16 septembre 2006

Déclinologues ou idéologues ?

En fustigeant les déclinologues lors de ses vœux à la presse le 10 janvier dernier, Dominique de Villepin a mis le doigt sur un phénomène majeur qui gagne une partie du monde intellectuel français : le déclinisme est désormais à la mode, il gagne toutes les strates de la société, qu’il s’agisse d’économistes, de journalistes ou de politiques. Selon ces porte-étendards de la faillite française, notre pays serait mal géré, au bord de la faillite, son modèle social tiendrait plus, en termes de performances, d’un pays de l’ex-Europe de l’Est que d’une démocratie occidentale digne de ce nom, les seuls emplois préservés du chômage seraient des contrats précaires qui ne manqueront pas de disparaître face à la concurrence des pays émergents, enfin, la mort de notre industrie ne serait plus qu’une question d’heure.

Bref, amis Français, ouvrez vos parasols, sortez le vin rouge et le roquefort et mettez en valeur votre patrimoine culturel, car votre seul salut réside dans l’accueil de touristes venus d’un lointain monde prospère pour séjourner dans cet immense camp de vacances qu’est devenu la France. A quoi bon, en effet, tenter de résister à cet immense mouvement mondial qui nous submerge puisque la source de tous nos maux semble être congénitale, l’échec est désormais l’apanage de la France, c’est même devenu notre marque de fabrique. Finies les explications macroéconomiques et géopolitiques : notre croissance est molle, notre chômage élevé et notre dette faramineuse parce que nos dirigeants sont naturellement incompétents et que nous ne faisons pas assez d’efforts.

Les Allemands aussi connaissent des problèmes conjoncturels d’ampleur mais ils s’en sortiront car ils sont plus sérieux et plus courageux, les Américains et les Japonais ont une dette plus importante que nous mais ils la surmonteront car ils sont plus malins et plus influents. Ainsi va la pensée, à peine caricaturée, de certaines de nos élites, qui ont réussi à faire de ce prétendu déclin français leur fond de commerce, car s’il est un domaine en pleine croissance, c’est bien le commerce de ces ouvrages qui débordent d’auto-flagellation. Faut-il y voir le signe d’un sursaut salvateur ou bien l’expression d’arguments d’autorité empreints d’idéologie ? Notre pays est-il au bord de la banqueroute, ou le pays de Molière serait-il, comme l’a déclaré José Manuel Barroso à l’Assemblée Nationale, atteint du syndrome du malade imaginaire ?

Un trait caractéristique des partisans du déclin est l’imprécision voire l’inexactitude de leur discours qui se veut globalisant. Ainsi, quand il s’agit de chercher des responsables à la situation actuelle de la France, la réponse est à la fois unanime et devenue rituelle : « c’est à cause des gouvernements de droite et de gauche confondus qui ont tout faux depuis vingt ans », à ceci près que certains préfèrent dire trente ans et d’autres dix ans. A quoi bon, en effet, s’embarrasser avec des chiffres, qu’importe que le début de la crise ait eu lieu sous Giscard, Mitterrand ou Chirac, qu’il soit du aux chocs pétroliers, à la chute du communisme ou à la mondialisation, la seule chose qui compte selon les déclinologues, c’est que notre pays va droit dans le mur et que cela fait longtemps que cela dure. Tant d’imprécision devrait suffire à discréditer un tel discours, d’autant plus qu’à cela s’ajoutent certains mensonges éhontés comme le fait que notre pays est l’un des plus inégalitaires alors qu’il l’est, selon les indicateurs couramment utilisés par les économistes, nettement moins que la plupart de nos voisins occidentaux, les inégalités ont même diminué en France de 1970 à 1985 et elles sont restées stables depuis, ce qui s’explique en partie par l’augmentation du SMIC durant toutes ces années. La manière dont sont décrits certains pays étrangers, qu’il convient d’appeler des « modèles » est également contestable. On insiste peu sur la désindustrialisation massive qu’a connu le Royaume-Uni, on oublie de rappeler que l’emploi dans ce pays a moins progressé depuis 1980 que dans la zone euro même si les salaires y ont plus fortement augmenté, on omet facilement de signaler que du fait d’un faible taux d’épargne des ménages, la balance courante des Etats-Unis est fortement déficitaire chaque année ou que même si l’Espagne connaît une forte baisse du chômage, celle-ci se fait au prix d’une large déqualification de la main d’œuvre puisque ce sont principalement des emplois de services à la personne peu qualifiés qui sont créés, ce qui peut menacer sa croissance à long terme. En un mot, on oublie de rappeler que les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît, que chaque pays connaît des difficultés spécifiques et qu’il tente d’y remédier en tenant compte du contexte international mais aussi de son histoire et de sa culture.

Symétriquement, on évite d’insister sur ce qui fonctionne en France, comme la forte natalité qui fera de notre pays le plus peuplé du continent européen en 2050 ou la surreprésentation des entreprises françaises dans le classement des 100 plus grandes entreprises mondiales. Pire, on tente de transformer des réussites en échecs, comme ce fut le cas pour l’implantation d’ITER à Cadarache, n’a-t-on pas entendu à cette époque que cette décision allait coûter cher à la France et ne nous rapporterait pas grand-chose, bref que notre naïveté avait été exploité par la finesse des autres puissances mondiales, sur ce dossier comme sur tant d’autres.

On voit, à travers toutes ces contre-vérités que toute pensée globalisante est vouée à l’échec, le réel résiste à ce qu’il convient d’appeler les idéologies, dont le déclinisme n’est qu’une forme parmi d’autres. Car si la plupart de ces intellectuels qui ne cessent de voir la France tomber affirment rejeter toute forme d’idéologie, leurs arguments n’étant basés que sur des faits objectifs et quantifiables, force est de constater qu’ils cherchent, à travers ce discours, à imposer une vision de la société, que l’on peut grossièrement qualifier d’anglo-saxonne et qui assimile toute spécificité française à un handicap. En substance, si nous voulons être forts dans le monde moderne, soyons ternes et transparents et mettons nos principes « républicains » au vestiaire car ils ne sont que le signe de notre grandiloquence.

Qui ne voit pas qu’en annonçant constamment une chute programmée, inexorable et irréversible de notre pays, les déclinologues cherchent à faire peur à l’opinion, celle-là même à qui l’on avait réussi à faire peur avec l’insécurité galopante lors de la campagne présidentielle de 2002. Il y a dans cette manière de procéder une volonté de s’asseoir sur la démocratie, d’imposer des idées minoritaires par la peur. Ceux qui réclament l’abandon du modèle français accompagné d’un rétrécissement permanent du périmètre de l’état ayant définitivement échoué à rassembler les Français de manière positive sur leurs propositions, ils cherchent désormais à récuser l’idée même de choix politique : la France n’a plus d’alternative, sauf à sombrer définitivement. En désenchantant ainsi la vie politique, en substituant aux utopies la froide réalité d’un monde moderne caractérisé par le renoncement, en rejetant toujours à demain les améliorations des conditions de vie, les déclinologues sont en train d’enfoncer notre pays dans une profonde déprime, ce que les préfets ont récemment appelé la « sinistrose des Français ». Comment peut-on, en effet, espérer donner confiance à un peuple si toutes les images qu’on lui renvoie de son pays sont négatives ? La crise de notre modèle d’intégration en a été un révélateur, un pays qui ne s’aime pas lui-même ne peut pas espérer être aimé par les personnes qui le rejoignent.

C’est bien à la lucidité des Français qu’il faut en appeler, à la fois vis-à-vis de ceux qui promettent des lendemains qui chantent mais qui refusent toute modernisation de notre pays, s’arc-boutant sur des positions défensives et protectionnistes mais également vis-à-vis de ceux qui en appelle à une refonte totale de notre modèle social afin d’éviter le déclin. Entre l’immobilisme et la révolution il existe d’autres voies, qui acceptent de prendre en compte la complexité du monde et cherchent à répondre concrètement aux problèmes que chaque pays ne manque pas de rencontrer. C’est en acceptant de regarder la réalité en face tout en restant fidèles à ce que nous sommes et à nos principes que nous parviendrons à surmonter les défis qui sont devant nous.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

La France va mal ! Rien ne s'améliore? La spirale infernale des rivalités, de la division ! 2007 ?

Plutôt que de faire des réformes douloureuses, notre Premier Ministre se préoccupe de ses ambitions personnelles ! Il prône la continuité de la politique qui nous conduit inexorablement à la faillite. Cela au détriment des intérêts supérieurs de la France.

Les citoyens qui aspirent aux réformes, à la rupture face aux déficits, sont qualifiés de " Déclinologues "
Pourquoi le système ne bouge-t-il pas ? Parce qu'il est aux mains d'une certaine aristocratie d'Etat, déconnectée du réel, qui en profite et en vit bien: Elysée, Matignon, Bercy… 90 % d'énarques.Ils n'ont aucun intérêt à bouger.

En 2007, très en retard sur les autres pays qui ont réformé avec succès, il y aura un moment où il faudra avoir le courage de choisir. Nos malheurs, ce n'est pas de la faute au libéralisme, à Bruxelles ou aux anglo-saxons…il va falloir :

- Accepter modestement l'économie de marché avec ses aléas.
- En finir avec les illusions, les utopies et les vaches sacrées.

Tout cela relève de la responsabilité des politiques : ils n'ont jamais accepté d'affronter la réalité, préfèrent rester dans les discours et les idéologies. Pourtant, depuis plus de 30 ans, des livres, des rapports, des exemples disent ce qui ne va pas. Tous les pays qui nous entourent s'adaptent au monde d'aujourd'hui ! Et nous restons incapables de bouger !

La décadence d'une société commence quand l'homme se demande: "Que va-t-il arriver ?" au lieu de se demander: "Que puis-je faire ?"

2006, encore une année perdue pour les réformes ! Le test de la présidentielle sera important. On verra si les Français croient toujours aux sirènes des rêves et des utopies. Ou s'ils en sont enfin vaccinés.

· Un Déclinologue : Désespéré par nos élus, et par une droite la plus bête du monde
· Gele.gerard@wanadoo.fr

Vive la République ! a dit…

Cher Gérard,

Vous imaginez à quel point je ne partage pas votre point de vue. Récemment, dans la même veine, le Président Giscard d'Estaing déclarait : rien n'a été fait en France depuis 25 ans. Comment peut-on tenir un tel discours. Contrairement aux idées reçues, la France a complètement changé, elle s'est même profondément réformée. Que penser des privatisations de 1986, de l'augmentation du nombre d'étudiants, de la fin du service militaire, de la réforme de la retraite.

Je vous conseille vivement de voyager et de voir à quel point l'opinion que nous avons de notre pays est incomprise. Je reviens d'un voyage en Angleterre où j'entendais de la part des étudiants les mêmes raisonnements sauf qu'ils se les appliquaient à eux-mêmes en tombant dans le même autodénigrement. Regardons les choses en face : nous avons une croissance actuelle qui est dans le haut de la fourchette européenne, certes elle pourrait être plus élevée, l'investissement dans la recherche pourrait être augmenté, les déficits pourraient être davantage réduits, mais je n'appelle pas cela un déclin ou un crise, c'est une mauvaise passe conjoncturelle. Si on regarde la croissance Française depuis 200 ans, rares sont les années où nous avons fait mieux que 2%, est-ce à dire que nous sommes en déclin depuis 2 siècles ? La réalité, c'est que les Trente Glorieuses, qui étaient un rattrapage économique, nous ont fait croire, à tort, qu'une croissance de 5% était naturelle or elle ne l'est pas.

Je ne dis pas qu'il n'y a rien à faire, au contraire, je suis un ardent réformateur, mais pas la peine de mentir et de crier à la banqueroute pour agir.

Enfin, je ne partage pas votre point de vue sur les hauts fonctionnaires (notamment les énarques) qui sont souvent des gens très compétents enviés à l'étranger et qui ont contribué largement à redresser la France après-guerre. Il est trop facile et trop populiste de rejeter la faute sur les élites, c'est le signe d'un malaise dans notre démocratie.