françaises. Va-t-on obliger une entreprise de services à investir 1/3 de ses profits alors qu'elle est très peu capitalistique ? Va t-on empêcher EDF d'investir plus d'1/3 de ses profits au moment où les constructions de centrales nucléaires se multiplient ? Tout cela n'a pas de sens.


La suppression de la taxe professionnelle

Seule annonce véritable de l'intervention présidentielle : la suppression de la taxe professionnelle. Reconnaissons là qu'il s'agit là d'un impôt qui pénalise l'investissement et dont tout le monde (ou presque) réclame la disparition. Mais là encore de deux choses l'une : ou bien la disparition de cette taxe n'est pas compensée et la dette publique s'aggravera de manière spectaculaire, ou bien, et c'est ce qu'a sous-entendu le chef de l'Etat, elle sera complètement compensée et dans ce cas on comprend mal quel impact cela pourrait avoir sur la compétitivité des entreprises et leur propension à délocaliser. On peut surtout se demander si cette réforme complexe était vraiment la priorité et si elle ne va pas se transformer en usine à gaz. En effet, la taxe professionnelle est une partie conséquente des ressources des collectivités locales, ce qui a du sens puisque l'assiette de cet impôt est local. Pour schématiser, le "deal" est le suivant : j'accepte que vous implantiez une centrale nucléaire dans ma commune car je vais toucher la taxe professionnelle. La taxe carbone, évoquée par le Président, cumule les désavantages : tout d'abord son assiette n'est pas locale ce qui rendrait nécessaire des péréquations entre territoires particulièrement complexes, ensuite l'assiette de cet impôt est destinée à se réduire au fil du temps et enfin elle frapperait principalement les industries les plus délocalisables (sidérurgie...) : beau résultat ! Si le but est vraiment de réduire les délocalisations à coût nul pour l'Etat, la seule solution est de faire payer moins l'industrie et davantage les services, nettement moins délocalisables (en taxant la valeur ajoutée des entreprises par exemple).


L'appel à l'unité européenne

Nicolas Sarkozy a raison quand il en appelle à l'unité européenne, notamment dans le cadre du prochain G20, ou quand il dénonce les méfaits du protectionnisme. Il a tort quand il stigmatise d'autres pays européens (Grande-Bretagne, Allemagne, République Tchèque) et quand il propose des solutions protectionnistes, notamment dans le secteur automobile. Lequel faut-il croire ? Par ailleurs, son analyse sur la nécessité d'une meilleure régulation au niveau mondial pour prendre acte du fait que le marché est devenu mondial est tout à fait pertinente. Sa détermination, avec Angela Merkel, à lutter contre les paradis fiscaux est louable, souhaitons qu'elle aboutisse à Londres.


La baisse de la TVA

Suivez bien les deux étapes du raisonnement Sarkozien "La Grande-Bretagne a baissé la TVA pour relancer la demande, ce qui ne marche pas c'est donc une mauvaise idée. Pourquoi ne pas baisser la TVA sur les produits propres, la restauration et le chocolat au lait ?". L'incohérence du propos se double ici d'erreurs factuelles assez graves. Tout d'abord, Nicolas Sarkozy explique que la Grande-Bretagne a décidé de relancer par la consommation car elle n'a plus d'industrie, contrairement à la France : c'est tout simplement faux, les deux pays ont exactement la même proportion de leur PIB qui vient de l'industrie (13% environ). Ensuite, si la consommation a effectivement baissé en valeur en Grande-Bretagne depuis la baisse de la TVA, c'est principalement en raison de la baisse des prix, les ventes en volumes ont au contraire progressé. Enfin, quand la droite Française arrêtera-t-elle avec sa rengaine de la baisse de la TVA sur la restauration ? Cette dépense est jugée par tous les économistes comme totalement improductive et surtout, l'Etat n'en a pas les moyens. Il ne reste donc plus qu'à prier pour que les Allemands continuent à nous empêcher de réaliser cette promesse démagogique.


Sanction du préfet de la Manche

La rhétorique sarkozyenne de la responsabilité m'a toujours été insupportable (cf. l'article "L'irresponsabilité Sarkozyste" dans ce blog), elle est également totalement incohérente. Rappelons quelques faits : un militaire tire à balles réelles sur la foule lors d'une journée portes ouvertes, Nicola Sarkozy exige la démission du chef d'Etat major de l'armée de Terre. Jérôme Kerviel contourne les règles de la Société Générale et lui fait perdre 5 milliards d'euros, Nicolas Sarkozy exige la démission de Daniel Bouton. Des manifestants particulièrement remontés accueillent le Président de la République à Saint-Lô, Nicolas Sarkozy exige la mutation du préfet de la Manche. La raison "Quand il y a un problème, je suis responsable, il en va de même pour tout le monde". Vient alors la question que tout journaliste normalement constitué aurait du lui poser : "Monsieur le Président, il y a des problèmes en France, du chômage, pas de pouvoir d'achat, alors prenez vos responsabilités et démissionnez !". Certes Nicolas Sarkozy n'est pas responsable de la crise actuelle, mais pas plus que les trois personnes contraintes à la démission mentionnées ci-dessus. C'est donc le deux poids, deux mesures.


Réforme de l'audiovisuel public

Passons enfin rapidement sur l'erreur de Nicolas Sarkozy à propos de la nomination du Président de France Télévisions. Les commissions culturelles du Parlement ne devront pas approuver cette nomination aux 3/5, elles pourront seulement s'y opposer si elles réunissent 3/5 des voix : ce qui est loin d'être la même chose. Pour reprendre les propres mots de Nicolas Sarkozy à ce sujet "c'est tellement plus simple de dire les choses de manière exacte".


Bilan

Au global, cela fait beaucoup d'incohérences et d'erreurs factuelles. J'ai donc été particulièrement déçu par la prestation de Nicolas Sarkozy qui a manqué une occasion de faire de la pédagogie et a préféré lancer des promesses en l'air même s'il n'a pas de quoi les financer. Etait-il possible de faire mieux ? Très certainement. Lui qui se réclame du Général de Gaulle, il devrait prendre exemple sur ses conférences de presse, notamment celle-ci (passionnante) : Cliquez ici. Sa connaissance des dossiers, sa compréhension de l'économie et son sens de la pédagogie ont de quoi faire pâlir notre Président.


Pour autant, il ne faut pas accabler Nicolas Sarkozy, je détournerai à son endroit cet adage populaire : "quand on le regarde, on se désole, quand on le compare aux autres, on se console".

09 février 2009

Plaidoyer pour un fonctionnement non démocratique des partis politiques

Après une longue série d'article consacrés à l'économie, voici de quoi satisfaire les lecteurs de ce blog plus intéressés par les questions politiques.


Les partis politiques doivent-ils être démocratiques dans une démocratie ? A priori, la réponse à cette question semble aller de soi : comment imaginer que les principaux acteurs de la vie démocratique d’un pays puissent se soustraire aux règles de la démocratie ? Mais il faut accepter de mener la réflexion au-delà de cet apparent paradoxe, en partant de cette remarque du philosophe Alain Finkielkraut « Tout ne doit pas être démocratique dans une démocratie ». Pour lui, il s’agit d’abord et avant tout de parler de l’Ecole. Cette institution est en effet le lieu même de l’inégalité entre celui qui sait (le maître) et celui qui ne sait pas (l’élève) et on imagine mal que les programmes scolaires soient choisis de manière démocratique par les élèves. Peut-on étendre ce raisonnement au fonctionnement des partis politiques ?

Il faut tout d’abord distinguer deux façons de considérer la démocratie. Partons de la célèbre citation de Winston Churchill « La démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres », pour certaines personnes, il s’agit d’une maxime politique tandis que pour d’autres n'y voient qu'un bon mot : voici comment je définis le clivage sur la démocratie. Pour être plus précis, les premiers vont considérer que la démocratie est un « mal nécessaire », c’est-à-dire le seul régime qui puisse avoir une légitimité durable et celui qui recourt le moins à l’arbitraire. Les seconds estiment, quant à eux, qu’il s’agit d’un « bien absolu », d’un processus plus qu’un état stable, indissociable du progrès humain ou de la civilisation. La démocratie peut donc être considérée comme un moyen ou comme une fin en soi. Même si cette schématisation est sans doute un peu abusive, ce clivage recouvre le traditionnel clivage droite/gauche, ce qui peut expliquer les différences fondamentales dans le fonctionnement des principaux partis politiques comme nous l’a montré l’actualité récente au PS et à l’UMP.

On peut distinguer trois grandes fonctions d’un parti politique dans une démocratie : incarner une ligne et un héritage idéologique, conquérir ou conserver le pouvoir et enfin proposer des solutions pour l’avenir. On retrouve là les trois temps de la vie politique : la passé auquel il faut être fidèle, le présent, temps de l’action par excellence et le futur qu’il s’agit de construire. Ces fonctions sont essentielles pour la vie démocratique d’un pays, il s’agit donc de se demander si un fonctionnement démocratique (au sens du "bien absolu" et non du "mal nécessaire") des partis permet, ou non, de mieux les remplir.

Le passé : le temps de la fidélité

Chaque parti politique est l’héritier d’une longue tradition idéologique, et il s’enracine donc dans l’Histoire nationale. Le libéralisme, le socialisme, le bonapartisme, le communisme ou encore le nationalisme ont structuré, et continuent à le faire, la vie politique française. Seul le mouvement écologiste a émergé au cours des dernières décennies pour s’ajouter à ces grands mouvements de pensée, même si on peut considérer qu’il est une synthèse entre le libéralisme politique et une nouvelle forme de conservatisme.

Chaque parti politique doit donc être comptable de cet héritage historique. Cela ne fait pas pour autant de cet héritage un dogme rigide, des évolutions idéologiques sont toujours possibles et même inévitables pour s’adapter au monde, mais il ne peut s’agir de ruptures conceptuelles. Pourtant, aujourd’hui, on assiste à une grande confusion idéologique, le nouveau patron de l’UMP, Xavier Bertrand, d’affirmer même que « le clivage entre la droite et la gauche n’a plus de sens, qu’il faut être pragmatique et que la vraie ligne de partage aujourd’hui se situe entre les réformateurs et les conservateurs ». Cette confusion est encore plus grande chez les militants politiques qui connaissent souvent très mal (à l’exception de l’extrême gauche à la rigueur) la culture et l’histoire de leur mouvement politique.

Un fonctionnement démocratique des partis politiques se traduirait très certainement par une confusion et un émiettement idéologique généralisé. De même que chaque individu pioche aujourd’hui dans les différentes religions pour se constituer sa propre doctrine du Salut, chaque militant viendrait faire son marché entre les différents corps de doctrine politique, en choisissant ce qui lui plaît, rejetant le reste, au mépris de toute cohérence d’ensemble. Il faut bien comprendre que la démocratie, comme le marché, conduit à une inévitable atomisation des acteurs, c’est-à-dire à un individualisme total. Les partis politiques, si l’on poursuit cette comparaison, sont l’équivalent des monopoles, ils servent de repères et peuvent structurer le « marché politique ». Autant l’atomisation des marchés économiques présente d’incontestables bénéfices, autant celle de la vie politique pose beaucoup plus de problèmes. Si personne n’a de « pouvoir de marché » dans la démocratie, c’est-à-dire de pouvoir d’entraînement, comment la collectivité des individus peut-elle encore prendre son destin en main ? Les mouvements spontanés d’une partie conséquente de la population semblent totalement utopiques, au point que même les communistes ont toujours pensé qu’une avant-garde du prolétariat était indispensable pour accomplir l’égalité parfaite.

Les partis politiques doivent donc fournir des repères et offrir des grilles de lecture, à la population, ils ne peuvent prétendre être la simple synthèse idéologique de ce que pensent leurs militants. Cet éclairage provient essentiellement de la tradition idéologique dans laquelle ces partis s’inscrivent. Pour clore l’analogie avec le marché, on peut donc dire que ces institutions sont des monopoles naturels et légitimes, indispensables au bon fonctionnement de la démocratie.

Le présent : le temps de l’action

Selon la Constitution de 1958, les partis politiques « concourent à l’expression du suffrage », superbe euphémisme pour dire qu’ils se battent d’arrache-pied pour gagner les élections. Avec le passage au quinquennat et la Présidentialisation de la vie politique, cette fonction est devenue prééminente au point d’écraser toutes les autres. Les grands partis politiques sont aujourd’hui des machines de guerre pour gagner l’élection présidentielle. Dans cette optique purement utilitariste, le fonctionnement démocratique d’un parti politique est-il la garantie du succès électoral ?

Pour certains, la désignation démocratique du candidat du parti lui permet de bénéficier d’un certain élan. Cette affirmation est sans doute d’autant plus vraie que ces primaires sont ouvertes à tous les sympathisants et pas seulement aux militants. Mais là encore, les contre-exemples ne manquent pas : défaite de Ségolène Royal en 2007 malgré les primaires organisées au sein du parti socialiste ou encore la défaite de Walter Veltroni en 2008 face à Silvio Berlusconi, alors qu’il avait bénéficié du soutien de plusieurs millions de gens de gauche lors des primaires. La désignation démocratique ne semble donc pas être gage de succès.

Le premier écueil de ce type de désignation démocratique du candidat, est que la base militante coïncide souvent assez mal avec le corps électoral : pour le dire autrement, les personnes qui s’engagent politiquement ne sont pas représentatives du reste de la population. En particulier, les militants sont souvent plus enclins à choisir un candidat « radical » plutôt qu’un centriste. C’est ce qui fait qu’on parle de candidats de premier ou de second tour. Laurent Fabius a d’ailleurs parfaitement théorisé ce fait stylisé (à défaut de l’avoir appliqué avec succès) en déclarant que le congrès du PS se gagne toujours à gauche.

Le deuxième problème posé par la désignation des candidats directement par la base militante, c’est l’incertain qui peut résulter de cette procédure. L’exemple des primaires américaines est ici particulièrement probant, puisqu’elles peuvent aboutir au meilleur (Barack Obama) comme au pire (George W. Bush). Par opposition, la désignation plus classique (en France en tous cas) par les caciques du parti permet de sélectionner un candidat qui a fait ses preuves tout au long de sa carrière, ce qui évite de se retrouver avec un candidat qui arrive là par hasard. On se prive par conséquent du pire, mais certainement aussi du meilleur par ce type de désignation.

Enfin, à l’heure du matraquage des sondages, la désignation démocratique des candidats présente le risque de créer des « bulles politiques » comme il existe des bulles économiques. Ségolène Royal est un bon exemple en la matière puisque son principal argument pour gagner l’investiture du PS était que les sondages faisaient d’elle la candidate la plus crédible pour battre Nicolas Sarkozy. Le choix des militants s’est donc en partie fondé sur de mauvaises raisons, en écoutant plus ce qu’avaient à dire Ipsos ou la Sofres que les différents candidats à la candidature. Les primaires démocrates ont également montré à quels points l’emballement démocratique pouvait être important : si les premières élections n’avaient pas eu lieu dans l’Iowa mais dans un état plus favorable à Hillary Clinton, il fait peu de doutes que cette dernière aurait été finalement désignée. Même s’il serait malvenu de se plaindre du résultat final de ces primaires, on peut néanmoins s’interroger sur l’importance que peuvent avoir de tels éléments contingents (la date des primaires de chaque Etat) sur le résultat final.

Le futur : le temps de la construction

Un parti politique doit également être à l’avant-garde du débat et des propositions. Pour citer une nouvelle fois Xavier Bertrand (ce qui est lui faire trop d’honneur certainement), « l’UMP doit avoir des idées d’avance », ce à quoi Dominique Strauss-Kahn répond « le PS doit changer de logiciel politique ». Au-delà de ces slogans de mauvaise facture, il faut bien reconnaître qu’une fonction essentielle des partis politiques est de comprendre les évolutions de la société et de proposer des solutions politiques adéquates.

Dans ce cadre, on peut adopter le raisonnement (complètement démagogique à mon goût) suivant : en faisant un parti de masse, on fait remonter les problèmes auxquels fait face la société et en laissant les militants définir le projet politique on s’assure que les réponses apportées seront adéquates. Cette croyance aveugle dans l’intelligence collective est la négation même de l’esprit critique, si cher à notre pays. Pour penser la société, un parti politique ne doit pas être englué dans la société, il doit chercher du recul, des analyses et pour cela être en liaison très étroite avec le monde intellectuel. C’est ce qu’a fait l’UMP lors des dernières élections présidentielles : une série de conventions thématiques ont réunis sur chaque sujet des experts et des intellectuels, ce qui a permis de constituer l’ossature du programme de Nicolas Sarkozy. A l’inverse, Ségolène Royal a choisi de s’appuyer sur la démocratie participative, attendant par là-même que les idées jaillissent de la base. Si l’on regarde le résultat final (les fameuses 100 propositions), on ne peut que constater que ce « jaillissement » n’a pas eu lieu.

Au-delà de l’expertise nécessaire dont doivent bénéficier les partis politiques pour constituer leur programme, la cohérence exige que ce programme soit rédigé par un nombre limité de personnes. La synthèse de milliers voire de millions d’avis individuels est un exercice impossible, en revanche, il est tout à fait possible de « tester » différentes propositions auprès de la base militante et de faire valider a posteriori le programme par un vote.

Conclusion

En adoptant un fonctionnement totalement démocratique, c’est-à-dire en faisant en sorte que les militants dessinent la ligne idéologique, qu’ils choisissent le candidat et qu’ils définissent le programme, les partis politiques prennent le risque d’être une tautologie inexacte, une pâle copie, un écho sourd de la démocratie réelle. Un parti n’est pas que la somme de ses militants, il doit également s’appuyer sur une Histoire et développer un lien fort avec le monde intellectuel.

Faut-il en conclure que le fonctionnement d’un parti doit être anti-démocratique ? Certainement pas, il doit être démocrate au sens de Churchill. Il est donc essentiel que le choix des déclarations de principes, des candidats et des programmes soit validé de manière démocratique par les militants. Mais cette validation doit se faire a posteriori plutôt qu’a priori. Dans le même esprit, à la démocratie directe comme mode de fonctionnement du parti, il faut préférer une organisation plus hiérarchique faite de sections, de fédérations et d’un conseil national (c’est d’ailleurs le cas aujourd’hui pour le PS comme pour l’UMP). Ce système à plusieurs étages, cette démocratie indirecte doit être l’occasion de faire remonter « naturellement » les attentes, les inquiétudes et les compétences à la tête du parti. Ce type de fonctionnement démocratique, certes plus complexe et plus rigide, peut être beaucoup plus vivant et fécond que la démocratie intégrale. Cette dernière forme de démocratie, également appelée participative, est en fait bien souvent le plus court chemin vers le despotisme.

04 février 2009

La Fable de la Relance



A la sortie d’une séance au Parlement, un tribun de l’opposition rencontre un ministre du gouvernement. Très vite la conversation s’engage sur les réponses à apporter à la crise économique qui touche le pays et les moyens de relancer l’activité.





- Bonjour Monsieur du Gouvernement.
- Bonjour Monsieur de l’Opposition.
- Avez-vous entendu le peuple : il gronde. Il vous faut changer de politique.
- Pourquoi changer une politique que je viens à peine de mettre en place et qui n’a pas encore pu produire ces effets. Par ailleurs je suis convaincu que les principes qui guident l’action du Gouvernement sont les bons : notre Salut viendra de la relance par l’investissement.
- Notre Salut, n’y allez vous pas un peu fort ?
- Et bien, jugez par vous-même : cette politique nous conduit aujourd’hui à emprunter à nos amis Chinois pour construire des routes, des ponts et d’autres infrastructures qui généreront des profits dans l’avenir, ce qui nous permettra de rembourser nos amis Chinois. Nous donnons donc de l’activité à court terme sans dégrader nos finances sur le long terme. Au final notre pays sortira renforcé de cette crise.
- Comment voulez-vous que notre pays en sorte renforcé si tous ses habitants se trouvent appauvris par une telle politique. Ce que vous appelez « pays » me semble bien abstrait si cela ne recouvre pas le sort de l’ensemble de sa population.
- Mais qui vous dit que j’oublie le peuple ? En lançant ces grands travaux, je redonne du travail et donc des revenus aux chômeurs. Vous le voyez, ma politique n’oublie personne.
- Vous vous occupez du chômage, fort bien, mais il ne s’agit pas là du seul problème. N’avez-vous point entendu le peuple : il réclame un meilleur niveau de vie, une hausse conséquente et immédiate du pouvoir d’achat. C’est ce que nous autres membres de l’Opposition proposons également avec une relance de la consommation.
- Pouvez-vous m’en dire plus sur votre politique, je crains ne pas tout à fait la comprendre.
- Rien de plus simple, puisqu’elle tombe sous le sens. En distribuant de l’argent aux gens, ils vont le consommer, ce qui augmentera la demande et fera repartir l’activité. Cette politique est parfaite puisqu’elle améliore la vie des gens et qu’elle relance la croissance, c’est la conjugaison de l’efficacité économique et de la justice sociale.
- Mais quel argent comptez-vous distribuer ? N’ignorez-vous pas que les caisses de l’Etat sont vides ?
- J’en conviens, nous comptons donc utiliser la même méthode que celle employée par votre relance par l’investissement : nous allons emprunter auprès de nos amis Chinois.
- Si je comprends bien, vous souhaitez augmenter l’endettement du pays pour distribuer du pouvoir d’achat à nos compatriotes.
- C’est bien cela.
- Dans ce cas, permettez-moi de vous dire que cette politique est totalement contraire à la morale, en plus d’être inefficace sur le plan économique.
- Comme vous y allez !
- En effet, elle est inefficace tout d’abord car une grande partie de l’argent distribué servira à acheter des biens produits hors de nos frontières, ce qui n’aura pas d’impact sur l’emploi. Mais cette politique est surtout immorale : vous souhaitez en somme que les Français d’aujourd’hui reçoivent chacun une télévision de la part des Chinois d’aujourd’hui, charge aux Français de demain de donner deux télévisions aux Chinois de demain. Cela consiste à financer une augmentation de notre de niveau de vie sur le travail de nos enfants, voilà pourquoi je parle d’immoralité.
- Mais qui vous parle de faire payer nos enfants ?
- Ignorez-vous qu’il faut un jour rembourser sa dette ? Et qu’en raison des intérêts il faut rendre plus que ce qu’on nous a donné ?
- Votre raisonnement est peut-être fondé, mais le peuple souffre trop, la relance par la consommation est donc une nécessité.
- Si on vous suit dans votre raisonnement, pouvez-vous m’expliquer pourquoi les habitants du Mali, dont vous m’accorderez qu’ils souffrent davantage que les Français, n’appliquent pas la politique que vous proposez, à savoir emprunter aujourd’hui pour devenir plus riches, consommer davantage, générer de l’activité et rembourser ensuite les sommes empruntées. Le niveau de vie, ou le pouvoir d’achat, n’est pas un choix politique, c’est une résultante économique : on ne peut distribuer que l’argent que l’on produit.
- Cela signifie-t-il qu’on ne peut rien faire pour nos compatriotes en grande difficulté, particulièrement touchés par la crise ? Votre logique comptable ira-t-elle jusqu’à fermer les yeux devant une telle détresse humaine ? Par ailleurs, votre argumentation économique me semble un peu courte : votre relance par l’investissement ne touche pas tous les secteurs d’activité. Si les entreprises de construction y trouvent leur compte, celles qui produisent des biens de consommation continueront à voir leurs carnets de commandes diminuer si la consommation n’est pas relancée.
- Vos objections sont parfaitement recevables, mais que puis-je y faire ?
- S’il n’est pas moralement possible de s’endetter auprès de nos enfants, pourquoi ne pas augmenter les impôts des plus riches pour donner de l’argent aux plus pauvres ?
- Vous n’y pensez pas, les impôts sont déjà très élevés dans notre pays. De surcroît, augmenter les impôts est toujours très impopulaire, je ne veux pas prendre ce risque. Je préfère encore emprunter et attendre que l’inflation réduise le fardeau de la dette pour notre pays.
- Cette fois, c’est moi qui vous arrête : taxation, voilà l’autre nom que je donne à l’inflation. En effet, elle appauvrit tous les consommateurs et diminue la valeur de l’épargne des Français.
- Vous avez raison, nous ne devons pas chercher à gruger le peuple, il faut plutôt adopter un discours de vérité. Je vous propose donc ceci : je m’engage à compléter mon plan de relance par des aides ciblées sur les plus pauvres, qui seront financées par une hausse temporaire des impôts une fois la crise passée.
- Voilà qui me convient parfaitement.
- En retour, vous soutiendrez mon nouveau plan de relance et vous approuverez les hausses d’impôts futures pour ne pas que nos enfants supportent le poids de notre endettement.
- Si tel est l’intérêt du pays, bien que cela me coûte, je le ferai.



Ainsi se quittèrent le tribun de l’Opposition et le ministre du Gouvernement, heureux d’avoir pu dépasser leurs désaccords afin d’œuvrer pour l’intérêt général et intergénérationnel. Bien entendu, tout ceci n’est qu’une fable, dont la morale est parfaitement utopique, surtout appliquée à notre pays.