20 juin 2007

Vive la République sur Le Monde.fr


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19 juin 2007

L'étrange défaite


L’UMP a remporté les élections législatives, la gauche a retrouvé des forces et se pose désormais en opposition crédible : tout semble aller pour le mieux dans la démocratie française. Les Français ont été sages, plus sages que je ne l’imaginais puisqu’ils ont stoppé la « vague bleue » plutôt que de l’amplifier. Il ne manque plus qu’une mue sociale-démocrate du Parti Socialiste pour que la fête soit complète. Pourtant, dimanche soir, un événement est venu tout gâcher : la défaite, suivie de la démission du gouvernement, d’Alain Juppé.

Oui, Alain Juppé, en application du non-cumul des mandats, n’aurait pas du se présenter lors de ces élections législatives. Oui, on peut comprendre que les électeurs bordelais aient opté pour une « vraie » députée plutôt que pour un candidat « virtuel ». Oui, on peut trouver absurde la règle édictée par François Fillon qui pousse les ministres défaits à la démission. Oui, on peut saluer la victoire d’une femme de qualité : Michèle Delaunay qui participe au rééquilibrage de la vie politique française après les résultats du premier tour. On peut se dire tout cela et en même temps penser que toutes ces objections ne pèsent pas très lourd en regard du destin brisé d’un homme. Comme si, depuis 1995, tout le tragique de la vie politique s’était concentré sur Alain Juppé.

Cette année-là, alors qu’il est Premier Ministre, il lance une série de réformes audacieuses qui sont à peu près celles auxquelles nous sommes parvenus avec plus de dix ans d’écart. Pour qualifier la France pour l’euro, il doit mener une politique d’austérité et de réduction des déficits. C’est le gouvernement Jospin qui tirera profit de ce travail. En 2004, il choisit de porter seul la responsabilité dans l’affaire des emplois fictifs du RPR plutôt que d’impliquer Jacques Chirac : par fidélité envers cet homme qui lui a tout apporté, par respect des institutions également, il doit purger une peine d’un an d’inéligibilité. On croyait que le temps était venu de son retour en grâce lors de la composition du gouvernement Fillon. Enfin un poste à sa mesure : inventer une nouvelle politique, mettre en application pratique le concept abstrait de développement durable. Les électeurs ont décidé d’écrire autrement le destin d’Alain Juppé.

On peut sourire d’une telle déconvenue, on peut trouver grotesque la « Tentation de Venise » qui revient de manière lancinante chez cet homme. On peut aussi être ému et profondément triste. Alain Juppé est un homme dont tout le monde loue les capacités intellectuelles, qui a réussi, par son mérite et son talent, de brillantes études qui l’ont conduit dans les plus hautes sphères de l’Etat. Il est un des seuls, dans la vie politique française, à ne pas avoir dérapé, à ne pas avoir insulté ses adversaires, à avoir toujours su rester digne plutôt que de sombrer dans un populisme ambiant. Cet homme a construit toute sa vie en direction de la politique : plutôt que de vendre ses capacités dans le privé, il a choisi le service de l’intérêt général et s’est donné les moyens de son ambition personnelle. Un tel destin émouvrait profondément l’opinion publique s’il s’agissait d’un écrivain, d’un chanteur ou d’un athlète : mais la vie politique est cruelle, les perdants n’ont droit qu’aux rires acerbes de leurs adversaires et aux propos donneurs de leçon des éditorialistes. « Maintenant, c’est la curée », a dit Alain Juppé au lendemain de sa défaite : les jaloux et les médiocres vont s’en donner à cœur joie.

Moderniser la vie politique, c’est peut-être aussi prendre le temps de sortir de l’actualité et des luttes fratricides pour considérer qu’un homme politique est avant tout un homme, et que sa souffrance mérite le respect. C’est savoir abandonner momentanément l’objectivité des analyses pour succomber à la subjectivité des sentiments que nous inspirent tel ou tel leader politique. Comment savoir si c’est Alain Juppé qui est passé à côté des Français, ou si ce sont les Français qui sont passés à côté d’Alain Juppé ? Quoi qu’il en soit, cette étrange défaite me laisse un goût amer qui ne s’estompera que dans l’hypothèse d’un ultime retour de ce grand homme d’Etat dans la vie politique nationale.

11 juin 2007

Contre-pouvoirs


C'est bien une vague bleue qui a déferlé lors du premier tour des élections législatives et qui a submergé une opposition déjà mal en point. Nul doute que Nicolas Sarkozy bénéficiera d'une majorité écrasante à l'Assemblée Nationale pour appliquer sa politique. D'une certaine manière il s'agit là d'une bonne chose : la vie politique a besoin de clarté et les Français ont voulu conforter le nouveau pouvoir en place. C'est donc la cohérence, plus que l'enthousiasme qui a guidé les électeurs, ce qui explique en grande partie la très faible participation : pour de nombreux citoyens, tout a été réglé lors de l'élection présidentielle, ils n'ont pas pu se passionner à nouveau pour des thèmes et des programmes mille fois rebattus lors de cette très longue campagne présidentielle. L'absence de tous contre-pouvoirs doit-elle cependant être le prix a payer en échange de cette cohérence ?

La notion de contre-pouvoirs, comme celle de séparation des pouvoirs est parfois floue. Certains, comme Francois Bayrou, en font la valeur cardinale de la vie politique, l'élément qui assure l'équilibre dans la société et qui permet le débat. On comprend bien à cette aune pourquoi les électeurs français ne semblent pas inquiets de la disparition de ces contre-pouvoirs : ils n'ont pas choisi l'équilibre mais la rupture, ils n'ont pas appelé à plus de débat mais à plus d'action. Si le but des contre-pouvoirs est de freiner la modernisation du pays promise par le nouveau pouvoir en place, alors il faut donner une immense majorité a l'UMP semblent penser les électeurs qui se sont rendus aux urnes. En période d'état de grâce, pas de place pour les sceptiques donc pas ou très peu de députes pour l'opposition.

Il ne faut pas s'inquiéter d'une telle approche, il faut s'en alarmer. Car c'est bien l'équilibre qui permet le mouvement et le débat qui conduit à la réforme. Se priver des contre-pouvoirs institutionnels comme le sont l'opposition, les syndicats ou la presse, c'est donner carte blanche à la protestation et au blocage ce qui peut mener a l'effet inverse de celui recherché : l'échec des reformes. Pour comprendre les enjeux d'un tel débat, il faut dépasser la vision classique de Montesquieu de la séparation des pouvoirs. Dans les démocraties modernes, il y a deux façons d'équilibrer les pouvoirs : cela peut se faire sur l'opposition entre l'exécutif et le législatif (comme c'est le cas aux Etats-Unis principalement) ou entre la majorité et l'opposition (comme c'est le cas en Grande-Bretagne). Plusieurs raisons font penser que la France doit opter pour la seconde solution.

Tout d'abord, la mondialisation pousse les Etats à devenir agiles, réactifs et stratèges : l'exécutif et le législatif doivent donc travailler de concert plutôt que de s'affronter. De fait, les institutions de la cinquième République et en particulier la double reforme quinquennat-inversion du calendrier électoral conduisent a des majorités très claires qui puisent essentiellement leur légitimité dans l'élection du Président de la République.Un deuxième effet de la mondialisation est de recentrer les Etats sur les politiques intérieures : la réussite des modèles économiques et sociaux est aujourd’hui un enjeu stratégique, aussi important qu’ont pu l’être la défense ou la diplomatie auparavant. On l’a bien vu pendant la campagne : les électeurs attendent que le Président de la République réponde à leurs préoccupations principales : pouvoir d’achat, emploi et logement. On peut regretter que le débat Présidentiel soit consacré presque exclusivement à des enjeux qui relèvent de la politique gouvernementale, et qu’en conséquence, les candidats à la députation discutent principalement de sujets locaux, mais il s’agit là d’une tendance lourde dans l’opinion. Le Président est toujours, selon l’expression consacrée, « l’homme en charge de l’essentiel », mais l’essentiel a changé de nature au cours des dernières années. Dès lors, la confusion des genres entre l’exécutif et le législatif est monnaie courante et il serait vain de vouloir continuer à opposer ou même de vouloir équilibrer ces deux pouvoirs.

La véritable distinction doit se faire entre la majorité et l’opposition, ce qui induit un certain nombre de conséquences. Tout d’abord, dans cette logique, il est naturel d’assister à une bipolarisation de la vie politique : rien n’empêche que les majorités soient des coalitions, mais les positions de chaque parti politique doivent être suffisamment claires pour pouvoir donner corps à un véritable statut de l’opposition. Ensuite, un mimétisme des formes, comme il existe en Grande-Bretagne, entre les deux principaux camps doit contribuer à éclairer les citoyens : l’opposition doit donc avoir un chef de file clairement désigné pour faire contrepoids au Président de la République et quelques dirigeants identifiés par l’opinion comme de possibles ministrables. Le président du groupe minoritaire à l’Assemblée doit être le porte-voix de la critique de l’action du gouvernement, une sorte d’alter ego du Premier Ministre dans l’hémicycle. Une proposition intéressante formulée par Nicolas Sarkozy est de confier la Présidence de la Commission des Finances (la plus importante) à un député de l’opposition. Cette mesure va dans la bonne voie mais elle ne doit surtout pas être vécue comme une aumône ou un cadeau de consolation de la majorité à l’opposition, c’est la Constitution qui doit la garantir et ce ne peut être qu’une des facettes du statut de l’opposition qu’il faut construire.

Allons enfin au bout de la logique et tirons toutes les conséquences de ce qui s’est passé lors du premier tour des législatives. Une réforme des institutions semble nécessaire pour éviter ce double effet pervers abstention et victoire écrasante de la majorité. Prenant acte de la confusion des débats présidentiels et législatifs, une solution serait de fixer ces deux élections aux mêmes dates. L’effet sur la participation serait évident et le phénomène d’amplification des tendances électorales, observé à chaque élection, ne pourrait plus se produire. Ainsi, l’enjeu principal des élections serait de savoir quel camp devient la majorité et quel camp devient l’opposition. D’autres contre-pouvoirs s’ajouteraient ensuite, comme les collectivités locales, élues à mi-mandat, la presse dont il faut tout faire pour renforcer l’indépendance face aux pressions politiques et économiques, les syndicats dont il faut asseoir la représentativité en incitant les salariés à y adhérer ou encore les ONG. Alors, nous aurions déjà fait un très grand pas vers la modernité.

01 juin 2007

Un si fragile vent d'enthousiasme


Il règne sur la vie politique française un parfum étrange : un vent d’enthousiasme et de confiance porte le nouveau Président et l’ensemble de son gouvernement et leur permet d’atteindre des niveaux de popularité très élevés. Cette fois, ils tiendront leurs promesses, semble dire l’opinion publique, comme si le courage, la volonté et le respect de la parole donnée étaient de retour au sommet de l’Etat. On loue l’ouverture, l’écoute et le pragmatisme de Nicolas Sarkozy chez ceux-là même qui ne l’avaient pas épargné de critiques durant la campagne à commencer par les responsables syndicaux. Le nouveau gouvernement a donc toute latitude pour mener à bien sa politique, la France attend le changement. Reste à connaître le détail et la cohérence d’ensemble des différentes réformes annoncées et c’est là que le bât pourrait bien blesser. En effet, ces derniers jours ont été caractérisés par certaines imprécisions et déclarations contradictoires : l’état de grâce pourrait bien venir buter sur une réalité peu sensible aux élans d’enthousiasme ou aux incantations.

Nicolas Sarkozy a réussi sa rupture avec « une certaine façon de faire de la politique », il a, en quelques jours, ringardisé ses prédécesseurs avec un nouveau style de présidence qui se veut ancrée dans les préoccupations des citoyens. Sa campagne décomplexée lui permet d’être suffisamment légitime chez les électeurs de droite pour oser l’ouverture à gauche et le fait d’avoir fait connaître de manière très précise ses intentions sur un nombre important de sujets économiques, sociaux, environnementaux ou éducatifs le met en position de force dans les négociations à venir. En prenant l’opinion à témoin il oblige tous ses interlocuteurs à une plus grande responsabilité. Le changement générationnel est également pour beaucoup dans la confiance nouvelle que semblent accorder les Français à leurs responsables politiques, les innombrables séances de jogging entre les deux têtes de l’exécutif sont là pour le rappeler. Le résultat est impressionnant : le moral des ménages est au plus haut, la France a repris la main sur la scène européenne, même l’épineuse libération d’Ingrid Betancourt semble en voie de trouver une issue favorable. Cela aussi Nicolas Sarkozy l'avait clairement annoncé le soir de son élection : « La France est de retour ».

Il est tentant de succomber à ce vent d’enthousiasme, surtout quand il génère une confiance dont notre pays a tant besoin. Mais il faut prendre garde à ne pas trop s'éloigner de la réalité en idéalisant ce qui est en train de passer : si la confiance venait à se transformer en euphorie, un réveil douloureux serait à peu près inévitable pour l'ensemble des citoyens. Les Français doivent, plus que jamais, exercer ce qui fait leur réputation à travers le monde : l'esprit critique. Bien entendu, il ne faut pas sous-estimer les ressorts psychologiques et parfois irrationnels de la politique : un choc de confiance peut permettre de faire sauter certains blocages dans la société, de ce point de vue, Nicolas Sarkozy partage avec Dominique Villepin la doctrine bonapartiste des "Cent jours" au cours desquels il est possible d'agir efficacement. Mais tôt ou tard, le réel fait irruption, la froideur des statistiques officielles, qui reflètent peu ou prou les performances de notre pays, vient glacer la flamme des meilleurs tribuniciens.

Pour passer de la théorie à la pratique, il suffit de piocher dans l'actualité : suppression de la carte scolaire, déduction fiscale des intérêts des emprunts immobiliers, suppression des droits de succession, détaxation des heures supplémentaires ou encore service minimum sont autant de problèmes potentiellement conflictuels dont la résolution ne se satisfera pas de déclarations d'intentions : le diable est dans les détails. Selon quels critères les élèves seront-ils classés pour intégrer un établissement scolaire prisé ? Cette liberté de choix n'est-elle pas contradictoire avec l'obligation pour l'Etat d'assurer un haut niveau d'éducation sur l'ensemble du territoire ? Quels emprunts immobiliers pourront bénéficier de la défiscalisation ? Le coût d'une telle mesure ne va t-il pas aggraver la dette publique ? L'impôt sur les successions n'est-il pas un moyen juste et efficace en faveur de la redistribution ? L'instauration conjointe d'un bouclier fiscal à 50% et d'une probable augmentation de la TVA ne va t-elle pas venir accroître les inégalités ? N'y a-t-il pas un risque de fraude avec la détaxation des heures supplémentaires pour les employeurs et les employés, les premiers ayant tout intérêt à déguiser des augmentation de salaire en heures supplémentaires factices ? Une loi sur le service minimum peut-elle avoir un impact quelconque sans contrevenir au droit de grève ?

Les questions, on le voit, sont nombreuses à rester pour l'instant sans réponse. Cela est parfaitement normal, c'est d'ailleurs cette complexité de la réalité qui fait toute la beauté de la politique. Aussi, pour que vive le débat dans la démocratie française, il faut espérer que les rapports de force dans la prochaine assemblée ne soient pas trop déséquilibrés et qu'émerge face au pouvoir en place une opposition structurée et attentive. L'occasion est si belle de réformer et moderniser la France en profondeur qu'il faut être particulièrement vigilant pour que les choix économiques et sociaux qui seront faits soient les bons. Il n'est pas sûr qu'une nouvelle chance se présente à notre pays en cas d'échec.