23 janvier 2007

Distinction objective de la gauche et de la droite


Ce qui rend le débat politique français stérile, c'est qu'il baigne en permanence dans un océan de considérations morales souvent simplistes. Ainsi, la plupart des gens qui se disent "de gauche" estiment que le but de la droite est uniquement de favoriser les riches aux dépens des classes populaires tandis que la majorité des personnes "de droite" pensent que la gauche est incapable de gérer le pays puisqu'elle ne pense qu'à dépenser. Bref, l'immoralité pour les uns et l'incompétence pour les autres, tel semble être le coeur du débat politique français. Pourtant cette thèse ne résiste pas à l'examen des faits : plusieurs "conquêtes sociales" ont été réalisées sous des gouvernements de droite qui, s'ils cherchaient simplement à faire plaisir aux riches, n'auraient aucune chance de se faire élire tant ses derniers sont minoritaires. De l'autre côté, si on regarde l'évolution des performances économiques de la France (essentiellement le déficit et la croissance) au cours de ces dernières années, on observe que les gouvernements de gauche ont des performances au moins comparables à ceux de droite.

Une autre approche, qui vient de l'utilitarisme économique, serait de dire que chaque individu se détermine en fonction des intérêts qu'il a à voter pour tel ou tel parti. Le but des responsables politiques serait alors de coaliser suffisamment de groupes d'individus pour obtenir la majorité. On aboutirait à une sorte de lutte des classes qui aurait au moins le mérite d'être parfaitement rationnelle. Cependant on n'observe rien de tel quand on analyse la composition des électorats des grands partis politiques : tous possèdent une base populaire importante et trouvent le soutien d'une partie des classes plus favorisées. Bien entendu un certain déterminisme social subsiste, on trouve ainsi plus d'ouvriers au PS qu'à l'UMP et plus de chefs d'entreprise à l'UDF qu'au PCF, mais ils sont beaucoup plus nuancés qu'on pourrait le croire au premier abord.

La principale raison à cette situation, c'est que les grands partis républicains, quand ils sont au pouvoir, recherchent davantage un optimum social que la satisfaction de revendications catégorielles. Les Français ont en effet horreur du clientèlisme, du corporatisme et du communautarisme, ils ont, contrairement à ce qu'on entend souvent, largement conscience de ce qu'est l'intérêt général. La première chose à faire pour aller plus loin dans le débat politique que de s'en tenir à des jugements moraux simplistes et erronés est donc de faire sien le postulat suivant : le but des principaux partis politiques est d'améliorer le bien-être de la population.

Cette formulation est suffisamment vague pour permettre de distinguer la droite de la gauche. En effet, chaque camp à des opinions différentes sur les objectifs à atteindre pour augmenter ce bien-être et surtout sur les moyens d'y parvenir. Dès lors, un débat politique serein peut s'installer, valeurs contre valeurs, méthode contre méthode. On en revient toutefois à l'interrogation initiale : qu'est-ce qui distingue les gens "objectivement" de droite des gens "objectivement" de gauche ? Selon moi il s'agit principalement de la place accordée à la responsabilité individuelle face à la responsabilité collective.

Si on schématise, à droite on pense que c'est l'individu lui-même qui est responsable de ses réussites et de ses échecs tandis qu'à gauche on pense que c'est le contexte social qui prévaut. A partir de là, les principales oppositions politiques deviennent plus claires : la gauche réclame un Etat social fort, qui mutualise les risques, qui répartisse les richesses pour combler les inégalités sociales tandis que la droite estime qu'il faut encourager ceux qui prennent des risques et laisser aux individus la responsabilité de s'assurer face aux aléas de la vie par le biais d'organismes privés. Pour le dire autrement, on pourrait affirmer que ce qui distingue le plus la gauche de la droite aujourd'hui, c'est leur degré d'adhésion à la sociologie et notamment la distinction qui existe entre corrélation et causalité.

Prenons un exemple simple, on observe qu'une certaine partie de la population a un taux de chômage plus important que la moyenne nationale. L'interprétation 100% de gauche est de dire qu'une ou plusieurs des caractéristiques de ce groupe sont des handicaps sociaux (discrimination par exemple) qui sont la cause de leur faible taux d'activité. A l'inverse, l'interprétation 100% de droite est de dire que ce groupe possède des propriétés intrinsèques qui font qu'il est moins productif que le reste de la population, ce qui explique leur fort taux de chômage. Aucun de ces deux raisonnements ne peut être considéré comme faux sur le plan de la logique, il traduit simplement le fait qu'à partir de la même corrélation observée, il y a deux manières d'envisager la causalité (de la société vers le groupe ou du groupe vers la société).

Bien entendu, peu de gens sont complètement de gauche ou complètement de droite au sens où je l'entends ici, il n'en reste pas moins qu'un engagement politique réfléchi résulte selon moi avant tout d'une certaine vision de l'Homme et de sa capacité ou non à s'affirmer face au contexte. L'histoire des individus joue un rôle crucial dans la construction de cette vision de l'Homme, plutôt que de devenir qui on est, on est ce qu'on est devenu. Pour illustrer ce propos, j'aimerais m'arrêter sur deux catégories complètement opposées, une de gauche et l'autre de droite. Les premiers, qu'on pourrait appeler la "gauche caviar" (au sens noble du terme) sont ceux issus d'un milieu aisé qui ont choisi le camp d'une classe sociale qui n'était pas la leur. Une des motivations possible de ce choix peut être une sorte de culpabilité d'avoir profité d'une situation favorable sans l'avoir pleinement mérité, c'est-à-dire admettre que sa responsabilité et son mérite individuel n'a pas joué un rôle crucial dans la détermination de son niveau social. Face à eux, on trouve des personnes issues d'un milieu modeste, qui ont réalisé une forte ascension sociale et qui ont choisi un camp qui n'était, là non plus, probablement pas le leur au départ. On peut justifier ce choix par simple opportunisme si on en reste à l'opposition gauche/droite héritée de la lutte des classes, je pense plutôt que ce qui justifie cet engagement, c'est que ces personnes sont persuadées que si elles ont réussi, malgré leurs handicaps initiaux, c'est que la réussite individuelle tient avant tout du mérite et de la volonté personnelle, pas du contexte social.

Ce qui vient complexifier cette "équation politique", c'est que d'autres facteurs que la simple opposition gauche/droite (telle que nous l'entendons en France) interviennent également dans l'engagement politique. On peut ainsi citer l'opposition entre le progressisme (assez proche du libéralisme) et le conservatisme. Pour moi, ce dualisme est très largement indépendant du clivage gauche/droite tel que je l'ai défini. On peut ainsi trouver des libéraux et des conservateurs à gauche comme à droite. La France a ceci de particulier que les libéraux économiques sont souvent conservateurs sur le plan des moeurs et réciproquement, pourtant, dans beaucoup d'autres démocratie (aux Etats-Unis par exemple), c'est cette tension libéralisme/conservatisme qui est au coeur du débat politique, d'ailleurs, en Anglais, "liberal" signifie "de gauche". On touche là à la principale spécificité française : alors que dans de nombreux pays c'est autour de la question de la liberté que se déterminent les principales forces politiques, chez nous c'est le débat autour de l'égalité qui prévaut. Comme l'a écrit Tocqueville, "la France a la passion de l'égalité", ne pas en être conscient, c'est ne rien comprendre à notre pays.

18 janvier 2007

Le génie Talleyrand


Il peut sembler curieux de parler d'Histoire de France sur un blog politique. Et pourtant, la lecture de "Talleyrand" de l'historien Jean Orieux a profondément changé ma façon de voir le monde et la politique. Talleyrand fascine, soit qu'on le déteste soit qu'on l'adore, il ne laisse personne indifférent. Il y a deux manières d'aborder le personnage qui débouchent sur deux jugements qu'on peut avoir de lui et finalement qui révèlent deux manières d'appréhender la politique.

On peut tout d'abord penser que Talleyrand était un traître qui a servi puis abandonné tous les régimes de 1789 à 1838 : il a été député du Clergé aux Etats Généraux, Président de l'Assemblée, il trahit l'Eglise en portant la Constitution civile du clergé, il part en Angleterre puis aux Etats-Unis sous la terreur, revient comme ministre des Relations Extérieures sous le Directoire qu'il contribue largement à renverser pour installer Bonaparte au pouvoir, puis il abandonne l'Empereur et fait revenir Louis XVIII sous la Restauration. Enfin il est de ceux qui font tomber Charles X pour mettre en place la Monarchie de Juillet avec Louis-Philippe. Il a donc trahit tour à tour l'Eglise, l'Ancien Régime et la Révolution. De plus, Talleyrand n'a jamais hésité à confondre les affaires publiques qu'il traitait à son ministère avec ses intérêts privés, il a donc touché énormément d'argent "sous la table" en échange de certains services rendus. Moralement, Talleyrand apparaît donc comme un sinistre personnage, un courtisan qui cherchait avant tout son intérêt personnel.

Cette vision a lontemps prévalu en France et aujourd'hui encore elle trouve de nombreux adeptes. C'est pourtant regarder la politique par le petit bout de la lorgnette. Car une chose est certaine, s'il a trahi des régimes, Talleyrand n'a jamais trahi la France : "Je n'ai jamais abandonné un régime avant qu'il ne se fût abandonné lui-même", ainsi estime t-il que quelque chose de nouveau est né en 1789 et que rien ne fera revenir la France dans l'Ancien Régime, c'est pourquoi il promeut le libéralisme politique, il préfère partir en demandant un passeport (pour ne pas fuir comme tous les autres émigrés) durant la Terreur sentant que la Révolution s'égare dangereusement, il souhaite faire tomber le Directoire qui est un régime faible et discrédité qui ne se soucie pas de l'intérêt du pays, il abandonne Napoléon quand celui-ci confond le bien de son pays avec sa gloire personnelle et la volonté de bâtir un Empire continental au mépris des peuples et des nations européennes. C'est ce qui lui fait dire au Tsar Alexandre alors proche de Bonaparte "Le Rhin, les Alpes, les Pyrénées sont la conquête de la France, le reste est la conquête de l'Empereur, la France n'y tient pas. [...] L'intérêt de la France elle-même exige que les puissances en état de tenir tête à Napoléon se réunissent pour opposer une digue à son insatiable ambition, que la cause de Napoléon n'est plus celle de la France".

Et que pèsent ces "fausses trahisons" en regard des services qu'il a rendu à la France ? C'est lui qui permet à la France de préserver l'intégrité de son territoire et de sauver la face lors du Congrès de Vienne en 1815. Représentant du pays vaincu, il parvient, par son habileté de diplomate, à diviser les coalisés et à commencer à regagner la confiance de l'Angleterre et de l'Autriche. Ce congrès restera comme l'une de ses grandes oeuvres diplomatiques, comme ses efforts pour faire de la Belgique un Etat indépendant. Sur le plan intérieur, on oublie également que l'évèque d'Autun a proposé bien avant Jules Ferry, à la tribune de l'Assemblée, la scolarité gratuite et obligatoire. Il s'est également battu pour la liberté d'une presse qui ne le ménageait pourtant pas, bref, il est toujours resté fidèle au libéralisme politique et a toujours pensé qu'un peuple s'élevait en se développant à l'intérieur de ses frontières plutôt qu'en cherchant la gloire des conquêtes militaires.

En ce qui concerne la critique morale du personnage, et notamment son goût excessif de l'argent et des fastes, elle est symptomatique d'une certaine façon d'envisager la politique. Je me souviens qu'en sortant du lycée, je pensais que le seul homme politique "pur" de la Révolution était Robespierre et que, même s'il avait perdu le sens des réalités vers la fin de sa vie, il était le seul à ne penser qu'à l'intérêt général. J'ai appris depuis à me départir de cette façon de penser, il n'y a en fait rien de plus dangereux d'oublier complètement ses intérêts personnels en politique. Prétendre incarner l'intérêt général, se faire le chantre de la vertu comme l'a fait l'"incorruptible" est potentiellement totalitaire. Personne n'est dépositaire de l'universel ni de l'opinion générale, chaque homme politique apporte sa subjectivité, défend ce à quoi il croit en fonction (parfois) de ses propres intérêts.

Enfin, aimer Talleyrand c'est aussi, et surtout, reconnaître sa finesse d'esprit, son sens de la formule, sa manière d'ignorer ceux qui le jettent aux orties, aussi aimerais-je terminer cet article par certaines citations de ce grand serviteur de la France : "N'expliquez pas les raisons pour lesquelles vous prenez une décision : la décision peut être bonne et les raisons mauvaises", "En politique, ce qui est cru devient plus important que ce qui est vrai", "Soyez à leurs pieds, à leurs genoux... mais jamais dans leur main", "Dans les temps de révolution, on ne trouve d'habileté que dans la hardiesse et de grandeur que dans l'exagération", "L'esprit sert à tous mais ne mène à rien". Enfin, gardons la plus belle pour la fin, alors que Louis XVIII l'accuse à demi-mots de trahir les régimes qu'il sert, Talleyrand répond "Mon Dieu, sire, je n'ai rien fait de tout cela ; c'est quelque chose d'inexplicable que j'ai en moi et qui porte malheur aux gouvernements qui me négligent".

07 janvier 2007

Critique du volontarisme politique


Après le modèle social Français, c'est maintenant avec "une certaine manière de faire de la politique" que Nicolas Sarkozy a envie de rompre. L'entreprise peut paraître moins audacieuse et moins risquée que la précédente, elle est en tous cas symptomatique d'un discours ambiant qui fait du volontarisme politique la solution à tous nos maux.

Qu'on ne se méprenne point : je préfère les hommes et les femmes politiques volontaires plutôt que ceux qui sont résignés, mais je pense qu'il y a une sorte d'imposture intellectuelle à réduire les grands problèmes auxquels notre pays est confronté à des questions de méthode ou de "logiciel" politique. C'est un peu comme ci un mathématicien qui serait confronté à un problème qu'il ne parviendrait pas à résoudre proposait comme unique solution de changer de calculatrice. Les problèmes sont en fait plus complexes, il n'existe pas, dans la plupart des cas, de solution qui satisfasse tout le monde. Prenons le cas du financement des retraites, qu'elle que soit la manière dont on envisage le problème, il faudra bien "fâcher" certaines catégories de la population, qu'il s'agisse des actifs si l'on choisit d'augmenter la durée ou le montant des cotisations ou des retraités si la solution retenue est de diminuer les pensions. Dans ce problème fondamental comme dans tant d'autres, le volontarisme politique ne change rien, ce qui compte c'est la pédagogie, la manière d'engager les réformes et de trouver un "compromis social" entre les diverses composantes de la société.

En voulant "redonner à la politique ses lettres de noblesse", on fait plus que condamner simplement les années Mitterrand-Chirac, on tente de réintroduire la morale dans la décision politique. Plutôt que de pointer les complexités des problèmes à traiter et la rapidité des mutations du monde qui nous entoure, on met en cause le courage et la volonté des dirigeants actuels. Cette vision morale de la politique est très largement partagée par nos concitoyens, elle ne m'en paraît pas pour autant juste. Je pense en effet que l'immense majorité des responsables politiques ont une réelle envie de tout faire pour améliorer la situation de leur pays, ils y consacrent tout leur temps et leur énergie. Dans ce domaine, ce ne sont pas d'ailleurs ceux qui affichent le plus leur engagement qui sont les plus efficaces et on confond trop souvent la qualité du travail accompli avec l'activisme médiatique, comme le dit un problème Normand qu'il n'est nullement la peine de traduire "Grand disou, petit faisou".

Sous l'ère des médias et de la politique spectacle, la seule chose qui compte est de convaincre qu'on fait plutôt que de faire. Il y a là un grand danger pour la démocratie car les intérêts de court terme et la popularité deviennent l'alpha et l'oméga de la politique. Or, pour résoudre des problèmes complexes, il faut de la durée et de la continuité. La France est-elle condamnée depuis 1789 à ne vouloir avancer que par révolutions plutôt que par réformes successives ? Est-ce en cassant systématiquement ce qu'a accompli le gouvernement précédent que l'on parvient à mettre notre pays sur le chemin de la prospérité ?

En fait, derrière cette exaltation du volontarisme politique il y a un mal bien Français, l'idée que la politique peut régler tous les problèmes. Les Français surestiment les marges de manoeuvres de ceux qui les gouvernent, ils s'imaginent que tout est politique. Là encore l'Histoire de France telle qu'elle est enseignée explique ce trait de caractère très singulier. Les Français attendent un homme (ou une femme) providentiel(le) comme le furent par le passé Napoléon ou De Gaulle et qui mettrait fin aux petites combines du personnel politique. Car si les Français sont piqués de politique, ils se méfient ceux qui y consacrent leur vie, en ce sens, ils ont une vision très bonapartiste du pouvoir.

Le risque est grand que le débat présidentiel, plutôt que d'éclairer les Français sur les grands enjeux politiques à venir, ne se réduise à un choix entre un homme qui entend régler les problèmes par sa volonté et son hyper-activité et une madonne qui se fait fort de nous les faire oublier et de nous emmener dans un doux rêve, le temps d'une campagne électorale... Dans tous les cas, je prédis que les lendemains d'élection seront l'occasion d'une sévère gueule de bois pour le peuple français.