15 avril 2010

Le concours de lâcheté sur la taxe carbone

Après avoir été versée au débat public suite au bon score des Verts aux élections européennes, la taxe carbone aura été la curieuse victime de la défaite de l’UMP aux élections régionales, selon une logique bien difficile à appréhender. Cette issue vient couronner un débat où la classe politique et le corps social français ont montré une lâcheté et une hypocrisie absolument ahurissante. Revue de détail…

La démagogie du Parti Socialiste

Dès l’annonce du projet du gouvernement de mettre en place une taxe carbone, ou plutôt une contribution climat énergie selon la terminologie officielle, Ségolène Royal s’y est opposé avec force. N’avait-elle pas pourtant signé le pacte écologique de Nicolas Hulot pendant la campagne de 2007 qui prévoyait ladite taxe ? Au diable la cohérence idéologique quand il est question d’opportunisme politique.

L’argumentation de Ségolène Royal consiste à dire que les gens ne peuvent pas se passer d’essence pour se déplacer ni de gaz ou de fioul pour se chauffer et donc que la taxe carbone est antisociale. On peut lui rétorquer que la consommation d’hydrocarbures n’est pas si inélastique que cela et que les prix records du pétrole en 2007 ont conduit à une baisse sensible de la demande en France, notamment grâce au développement du covoiturage. Par ailleurs, comment voir émerger des technologies alternatives aux énergies fossiles si on ne fait pas monter progressivement le coût de ces dernières ?

Dans un premier temps, le PS s’est démarqué de la position de Ségolène Royal, en se disant favorable au principe de la taxe carbone, mais regrettait que le gouvernement restituât le produit de la taxe de manière inégalitaire. Sauf qu’à cette époque l’exécutif n’avait pas encore évoqué la façon dont il entendait effectuer cette redistribution : curieux procès d’intention. Dans un second temps, sentant l’opinion défavorable au projet, le PS tourna casaque dans un beau mouvement de courage politique.

Le maximalisme des écologistes

On attendait que les Verts soutinssent la taxe carbone comme une des mesures phares permettant la transition post-pétrole qu’ils appellent de leurs vœux. Tel n’a pas été le cas, la plupart des écologistes préférant critiquer une taxe trop faible (13€/tonne de CO2 contre 35€ proposé dans le rapport de la commission Rocard) pour infléchir les comportements.

Certes, les Verts ont eu raison de souligner que le dispositif gouvernemental manquait de lisibilité sur le moyen terme puisqu’aucune perspective de progression de la taxe au fil des ans n’était tracée, mais ce n’était pas une raison pour se joindre au concert de critiques sur ce dispositif qui constituait un premier pas. Comme le soulignait avec justesse Raymond Aron, « en politique il ne faut jamais comparer ce qui proposé à l’idéal, mais choisir la solution pratique la plus favorable ». En refusant ce pragmatisme, la plupart des écologistes ont fait montre d’un maximalisme coupable.

L’ingérence politique du Conseil Constitutionnel

Une fois adopté par le Parlement, les députés et sénateurs de l’opposition ont décidé de porter le texte devant le Conseil Constitutionnel. Ce dernier, outrepassant son rôle, a décidé de censurer la taxe carbone au motif qu’elle créait une rupture d’égalité devant les charges publiques entre les gros émetteurs industriels non soumis à la taxe et les particuliers. Cette argumentation est fallacieuse à plusieurs titres.

Tout d’abord, il est faux de dire que les industriels ne sont pas concernés par les émissions de gaz à effet de serre puisqu’ils participent au système européen de quotas de CO2, système que le Conseil Constitutionnel n’était pas censé méconnaître. Certes, l’allocation initiale de ces quotas est gratuite jusqu’en 2013 mais cela n’enlève rien au fait qu’un industriel qui dépasse son quota doive payer et qu’un autre en dessous de son quota puisse vendre ses permis d’émission. On a donc dès aujourd’hui un système incitatif qui fonctionne sous réserve que les quotas initiaux ne soient pas trop importants. A partir de 2013, l’industrie devra globalement supporter la charge des quotas initiaux qui deviendront payants.

Ensuite, il est faux de dire que la taxe carbone peut être assimilée à une charge publique. En effet, puisqu’elle est intégralement reversée aux ménages sous la forme d’un crédit d’impôt ou d’un chèque vert, il s’agit d’une taxe pigouvienne, c’est-à-dire incitative, qui ne vient pas augmenter la pression fiscale globale. On pourrait donc complètement renverser l’argumentation du Conseil Constitutionnel puisque la taxe carbone est strictement équivalente à un système de quotas alloués gratuitement à chaque ménage, alors que les quotas de l’industrie ont vocation à devenir payants.

Ajoutons enfin qu’en opposant ainsi particuliers et entreprises, le Conseil renoue avec une tradition marxiste que l’on pensait dépassée. On ne peut pas mettre sur un pied d’égalité des entités abstraites comme les personnes morales avec les personnes physiques. Si tel était le cas, comment le Conseil peut-il tolérer plus longtemps la TVA, qui représente l’essentiel des ressources de l’Etat et qui n’est payée que par les consommateurs ?

La lâcheté de l’exécutif

Après cette censure, le gouvernement a décidé de remettre l’ouvrage sur le métier, puis a complètement changé d’avis après la défaite des régionales. L’argumentation avancée est extravagante : la taxe carbone en France ne se fera que si le projet de taxe carbone aux frontières de l’UE voie le jour, afin de ne pas pénaliser les entreprises françaises. Autant dire que le projet est reporté aux calendes grecques.

Cette façon de botter en touche ne résiste pas longtemps à l’examen : alors que la taxe carbone aux frontières de l’UE concerne les industriels en dehors de l’Europe, la taxe carbone française concernait essentiellement les consommateurs. Si l’objectif est de protéger les entreprises françaises, alors c’est le système de quotas de CO2 européen qu’il faut supprimer ! Une taxe dont le produit est réaffecté aux citoyens n’est pas globalement pénalisante pour le pouvoir d’achat des ménages, elle ne saurait donc pas avoir un impact négatif sur nos entreprises.

La réalité est plus prosaïque : une fois de plus le gouvernement français se réfugie derrière l’Europe pour ne pas assumer une mesure impopulaire.

La bonne opération du MEDEF

Le MEDEF s’est félicité de l’abandon de la taxe carbone, il s’agit en effet pour les entreprises d’une belle opération financière. La contrepartie à la levée de la taxe carbone sur les consommations de gaz et de pétrole des entreprises était la suppression de la taxe professionnelle, qui a bien été réalisée. Avec le report sine die de la taxe carbone, le MEDEF est donc gagnant sur toute la ligne.

Il est toujours plus facile pour les entreprises d’afficher la préoccupation environnementale au cœur de leur politique de communication que de soutenir un dispositif contraignant qui permet d’internaliser certaines externalités négatives comme les émissions de CO2.

Un parlement inconsistant

Le renoncement à la taxe carbone était paraît-il une concession de l’exécutif aux parlementaires de l’UMP, ces mêmes parlementaires qui avaient voté le dispositif quelques mois plus tôt. Ont-ils changé d’avis ou avaient-ils voté en faveur d’un texte qui ne leur convenait pas ? Dans tous les cas, cet épisode illustre l’inconsistance et le caractère baroque du Parlement Français.

Plutôt que de répéter à l’envi qu’il faut renforcer les pouvoirs du Parlement pour faire entrer notre démocratie dans un âge adulte, il faut mettre fin à ces comportements infantiles du Parlement qui réclame à l’exécutif l’abandon d’un texte qu’il a lui-même voté.



Auquel de ces acteurs faut-il décerner la palme de la lâcheté politique ? Et si c’était tout simplement à l’opinion publique française, si prompte à se gargariser de petits gestes quotidiens pour sauver la planète et qui a constamment rejeté la mesure la plus sérieuse du Grenelle de l’environnement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Finalement, le corps social français a la classe politique qu’il mérite…