22 décembre 2008

La « Croissance Verte », un nouvel Eldorado ?

Merci à Julien, François, Olivier, Samuel et Sofyane pour les échanges utiles que j'ai pu avoir avec eux sur ce sujet.


En pleine récession économique mondiale, une idée est en train de prendre corps : notre salut viendra de la révolution écologique. Alors que l’économie industrielle et financière classique marque le pas, les politiques et les investissements respectueux de l’environnement sont prêt à prendre le relais. C’est en tous cas le discours des partisans de la Croissance Verte, qui s’oppose en quelque sorte à la « décroissance » prônée jusque là par bon nombre d’écologistes. Ainsi, Jean-Louis Borloo de déclarer récemment que le respect de l’environnement n’était plus une contrainte, mais une opportunité. Un nouvel Eldorado en quelque sorte ? Cette vision témoigne d’un optimisme excessif et pourrait donc conduire a des décisions inefficaces, il convient donc de l’analyser plus en détail.

Les externalités environnementales ont un impact négatif sur la croissance mondiale

Avant toute chose, il s’agit de bien définir ce dont on parle : la Croissance Verte, si l’on suit le Ministre d’Etat dans ses propos, consiste en un surcroît de croissance du fait d’investissements écologiquement responsables par rapport à une situation où ne poseraient pas les problèmes du réchauffement climatique ou de l’épuisement des ressources naturelles. Il ne s’agit donc pas de comparer une situation où l’on cherche à préserver la nature à une situation où l’on ne ferait rien. Ainsi, on peut parfaitement être préoccupé par la lutte contre le réchauffement climatique sans croire pour autant à la croissance verte, de même qu’on peut parfaitement croire à la croissance verte et y voir une opportunité de développement sans se soucier véritablement de la dégradation de l’environnement.

Si l’on schématise à outrance, on peut dire que l’économie est un système à l’intérieur duquel les acteurs cherchent à maximiser leur richesse. Le réchauffement climatique et les autres problématiques environnementales qui ont émergé ces dernières années peuvent être considérés comme des contraintes supplémentaires sur ce système, ce que l’on appelle généralement des externalités négatives. Mais comment les acteurs économiques pourraient-ils améliorer la situation en présence de ces nouvelles contraintes ? Bien entendu, le monde ne se réduit pas à une fonction à plusieurs variables à optimiser et la présentation qui vient d’être faite est certainement trop sommaire, elle permet néanmoins de poser le problème et de montrer que l’idée de Croissance Verte ne va pas de soi. La complexité de la réalité ne doit pas être une raison pour nous éloigner des idées simples en économie.

On peut commencer à raisonner sur un exemple simple, le captage et le stockage de CO2 sur les centrales électriques (au charbon principalement). Cette technologie est l’une des principales réponses au problème des émissions de gaz à effet de serre, on peut même dire que si elle ne se met pas en place rapidement de façon généralisée, ces émissions ne pourront qu’augmenter dans les années à venir. Ce système consiste à séparer le CO2 des autres gaz relâchés par la centrale puis de l’orienter vers des réserves géologiques dont il ne sortira pas. Pour cela, on utilise une partie conséquente de l’énergie produite par la centrale, ce qui dégrade significativement son rendement, et on est amené à réaliser des investissements supplémentaires : toutes ces mesures ont un coût qui sera nettement supérieur à zéro quelque soient les avancées technologiques des années à venir. On comprend bien que le captage et le stockage du carbone, s’il est absolument indispensable dans les années à venir pour lutter contre le réchauffement climatique, se traduira par des coûts très importants et aura donc un impact négatif sur la croissance économique puisque plus de ressources seront nécessaires pour produire la même quantité d’électricité.

La problématique de l’épuisement des ressources nous mène peu ou prou aux mêmes conclusions : nous vivons globalement dans un monde où les matières premières, en particulier les hydrocarbures, sont bon marché et relativement abondantes et nous entrons dans un monde de la rareté, où les matières premières les plus rares ou les plus recherchées verront inexorablement leur prix monter. Si aucun substitut n’est trouvé à ces matières premières, leur raréfaction viendra donc peser significativement sur la croissance mondiale (même si la situation sera contrastée entre les pays importateurs et exportateurs de pétrole), si d’autres sources énergie sont progressivement utilisées en substitution (énergies renouvelables), alors elles coûteront plus cher que les matières fossiles à leur prix actuel ce qui affectera également le PIB.

Pour justifier l’idée de croissance verte, il faut faire l’hypothèse que l’énergie alternative qui va être utilisée puisse devenir compétitive, c’est-à-dire moins chère que ne l’est le pétrole aujourd’hui. On peut être sceptique sur ce point pour au moins deux raisons : la première c’est le principe d’économie qui guide les sociétés humaines, si le développement de ces deux derniers siècles s’est fait avec le charbon et le pétrole, c’est certainement parce qu’il s’agit des sources d’énergie les moins chères à exploiter. Rappelons au passage que c’est lors de la révolution industrielle que les moulins à vent ont été peu à peu abandonnés car ils n’étaient plus compétitifs. La seconde, c’est que les hydrocarbures sont le résultat du travail réalisé par le soleil sur la matière organique pendant des millions d’années : nous profitons donc aujourd’hui des bénéfices d’une énergie dont nous n’avons pas eu à supporter le coût, ce qui la rend particulièrement compétitive. On peut néanmoins espérer que l’augmentation de notre niveau technologique rende accessible à un coût modique des sources d’énergie qui ne l’étaient pas jusque là (vent, soleil, uranium 238,…).

Une autre justification possible de la croissance verte tient à la non-rationalité des acteurs. En effet, rien n’indique qu’en l’absence de contrainte environnementale, ces acteurs économiques parviennent à atteindre un optimum global. En braquant les projecteurs sur la problématique climatique ou sur l’épuisement des ressources, les pouvoirs publics peuvent donc espérer rendre le marché plus efficient. Telle est la philosophie des eco-prêts à taux zéro où l’Etat accepte de prêter à des ménages qui décident d’investir dans l’isolation de leur logement, en se faisant rembourser sur les économies d’énergie réalisées. Une fois le remboursement effectué, la situation est donc à peu près neutre pour l’Etat et elle est meilleure pour les ménages, d’où un gain collectif qui doit se traduire par un impact favorable sur la croissance économique. Ce raisonnement est tout de même conditionné au coût de l’investissement à réaliser et au prix de l’énergie : toute mesure qui consiste à réduire la consommation d’énergie n’est pas viable économiquement pour autant. Pour prendre un exemple caricatural, demander à un individu de pédaler la moitié de la journée pour produire une partie de l’énergie qu’il consomme n’est vraisemblablement pas une idée pertinente quelle que soit l’évolution des prix de l’énergie.

Les pratiques écologiquement responsables sont également réputées tirer un meilleur usage des ressources à disposition, limitant ainsi leur gaspillage. Le tri et le recyclage sont évidemment des pratiques vertueuses, qui ont certainement un impact favorable sur la croissance quoi qu’il ne faille pas en ignorer les coûts. Il n’en va pas de même de l’agriculture biologique qui consiste précisément à tirer un moins bon usage de la ressource (les surfaces cultivables) en réduisant les rendements au moment même où ces surfaces diminuent à l’échelle mondiale et que la population s’accroît. L’impact de ces politiques ne saurait donc avoir un impact favorable sur la croissance puisqu’elles diminuent la productivité.

Croissance Verte ou Décroissance ?

Au-delà de ces exemples sectoriels, on peut se demander si la notion de Croissance Verte n’est pas une façon trop commode de faire face au péril environnemental. C’est en tous cas la thèse défendue par certains écologistes, adeptes de la décroissance. Selon eux, la crise environnementale appelle à un changement radical de nos modes de vie et rien n’indique donc que cela permette de maintenir la croissance économique au niveau auquel nous l’avons connue ces dernières années. Il est en effet assez rassurant, pour ne pas dire confortable, de se dire que l’humanité est en mesure de répondre à l’un de ses plus grands défis en maintenant son rythme de développement. De plus, faire de la Croissance Verte l’alpha et l’oméga de toute politique environnementale, c’est prendre le risque de mettre au placard des mesures nécessaires mais qui pèseraient sur la croissance, comme la diminution générale de notre consommation.

Poussons en effet le raisonnement jusqu’au bout : un objectif de croissance positive stable sur les années à venir implique une augmentation exponentielle du PIB alors que le monde est fini et que certaines ressources sont rares. N’y a-t-il pas là une contradiction fondamentale entre la notion de croissance et celle de développement durable ? Bien entendu, il faut jeter un œil aux échelles de temps en jeu, car si l’épuisement de certaines ressources ne survient que dans plusieurs milliers d’années, on peut considérer qu’à l’échelle de l’humanité, en tous cas de nos sociétés, il s’agit là d’une ressource durable. Si tel n’est pas le cas, la seule solution pour maintenir une croissance stable est de la dématérialiser progressivement c’est-à-dire que le ratio PIB/(matières premières « rares » consommées) diminue significativement dans les années à venir.

Facile, répondra-t-on, à l’heure de l’économie de la connaissance et de l’innovation, mais rien n’est moins sûr. Jusque là, la croissance économique soutenue que nous connaissons depuis la révolution industrielle doit beaucoup à la consommation intensive des ressources naturelles. Les innovations (machines à vapeur, moteur à combustion,…) offrent des perspectives de croissance qui sont ensuite réalisées par la consommation « matérielle » de ressources naturelles. De nouvelles innovations permettent de rendre exploitable de la matière qui ne l’était pas, c’est le cas de l’uranium utilisés dans les réacteurs nucléaires. Dématérialiser la croissance ne consiste donc pas à se reposer sur de nouvelles innovations, il s’agit de faire en sorte que ces innovations n’aient plus besoin de « carburant » pour produire de la croissance, en tous cas qu’elles n’entraînent pas la consommation de ressources rares.

La désindustrialisation de ces dernières années dans les pays occidentaux pourrait faire penser que nous nous dirigeons tout droit vers une économie de service et rendrait donc possible cette dématérialisation de la croissance. Mais il s’agit là d’un trompe l’œil, en réalité, il n’existe quasiment pas de services qui ne s’appuient au final sur une industrie : le mouvement de ces dernières années est un exemple typique de partage du travail sur le plan mondial avec les pays émergents utilisés comme atelier du monde et les pays occidentaux qui se spécialisent dans les activités de service, supposées à plus forte valeur ajoutée. La croissance mondiale de la production industrielle n’a donc pas fléchi au cours des dernières décennies, et par conséquent, l’économie ne s’est pas encore « dématérialisée ».

Il y a un autre phénomène économique qui permet de générer de la croissance sans utiliser plus de ressource, c’est ce qu’on appelle les bulles économiques ! On définit d’ailleurs une bulle par la déconnection entre la valeur de marché d’un bien avec sa valeur réelle. Drôle de définition quand on sait que d’après les préceptes de l’économie de marché, ces deux valeurs devraient se confondre à tout moment puisque la valeur n’existe que dans les yeux du consommateur, c’est-à-dire qu’elle est essentiellement subjective. Parler de valeur réelle, c’est chercher une interprétation objective, pour ne pas dire … matérielle. Retournons alors le raisonnement : dématérialiser la croissance peut-il se traduire par autre chose que par l’apparition de bulles ? L’engouement actuel autour des CleanTechs ou des énergies renouvelables correspond-il à quelque chose de tangible ou est-on en train de préparer la prochaine bulle, c’est-à-dire la prochaine crise économique ?

La Croissance Verte : un nouveau protectionnisme ?

Faut-il retenir de tout cela que la Croissance Verte, cela n’existe pas ? A l’échelle mondiale probablement : les investissements à mettre en œuvre pour capter et stocker le CO2, l’utilisation de sources d’énergie non-polluantes mais plus chères aura forcément un impact négatif sur la croissance, ce qui ne remet pas du tout en cause leur caractère nécessaire. Mais dès que l’on descend à l’échelle régionale ou nationale, les choses sont assez fondamentalement différentes puisque d’autres facteurs stratégiques comme l’indépendance énergétique ou les avantages compétitifs entrent en jeu. La Croissance Verte peut être une excellente opportunité pour certains pays développés, souvent mal lotis en ressources de matières premières, d’être moins dépendant des pays producteurs de pétrole.

C’est en tous cas le sentiment partagé par de nombreux dirigeants européens et surtout américains dont les motivations sont davantage stratégiques qu’environnementales. John Kerry, proche du nouveau Président Barack Obama affirmait très récemment à propos de l’environnement : « C’est notre futur. Là où nous pouvons nous recréer un avantage concurrentiel vis-à-vis des pays émergents. L’afflux d’investissements dans ce secteur va bouger les États-Unis beaucoup plus fondamentalement que nous ne l’imaginons ». Certains pays européens, dont l’Allemagne et le Danemark, ont choisi d’investir très tôt dans les énergies renouvelables avant de pousser fortement à des objectifs ambitieux au plan d’européen ce qui va permettre à leurs entreprises leaders sur le marché d’avoir une activité soutenue et de créer beaucoup d’emplois. Dès lors que le virage écologique semble inéluctable, il est en effet de bonne politique que d’anticiper le mouvement. Cela explique l’engouement actuel des Etats-Unis dans ce secteur dont ils comptent bien faire leur prochain relais de croissance après celui des nouvelles technologies. Ajoutons enfin qu’en plus de l’aspect « indépendance énergétique », certains pays industrialisés voient dans la prise de conscience environnementale un moyen détourner de lutter contre les délocalisations ou la concurrence des pays émergents. Le « dumping environnemental » est ainsi parfois invoqué pour habiller certaines mesures protectionnistes afin de préserver certaines industries nationales et créer des emplois non-délocalisables.

Le problème, c’est que si la limitation de l’externalité environnementale par des politiques volontaristes a un impact globalement négatif sur la croissance mondiale et que certains pays espèrent malgré tout en tirer profit, d’autres devront bien payer : les pays émergents. On comprend alors pourquoi ils sont pour l’instant réticents à tout accord international contraignant sur le sujet. De leur point de vue, le différentiel de niveau de vie entre eux et l’Occident s’explique en partie par la possibilité qu’ont eue les pays riches de polluer sans se poser de questions depuis la Révolution Industrielle : au nom de quoi viendrait-on aujourd’hui leur donner des leçons et les freiner dans leur développement économique ? S’ils sont prêts à limiter leurs émissions de CO2, ce sera certainement en échange de transferts de technologie ou de compensation financière. Toutes ces considérations expliquent pourquoi la signature d’un traité international sur les émissions de gaz à effet de serre sera si difficile à réaliser, bien qu’absolument nécessaire.


Conclusion : contraintes et créativité

Il convient donc d’être particulièrement vigilant face à cette notion de « Croissance Verte » qui laisserait penser qu’on peut à la fois lutter efficacement contre des externalités environnementales négatives et préserver notre modèle de croissance. En guise de maxime économique trop souvent oubliée, nous dirons qu’il est difficile d’obtenir à la fois « le beurre et l’argent du beurre ». Cela n’implique pas que les politiques environnementales ne doivent pas être poursuivies car les conséquences de l’inaction en matière environnementale pourraient être largement plus handicapantes pour l’humanité. Prendre au sérieux le réchauffement climatique et l’épuisement des ressources naturelles, c’est accepter de perdre une partie de notre croissance pour bâtir un monde plus durable.

Pour finir sur une note plus subjective et plus optimiste, on peut dire que plutôt que de diminuer l’optimum, les contraintes peuvent parfois stimuler la créativité. C’est en particulier vrai dans l’art où elles donnent parfois un bien meilleur résultat que la liberté totale (règles du théâtre et de la poésie classique, règles de la composition musicale,…). On peut donc se dire qu’il en ira de l’économie comme il en va de l’art et que l’humanité, face à un défi sans précédent, saura trouver en elle les ressources et la créativité suffisante pour le surmonter. A ce moment là, et à ce moment là seulement, on pourra parler de Croissance Verte.

14 décembre 2008

L'impôt doit-il être progressif ?


Dans la quasi-totalité des pays développés, l'impôt sur le revenu est progressif c'est-à-dire que la proportion d'argent prélevée par l'Etat augmente avec les revenus des individus. Pour obtenir ce résultat, plusieurs méthodes sont possibles, le plus courant consistant à recourir à des taux d'imposition marginaux qui augmentent par tranche. Dans le cas de la France en 2008, les revenus (annuels, divisés par le quotient familial) compris jusqu'à 5687€ ne sont pas imposables, ensuite jusqu'à 11344€ les revenus sont taxés à 5,5%, ceux compris entre 11344€ et 25195€ à 14%, ceux compris entre 25195€ et 67546€ à 30% et au-delà les revenus sont taxés à 40%. A noter qu'à partir du moment où l'on fixe un seuil au-dessous duquel les revenus ne sont pas imposables, un taux d'imposition unique (comme la flat tax) est tout de même progressif, pour s'en convaincre, notons t le taux d'imposition marginal unique, S le seuil à partir duquel on paye des impôts et R le revenu. La part des revenus prélevée par l'Etat vaut : t(R-S)/R, qui est bien une fonction croissante du revenu.

Remarquons dès à présent que seuls l'IRPP (impôt sur les revenus des personnes physiques) et l'impôt sur les successions sont progressifs et qu'ils représentent une part de plus en plus faible des rentrées fiscales. La TVA ou la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers), qui représentent 56% des rentrées fiscales de l'Etat français ne tiennent absolument pas compte des revenus des contribuables. Et même si certains produits de luxe sont davantage taxés que des produits de première nécessité, cet effet "progressif" est gommé par le fait que la consommation représente une part plus importante des revenus des ménages les plus modestes. Au total, si l'on considère l'ensemble des impôts et des taxes qui servent à alimenter le budget de l'Etat, rien ne dit que la progressivité soit encore respectée, surtout si l'on tient compte des multiples niches fiscales.

Vient alors la question de fond : pourquoi l'impôt devrait-il être progressif ? L'impôt se caractérise essentiellement par deux aspects : son montant global, censé équilibrer les dépenses de l'Etat, et la manière dont il est réparti entre les contribuables. Nous ne nous intéresserons ici qu'au deuxième aspect, en considérant que le montant total des impôts est une variable exogène. Il s'agit donc essentiellement d'un problème de répartition des efforts et donc de justice sociale. La première idée, la plus simple, serait de diviser l'impôt de manière égale entre chaque citoyen, chacun contribuant ainsi à la même hauteur au budget de l'Etat. On sent bien que cette répartition n'est pas juste, et pour cause, un euro prélevé sur un haut revenu représente un effort beaucoup plus faible que s'il est prélevé sur un bas revenu. Raisonner en termes "absolus" n'a pas de sens, il faut réfléchir en termes "relatifs". L'effort d'un contribuable ne se mesure pas à la somme qu'il a à débourser pour l'Etat mais à la fraction de son revenu qu'il doit payer en impôt. Ainsi, une manière de rendre plus juste le système fiscal est de demander à chaque contribuable de donner une même proportion de ses revenus à l'Etat : il s'agit d'un système proportionnel.

Pour arriver à l'idée de progressivité, il faut ajouter un autre élément : la décroissance de l'utilité marginale d'un euro supplémentaire avec le revenu. En clair, cela signifie que donner un euro à un riche lui procurera moins de plaisir que si on le donne à un pauvre. A cet effet, les économistes ont introduit la nation de fonction d'utilité des individus (que l'on suppose ici identique pour tous les individus, toujours dans une optique de justice sociale), qui définit l'utilité procurée par chaque niveau de richesse, on notera U(R) l'utilité associée à une richesse (ou un revenu) R. La décroissance de l'utilité marginale se traduit en termes mathématiques par le fait que la fonction U(R) est supposée concave. Cette question ne va pas du tout de soi, comme le montre un papier très intéressant de Milton Friedman expliquant que cette concavité expliquait de manière satisfaisante les comportements assurantiels (je préfère avoir un revenu certain plus faible que l'espérance des revenus d'une opération risquée) mais absolument pas le succès des jeux de hasard. En d'autres termes, une fonction d'utilité concave est caractéristique d'une aversion pour le risque tandis qu'une fonction d'utilité convexe définit un goût pour le risque de l'individu. La réponse de Milton Friedman est que la fonction d'utilité doit être concave, puis convexe et redevenir concave (cf. "The utility analysis of choices involving risks"). Cette hypothèse n'est pas réellement convaincante car on imagine mal comment certaine personnes pourraient se trouver dans la partie convexe de cette courbe, c'est-à-dire qu'elle serait prête à jouer à tous les jeux risqués mais refuserait tout mécanisme d'assurance. Pour simplifier les choses, considérons, comme cela est couramment admis, que la fonction d'utilité des individus est une fonction croissante et concave de la richesse.

Ayant introduit cette fonction d'utilité, le problème de justice sociale doit s'énoncer de manière différente : il ne s'agit plus de demander à chaque citoyen de se priver d'une même proportion de son revenu, mais de se priver d'une même proportion de son utilité. Pour le dire autrement, la perte relative d'utilité due aux impôts doit être la même pour tous les individus. Si l'on combine cette exigence avec la concavité de la fonction d'utilité, on aboutit alors à l'idée qu'il faut taxer les individus de manière progressive et pas seulement proportionnelle. Du moins, c'est ce que je croyais avant d'entreprendre rapidement de faire les calculs sur un coin de table, et je me suis rendu compte que les choses n'étaient pas si simples. Pour le comprendre, il faut poser quelques notations...

Soit R le revenu d'un individu, t(R) le taux d'imposition retenu pour un revenu R, U(R), l'utilité procurée par la richesse R et A la perte relative d'utilité de chaque individu (paramètre qui est fixé de telle manière que l'Etat puisse couvrir ses dépenses). On doit avoir, pour tout revenu R la relation suivante : [U(R)-U(R-t(R)R)]/U(R)=A. Quelques petits tours de passe-passe mathématiques plus loin, on obtient : t(R)=1-V((1-A)U(R))/R, où V est la fonction réciproque de U, c'est-à-dire telle que V(U(R))=R pour tout R. Pour comprendre un peu ce qui se passe, on peut appliquer cette formule avec un exemple particulier de fonction concave : la fonction logarithme. On a donc U(R)=log(R) et V(x)=exp(x). Dans ce cas, on a : t(R)=1-1/R^A (où ^ signifie puissance), le taux d'imposition est donc bien une fonction croissante du revenu, qui vaut même 1 quand le revenu est infini, c'est-à-dire qu'on finit par tout prendre aux gens très très riche. La progressivité de l'impôt s'en trouve donc légitimée.

Mais prenons un autre exemple de fonction d'utilité, U(R)=RACINE(R) ou R^1/2. Dans ce cas, des calculs rapides montrent qu'on a : t(R)=1-RACINE(1-B), c'est-à-dire que le taux d'imposition est constant, on retombe donc sur le cas proportionnel. Allons même un peu plus loin en choisissant une fonction d'utilité non-plus concave, mais convexe, U(R)=R^2 par exemple, et on constate avec surprise que le résultat est également le même : t(R)=1-B^2, c'est-à-dire que le taux d'imposition doit lui aussi être constant. Ce n'est donc pas la concavité de la fonction d'utilité qui permet de justifier la progressivité de l'impôt.

Si la fonction RACINE implique une imposition proportionnelle, on est en droit de se demander si d'autres types de fonction d'utilité (toujours concave et croissante) ne pourraient pas justifier que le taux d'imposition ne décroisse avec la richesse des individus, c'est-à-dire à un impôt non pas progressif mais dégressif. Je lance donc un grand jeu, pour la première fois dans l'histoire de ce blog, sachant que bon nombre des lecteurs sont des mathématiciens aguerris, cela ne devrait pas poser trop de problème. Si l'un d'entre vous parvient à mettre en exergue une fonction d'utilité (concave, croissante) qui justifie une dégressivité de l'impôt au moins pour CERTAINS revenus, je lui offre une bouteille de champagne. Si vous parvenez à exhiber une fonction d'utilité qui justifie une dégressivité de l'impôt pour tous les revenus (c'est-à-dire qui entraîne une fonction t(R) constamment décroissante), j'offre deux bouteilles de champagne. Enfin, si vous parvenez à démontrer que la relation [U(R)-U(R-t(R)R)]/U(R)=A couplée à la concavité de U entraîne nécessairement que l'impôt soit au moins proportionnel, je vous offre une bouteille de Champagne et une bouteille de Calvados véritable, distillé chez moi en Normandie avec les pommes de mon jardin. Ce concours a bien entendu une date limite qui est le 25 décembre 2008 et il peut être interrompu prématurément si je trouve la solution le premier.

A vos crayons !

09 décembre 2008

La relance, quelle relance ?


Ca y est, Keynes est de retour ! Après des décennies de mise au placard au profit de la révolution libérale, ses idées ont été remises sur le devant de la scène lors du G20 de novembre dernier, où les principaux chefs d’Etats de la planète se sont engagés à soutenir l’activité en menant des plans de relance coordonnés dans le temps. Ce résultat prouve au passage que cette réunion était tout sauf un cocktail mondain destiné à grossir l’ego de notre omni-président comme on a pu le lire dans la presse française, dont la myopie égale certainement celle de Louis XVI qui écrivit dans son journal intime le jour du 14 juillet « Rien ».

Dans ce cadre, la France, par la voix de Nicolas Sarkozy, a annoncé son propre plan de relance la semaine dernière. Contrairement à la Grande-Bretagne de Gordon Brown qui a choisi une relance par la consommation en baissant provisoirement de 2 points son taux de TVA, le gouvernement français (ou plutôt l’exécutif français) a choisi une relance par l’investissement basée notamment sur une politique de grands travaux. Quelques mesures concernent toutefois la consommation des ménages les plus pauvres, comme la prime de 200 euros que toucheront les ménages éligibles au futur RSA.

Ce choix est salutaire étant donné la situation sociale, économique et financière de notre pays. En effet, commençons par rappeler que si la crise touche très durement les populations précaires (chômeurs, CDD, interim), elle épargne pour l’instant une très grande partie de la population (fonctionnaires ou CDI notamment). Quand bien même la crise s’aggraverait, les Français, qui ont un taux d’épargne très important, pourraient alors piocher dans leur bas de laine pour passer ces moments difficiles. Dans ces conditions, une relance globale de la consommation serait à la fois injuste socialement et inefficace sur le plan économique : si relance du pouvoir d'achat il doit y avoir, elle doit cibler exclusivement les Français les plus exposés dont on est certain qu’ils consommeront tout de suite l’argent distribué. C’est ce que fait le plan de relance avec la prime de 200 euros, certainement de manière trop timide.

Sur le plan économique, il faut savoir qu’une relance basée principalement sur la consommation se traduirait d’abord par une augmentation de nos importations, c’est-à-dire qu’elle assurerait avant tout une relance dans les pays exportateurs que sont la Chine ou l’Allemagne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les plans de relance doivent être coordonnés dans le temps afin que chaque pays profite des externalités positives des plans de ses voisins sans pouvoir adopter un comportement opportuniste de « free rider ». Autant la baisse de la TVA en Angleterre augmentera en partie l’activité en France des entreprises qui exportent outre-Manche autant on imagine mal l’impact des grands travaux annoncés en France sur l’économie britannique. C’est d’ailleurs l’un des principaux reproches que nos voisins européens seraient justifiés à faire à la France, à savoir qu’elle se conduit de manière opportuniste. L’autre raison économique a été avancée par le Président de la République lui-même : après des mois d’inflation, l’heure est aujourd’hui à la baisse des prix et le risque de la déflation se fait à nouveau jour ; inutile dans ces conditions pour l’Etat de participer à la baisse des prix en baissant la TVA.

C’est sur le plan financier que ce plan semble le plus intéressant. En effet, malgré les chiffres annoncés, son impact sur la dette et le déficit public sera assez limité. Les nouveaux investissements annoncés sont très souvent des projets qui étaient prévus pour plus tard, il s’agit donc uniquement de les décaler dans le temps. Bien entendu, cela n’est pas tout à fait neutre sur les comptes de l’Etat puisqu’en avançant les dépenses, on creuse la dette à court terme et on augmente ainsi la charge de la dette. D’après les calculs du gouvernement, les perspectives de déficit de 2012 sont même légèrement améliorées puisque certaines dépenses auront été effectuées plus tôt. Il s’agit donc d’une manière assez habile de combiner la relance à court terme avec la maîtrise des déficits à moyen terme. C’est sans doute la raison pour laquelle ce plan a été bien accueilli au niveau européen, où l’on devait craindre qu’une fois de plus, la cigale France profite de la situation pour détériorer sa situation financière. Les choses seraient fondamentalement différentes avec une relance de la consommation par une diminution de la pression fiscale puisque les sommes ainsi dépensées ne seraient pas compensées ultérieurement, sauf à annoncer dès maintenant qu’une hausse des impôts suivrait la baisse à court terme. Un tel scénario paraît toutefois peu compatible avec le calendrier électoral français et la perspective des élections présidentielles de 2012.

Le plus important dans ce plan, c’est qu’il remet au goût du jour la politique de l’offre si longtemps différée par le gouvernement alors qu’il s’agissait d’un des axes de campagne du candidat Sarkozy. Disons-le une fois de plus, le gouvernement s’est lourdement compromis dans le plan de relance avant l’heure que constituait le paquet fiscal. En mangeant dès 2007 son pain blanc, la France se retrouve aujourd’hui en situation de ne pouvoir mettre sur la table qu’un modeste 1,5% de son PIB. De plus, sur le plan social, l’extension des heures supplémentaires, mesure efficace en période de croissance économique, pourrait aggraver le chômage en période de récession en créant des effets d’aubaine chez les entrepreneurs. Le risque était donc grand de voir le gouvernement privilégier une nouvelle fois une politique de la demande (pourtant tellement plus porteuse sur le plan politique comme le prouve le positionnement opportuniste de l’opposition sur ce sujet). Bien au contraire, la crise va permettre à la France de renforcer sa compétitivité à moyen terme en relançant les grands investissements dont elle a besoin : en plus de l’effet keynésien de court terme d’une relance de l’activité, cette politique générera donc des externalités positives dont nous profiterons dans les années à venir, ce qui ne serait pas le cas avec une relance de la demande. Quand bien même la dette de l’Etat augmenterait, il en ira de même de ses actifs, les générations futures ne seront donc pas lésées.

En ce qui concerne les mesures d’aides sectorielles, ciblées sur le bâtiment et l’automobile, elles sont bien entendu nécessaires puisqu’il s’agit des secteurs les plus touchés (car ils sont directement affectés par la crise du crédit). Qui plus est, ils représentent la colonne vertébrale industrielle de la France, c’est-à-dire une fraction très importante des emplois, il n’est donc pas concevable de les laisser tomber au moment même où les autres pays, Etats-Unis en tête, s’engagent à aider leur propre industrie automobile à se restructurer. On a également constaté à quelles extrémités (cf. la faillite de Lehmann Brothers) ont menées les politiques de lutte contre "l'aléa moral", si cher aux microéconomistes, qui consistent à laisser tomber les entreprises en difficulté pour punir leur comportement passé et leurs erreurs stratégiques. Il faut toutefois éviter de s’écarter trop fortement des lois du marché en créant une compétitivité fictive de ces secteurs à travers des subventions toujours plus importantes et toujours moins coopératives au niveau des échanges internationaux. La prime à la casse des voitures de plus de 10 ans et le fonds de restructuration de la filière automobile vont dans le bon sens et s’inscrivent parfaitement dans la politique de décarbonation du parc français. La mise en chantier de nombreux logements sociaux a, quant à elle, l’avantage de faire baisser les prix de l’immobilier à long terme en augmentant l’offre locative et d’éviter dès aujourd’hui que ne se créé la bulle immobilière de demain. Là encore, une politique de soutien au pouvoir d’achat pour aider les ménages à payer leur loyer aurait de forte chance de subir un effet d’éviction via une augmentation desdits loyers.

Le succès de ce plan dépend beaucoup de l’évolution de la crise dans les mois à venir. Le pari de l’exécutif est que la crise ne s’aggravera pas de manière importante, sans quoi un deuxième plan serait inéluctable, et qu’elle pèsera sur le moyen terme, période où les investissements publics annoncés viendront jouer un rôle contra-cyclique. Si la crise est, comment le disent certains économistes, un choc négatif de la demande à très court terme, une relance par la consommation aurait alors été certainement le choix le plus efficace. Dans ce cas de figure, la France devra attendre son tour et profiter éventuellement des plans de relance dans les autres pays. Il est en revanche absurde de dire que la relance par l’investissement met plusieurs années à produire des effets sur la croissance sous prétexte qu’il faut attendre que les nouvelles infrastructures soient construites. Ceux qui affirment cela confondent l’effet keynésien de court terme des investissements et l’externalité positive qu’apportent ces investissements à moyen terme. Pour le dire autrement, c’est la construction des lignes TGV et non leur utilité qui relancera la croissance à court terme : on pourrait tout aussi bien demander à la moitié de la population de creuser des trous et à l’autre de les combler. Si délai il y a entre une relance par la consommation et une relance par l’investissement c’est en raison du temps nécessaire pour faire démarrer les chantiers, d’où la simplification temporaires des procédures administratives proposée par le gouvernement.

Enfin, le fait de confier à un ministre à part entière le suivi de ce plan de relance est avant tout une opération de communication (assez astucieuse reconnaissons-le), elle permet surtout de solutionner un problème de personne interne à la majorité. La plus grande crise économique depuis 1929 aura permis de régler le cas Devedjan à l’UMP, comme on dit dans ces cas-là « petite cause, grands effets » ! Cela ne doit pas occulter l’essentiel à savoir que ce plan de relance est relativement bien inspiré bien que certainement sous-dimensionné en raison de nos faibles marges de manœuvre budgétaires.

04 décembre 2008

Pourquoi les Américains hochent-ils la tête ?


Voici deux semaines que je suis installé aux Etats-Unis, et déjà, en bon Français, je ne peux m’empêcher d’observer à la loupe le peuple américain (ou plutôt Californien, gardons-nous dès a présent de toute généralisation hâtive) pour en relever certains traits caractéristiques. Je vais donc m’efforcer, à travers ce blog, de décrire périodiquement certains éléments qui m’ont marqué, en espérant simplement que je sois davantage inspiré par Alexis de Tocqueville que par Bernard Henri-Lévy.

Le premier article de cette série concerne un point de détail qui a tout de suite attiré mon attention lors des quelques réunions et conférences auxquelles j’ai assisté, à savoir la tendance qu’ont les Américains, quand ils écoutent quelqu’un parler, à hocher ostensiblement la tête pour marquer leur accord. Tentons d’y voir plus clair…

Ce signe est-il un élément de communication, en d’autres termes, s’adresse-t-il à quelqu’un ? A l’origine, cela me semble incontestable, en opinant du chef, un Américain cherche à exprimer son adhésion, sa solidarité avec la personne qui est en train de s’exprimer. Il ne s’agit pas, dans la plupart des cas, de flatter l’orateur : très souvent, les deux personnes ne se regardent même pas, il est d’ailleurs très fréquent de voir des gens hocher la tête tout en prenant des notes. Il y a plutôt une forme de reconnaissance en direction de la personne qui s’adresse en public, exercice respecté et très valorisé aux Etats-Unis.

Autre piste : en hochant la tête, on s’adresse aux autres spectateurs, c’est une manière de leur montrer qu’on est absorbé par ce qui est dit et surtout qu’on participe, à sa manière, à la discussion. Même s’il ne parle pas, un Américain cherche à ne pas se retrouver hors-jeu, il doit nécessairement agir et ne pas se contenter d’être un simple spectateur. On entre alors dans une course à l’ostensibilité pour savoir qui parviendra à afficher le plus clairement son accord avec le propos tenu.

A noter que le signe symétrique : la dénégation ostensible, si présente chez nous, n’existe pas aux Etats-Unis, il n’y a de place que pour l’approbation et le consensus. Cela révèle bien à quel point les Américains cherchent à tous prix à rendre la vie sociale la moins conflictuelle possible, mais s’ils ne pensent pas un mot de ce qu’ils disent ou de ce qu’ils font. Les formes, la politesse ont ainsi une place très importante outre-Atlantique, et sont interprétées par les Français comme de l’hypocrisie et un manque de sincérité. Difficile, en effet, de ne pas émettre ce jugement quand on voit à quels moments du discours certaines personnes hochent la tête : chaque banalité, chaque tautologie, chaque évidence est immanquablement saluée.

Mais s’agit-il d’hypocrisie ou d’un simple réflexe ? Il ne m’étonnerait pas que les Américains hochent également la tête quand ils écoutent une émission à la télévision, même s’ils sont seuls chez eux. Ce signe semble être passé dans l’inconscient collectif, il fait désormais de la culture américaine, ce qui n’a pas échappé aux nouveaux arrivants, comme les Indiens (d’Inde) par exemple, qui sont les plus prompts à hocher la tête en signe d’approbation avec une envergure qui fait craindre pour leurs cervicales.

Autre preuve qu’il s’agit d’un geste réflexe, je me suis habitué, à la longue, à anticiper les hochements de tête alors même que je ne comprenais plus tout à fait ce que disait l’orateur. Il suffit pour cela d’écouter la musique du discours, son intonation et on remarque à quel point celui qui parle réussit à appeler les signes d’approbations à son endroit par des techniques diverses.

La plus répandue est celle du « stand-up », style humoristique très répandu (pour ne pas dire exclusif) aux Etats-Unis où la personne qui parle évoque un fait personnel plutôt drôle qui rappelle au public sa propre expérience et ses propres souvenirs. Dans ce cas, le hochement de tête est un élément de langage qui signifie « moi aussi, cela m’est arrivé, je fais donc partie de ceux qui comprennent ». L’auditoire est ainsi flatté d’être en totale adéquation avec l’orateur et le fait savoir à ce-dernier en opinant du chef.

Comme on le voit, ce simple signe de tête, dérisoire au premier abord, en dit assez long sur l’état d’esprit des américains. Comme tout élément de communication, ce serait une erreur de penser qu’il est anodin : son caractère ostensible ne peut pas tromper. J’imagine dorénavant le désarroi que peut ressentir un Américain qui vient faire une présentation devant des Français et qu’il peut lire sur leurs visages une impassibilité totale, sauf quand il s’agit d’exprimer leur désaccord. Nous devons vraiment passer pour un peuple de sauvages.