22 décembre 2008

La « Croissance Verte », un nouvel Eldorado ?

Merci à Julien, François, Olivier, Samuel et Sofyane pour les échanges utiles que j'ai pu avoir avec eux sur ce sujet.


En pleine récession économique mondiale, une idée est en train de prendre corps : notre salut viendra de la révolution écologique. Alors que l’économie industrielle et financière classique marque le pas, les politiques et les investissements respectueux de l’environnement sont prêt à prendre le relais. C’est en tous cas le discours des partisans de la Croissance Verte, qui s’oppose en quelque sorte à la « décroissance » prônée jusque là par bon nombre d’écologistes. Ainsi, Jean-Louis Borloo de déclarer récemment que le respect de l’environnement n’était plus une contrainte, mais une opportunité. Un nouvel Eldorado en quelque sorte ? Cette vision témoigne d’un optimisme excessif et pourrait donc conduire a des décisions inefficaces, il convient donc de l’analyser plus en détail.

Les externalités environnementales ont un impact négatif sur la croissance mondiale

Avant toute chose, il s’agit de bien définir ce dont on parle : la Croissance Verte, si l’on suit le Ministre d’Etat dans ses propos, consiste en un surcroît de croissance du fait d’investissements écologiquement responsables par rapport à une situation où ne poseraient pas les problèmes du réchauffement climatique ou de l’épuisement des ressources naturelles. Il ne s’agit donc pas de comparer une situation où l’on cherche à préserver la nature à une situation où l’on ne ferait rien. Ainsi, on peut parfaitement être préoccupé par la lutte contre le réchauffement climatique sans croire pour autant à la croissance verte, de même qu’on peut parfaitement croire à la croissance verte et y voir une opportunité de développement sans se soucier véritablement de la dégradation de l’environnement.

Si l’on schématise à outrance, on peut dire que l’économie est un système à l’intérieur duquel les acteurs cherchent à maximiser leur richesse. Le réchauffement climatique et les autres problématiques environnementales qui ont émergé ces dernières années peuvent être considérés comme des contraintes supplémentaires sur ce système, ce que l’on appelle généralement des externalités négatives. Mais comment les acteurs économiques pourraient-ils améliorer la situation en présence de ces nouvelles contraintes ? Bien entendu, le monde ne se réduit pas à une fonction à plusieurs variables à optimiser et la présentation qui vient d’être faite est certainement trop sommaire, elle permet néanmoins de poser le problème et de montrer que l’idée de Croissance Verte ne va pas de soi. La complexité de la réalité ne doit pas être une raison pour nous éloigner des idées simples en économie.

On peut commencer à raisonner sur un exemple simple, le captage et le stockage de CO2 sur les centrales électriques (au charbon principalement). Cette technologie est l’une des principales réponses au problème des émissions de gaz à effet de serre, on peut même dire que si elle ne se met pas en place rapidement de façon généralisée, ces émissions ne pourront qu’augmenter dans les années à venir. Ce système consiste à séparer le CO2 des autres gaz relâchés par la centrale puis de l’orienter vers des réserves géologiques dont il ne sortira pas. Pour cela, on utilise une partie conséquente de l’énergie produite par la centrale, ce qui dégrade significativement son rendement, et on est amené à réaliser des investissements supplémentaires : toutes ces mesures ont un coût qui sera nettement supérieur à zéro quelque soient les avancées technologiques des années à venir. On comprend bien que le captage et le stockage du carbone, s’il est absolument indispensable dans les années à venir pour lutter contre le réchauffement climatique, se traduira par des coûts très importants et aura donc un impact négatif sur la croissance économique puisque plus de ressources seront nécessaires pour produire la même quantité d’électricité.

La problématique de l’épuisement des ressources nous mène peu ou prou aux mêmes conclusions : nous vivons globalement dans un monde où les matières premières, en particulier les hydrocarbures, sont bon marché et relativement abondantes et nous entrons dans un monde de la rareté, où les matières premières les plus rares ou les plus recherchées verront inexorablement leur prix monter. Si aucun substitut n’est trouvé à ces matières premières, leur raréfaction viendra donc peser significativement sur la croissance mondiale (même si la situation sera contrastée entre les pays importateurs et exportateurs de pétrole), si d’autres sources énergie sont progressivement utilisées en substitution (énergies renouvelables), alors elles coûteront plus cher que les matières fossiles à leur prix actuel ce qui affectera également le PIB.

Pour justifier l’idée de croissance verte, il faut faire l’hypothèse que l’énergie alternative qui va être utilisée puisse devenir compétitive, c’est-à-dire moins chère que ne l’est le pétrole aujourd’hui. On peut être sceptique sur ce point pour au moins deux raisons : la première c’est le principe d’économie qui guide les sociétés humaines, si le développement de ces deux derniers siècles s’est fait avec le charbon et le pétrole, c’est certainement parce qu’il s’agit des sources d’énergie les moins chères à exploiter. Rappelons au passage que c’est lors de la révolution industrielle que les moulins à vent ont été peu à peu abandonnés car ils n’étaient plus compétitifs. La seconde, c’est que les hydrocarbures sont le résultat du travail réalisé par le soleil sur la matière organique pendant des millions d’années : nous profitons donc aujourd’hui des bénéfices d’une énergie dont nous n’avons pas eu à supporter le coût, ce qui la rend particulièrement compétitive. On peut néanmoins espérer que l’augmentation de notre niveau technologique rende accessible à un coût modique des sources d’énergie qui ne l’étaient pas jusque là (vent, soleil, uranium 238,…).

Une autre justification possible de la croissance verte tient à la non-rationalité des acteurs. En effet, rien n’indique qu’en l’absence de contrainte environnementale, ces acteurs économiques parviennent à atteindre un optimum global. En braquant les projecteurs sur la problématique climatique ou sur l’épuisement des ressources, les pouvoirs publics peuvent donc espérer rendre le marché plus efficient. Telle est la philosophie des eco-prêts à taux zéro où l’Etat accepte de prêter à des ménages qui décident d’investir dans l’isolation de leur logement, en se faisant rembourser sur les économies d’énergie réalisées. Une fois le remboursement effectué, la situation est donc à peu près neutre pour l’Etat et elle est meilleure pour les ménages, d’où un gain collectif qui doit se traduire par un impact favorable sur la croissance économique. Ce raisonnement est tout de même conditionné au coût de l’investissement à réaliser et au prix de l’énergie : toute mesure qui consiste à réduire la consommation d’énergie n’est pas viable économiquement pour autant. Pour prendre un exemple caricatural, demander à un individu de pédaler la moitié de la journée pour produire une partie de l’énergie qu’il consomme n’est vraisemblablement pas une idée pertinente quelle que soit l’évolution des prix de l’énergie.

Les pratiques écologiquement responsables sont également réputées tirer un meilleur usage des ressources à disposition, limitant ainsi leur gaspillage. Le tri et le recyclage sont évidemment des pratiques vertueuses, qui ont certainement un impact favorable sur la croissance quoi qu’il ne faille pas en ignorer les coûts. Il n’en va pas de même de l’agriculture biologique qui consiste précisément à tirer un moins bon usage de la ressource (les surfaces cultivables) en réduisant les rendements au moment même où ces surfaces diminuent à l’échelle mondiale et que la population s’accroît. L’impact de ces politiques ne saurait donc avoir un impact favorable sur la croissance puisqu’elles diminuent la productivité.

Croissance Verte ou Décroissance ?

Au-delà de ces exemples sectoriels, on peut se demander si la notion de Croissance Verte n’est pas une façon trop commode de faire face au péril environnemental. C’est en tous cas la thèse défendue par certains écologistes, adeptes de la décroissance. Selon eux, la crise environnementale appelle à un changement radical de nos modes de vie et rien n’indique donc que cela permette de maintenir la croissance économique au niveau auquel nous l’avons connue ces dernières années. Il est en effet assez rassurant, pour ne pas dire confortable, de se dire que l’humanité est en mesure de répondre à l’un de ses plus grands défis en maintenant son rythme de développement. De plus, faire de la Croissance Verte l’alpha et l’oméga de toute politique environnementale, c’est prendre le risque de mettre au placard des mesures nécessaires mais qui pèseraient sur la croissance, comme la diminution générale de notre consommation.

Poussons en effet le raisonnement jusqu’au bout : un objectif de croissance positive stable sur les années à venir implique une augmentation exponentielle du PIB alors que le monde est fini et que certaines ressources sont rares. N’y a-t-il pas là une contradiction fondamentale entre la notion de croissance et celle de développement durable ? Bien entendu, il faut jeter un œil aux échelles de temps en jeu, car si l’épuisement de certaines ressources ne survient que dans plusieurs milliers d’années, on peut considérer qu’à l’échelle de l’humanité, en tous cas de nos sociétés, il s’agit là d’une ressource durable. Si tel n’est pas le cas, la seule solution pour maintenir une croissance stable est de la dématérialiser progressivement c’est-à-dire que le ratio PIB/(matières premières « rares » consommées) diminue significativement dans les années à venir.

Facile, répondra-t-on, à l’heure de l’économie de la connaissance et de l’innovation, mais rien n’est moins sûr. Jusque là, la croissance économique soutenue que nous connaissons depuis la révolution industrielle doit beaucoup à la consommation intensive des ressources naturelles. Les innovations (machines à vapeur, moteur à combustion,…) offrent des perspectives de croissance qui sont ensuite réalisées par la consommation « matérielle » de ressources naturelles. De nouvelles innovations permettent de rendre exploitable de la matière qui ne l’était pas, c’est le cas de l’uranium utilisés dans les réacteurs nucléaires. Dématérialiser la croissance ne consiste donc pas à se reposer sur de nouvelles innovations, il s’agit de faire en sorte que ces innovations n’aient plus besoin de « carburant » pour produire de la croissance, en tous cas qu’elles n’entraînent pas la consommation de ressources rares.

La désindustrialisation de ces dernières années dans les pays occidentaux pourrait faire penser que nous nous dirigeons tout droit vers une économie de service et rendrait donc possible cette dématérialisation de la croissance. Mais il s’agit là d’un trompe l’œil, en réalité, il n’existe quasiment pas de services qui ne s’appuient au final sur une industrie : le mouvement de ces dernières années est un exemple typique de partage du travail sur le plan mondial avec les pays émergents utilisés comme atelier du monde et les pays occidentaux qui se spécialisent dans les activités de service, supposées à plus forte valeur ajoutée. La croissance mondiale de la production industrielle n’a donc pas fléchi au cours des dernières décennies, et par conséquent, l’économie ne s’est pas encore « dématérialisée ».

Il y a un autre phénomène économique qui permet de générer de la croissance sans utiliser plus de ressource, c’est ce qu’on appelle les bulles économiques ! On définit d’ailleurs une bulle par la déconnection entre la valeur de marché d’un bien avec sa valeur réelle. Drôle de définition quand on sait que d’après les préceptes de l’économie de marché, ces deux valeurs devraient se confondre à tout moment puisque la valeur n’existe que dans les yeux du consommateur, c’est-à-dire qu’elle est essentiellement subjective. Parler de valeur réelle, c’est chercher une interprétation objective, pour ne pas dire … matérielle. Retournons alors le raisonnement : dématérialiser la croissance peut-il se traduire par autre chose que par l’apparition de bulles ? L’engouement actuel autour des CleanTechs ou des énergies renouvelables correspond-il à quelque chose de tangible ou est-on en train de préparer la prochaine bulle, c’est-à-dire la prochaine crise économique ?

La Croissance Verte : un nouveau protectionnisme ?

Faut-il retenir de tout cela que la Croissance Verte, cela n’existe pas ? A l’échelle mondiale probablement : les investissements à mettre en œuvre pour capter et stocker le CO2, l’utilisation de sources d’énergie non-polluantes mais plus chères aura forcément un impact négatif sur la croissance, ce qui ne remet pas du tout en cause leur caractère nécessaire. Mais dès que l’on descend à l’échelle régionale ou nationale, les choses sont assez fondamentalement différentes puisque d’autres facteurs stratégiques comme l’indépendance énergétique ou les avantages compétitifs entrent en jeu. La Croissance Verte peut être une excellente opportunité pour certains pays développés, souvent mal lotis en ressources de matières premières, d’être moins dépendant des pays producteurs de pétrole.

C’est en tous cas le sentiment partagé par de nombreux dirigeants européens et surtout américains dont les motivations sont davantage stratégiques qu’environnementales. John Kerry, proche du nouveau Président Barack Obama affirmait très récemment à propos de l’environnement : « C’est notre futur. Là où nous pouvons nous recréer un avantage concurrentiel vis-à-vis des pays émergents. L’afflux d’investissements dans ce secteur va bouger les États-Unis beaucoup plus fondamentalement que nous ne l’imaginons ». Certains pays européens, dont l’Allemagne et le Danemark, ont choisi d’investir très tôt dans les énergies renouvelables avant de pousser fortement à des objectifs ambitieux au plan d’européen ce qui va permettre à leurs entreprises leaders sur le marché d’avoir une activité soutenue et de créer beaucoup d’emplois. Dès lors que le virage écologique semble inéluctable, il est en effet de bonne politique que d’anticiper le mouvement. Cela explique l’engouement actuel des Etats-Unis dans ce secteur dont ils comptent bien faire leur prochain relais de croissance après celui des nouvelles technologies. Ajoutons enfin qu’en plus de l’aspect « indépendance énergétique », certains pays industrialisés voient dans la prise de conscience environnementale un moyen détourner de lutter contre les délocalisations ou la concurrence des pays émergents. Le « dumping environnemental » est ainsi parfois invoqué pour habiller certaines mesures protectionnistes afin de préserver certaines industries nationales et créer des emplois non-délocalisables.

Le problème, c’est que si la limitation de l’externalité environnementale par des politiques volontaristes a un impact globalement négatif sur la croissance mondiale et que certains pays espèrent malgré tout en tirer profit, d’autres devront bien payer : les pays émergents. On comprend alors pourquoi ils sont pour l’instant réticents à tout accord international contraignant sur le sujet. De leur point de vue, le différentiel de niveau de vie entre eux et l’Occident s’explique en partie par la possibilité qu’ont eue les pays riches de polluer sans se poser de questions depuis la Révolution Industrielle : au nom de quoi viendrait-on aujourd’hui leur donner des leçons et les freiner dans leur développement économique ? S’ils sont prêts à limiter leurs émissions de CO2, ce sera certainement en échange de transferts de technologie ou de compensation financière. Toutes ces considérations expliquent pourquoi la signature d’un traité international sur les émissions de gaz à effet de serre sera si difficile à réaliser, bien qu’absolument nécessaire.


Conclusion : contraintes et créativité

Il convient donc d’être particulièrement vigilant face à cette notion de « Croissance Verte » qui laisserait penser qu’on peut à la fois lutter efficacement contre des externalités environnementales négatives et préserver notre modèle de croissance. En guise de maxime économique trop souvent oubliée, nous dirons qu’il est difficile d’obtenir à la fois « le beurre et l’argent du beurre ». Cela n’implique pas que les politiques environnementales ne doivent pas être poursuivies car les conséquences de l’inaction en matière environnementale pourraient être largement plus handicapantes pour l’humanité. Prendre au sérieux le réchauffement climatique et l’épuisement des ressources naturelles, c’est accepter de perdre une partie de notre croissance pour bâtir un monde plus durable.

Pour finir sur une note plus subjective et plus optimiste, on peut dire que plutôt que de diminuer l’optimum, les contraintes peuvent parfois stimuler la créativité. C’est en particulier vrai dans l’art où elles donnent parfois un bien meilleur résultat que la liberté totale (règles du théâtre et de la poésie classique, règles de la composition musicale,…). On peut donc se dire qu’il en ira de l’économie comme il en va de l’art et que l’humanité, face à un défi sans précédent, saura trouver en elle les ressources et la créativité suffisante pour le surmonter. A ce moment là, et à ce moment là seulement, on pourra parler de Croissance Verte.

14 décembre 2008

L'impôt doit-il être progressif ?


Dans la quasi-totalité des pays développés, l'impôt sur le revenu est progressif c'est-à-dire que la proportion d'argent prélevée par l'Etat augmente avec les revenus des individus. Pour obtenir ce résultat, plusieurs méthodes sont possibles, le plus courant consistant à recourir à des taux d'imposition marginaux qui augmentent par tranche. Dans le cas de la France en 2008, les revenus (annuels, divisés par le quotient familial) compris jusqu'à 5687€ ne sont pas imposables, ensuite jusqu'à 11344€ les revenus sont taxés à 5,5%, ceux compris entre 11344€ et 25195€ à 14%, ceux compris entre 25195€ et 67546€ à 30% et au-delà les revenus sont taxés à 40%. A noter qu'à partir du moment où l'on fixe un seuil au-dessous duquel les revenus ne sont pas imposables, un taux d'imposition unique (comme la flat tax) est tout de même progressif, pour s'en convaincre, notons t le taux d'imposition marginal unique, S le seuil à partir duquel on paye des impôts et R le revenu. La part des revenus prélevée par l'Etat vaut : t(R-S)/R, qui est bien une fonction croissante du revenu.

Remarquons dès à présent que seuls l'IRPP (impôt sur les revenus des personnes physiques) et l'impôt sur les successions sont progressifs et qu'ils représentent une part de plus en plus faible des rentrées fiscales. La TVA ou la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers), qui représentent 56% des rentrées fiscales de l'Etat français ne tiennent absolument pas compte des revenus des contribuables. Et même si certains produits de luxe sont davantage taxés que des produits de première nécessité, cet effet "progressif" est gommé par le fait que la consommation représente une part plus importante des revenus des ménages les plus modestes. Au total, si l'on considère l'ensemble des impôts et des taxes qui servent à alimenter le budget de l'Etat, rien ne dit que la progressivité soit encore respectée, surtout si l'on tient compte des multiples niches fiscales.

Vient alors la question de fond : pourquoi l'impôt devrait-il être progressif ? L'impôt se caractérise essentiellement par deux aspects : son montant global, censé équilibrer les dépenses de l'Etat, et la manière dont il est réparti entre les contribuables. Nous ne nous intéresserons ici qu'au deuxième aspect, en considérant que le montant total des impôts est une variable exogène. Il s'agit donc essentiellement d'un problème de répartition des efforts et donc de justice sociale. La première idée, la plus simple, serait de diviser l'impôt de manière égale entre chaque citoyen, chacun contribuant ainsi à la même hauteur au budget de l'Etat. On sent bien que cette répartition n'est pas juste, et pour cause, un euro prélevé sur un haut revenu représente un effort beaucoup plus faible que s'il est prélevé sur un bas revenu. Raisonner en termes "absolus" n'a pas de sens, il faut réfléchir en termes "relatifs". L'effort d'un contribuable ne se mesure pas à la somme qu'il a à débourser pour l'Etat mais à la fraction de son revenu qu'il doit payer en impôt. Ainsi, une manière de rendre plus juste le système fiscal est de demander à chaque contribuable de donner une même proportion de ses revenus à l'Etat : il s'agit d'un système proportionnel.

Pour arriver à l'idée de progressivité, il faut ajouter un autre élément : la décroissance de l'utilité marginale d'un euro supplémentaire avec le revenu. En clair, cela signifie que donner un euro à un riche lui procurera moins de plaisir que si on le donne à un pauvre. A cet effet, les économistes ont introduit la nation de fonction d'utilité des individus (que l'on suppose ici identique pour tous les individus, toujours dans une optique de justice sociale), qui définit l'utilité procurée par chaque niveau de richesse, on notera U(R) l'utilité associée à une richesse (ou un revenu) R. La décroissance de l'utilité marginale se traduit en termes mathématiques par le fait que la fonction U(R) est supposée concave. Cette question ne va pas du tout de soi, comme le montre un papier très intéressant de Milton Friedman expliquant que cette concavité expliquait de manière satisfaisante les comportements assurantiels (je préfère avoir un revenu certain plus faible que l'espérance des revenus d'une opération risquée) mais absolument pas le succès des jeux de hasard. En d'autres termes, une fonction d'utilité concave est caractéristique d'une aversion pour le risque tandis qu'une fonction d'utilité convexe définit un goût pour le risque de l'individu. La réponse de Milton Friedman est que la fonction d'utilité doit être concave, puis convexe et redevenir concave (cf. "The utility analysis of choices involving risks"). Cette hypothèse n'est pas réellement convaincante car on imagine mal comment certaine personnes pourraient se trouver dans la partie convexe de cette courbe, c'est-à-dire qu'elle serait prête à jouer à tous les jeux risqués mais refuserait tout mécanisme d'assurance. Pour simplifier les choses, considérons, comme cela est couramment admis, que la fonction d'utilité des individus est une fonction croissante et concave de la richesse.

Ayant introduit cette fonction d'utilité, le problème de justice sociale doit s'énoncer de manière différente : il ne s'agit plus de demander à chaque citoyen de se priver d'une même proportion de son revenu, mais de se priver d'une même proportion de son utilité. Pour le dire autrement, la perte relative d'utilité due aux impôts doit être la même pour tous les individus. Si l'on combine cette exigence avec la concavité de la fonction d'utilité, on aboutit alors à l'idée qu'il faut taxer les individus de manière progressive et pas seulement proportionnelle. Du moins, c'est ce que je croyais avant d'entreprendre rapidement de faire les calculs sur un coin de table, et je me suis rendu compte que les choses n'étaient pas si simples. Pour le comprendre, il faut poser quelques notations...

Soit R le revenu d'un individu, t(R) le taux d'imposition retenu pour un revenu R, U(R), l'utilité procurée par la richesse R et A la perte relative d'utilité de chaque individu (paramètre qui est fixé de telle manière que l'Etat puisse couvrir ses dépenses). On doit avoir, pour tout revenu R la relation suivante : [U(R)-U(R-t(R)R)]/U(R)=A. Quelques petits tours de passe-passe mathématiques plus loin, on obtient : t(R)=1-V((1-A)U(R))/R, où V est la fonction réciproque de U, c'est-à-dire telle que V(U(R))=R pour tout R. Pour comprendre un peu ce qui se passe, on peut appliquer cette formule avec un exemple particulier de fonction concave : la fonction logarithme. On a donc U(R)=log(R) et V(x)=exp(x). Dans ce cas, on a : t(R)=1-1/R^A (où ^ signifie puissance), le taux d'imposition est donc bien une fonction croissante du revenu, qui vaut même 1 quand le revenu est infini, c'est-à-dire qu'on finit par tout prendre aux gens très très riche. La progressivité de l'impôt s'en trouve donc légitimée.

Mais prenons un autre exemple de fonction d'utilité, U(R)=RACINE(R) ou R^1/2. Dans ce cas, des calculs rapides montrent qu'on a : t(R)=1-RACINE(1-B), c'est-à-dire que le taux d'imposition est constant, on retombe donc sur le cas proportionnel. Allons même un peu plus loin en choisissant une fonction d'utilité non-plus concave, mais convexe, U(R)=R^2 par exemple, et on constate avec surprise que le résultat est également le même : t(R)=1-B^2, c'est-à-dire que le taux d'imposition doit lui aussi être constant. Ce n'est donc pas la concavité de la fonction d'utilité qui permet de justifier la progressivité de l'impôt.

Si la fonction RACINE implique une imposition proportionnelle, on est en droit de se demander si d'autres types de fonction d'utilité (toujours concave et croissante) ne pourraient pas justifier que le taux d'imposition ne décroisse avec la richesse des individus, c'est-à-dire à un impôt non pas progressif mais dégressif. Je lance donc un grand jeu, pour la première fois dans l'histoire de ce blog, sachant que bon nombre des lecteurs sont des mathématiciens aguerris, cela ne devrait pas poser trop de problème. Si l'un d'entre vous parvient à mettre en exergue une fonction d'utilité (concave, croissante) qui justifie une dégressivité de l'impôt au moins pour CERTAINS revenus, je lui offre une bouteille de champagne. Si vous parvenez à exhiber une fonction d'utilité qui justifie une dégressivité de l'impôt pour tous les revenus (c'est-à-dire qui entraîne une fonction t(R) constamment décroissante), j'offre deux bouteilles de champagne. Enfin, si vous parvenez à démontrer que la relation [U(R)-U(R-t(R)R)]/U(R)=A couplée à la concavité de U entraîne nécessairement que l'impôt soit au moins proportionnel, je vous offre une bouteille de Champagne et une bouteille de Calvados véritable, distillé chez moi en Normandie avec les pommes de mon jardin. Ce concours a bien entendu une date limite qui est le 25 décembre 2008 et il peut être interrompu prématurément si je trouve la solution le premier.

A vos crayons !

09 décembre 2008

La relance, quelle relance ?


Ca y est, Keynes est de retour ! Après des décennies de mise au placard au profit de la révolution libérale, ses idées ont été remises sur le devant de la scène lors du G20 de novembre dernier, où les principaux chefs d’Etats de la planète se sont engagés à soutenir l’activité en menant des plans de relance coordonnés dans le temps. Ce résultat prouve au passage que cette réunion était tout sauf un cocktail mondain destiné à grossir l’ego de notre omni-président comme on a pu le lire dans la presse française, dont la myopie égale certainement celle de Louis XVI qui écrivit dans son journal intime le jour du 14 juillet « Rien ».

Dans ce cadre, la France, par la voix de Nicolas Sarkozy, a annoncé son propre plan de relance la semaine dernière. Contrairement à la Grande-Bretagne de Gordon Brown qui a choisi une relance par la consommation en baissant provisoirement de 2 points son taux de TVA, le gouvernement français (ou plutôt l’exécutif français) a choisi une relance par l’investissement basée notamment sur une politique de grands travaux. Quelques mesures concernent toutefois la consommation des ménages les plus pauvres, comme la prime de 200 euros que toucheront les ménages éligibles au futur RSA.

Ce choix est salutaire étant donné la situation sociale, économique et financière de notre pays. En effet, commençons par rappeler que si la crise touche très durement les populations précaires (chômeurs, CDD, interim), elle épargne pour l’instant une très grande partie de la population (fonctionnaires ou CDI notamment). Quand bien même la crise s’aggraverait, les Français, qui ont un taux d’épargne très important, pourraient alors piocher dans leur bas de laine pour passer ces moments difficiles. Dans ces conditions, une relance globale de la consommation serait à la fois injuste socialement et inefficace sur le plan économique : si relance du pouvoir d'achat il doit y avoir, elle doit cibler exclusivement les Français les plus exposés dont on est certain qu’ils consommeront tout de suite l’argent distribué. C’est ce que fait le plan de relance avec la prime de 200 euros, certainement de manière trop timide.

Sur le plan économique, il faut savoir qu’une relance basée principalement sur la consommation se traduirait d’abord par une augmentation de nos importations, c’est-à-dire qu’elle assurerait avant tout une relance dans les pays exportateurs que sont la Chine ou l’Allemagne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les plans de relance doivent être coordonnés dans le temps afin que chaque pays profite des externalités positives des plans de ses voisins sans pouvoir adopter un comportement opportuniste de « free rider ». Autant la baisse de la TVA en Angleterre augmentera en partie l’activité en France des entreprises qui exportent outre-Manche autant on imagine mal l’impact des grands travaux annoncés en France sur l’économie britannique. C’est d’ailleurs l’un des principaux reproches que nos voisins européens seraient justifiés à faire à la France, à savoir qu’elle se conduit de manière opportuniste. L’autre raison économique a été avancée par le Président de la République lui-même : après des mois d’inflation, l’heure est aujourd’hui à la baisse des prix et le risque de la déflation se fait à nouveau jour ; inutile dans ces conditions pour l’Etat de participer à la baisse des prix en baissant la TVA.

C’est sur le plan financier que ce plan semble le plus intéressant. En effet, malgré les chiffres annoncés, son impact sur la dette et le déficit public sera assez limité. Les nouveaux investissements annoncés sont très souvent des projets qui étaient prévus pour plus tard, il s’agit donc uniquement de les décaler dans le temps. Bien entendu, cela n’est pas tout à fait neutre sur les comptes de l’Etat puisqu’en avançant les dépenses, on creuse la dette à court terme et on augmente ainsi la charge de la dette. D’après les calculs du gouvernement, les perspectives de déficit de 2012 sont même légèrement améliorées puisque certaines dépenses auront été effectuées plus tôt. Il s’agit donc d’une manière assez habile de combiner la relance à court terme avec la maîtrise des déficits à moyen terme. C’est sans doute la raison pour laquelle ce plan a été bien accueilli au niveau européen, où l’on devait craindre qu’une fois de plus, la cigale France profite de la situation pour détériorer sa situation financière. Les choses seraient fondamentalement différentes avec une relance de la consommation par une diminution de la pression fiscale puisque les sommes ainsi dépensées ne seraient pas compensées ultérieurement, sauf à annoncer dès maintenant qu’une hausse des impôts suivrait la baisse à court terme. Un tel scénario paraît toutefois peu compatible avec le calendrier électoral français et la perspective des élections présidentielles de 2012.

Le plus important dans ce plan, c’est qu’il remet au goût du jour la politique de l’offre si longtemps différée par le gouvernement alors qu’il s’agissait d’un des axes de campagne du candidat Sarkozy. Disons-le une fois de plus, le gouvernement s’est lourdement compromis dans le plan de relance avant l’heure que constituait le paquet fiscal. En mangeant dès 2007 son pain blanc, la France se retrouve aujourd’hui en situation de ne pouvoir mettre sur la table qu’un modeste 1,5% de son PIB. De plus, sur le plan social, l’extension des heures supplémentaires, mesure efficace en période de croissance économique, pourrait aggraver le chômage en période de récession en créant des effets d’aubaine chez les entrepreneurs. Le risque était donc grand de voir le gouvernement privilégier une nouvelle fois une politique de la demande (pourtant tellement plus porteuse sur le plan politique comme le prouve le positionnement opportuniste de l’opposition sur ce sujet). Bien au contraire, la crise va permettre à la France de renforcer sa compétitivité à moyen terme en relançant les grands investissements dont elle a besoin : en plus de l’effet keynésien de court terme d’une relance de l’activité, cette politique générera donc des externalités positives dont nous profiterons dans les années à venir, ce qui ne serait pas le cas avec une relance de la demande. Quand bien même la dette de l’Etat augmenterait, il en ira de même de ses actifs, les générations futures ne seront donc pas lésées.

En ce qui concerne les mesures d’aides sectorielles, ciblées sur le bâtiment et l’automobile, elles sont bien entendu nécessaires puisqu’il s’agit des secteurs les plus touchés (car ils sont directement affectés par la crise du crédit). Qui plus est, ils représentent la colonne vertébrale industrielle de la France, c’est-à-dire une fraction très importante des emplois, il n’est donc pas concevable de les laisser tomber au moment même où les autres pays, Etats-Unis en tête, s’engagent à aider leur propre industrie automobile à se restructurer. On a également constaté à quelles extrémités (cf. la faillite de Lehmann Brothers) ont menées les politiques de lutte contre "l'aléa moral", si cher aux microéconomistes, qui consistent à laisser tomber les entreprises en difficulté pour punir leur comportement passé et leurs erreurs stratégiques. Il faut toutefois éviter de s’écarter trop fortement des lois du marché en créant une compétitivité fictive de ces secteurs à travers des subventions toujours plus importantes et toujours moins coopératives au niveau des échanges internationaux. La prime à la casse des voitures de plus de 10 ans et le fonds de restructuration de la filière automobile vont dans le bon sens et s’inscrivent parfaitement dans la politique de décarbonation du parc français. La mise en chantier de nombreux logements sociaux a, quant à elle, l’avantage de faire baisser les prix de l’immobilier à long terme en augmentant l’offre locative et d’éviter dès aujourd’hui que ne se créé la bulle immobilière de demain. Là encore, une politique de soutien au pouvoir d’achat pour aider les ménages à payer leur loyer aurait de forte chance de subir un effet d’éviction via une augmentation desdits loyers.

Le succès de ce plan dépend beaucoup de l’évolution de la crise dans les mois à venir. Le pari de l’exécutif est que la crise ne s’aggravera pas de manière importante, sans quoi un deuxième plan serait inéluctable, et qu’elle pèsera sur le moyen terme, période où les investissements publics annoncés viendront jouer un rôle contra-cyclique. Si la crise est, comment le disent certains économistes, un choc négatif de la demande à très court terme, une relance par la consommation aurait alors été certainement le choix le plus efficace. Dans ce cas de figure, la France devra attendre son tour et profiter éventuellement des plans de relance dans les autres pays. Il est en revanche absurde de dire que la relance par l’investissement met plusieurs années à produire des effets sur la croissance sous prétexte qu’il faut attendre que les nouvelles infrastructures soient construites. Ceux qui affirment cela confondent l’effet keynésien de court terme des investissements et l’externalité positive qu’apportent ces investissements à moyen terme. Pour le dire autrement, c’est la construction des lignes TGV et non leur utilité qui relancera la croissance à court terme : on pourrait tout aussi bien demander à la moitié de la population de creuser des trous et à l’autre de les combler. Si délai il y a entre une relance par la consommation et une relance par l’investissement c’est en raison du temps nécessaire pour faire démarrer les chantiers, d’où la simplification temporaires des procédures administratives proposée par le gouvernement.

Enfin, le fait de confier à un ministre à part entière le suivi de ce plan de relance est avant tout une opération de communication (assez astucieuse reconnaissons-le), elle permet surtout de solutionner un problème de personne interne à la majorité. La plus grande crise économique depuis 1929 aura permis de régler le cas Devedjan à l’UMP, comme on dit dans ces cas-là « petite cause, grands effets » ! Cela ne doit pas occulter l’essentiel à savoir que ce plan de relance est relativement bien inspiré bien que certainement sous-dimensionné en raison de nos faibles marges de manœuvre budgétaires.

04 décembre 2008

Pourquoi les Américains hochent-ils la tête ?


Voici deux semaines que je suis installé aux Etats-Unis, et déjà, en bon Français, je ne peux m’empêcher d’observer à la loupe le peuple américain (ou plutôt Californien, gardons-nous dès a présent de toute généralisation hâtive) pour en relever certains traits caractéristiques. Je vais donc m’efforcer, à travers ce blog, de décrire périodiquement certains éléments qui m’ont marqué, en espérant simplement que je sois davantage inspiré par Alexis de Tocqueville que par Bernard Henri-Lévy.

Le premier article de cette série concerne un point de détail qui a tout de suite attiré mon attention lors des quelques réunions et conférences auxquelles j’ai assisté, à savoir la tendance qu’ont les Américains, quand ils écoutent quelqu’un parler, à hocher ostensiblement la tête pour marquer leur accord. Tentons d’y voir plus clair…

Ce signe est-il un élément de communication, en d’autres termes, s’adresse-t-il à quelqu’un ? A l’origine, cela me semble incontestable, en opinant du chef, un Américain cherche à exprimer son adhésion, sa solidarité avec la personne qui est en train de s’exprimer. Il ne s’agit pas, dans la plupart des cas, de flatter l’orateur : très souvent, les deux personnes ne se regardent même pas, il est d’ailleurs très fréquent de voir des gens hocher la tête tout en prenant des notes. Il y a plutôt une forme de reconnaissance en direction de la personne qui s’adresse en public, exercice respecté et très valorisé aux Etats-Unis.

Autre piste : en hochant la tête, on s’adresse aux autres spectateurs, c’est une manière de leur montrer qu’on est absorbé par ce qui est dit et surtout qu’on participe, à sa manière, à la discussion. Même s’il ne parle pas, un Américain cherche à ne pas se retrouver hors-jeu, il doit nécessairement agir et ne pas se contenter d’être un simple spectateur. On entre alors dans une course à l’ostensibilité pour savoir qui parviendra à afficher le plus clairement son accord avec le propos tenu.

A noter que le signe symétrique : la dénégation ostensible, si présente chez nous, n’existe pas aux Etats-Unis, il n’y a de place que pour l’approbation et le consensus. Cela révèle bien à quel point les Américains cherchent à tous prix à rendre la vie sociale la moins conflictuelle possible, mais s’ils ne pensent pas un mot de ce qu’ils disent ou de ce qu’ils font. Les formes, la politesse ont ainsi une place très importante outre-Atlantique, et sont interprétées par les Français comme de l’hypocrisie et un manque de sincérité. Difficile, en effet, de ne pas émettre ce jugement quand on voit à quels moments du discours certaines personnes hochent la tête : chaque banalité, chaque tautologie, chaque évidence est immanquablement saluée.

Mais s’agit-il d’hypocrisie ou d’un simple réflexe ? Il ne m’étonnerait pas que les Américains hochent également la tête quand ils écoutent une émission à la télévision, même s’ils sont seuls chez eux. Ce signe semble être passé dans l’inconscient collectif, il fait désormais de la culture américaine, ce qui n’a pas échappé aux nouveaux arrivants, comme les Indiens (d’Inde) par exemple, qui sont les plus prompts à hocher la tête en signe d’approbation avec une envergure qui fait craindre pour leurs cervicales.

Autre preuve qu’il s’agit d’un geste réflexe, je me suis habitué, à la longue, à anticiper les hochements de tête alors même que je ne comprenais plus tout à fait ce que disait l’orateur. Il suffit pour cela d’écouter la musique du discours, son intonation et on remarque à quel point celui qui parle réussit à appeler les signes d’approbations à son endroit par des techniques diverses.

La plus répandue est celle du « stand-up », style humoristique très répandu (pour ne pas dire exclusif) aux Etats-Unis où la personne qui parle évoque un fait personnel plutôt drôle qui rappelle au public sa propre expérience et ses propres souvenirs. Dans ce cas, le hochement de tête est un élément de langage qui signifie « moi aussi, cela m’est arrivé, je fais donc partie de ceux qui comprennent ». L’auditoire est ainsi flatté d’être en totale adéquation avec l’orateur et le fait savoir à ce-dernier en opinant du chef.

Comme on le voit, ce simple signe de tête, dérisoire au premier abord, en dit assez long sur l’état d’esprit des américains. Comme tout élément de communication, ce serait une erreur de penser qu’il est anodin : son caractère ostensible ne peut pas tromper. J’imagine dorénavant le désarroi que peut ressentir un Américain qui vient faire une présentation devant des Français et qu’il peut lire sur leurs visages une impassibilité totale, sauf quand il s’agit d’exprimer leur désaccord. Nous devons vraiment passer pour un peuple de sauvages.

26 novembre 2008

L'état du PS


Le dénouement final du scrutin pour le poste de premier secrétaire au Parti Socialiste, qui a vu la victoire de Martine Aubry, ne saurait masquer le profond trouble qui secoue le principal parti d'opposition. Le PS semble au plus bas, trop occupé à ses luttes intestines pour pouvoir prétendre à gouverner le pays. Sûr que si des élections nationales avaient lieu aujourd'hui, la victoire de Nicolas Sarkozy serait écrasante, quelle que soit sa relative impopularité. Il faut toutefois éviter de tomber dans l'excès en pronostiquant une quasi-disparition du parti socialiste, comme en attestent les résultats des dernières élections municipales. La crise est profonde mais elle finira par se résorber et le PS se retrouvera confronté aux trois questions essentielles qu'il n'arrive pas à trancher : le leadership, l'orientation politique et les alliances.

Le leadership d'abord. En effet, la politique n'est pas une confrontation d'idées désincarnées, c'est un combat. Dès lors, la question du leadership est essentielle : aucune idée novatrice n'émergera au PS avant que ne soit clairement identifié le ou la chef incontesté pour la prochaine présidentielle, de même que rien ne s'est fait à l'UMP avant que Sarkozy n'en prenne le contrôle. Le PS a plusieurs options : Ségolène Royal, Martine Aubry, Bertrand Delanoë, Dominique Strauss-Kahn ou encore François Hollande. Trop de leaders potentiels diront certains, au contraire, il semble bien qu'il n'y en est pas assez, car aucun de cette liste ne semble en mesure de remporter la prochaine présidentielle. Delanoë et dans une moindre mesure DSK ne sont pas des candidats suffisamment populaires et auront beaucoup de mal à affronter la droite au cours d'une élection longue où seront forcément évoqués des thèmes comme l'immigration ou la nation. Pour le dire autrement, il semble impossible de courtiser en même temps l'électorat bobo et l'électorat populaire. Martine Aubry et François Hollande apparaissent comme trop marqués à gauche et surtout comme trop partisans, leur seule chance serait une crise sociale profonde à l'approche de la prochaine présidentielle. Reste Ségolène Royal, personnalité populaire, qui semble encore être la meilleure chance pour le PS, si seulement elle arrive à se hisser au niveau de la compétition pour ne pas rééditer sa piètre performance de 2007.

Vient ensuite la question de l'orientation politique. Le PS peut choisir de se positionner clairement à gauche, sur une ligne néoprotectionniste en profitant de la crise actuelle pour proposer une transformation profonde de l'économie et de la société. Cette ligne serait toutefois clairement minoritaire au sein de la gauche européenne, ce qui en ferait davantage une utopie qu'une réalité politique. L'autre positionnement consiste à devenir une sorte de "Parti Démocrate", libéral au sens politique, cherchant à corriger les effets de la mondialisation et à réguler le marché. Cette voie est certainement souhaitable, mais elle présente le désavantage ne pas susciter l'enthousiasme des foules : c'est une forme de socialisme de résignation. Dans ces conditions, il y a fort à parier qu'une fois de plus, le PS préférera ne pas sortir de l'ambiguité et tiendra ces deux discours de concert pour chercher une nouvelle fois la synthèse improbable entre les bobos libéraux et les ouvriers protectionnistes. C'est là tout le dilemme du PS : ces deux populations sont minoritaires dans les pays, mais ensemble elles sont clairement majoritaires. Au-delà de ce choix fondamental, le PS devra très vite se remettre à travailler en faisant revenir les intellectuels et en organisant des conventions, à l'instar de ce qu'a fait l'UMP avant la présidentielle de 2007, sur tous les grands sujets politique : santé, éducation, finances publiques, économie, environnement... Le PS a besoin de bâtir une nouvelle ligne sur la plupart de ces sujets afin de ne plus apparaître comme un parti conservateur.

Enfin, vient la question des alliances : l'alternative est claire, ce sera soit Besancenot, soit Bayrou, les Verts et le PC jouant dans tous les cas un rôle d'appoint négligeable. Le plus probable est une alliance avec le Modem qui se dessinerait sur le tard, c'est-à-dire entre les deux tours de la présidentielle puisqu'il faudra bien attendre ce scrutin pour savoir lequel de ces deux partis arrivera en tête. Bayrou a préparé son électorat à cette alliance, conséquence logique de son parcours depuis 2002. L'alliance avec Besancenot serait la garantie de la victoire de la droite, en même temps, le PS ne peut pas se permettre de laisser prospérer un tel mouvement sur sa gauche, c'est sans doute pourquoi le choix de Martine Aubry comme premier secrétaire est plutôt une bonne chose pour le PS. La "dame des 35 heures" apparaît comme clairement ancrée à gauche et tiendra certainement solidement la barque dans les années à venir.

A l'heure actuelle, la meilleure chance pour le PS de revenir aux responsabilités sur le plan national serait certainement de réaliser une alliance forte à gauche, sous l'égide de Martine Aubry, puis de choisir un candidat plus au centre, comme Ségolène Royal ou Dominique Strauss-Kahn (à condition que la campagne soit courte pour ce dernier), de devancer Bayrou puis de s'allier à lui entre les deux tours. Ce scénario est loin d'être aujourd'hui le plus probable, Nicolas Sarkozy apparaissant comme le plus apte à diriger le pays, même si sa politique n'est pas majoritairement soutenue par la population. Mais les choses peuvent changer d'ici là, Martine Aubry peut se révéler comme un leader incontestable de l'opposition ou encore une nouvelle figure du PS peut émerger. Cette dernière hypothèse semble irréaliste étant donné l'opportunisme et la faiblesse idéologique qui règne dans cette génération (Valls, Peillon, Montebourg, Moscovici, Hamon) : ces responsables politiques qui reprochent à leurs aînés de s'accrocher au pouvoir reproduisent tous leurs défauts et changent d'avis à peu près tous les ans, au gré des rapports de force internes au parti.

Si un homme ou une femme providentiel se cache au PS, il est donc grand temps qu'il fasse son apparition...

28 septembre 2008

Le grand désordre politique mondial


Les tractations de couloir et les débats de personne qui agitent la rue de Solférino semblent être un symptôme de la profonde crise idéologique qui touche la social-démocratie européenne. Comme le dit si trivialement Dominique Strauss-Kahn, la gauche a besoin d'un nouveau "logiciel", c'est-à-dire d'un corps de doctrine cohérent en prise avec la nouvelle donne mondiale. Face à ce doute existentiel, la voie semble donc toute trouvée pour la droite européenne, au pouvoir désormais dans la grande majorité des pays de l'Union, qui a réussi son retour en force en alliant un programme économique libéral à un discours centrés sur les valeurs. Et puis patatra : la crise financière mondiale vient rappeler à tout le monde que la droite non plus ne sait plus où elle habite.

En témoigne le discours de Toulon de Nicolas Sarkozy, très critique sur un libéralisme dont il s'était pourtant fait le hérault, au cours duquel il en a appelé à un retour en force de la puissance publique. Arrière toute et retour aux fondamentaux du gaullisme social, qui n'est finalement pas si éloigné que cela de la social-démocratie. Le financement du RSA par une taxe assise sur les revenus du capital est l'illustration de cette politique dont on ne peut que se réjouir. Faut-il en déduire que la réhabilitation de la social-démocratie doit venir de la droite aujourd'hui ?

La vérité, c'est que la politique n'a pas encore su s'adapter aux principales évolutions du monde que sont la globalisation et, aujourd'hui, la crise financière. Même aux Etats-Unis, on sent bien que la perplexité gagne tous les esprits puisque c'est l'administration la plus libérale qui soit qui porte aujourd'hui le projet d'intervention publique dans l'économie le plus important de l'histoire de ce pays. Cette adaptation aux réalités et ce formidable pragmatisme du Trésor américain et de la Réserve fédérale montrent au passage l'extraordinaire réactivité de ce pays qui sait s'éloigner des idéologies aussi vite qu'il les a adoptées.

Cela faisait plusieurs années que la distinction gauche/droite ne faisait plus vraiment sens et qu'elle avait été remplacée par l'opposition entre le libéralisme et la social-démocratie, du moins dans les pays occidentaux. Ces deux modèles sont aujourd'hui en faillite : la confiance excessive dans le marché a mené le premier à une crise financière sans précédent tandis que la croyance naïve de la seconde selon laquelle le progrès social allait de pair avec le développement économique est systématiquement contredite par les faits. Si l'on ne peut faire confiance ni au marché, ni à l'Etat, vers qui se tourner alors ? Deux visions s'opposent selon moi et peuvent structurer les débats politiques futurs.

La première consiste à vouloir poursuivre la mondialisation en réalisant pour la politique ce qui a été fait pour l'économie. Cela suppose de donner un pouvoir beaucoup plus important qu'aujourd'hui aux institutions internationales au premier rang desquelles figurent l'ONU, le FMI et l'OMC. En effet, il faut bien reconnaître l'écart grandissant entre le pouvoir du marché, qui ne connaît plus d'entraves, et le pouvoir politique, qui reste circonscrit dans des frontières géographiques. Ce différentiel croissant explique notamment le renversement du rapport entre les Etats et les entreprises : alors que le secteur privé devait chercher l'accommodement de la puissance publique pour développer ses activités, largement ponctionnées par les impôts et les taxes, les multinationales sont désormais en mesure de faire plier les gouvernements qui doivent mettre en avant la compétitivité de leur pays et l'attractivité de leur régime fiscal.

La deuxième vision consiste à vouloir faire marche arrière par rapport à la mondialisation en poussant à l'intégration de grands ensembles régionaux unis à l'intérieur et partiellement protégés de l'extérieur. Ce système s'inspire directement du "Zollverein", union douanière des principaux Etats de la Confédération Germanique menée pendant la Révolution Industrielle. Tous les discours qui prétendent lutter contre le dumping social, environnemental ou monétaire se ramènent peu ou prou à ce système, non sans une certaine légitimité. Cette doctrine doit cependant affronter la théorie économique des échanges internationaux, portée par Smith puis par Ricardo, qui a été à la base même de la justification de la mondialisation.

Le choix politique est donc à faire entre un gouvernement -ou tout du moins une régulation- mondial et un monde multipolaire constituté de grands ensembles plus ou moins homogènes et protégés les uns des autres. Ces deux options ne sont d'ailleurs pas tout à fait exclusive l'une de l'autre et elles ont chacune trouvé bonne place dans le discours du Président de la République. Reste ensuite à savoir quel camp incarnera préférentiellement chacune de ces doctrines : aux Etats-Unis, il semble que les démocrates s'orientent davantage vers une forme de protectionnisme (les critiques d'Obama et de Clinton ont été nombreuses pendant les primaires sur le traité de libre-échange nord-américain avec le Mexique et le Canada) tandis qu'en France c'est plutôt la droite qui tient ce discours. Bien entendu, les choses ne sont pas encore figées et il faudra beaucoup de temps pour qu'un nouvel ordre politique voie le jour.

Ce choix ne se réduit pas aux seuls sujets économiques, il s'applique également aux questions énergétiques, environnementales et diplomatiques. Quoi qu'il en soit, cette crise prouve que la thèse de la fin de l'Histoire, popularisée par Francis Fukuyama, ne tient pas. Pas plus que l'Etat-providence keynésien au moment des Trente Glorieuses, le modèle libéral qui s'est imposé à partir des années 80 ne constitue une vérité définitive et indépassable. Contrairement aux vérités mathématiques, les vérités économiques ne sont valables qu'un temps : gare à ceux qui ne s'adaptent pas aux évolutions du monde.

21 septembre 2008

Sarkozy et l'action


Après une longue trêve estivale, je reprends ce blog en espérant que je n'aurai pas perdu trop de lecteurs en route. Pour commencer cette nouvelle saison, j'ai choisi un sujet ô combien original et à peine rebattu : Nicolas Sarkozy. En effet, cet homme, dont la personnalité m'apparaissait complètement transparente après la lecture du portrait de Yasmina Réza dans "L'aube, le soir ou la nuit", s'avère beaucoup plus difficile à saisir que je ne me l'imaginais. Le Président de la République est rempli de paradoxes et possède de nombreuses facettes.

Pendant la campagne électorale, cela pouvait passer pour de l'opportunisme électoral, il n'était d'ailleurs pas le premier à adapter son discours en fonction de son auditoire. Cela ne l'a pas empêché d'emporter la conviction des foules de manière éclatante pour une raison assez simple selon moi : Nicolas Sarkozy croyait, à chaque fois, à ce qu'il disait. Si on doit lui faire un procès, ce n'est pas en raison de son cynisme mais par son manque de cohérence : Nicolas Sarkozy accepte trop facilement la contradiction interne de ses propos.

Cette vision de la politique a longtemps heurté à la conception rationnelle que je m'en faisais, héritée certainement de ma formation scientifique où la non-contradiction est le préalable indispensable à la réflexion. Mais la politique n'est pas la science, elle est davantage le lieu de l'action que celui de la réflexion et elle doit être jugée en fonction de son efficacité plutôt que de sa vérité. La parole de l'homme politique est en cela fondamentalement différente de celle de l'écrivain, du philosophe ou du scientifique : elle n'a pas vocation à décrire la réalité mais à la modifier, en un mot, elle est performative.

C'est parce qu'il a compris cela que Nicolas Sarkozy est un homme politique d'envergure et pas un gestionnaire ou un administrateur, il refuse la fatalité et ne se résigne pas au statu quo du monde qui l'entoure. Ce trait de caractère peut s'incarner en lui de manière simpliste et vulgaire, notamment quand il fait du volontarisme l'alpha et l'oméga de sa politique, car la volonté de changer la réalité ne doit pas se transformer en déni de la réalité, à ce titre, "aller chercher la croissance avec les dents" est aussi stupide qu'inefficace.

En revanche, ce refus de la fatalité peut prendre une tournure beaucoup plus subtile comme le montre le débat sur la suppression de la publicité à la télévision. Nicolas Sarkozy a expérimenté ici le discours le plus performatif qui soit en lançant cette idée sans aucune concertation au milieu d'une conférence de presse, peu lui importaient alors les détails d'intendance ou les obstacles qui se dresseraient contre cette mesure, il la jugeait simplement souhaitable et possible. Dans ce cas de figure, nul doute qu'une consultation préalable aurait vidé l'idée de sa substance, on aurait trouvé toutes les raisons du monde pour en reporter l'application, pour diminuer la publicité plutôt que de la supprimer... Si le résultat de cette mesure sur l'équilibre économique de France Télévisions n'est pas encore connu, il est en revanche indiscutable que ce débat a conduit les chaînes publiques à modifier leur grille de rentrée en affirmant leur différence par rapport aux chaînes commerciales, en cela Nicolas Sarkozy a gagné en partie son pari. Tous ceux qui l'accusent d'agir de la sorte pour aider les chaînes privées dirigées par ses amis font ici preuve d'une mesquinerie qui n'est pas à la hauteur du débat, alors même qu'ils ont réclamé la suppression de la pub sur le service public à corps et à cris sans jamais l'obtenir.

La politique étrangère est le lieu de l'action par excellence, celui finalement où Nicolas Sarkozy devrait se sentir le plus à l'aise, pourtant le bilan est ici plus mitigé. La gestion de la crise du Tibet a en effet était tout à fait catastrophique, la France réussissant l'exploit de s'attirer les foudres de Pékin alors même que Nicolas Sarkozy a fini par se rendre à la cérémonie d'ouverture : "la guerre et le déshonneur" pour reprendre les termes de Churchill. La réintégration de la France dans le commandement intégré de l'OTAN et le lancement de l'Union pour la Méditerranée, quant à elles, illustrent la capacité de mouvement et d'impulsion de la diplomatie française sans que l'on voit très clairement les intérêts que pourrait en retirer notre pays. Il en va tout autrement du dernier évènement en date, à savoir la crise géorgienne, on peut bien évidemment trouver que l'Europe n'a pas été assez ferme face à la Russie mais elle a réussi, pour la première fois, à s'affirmer comme une puissance politique (alors que les divergences entre Etats étaient au moins aussi grandes qu'au moment de la crise irakienne), à obtenir l'essentiel, c'est-à-dire le cessez-le-feu dans les tous premiers jours du conflit et à commencer à réfléchir plus globalement à une politique russe commune des 27. Cette unité n'a été possible en grande partie par l'intervention très rapide de Nicolas Sarkozy en Russie et en Géorgie, pour une fois l'Europe se trouvait incarnée en une personne physique capable de discuter avec les autres puissances. Le Président de la République, à travers ces différentes crises ou initiatives est donc en train de trouver sa voie et de se départir de sa naïveté et de son amateurisme initial.

Sur le plan économique, les résultats de la politique de Nicolas Sarkozy sont plus décevants car dans ce domaine la cohérence redevient un élément incontournable. Le Président a cru à tort qu'il pouvait à la fois mener une politique de l'offre (car il savait que la faiblesse de la France était là) et une politique de la demande (pour répondre aux préoccupations sur le pouvoir d'achat). La crise financière actuelle fait craindre à certains (et espérer à d'autres) un effondrement de la confiance des Français dans l'exécutif, je pense qu'ils se trompent complètement. En homme d'action, Nicolas Sarkozy se nourrit des crises qui sont des moments exceptionnels où les cartes sont rebattues, il sait pertinemment que les grands hommes ne se révèlent que dans les grandes circonstances. Sa faible connaissance de l'économie ne lui permet pas de trouver par lui-même les solutions, ce travail doit incomber à ses conseillers, mais son audace et son intuition politique peuvent lui permettre, une fois le cap choisi, de l'atteindre dans de bonnes conditions. De ce point de vue, son discours du 25 septembre sur la crise revêt une importance considérable, car si le cap annoncé n'est pas le bon, Nicolas Sarkozy cherchera tout de même à l'atteindre par tous les moyens.

La crise financière, économique, géopolitique et énergétique, s'il est douloureuse pour les individus, est un terreau idéal pour révéler les grands hommes, Nicolas Sarkozy en a conscience et c'est pourquoi il se soucie si peu des attaques personnelles qu'il subit, notamment sur sa conception autoritaire du pouvoir. Même s'il y prête la plus grande attention, il arrive à regarder au-delà de cette agitation politicienne : plus que par ses contemporains, c'est par les livres d'histoire qu'il veut être jugé. Curieuse conclusion à propos d'un homme qui passe une partie de son temps le nez dans les enquêtes d'opinion, le paradoxe n'est en fait qu'apparent : Nicolas Sarkozy sait à quel point le chemin emprunté est aussi important que la destination finale en politique, et qu'avoir raison trop tôt ou trop tard revient au même que d'avoir tort.

21 juillet 2008

Rapport sur les éoliennes


Je vous invite à consulter mon rapport sur les éoliennes, réalisé pour l'Institut Montaigne. Il est disponible à l'adresse suivante : http://www.institutmontaigne.org/medias/amicus_eolien-bd.pdf.

Bonne lecture.

19 juillet 2008

L'irresponsabilité Sarkozyste


Nicolas Sarkozy n'a que le mot "responsabilité" à la bouche, qu'il s'agisse de réclamer la démission de Daniel Bouton après le scandale Kerviel, d'obtenir celle du général Cuche après le drame de Carcassonne ou de mettre la pression sur Anne Lauvergeon après les fuites d'uranium au Tricastin. Mais cette obsession de la responsabilité, qui consiste à trouver un fusible, le plus haut possible, à chaque dysfonctionnement masque en fait l'irresponsabilité la plus totale.

Quel sens y'a-t-il en effet à exiger la démission d'une personne qui est tellement haute dans la hiérarchie que l'on peut être sûr qu'elle n'avait quasiment aucun levier ?cela relève de tout sauf du sens des responsabilités. Le comble du grotesque a été atteint quand le Président de la République a justifié la démission du chef d'Etat major de l'armée de Terre, le Général Cuche, en indiquant que sa responsabilité de chef des armées l'exigeait. Il suffit de pousser le raisonnement jusqu'à son terme pour arriver à la conclusion que c'était alors au Président de la République lui-même de démissionner.

Derrière cette fausse conception de la responsabilité, se cache une attitude quasi-féodale : les hauts responsables sont la nouvelle noblesse, ils doivent donc faire preuve d'un grand sens de l'honneur, ce qui suppose de remettre leurs titres en jeu s'ils perdent la face. En échange, cette nouvelle noblesse jouit des privilèges de l'époque moderne, à savoir des salaires très élevés. Cette vision est aujourd'hui complètement obsolète et ne devrait pas avoir lieu d'être.

Quel est le résultat de la doctrine sarkozyste de la responsabilité ? Le phénomène de cour bien évidemment, comme l'a très bien noté Dominique de Villepin. Chacun craint la disgrâce, et n'hésitera donc pas à faire porter le chapeau à un autre si cela permet de conserver son poste : la démission du patron de la Socatri, filiale d'AREVA en est l'illustration. Comme sous la Monarchie absolue, il y a une alliance objective entre le monarque et le peuple, à savoir le président et l'opinion, pour faire pression sur la noblesse, c'est-à-dire les corps intermédiaires. On taxe cette pratique du pouvoir de Bonapartisme, mais c'est oublier que durant le Consulat, Napoléon avait au contraire cherché à relever les corps intermédiaires en créant par exemple le Conseil d'Etat chargé d'orienter sa politique.

Du coup, les observateurs critiques du régime s'en donnent à coeur joie, à commencer par ce courant qui n'existe qu'en France : l'extrême-centre de François Bayrou et de Marianne. Ils ont beau jeu de dénoncer la monarchisation du régime et n'hésitent pas à exagérer cette dérive en comparant la France à une République bananière. Plutôt que d'attaquer Nicolas Sarkozy tous azimuts, ils feraient mieux de soutenir les membres des corps intermédiaires qui sont mis sur la sellette et de dénoncer ceux qui finissent par renoncer en démissionnant. Ainsi, tout le monde devrait se réjouir de l'audace et du véritable sens des responsabilités dont a fait preuve le PDG de France Télévisions Patrick de Carolis, qui a répondu vertement au chef de l'Etat tout en défendant les intérêts vitaux de son entreprise et de ses salariés. En agissant de la sorte, cet homme jusque là très révérencieux a certainement sauvé sa place, il sera intéressant de voir la réaction de Nicolas Sarkozy dans les mois à venir : soit il le maintient en poste et ce sera le signal pour les représentants des corps intermédiaires de s'affirmer davantage, ce qui prouvera que le phénomène observé jusque là était moins du à un autoritarisme du chef de l'Etat qu'à une faiblesse congénitale des élites française, soit il le remplace et ce sera alors le signe que le Président de la République ne supporte pas la moindre contradiction et qu'il se comporte comme un monarque.

01 juin 2008

Peut-on être cultivé et productif ?


Le travail, l'œuvre et l'action, telles sont les composantes essentielles de la condition humaine selon Hannah Arendt. Ces trois catégories répondent, en effet, aux principales aspirations humaines : subvenir à ses besoins naturels, dépasser sa condition de mortel et vivre parmi les autres. La spécialisation des professions, la prolifération culturelle et la complexité grandissante des problématiques politiques rendent aujourd'hui caduque l'image classique de l'honnête homme, à la fois généraliste et éclectique. Incidemment, l'homme peut-il à la fois être acteur et spectateur, peut-il mener de front une vita activa et une vita complentativa, pour reprendre la terminologie latine ? Cette interrogation prend tout sens après une interview de Jean-Martin Folz, ancien PDG de Peugeot-Citroën, qui confessait ne pas avoir ouvert le moindre livre pendant ses dix années de fonction, en raison d'un emploi du temps professionnel trop chargé. Ce cas n'est certainement pas isolé et peut être transposé à certains responsables politiques, tellement happé par l'actualité qu'ils n'ont plus le temps de se nourrir de la réflexion politique. Cette tension peut se ramener de manière un peu provocante et triviale à l'interrogation suivante : peut-on à la fois être cultivé et productif ?

La première contradiction apparente entre la culture et le travail est celle du temps qu'il faut consacrer à chacune de ces deux activités. En effet, la culture ce n'est pas le culturel, c'est-à-dire lire un livre de temps en temps où assister à quelques premières de concerts dans l'année. La culture est une activité particulièrement chronophage et exigeante, qui demande un investissement très profond de l'individu sans qu'il ne doive forcément en attendre en retour un quelconque retour sur investissement. Parallèlement, le travail, pour une bonne partie des cadres dirigeants est un véritable sacerdoce, une préoccupation permanente qui occupe pleinement l'esprit. Les rares instants de répit, comme les vacances ou les week-end, ont progressivement disparu avec l'apparition des téléphones portables, ordinateurs portables et autres blackberry. La concurrence grandissante des talents fait de chaque instant de non-travail un moment de culpabilité, de retard pris par rapport à ses concurrents, ses clients ou ses collègues. Dans ces conditions, le temps disponible dans une journée n'étant pas extensible, la culture et le travail, poussés à leur paroxysme, sont presque mathématiquement contradictoires.

Mais cette contradiction "matérielle" n'est pas la plus essentielle. Il y a une véritable différence de fond entre ces deux activités. Le travail, comme l'action politique, est une activité sociale tandis que la culture n'a d'autre finalité que soi-même : on ne se cultive pas pour les autres mais pour soi, c'est une manière de se construire, pas de s'exposer. La culture entretient un rapport étroit avec l'amour de soi mais pas du tout avec l'amour propre. Bien entendu, le travail comme effort physique est également une expérience individuelle, qui se rapproche de la souffrance, le travail est alors une nécessité, pas un moteur de l'ambition sociale comme je l'ai entendu jusque là.

La distinction fondamentale entre travail et culture est le rapport que ces deux notions entretiennent avec l'Histoire. La culture, c'est le dialogue avec le passé, c'est la recherche de la compagnie de ceux qui nous ont précédés. Se cultiver, c'est avant tout adopter une posture d'humilité face aux générations précédentes et prendre le temps de comprendre tout ce qui a pu mener à la situation actuelle. De ce point de vue, la culture est fondamentalement conservatrice, même si la création culturelle est par nature avant-gardiste. Le travail, quant à lui, est ancré dans une vision progressiste de l'Histoire, ce qui l'intéresse ce n'est pas le passé mais le présent voire le futur : la situation actuelle n'est plus ce qui doit être expliqué, comme c'est le cas pour la culture, c'est une donnée d'entrée sur laquelle il faut bâtir quelque chose de meilleur, c'est-à-dire de plus efficace et de plus productif.

Pour revenir à un exemple concret, on peut considérer le système de recrutement des hauts fonctionnaires. Si on pousse la caricature jusqu'au bout, le haut fonctionnaire est un être très cultivé mais peu productif, par opposition à un cadre du privé peu cultivé mais très productif. De par sa formation, en particulier à l'ENA, ce "serviteur de l'Etat" est l'héritier de l'honnête homme, en particulier, il connaît très bien l'histoire politique, administrative et philosophique de son pays même s'il est nettement moins performant en ce qui concerne les théories économiques récentes. On voit aujourd'hui une volonté d'ouvrir cette haute fonction publique à des personnes issues du privé, le recours de plus en plus courant aux cabinets de conseil par l'exécutif en est un exemple probant. L'affaire de la suppression de la carte de famille nombreuse SNCF a montré les limites et surtout l'absence totale de sens politique de ces cabinets privés. Il est difficile de vouloir réformer l'Etat sans comprendre son histoire et le pourquoi de la situation actuelle. Contrairement à ce qu'on essaye de plus en plus de nous faire croire, l'Etat ne se gère pas comme une entreprise et, dans ce domaine, la culture n'est pas l'ennemie de l'efficacité.

Reste la question initiale : peut-on à la fois être cultivé et productif ? J'avoue avoir de sérieux doutes sur cette question, et j'ose même affirmer qu'elle m'obsède au moment où je rentre de plain pied dans le monde du travail et où j'ai l'impression d'avoir à peine pénétré sur le pas de la porte du monde de la culture. L'avenir tranchera.

12 mai 2008

Pour une relance du nucléaire en France


Avec l’envolée du prix des matières premières et le défi climatique qui impose une réduction des émissions de dioxyde de carbone, le débat énergétique est revenu au cœur des priorités politiques. Même si ces enjeux peuvent sembler très macroscopiques, chaque citoyen en mesure l’incidence concrète sur sa vie quotidienne quand il paie sa facture d’électricité, va à la pompe ou s’inquiète des effets du réchauffement climatique. Dans ce contexte, la France doit relancer ses investissements dans le nucléaire car cette énergie est à la fois bon marché et qu’elle n’émet pas de gaz à effet de serre.

Nous devons une partie de notre prospérité aux choix faits par les responsables politiques et industriels français des années 60-70. Qu’il s’agisse du Général de Gaulle, de Pierre Messmer, de Valéry Giscard d’Estaing, de Marcel Boiteux ou de Georges Besse, tous ont participé à un choix stratégique qui s’est révélé payant pour notre pays : le développement de l’énergie d’origine nucléaire. Issue de la recherche militaire, des efforts du CEA mais aussi de la collaboration avec des industriels étrangers comme Westinghouse, cette orientation a nécessité un effort public sans précédent dans le domaine de l’énergie : 5 à 6 tranches nucléaires ont été mises en service par an au milieu des années 70 pour aboutir à un total de 58. Aujourd’hui, le nucléaire subvient à 80% de nos besoins électriques, pour un coût deux fois inférieur au thermique à flamme (charbon, fioul, gaz) et pour des émissions de CO2 quasi-nulles. Ainsi, pour ce qui est de la production électrique, la France émet moins de dioxyde de carbone que les Pays-Bas et 7 fois moins que l’Allemagne qui compte pourtant le plus grand parc éolien du monde.

On pourrait se satisfaire d’une telle situation en se contentant du statu quo, mais il faut au contraire valoriser nos atouts en choisissant de relancer le nucléaire en France. En effet, alors que la consommation électrique continue à croître dans notre pays, la France n’a pas installé de nouvelle tranche nucléaire depuis 1999. Le prochain réacteur de nouvelle génération EPR sera mis en service à Flamanville en 2012, mettant ainsi fin à une longue période de doute sur l’avenir du nucléaire dans notre pays. Ce réacteur est censé être une tête de série, il faudra bien, en effet, remplacer les tranches qui arriveront en fin de vie (comme Fessenheim) et accompagner la croissance de la consommation. La France a d’ailleurs trop tardé dans ces investissements, ce qui s’est traduit par une production électrique qui fait de plus en plus recours aux centrales thermiques à flamme et donc qui émet de plus en plus de gaz à effet de serre. Il serait erroné de tabler sur une baisse à venir de la production électrique en raison des politiques de maîtrise de la demande énergétique car il faut tenir compte du développement de nouveaux projets, en particulier la voiture électrique et la relance du chauffage électrique. La France a en effet un potentiel important de réduction de ses émissions de CO2 dans les secteurs des transports et du chauffage des logements. Malgré un piètre rendement thermodynamique, le chauffage électrique devient économiquement intéressant dès lors que le prix des matières premières s’envole. Il faudra bien des centrales nucléaires pour assurer le fonctionnement de ces nouveaux équipements.

Le développement du nucléaire est également un véritable enjeu de politique industrielle. La France a aujourd’hui deux grands atouts dans le commerce mondial : le luxe et l’énergie, il faut absolument conserver notre leadership dans ces secteurs pour rééquilibrer à terme notre balance extérieure. Aujourd’hui, EDF comme AREVA sont des fleurons que le monde nous envie, la France doit contribuer au développement de ces groupes à l’international, en prenant toutes les précautions nécessaires en ce qui concerne les risques d’exploitation, de prolifération et de gestion des déchets nucléaires. Il faut saluer à ce titre la création d’un agence française du nucléaire à l’international qui regroupe les grands industriels du secteur, l’Autorité de sûreté nucléaire, le CEA ou encore l’ANDRA qui gère les déchets radioactifs en France. Depuis son entrée à l’Elysée, Nicolas Sarkozy a réussi à faire du nucléaire un atout dans la compétition économique mondiale mais aussi un levier diplomatique, il faut l’en féliciter.

Restent deux doutes à dissiper : l’indépendance énergétique de la France et la gestion du risque nucléaire. Il faut tout d’abord rappeler que si les centrales nucléaires ont besoin d’uranium comme combustible, celui-ci ne représente qu’une petite part du coût de l’électricité nucléaire (environ 5%). En conséquence, les variations de prix de l’uranium n’ont qu’un impact limité sur le prix de l’électricité. De plus, les réserves en uranium sont assez bien réparties à travers le monde (Niger, Canada, Australie, Afrique du Sud, Kazakhstan,…) contrairement aux réserves pétrolières. Cela évite la formation de cartel et diminue le risque que peuvent faire peser les troubles politiques sur les cours mondiaux. Pour toutes ces raisons, même si la France ne produit quasiment pas d’uranium sur son sol, l’énergie nucléaire participe à la sécurité et à l’indépendance énergétique de la France.

En ce qui concerne le risque nucléaire, en particulier la gestion des déchets radioactifs, il faut ramener les choses à leur juste mesure. Les volumes de déchets hautement radioactifs, qui seront entreposés en stockage géologique profond (à 500 mètres sous terre) ne représentent que des volumes très faibles. L’image qui est souvent donnée pour quantifier la place occupée par ces déchets depuis le début du nucléaire en France est celle d’un terrain de foot sur 1 mètre de hauteur. Ce risque est donc parfaitement maîtrisable, et la France est le pays en pointe sur ce sujet grâce aux travaux de l’ANDRA. De plus, si l’on parle de développement du nucléaire, il faut résonner en termes de risque marginal supplémentaire. Chacun comprend bien que ce risque est à peu près le même que l’on ait 58 ou 65 tranches nucléaires, ainsi, il n’y a sur ce sujet que deux positions cohérentes : ou bien on estime que ce risque, aussi faible soit-il, ne doit pas être assumé et qu’il faut donc renoncer complètement au nucléaire en France, ou bien il faut développer le nucléaire autant qu’il est économiquement rentable. Toute position médiane, qui cherche à s’attirer les bonnes grâces de certains anti-nucléaires tout en maintenant les tranches en activité, est mauvaise par définition.

Le nucléaire doit donc être relancé en France et à l’international, la recherche sur les réacteurs de 4ème génération doit également être encouragée pour faire face à l’épuisement des ressources en uranium 235. Ce projet, résolument tourné vers l’avenir, est une opportunité pour notre industrie, pour les consommateurs d’électricité français et pour la lutte contre le réchauffement climatique.

27 avril 2008

La théorie du complot


Relancée bien malgré elle par Marion Cotillard, la théorie du complot est une constante dans nos société modernes. Bien entendu elle peut prendre plusieurs formes, la plus radicale consistant à remettre en cause toute vérité officielle, comme l'origine des attentats du 11 septembre ou la réalité des premiers pas de l'homme sur la Lune, tandis que d'autres formes plus douces mettent en avant une hyper-organisation de certaines structures institutionnelles (Etats, multinationales,...), qui sont censées tout connaître et tout savoir immédiatement, dans ce cas, la théorie du complot s'apparente plutôt au mythe de Big Brother.

Dans un article récent du Monde, le philosophe français Robert Redecker explique les ressorts psychologiques à l'œuvre dans les multiples formes de la théorie du complot d'une manière tout à fait convaincante : "On devine les avantages narcissiques de la croyance dans cette théorie : son adepte s'épanouit dans le sentiment de détenir un secret d'une extrême importance. Il jouit d'en savoir plus que les plus grands savants. Il n'a pas eu à produire d'efforts pour s'élever au-dessus des sommités, il lui a suffi d'appliquer une disposition d'esprit : le rejet de toute vérité affirmée officiellement. Dans cette négation triomphe le ressentiment contre les élites de la connaissance et se déploie une figure contemporaine de l'anti-intellectualisme. Plus gratifiant encore : l'adepte de cette théorie éprouve l'ivresse d'avoir réussi à déjouer un piège collectif, dans lequel l'humanité ordinaire tombe. Il se découvre plus malin que le conspirateur qui, sous des guises diverses, trompe l'humanité depuis des siècles !". Mais cette dimension narcissique, bien qu'essentielle, n'est pas la seule à l'œuvre pour expliquer l'engouement des masses pour la théorie du complot.

En effet, plus qu'une doctrine, la théorie du complot est un substitut à la religion. Ayant renoncé à donner un sens au Monde par la volonté de Dieu, l'homme moderne se retrouve sans repères, perdu au milieu d'un monde absurde complètement dénué de fins. Cette situation déroutante conduit certains au nihilisme, mais d'autres ne peuvent se résoudre à une telle absence de sens. Ils cherchent ailleurs une autorité qui redonnerait de la cohérence à ce qu'ils voient et à ce qu'ils vivent : si ce n'est plus Dieu qui régit le monde, alors se sont les hommes. Mais pas tous les hommes, car peu de gens ont l'impression, dans leur vie quotidienne, de présider aux destinées du monde, seulement une poignée, une oligarchie planétaire qui tire les ficelles, voit tout, entend tout et sait tout. Cette "élite de l'ombre" est aussi bien politique, économique que religieuse, elle chapeaute tous les lieux de pouvoirs. Bien entendu, il n'est pas nécessaire, pour être un adepte de la théorie du complot, de supposer l'unité de cette oligarchie, elle peut se répartir en groupes séparés qui ont des zones d'influences distinctes. L'intérêt de cette démarche est avant tout de retrouver du sens, ce qui conduit à une situation paradoxale : plutôt que d'inquiéter, la théorie du complot rassure. Qu'importe que le monde soit dirigé par des personnes peu scrupuleuses, au moins y'a-t-il quelqu'un aux commandes, semblent se réjouir inconsciemment les adeptes du complot.

A un degré moindre, cette disposition d'esprit conduit l'immense majorité des individus à surestimer l'organisation et le professionnalisme des institutions. Et pour cause, l'une des raisons d'être de ces institutions est d'apparaître infaillibles, nécessaires, pour ne pas dire évidentes aux yeux des citoyens. Pourtant, dès qu'on s'approche un peu, le décor en carton pâte ne fait plus illusion : aussi prestigieuses soient-elles, les institutions sont avant tout des organisations humaines, c'est-à-dire faillibles. Dans la vie politique, cela se traduit par une obsession de la signification : les observateurs politiques tentent d'interpréter et de donner un sens à tous les actes du pouvoir en place. On parle de dysfonctionnements ou de couacs, pour tout de suite insinuer qu'il s'agit de manœuvres orchestrées par le pouvoir lui-même, le Président ne cite pas le nom de son Premier Ministre lors d'un discours et on évoque une crise au sommet de l'Etat. Bref, on ne reconnaît pas au pouvoir en général, qu'il soit politique ou économique, le droit de commettre des erreurs ou de se tromper.

La réalité est bien différente, elle est beaucoup plus micro que macro. Le monde est devenu tellement complexe qu'il oblige à l'hyper-spécialisation des tâches, plus personne ne contrôle tout, ni le PDG d'une grande entreprise, ni un ministre, pas même un directeur de recherches. Qui plus est, les nouvelles technologies ont accrues de manière considérable (parfois excessive) la transparence : pour reprendre l'adage populaire, grâce à Internet "tout finit par se savoir". L'idée, pour les puissants, de travestir la réalité pour qu'elle apparaisse aux foules telle qu'ils la souhaitent plutôt que telle qu'elle est, s'avère de plus en plus périlleuse à mettre en œuvre.

Ce qu'il faut accepter, c'est la contingence du monde. Reconnaître que ce qui se joue devant nos yeux n'est pas la représentation d'un pièce écrite à l'avance mais bien la confrontation des volontés, des intérêts et des talents des individus. En un mot, il faut pousser plus loin le désenchantement du monde amorcé par le reflux des interprétations religieuses.

17 avril 2008

Couacs ou pas couacs


A en croire la presse nationale, le gouvernement vient de vivre une de ses semaines les plus difficiles depuis son installation. La succession de ce que le microcosme a choisi de qualifier de « couacs » a donné une image d’improvisation et de dissensions au sein de la majorité. On a donc ressorti tous les éditorialistes et journalistes politiques qui font la fierté de notre pays pour qu’ils puissent exprimer toute leur dimension sur les plateaux de télévision. Untel y a vu le signe de tensions croissantes entre le Président de la République et son Premier Ministre, un autre a cru déceler la révolte des parlementaires UMP face à certains ministres et un dernier a pointé les rivalités qui existent au sein même du gouvernement, en vue de remplacer un François Fillon annoncé sur le départ dès 2009.

A croire que la vie politique de notre pays se résume au jeu politicien, avec tout ce qu’il suppose de tactique et de coups bas. Ce n’est plus Le Monde qui donne le ton des débats, c’est le Canard enchaîné, ce ne sont plus les journaux télévisés qui informent les citoyens, ce sont les Guignols de l’info. Loin de remettre en cause la place de la presse satirique, qui est un élément essentiel de la liberté d’opinion, il s’agit de se demander où est passé le journalisme politique. Plus que la presse, c’est toute l’opinion française qui se passionne pour la politique politicienne : les 5 millions de téléspectateurs quotidiens des guignols, dont je fais partie, connaissent tout de la rivalité entre Xavier Bertrand et François Fillon, ils se délectent des stratégies des éléphants du PS, se demandent comment Bertrand va faire pour écarter Ségolène en s’appuyant sur Martine sans trop se fâcher avec François. Bien entendu, les Tartuffes ne sont jamais très loin pour s’indigner des querelles de personnes qui prennent trop de place dans la vie politique.

Pour revenir à notre sujet, il est donc désormais établi que le gouvernement a accumulé les gaffes, les couacs et autres erreurs de communication. Peu importe qu’il s’agisse des OGM, de la carte famille nombreuse de la SNCF, du boycott de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Pékin ou de la diminution du nombre de postes dans l’Education Nationale, ces sujets ne semblent pas exister par eux-mêmes, ils ne sont là que pour servir la thèse du « couac » généralisé. On ne demande plus à un ministre si ce qu’il propose est juste, vrai ou efficace, on lui demande de juger de la qualité de la communication du gouvernement. On entre alors dans un cycle sans fin, complètement nombriliste, fermé sur lui-même et autoréalisateur : la démocratie d’opinion joue à plein puisque les sondages d’opinion sur telle ou telle mesure gouvernemental deviennent des arguments structurants du débat. Prenons donc le temps de sortir de cette bulle et d’analyser brièvement chacun des cas évoqué dans sa spécificité.

La question des OGM est complexe et suscite des avis très contrastés. Derrière elle, se cache un certain rapport à la nature et à la science et des interrogations quasi-philosophiques. Faut-il, en effet, que certains parlementaires aient les convictions chevillées au corps pour prendre le risque de froisser une opinion très majoritairement hostile aux OGM. Il est parfaitement sain et normal qu’un tel débat de principe ait lieu au Parlement et qu’il déclenche les passions. Telle n’est pas l’image renvoyée de ce débat par les médias : certains parlementaires de la majorité sont accusés d’être achetés et à la solde des grands semenciers comme Monsanto, on leur refuse le droit d’avoir une opinion indépendante. Les commentateurs s’indignent : les parlementaires, élus du peuple, osent remettre en cause le travail des représentants auto-désignés des associations qui ont participé au Grenelle de l’environnement ! Quel affront pour la démocratie, comment pouvons nous encore accepter d’être dirigés par cette armée de réactionnaires ? Mais soudain surgit la belle secrétaire d’Etat Nathalie Kosciusko-Morizet, qui a défaut de se faire un nom aura profité de l’occasion pour se faire un acronyme, et qui dit tout haut ce que le peuple pense tout bas, à savoir que les parlementaires UMP sont des lâches. NKM aurait-elle du démissionner au-delà de ses excuses, a-t-elle eu raison sur le fond du dossier ? Peu importe puisque 78% des Français ont approuvé son comportement selon un sondage, elle au moins a compris que la démocratie représentative ne pesait plus grand-chose face à la démocratie d’opinion et qu’un ministre devait davantage chercher la confiance des Français que celle des parlementaires. Après l’alliance entre le Roi et le Tiers-Etat pour diminuer l’importance de la noblesse au XVIIème et XVIIIème siècle, le Grenelle nous prouve qu’on assiste à une alliance d’un nouveau genre entre l’exécutif et l’opinion publique contre les parlementaires, symboles d’un autre âge, celui de la démocratie représentative. Mais si on fait le point sur le fond du dossier, peut-on dire que les Français sont plus éclairés sur la question des OGM après ces semaines de débats intenses ? Certes tout le monde connaît désormais NKM, le sénateur Legrand, le député Grosdidier ou le député Chassaigne, mais qui ose, par exemple, pousser le débat plus loin en faisant, par exemple, un lien entre le développement des OGM comme réponse face à la crise alimentaire qui touche le monde actuellement. Vu du tiers-monde, nos débats interminables pour savoir quelle distance devra séparer un agriculteur utilisant des OGM d’un producteur de bio doivent sembler bien dérisoires.

L’ « affaire » de la carte famille nombreuse de la SNCF est également un cas d’école de faux -couac qui masque un vrai débat. Même s’il faut reconnaître que certains ministres ont affiché des positions parfois contradictoires, le travail de désinformation a atteint des sommets sur ce sujet. C’est le syndrome du téléphone arabe : un rapport (celui de la Revue Générale des Politiques Publiques) comprend une mesure qui prévoit de supprimer la subvention de l’Etat à la SNCF pour cette carte familiale, la presse titre que le gouvernement veut supprimer cette carte, Nicolas Sarkozy choisit de contourner la difficulté en décidant de maintenir la subvention mais en demandant une augmentation comparable du dividende versé par la SNCF redevenue bénéficiaire à l’Etat son unique actionnaire, l’opinion estime que le Président a reculé. Comment peut-on en arriver à un tel dialogue de sourd ? Alors qu’ils sont là pour clarifier les débats, les médias semblent tout faire pour favoriser la confusion. L’idée de base du gouvernement n’est pourtant pas totalement stupide : faire payer une entreprise bénéficiaire, fût-elle publique, pour économiser des dépenses publiques, c’est-à-dire des impôts, même Olivier Besancenot pourrait se retrouver dans un tel programme.

La suppression de postes d’enseignants dans le secondaire souffre également de la confrontation entre l’opinion et la vérité. Il y a d’abord une querelle sur les chiffres un peu surréaliste : le ministre de l’Education Nationale explique que le taux d’encadrement, c’est-à-dire le nombre d’élèves par professeur, restera constant par rapport à l’année précédent, les lycéens et les syndicats lui répondent qu’on réduit le nombre d’enseignant donc la qualité du service public de l’éducation. En décorrélant ainsi le nombre d’enseignants et le nombre d’élève, on pourrait aboutir à la conclusion absurde que le système éducatif français est six fois meilleur que le belge car nous avons environ six fois plus d’enseignants. Sur ce point très précis, il n’est pas question d’opinion, et pour les journalistes, il ne suffit pas de relayer les points de vue des uns et des autres en les affectant d’un poids égal : l’affirmation du ministre est soit vraie, soit fausse, tous les chiffres sont disponibles, qu’attend-on pour mettre fin à cette querelle ? Rares sont les questions politiques aussi simples, si on ne parvient pas à ce mettre d’accord à leur sujet, cela augure mal de ce qui se passera pour les autres débats plus complexes.

Pour finir, parlons d’un « vrai » couac, celui, permanent, de la diplomatie française depuis la Présidentielle, avec, dans le rôle principal, la secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme Rama Yade. Au début, on pouvait approuver voir s’émouvoir des prises de positions courageuses de la jeune ministre, en particulier lors de la venue du colonel Khadafi en France, mais désormais le scénario répétitif d’un pas en avant suivi d’un pas en arrière finit par lasser. A tel point qu’on en vient à se demander si on n’assiste pas à une pantomyne et à un spectacle bien réglé : d’abord les protestations courageuses la main sur le cœur de Rama Yade, puis un démenti de son ministre de tutelle Bernard Kouchner et enfin la secrétaire d’Etat qui revient sur ses propos en disant qu’ils ont été mal retranscrits. Une telle pratique de la politique, qui s’affranchit de toute responsabilité, est détestable, elle s’inscrit pour partie dans une tentative de présidentialisation du régime où les ministres n’ont plus réellement de pouvoir et en sont réduits à se donner de l’importance au travers de coups d’éclats médiatiques.

Cessons une fois pour toute de ramener tous les problèmes politiques à des questions de méthode ou de communication, reconnaissons que ces sujets existent avant tout par eux-mêmes et méritent un examen approfondi. Alors discutons des OGM, de la réforme de l’Etat, de la politique de l’Education Nationale ou de la politique étrangère plutôt que d’attendre les faux-pas du gouvernements et les sempiternels couacs.

05 avril 2008

La rigueur


Le mot est dans toutes les bouches, dans toutes les têtes, il hante le microcosme, horrifie la majorité et sert l'opposition : le gouvernement va-t-il oui ou non mener une politique de rigueur ? Ce débat est assez surréaliste dans la mesure où cette notion de "rigueur" n'est pas clairement définie et que les différents acteurs politiques ou médiatiques n'y voient pas le même sens. Il rejoint la longue liste d'objets politiques non-identifiés avec la rupture, les réformes ou encore le changement. Il est intéressant de voir comment l'essentiel des débats de la vie politique française, dans chacun de ces cas, peut se faire autour d'un concept dont aucune définition précise n'est donnée.

Le terme de "rigueur" est en effet polysémique, il fait référence à la politique menée par Raymond Barre après le premier choc pétrolier mais surtout au fameux "tournant de la rigueur" du gouvernement Mauroy en mars 1983. Dans ce dernier cas, il s'agissait de se concentrer sur la lutte contre l'inflation qui atteignait fréquemment les 15% à cette époque. Pour cela, il a fallu opter pour une très forte modération salariale et une politique monétaire aussi dure qu'elle devait être crédible. Aujourd'hui, la situation est complètement différente, même si l'on parle de retour de l'inflation, elle ne dépasse que péniblement les 3%, on est donc loin des niveaux des années 80, la politique monétaire, qui plus est, est désormais menée à l'échelon européen par la même personne qui dirigeait la Banque de France en 1983 : Jean-Claude Trichet, mais le pouvoir politique national n'a quasiment plus d'influence sur lui. La comparaison historique entre 1983 et 2008 n'est donc absolument pas pertinente, et il est absurde qu'elle soit brandie par le camp politique même qui a mené cette politique de rigueur sous François Mitterrand.

Dans la bouche d'autres responsables socialistes, en particulier François Hollande, la rigueur est assimilée à la réaction que le gouvernement va apporter face aux déséquilibre des finances publiques. Cette réaction peut prendre trois formes : une augmentation des impôts, une diminution des moyens de l'Etat ou un dérapage du déficit public. A partir de ce constat indiscutable, qui relève plus de la comptabilité que de l'analyse politique, il convient de faire le tri entre les différentes voies qui s'offrent au gouvernement. François Fillon a effectivement le choix entre deux politiques : la rigueur budgétaire ou le laxisme, opter pour la seconde solution, ce serait faire le choix de la facilité en léguant aux générations futures le poids de notre incurie, mais ce serait surtout affaiblir considérablement la France face à ses partenaires européens au moment où elle va prendre la présidence de l'Union Européenne.

Un homme politique responsable n'a en réalité que deux choix : augmenter les recettes de l'Etat ou diminuer ses dépenses, l'un n'excluant pas l'autre. L'opposition insiste sur la hausse des prélèvements obligatoires inévitable selon elle pour respecter les règles du pacte de stabilité, elle en profite pour dénoncer la mauvaise politique économique du gouvernement, plutôt que d'indiquer ses solutions à la crise actuelle. Dans sa campagne, Nicolas Sarkozy s'était engagé à baisser les prélèvements obligatoires pour les remettre dans la moyenne européenne, partant du constat que la fiscalité pèse exagérément sur la compétitivité économique de notre pays. La dégradation de la croissance due à la crise financière mondiale l'a contraint à revenir sur cet objectif, il faut s'en féliciter en même temps qu'on peut condamner les promesses intenables du candidat Sarkozy lors de sa campagne.

Si l'on ne laisse pas filer le déficit et qu'on choisit de stabiliser la pression fiscale, il ne reste plus qu'à diminuer les dépenses publiques. Cet objectif rejoint celui de l'optimisation de l'utilisation du produit des impôts : un euro dépensé par l'Etat doit être le plus efficace possible. C'est tout l'objet de la Revue Générale des Politiques Publiques, qui est de loin l'initiative la plus sérieuse qui a été prise depuis le début du quinquennat. Pour chaque politique ou dépense publique, il s'agit de s'interroger sur sa pertinence, son coût et les services les plus à même de la rendre. Ce vaste effort de rationalisation de l'Etat doit permettre selon Eric Woerth, ministre des Comptes Publics, d'économiser 7 à 8 milliards d'euros sur les trois années à venir. Ces économies augmenteront au fil des ans, en particulier via le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite.

En même temps, on voit bien que les sommes annoncées ne sont pas à la hauteur de l'enjeu, si on les compare au 50 milliards de déficit public prévu pour l'an prochain ou même aux 15 milliards que coûteront le paquet fiscal en année pleine. Il faut donc poursuivre cet effort et surtout l'étendre aux dépenses publiques qui ne dépendent pas de l'Etat comme la protection sociale ou les collectivités territoriales. En ce sens, les réformes des retraites ou de l'assurance maladie, annoncées pour cette année seront très importantes. De même, une rationalisation de la décentralisation est aujourd'hui devenue inévitable, ce qu'avait justement souligné le rapport Attali en réclamant la suppression du département en temps que collectivité territoriale. Le gouvernement serait également bien inspiré de revenir sur tout ou partie du paquet fiscal, en particulier les déductions d'impôts pour l'achat d'une résidence principale et la suppression des droits de succession. Mais qu'on ne s'y trompe pas : contrairement à ce qu'affirme l'opposition, la situation économique du pays ne serait pas significativement différente si le paquet fiscal n'avait pas été voté, et on peut continuer à penser que les mesures sur les heures supplémentaires peuvent soutenir la demande et renforcer l'offre dans ces moments de turbulences économiques mondiales.

L'urgence, c'est le long terme, c'est-à-dire la compétitivité de notre pays, sa capacité à exporter pour financer notre modèle social, le gouvernement doit donc se concentrer sur le développement des PME, la relance de la recherche et de l'innovation et le renforcement de nos universités. Le maître-mot doit être le travail, en cela, le Revenu de Solidarité Active proposé par Martin Hirsch doit être autant soutenu que possible puisqu'il permet de sortir des trappes à inactivité et de récompenser chaque heure de travail supplémentaire. Les difficultés actuelles peuvent justifier un décalage dans le temps de la généralisation de ce processus mais certainement pas son abandon.

Réduire les dépenses improductives de l'Etat et relancer le travail par tous les moyens, je ne sais pas s'il s'agit d'une politique de "rigueur", je suis en revanche convaincu qu'il s'agit de la politique économique à suivre.