30 janvier 2009

Bastiat, encore et toujours

En complément de l'article sur la croissance ci-dessous, ce merveilleux passage de l'économiste Frédéric Bastiat dans une réponse au socialiste Proudhon. Ce passage illustre l'une des causes possibles de la croissance que je soulevais dans mon article, à savoir l'augmentation des ressources (ici, le capital). Bastiat en profite pour donner la seule interprétation possible du concept de croissance (même s'il ne prononce pas ce mot) : le soulagement du sort de l'humanité. Il met donc les choses à leur juste place en faisant de la machine économique un moyen et le bonheur une fin. On est loin du "travailler plus pour gagner plus", parfaitement incontestable dans l'optique d'une augmentation quantitative de la croissance, plus discutable en ce qui concerne l'évolution de la qualité de la vie.

Quelle que soit mon admiration sincère pour les admirables lois de l'économie sociale, quelque temps de ma vie que j'aie consacré à étudier cette science, quelque confiance que m'inspirent ses solutions, je ne suis pas de ceux qui croient qu'elle embrasse toute la destinée humaine. Production, distribution, circulation, consommation des richesses, ce n'est pas tout pour l'homme. Il n'est rien, dans la nature, qui n'ait sa cause finale; et l'homme aussi doit avoir une autre fin que celle de pourvoir à son existence matérielle. Tout nous le dit. D'où lui viennent et la délicatesse de ses sentiments, et l'ardeur de ses aspirations; sa puissance d'admirer et de s'extasier? D'où vient qu'il trouve dans la moindre fleur un sujet de contemplation? que ses organes saisissent avec tant de vivacité et rapportent à l'âme, comme les abeilles à la ruche, tous les trésors de beauté et d'harmonie que la nature et l'art ont répandus autour de lui? D'où vient que des larmes mouillent ses yeux au moindre trait de dévouement qu'il entend raconter? D'où viennent ces flux et des reflux d'affection que son cœur élabore comme il élabore le sang et la vie? D'où lui viennent son amour de l'humanité et ses élans vers l'infini? Ce sont là les indices d'une noble destination qui n'est pas circonscrite dans l'étroit domaine de la production industrielle. L'homme a donc une fin. Quelle est-elle? Ce n'est pas ici le lieu de soulever cette question. Mais quelle qu'elle soit, ce qu'on peut dire, c'est qu'il ne la peut atteindre si, courbé sous le joug d'un travail inexorable et incessant, il ne lui reste aucun loisir pour développer ses organes, ses affections, son intelligence, le sens du beau, ce qu'il y a de plus pur et de plus élevé dans sa nature; ce qui est en germe chez tous les hommes, mais latent et inerte, faute de loisir, chez un trop grand nombre d'entre eux.

Quelle est la puissance qui allégera pour tous, dans une certaine mesure, le fardeau de la peine? Qui abrégera les heures de travail? Qui desserrera les liens de ce joug pesant qui courbe aujourd'hui vers la matière, non-seulement les hommes, mais les femmes et les enfants qui n'y semblaient pas destinés? — C'est le capital; le capital qui, sous la forme de roue, d'engrenage, de rail, de chute d'eau, de poids, de voile, de rame, de charrue, prend à sa charge une si grande partie de l'œuvre primitivement accomplie aux dépens de nos nerfs et de nos muscles; le capital qui fait concourir, de plus en plus, au profit de tous, les forces gratuites de la nature. Le capital est donc l'ami, le bienfaiteur de tous les hommes, et particulièrement des classes souffrantes. Ce qu'elles doivent désirer, c'est qu'il s'accumule, se multiplie, se répande sans compte ni mesure, — Et s'il y a un triste spectacle au monde, — spectacle qu'on ne pourrait définir que par ces mots: suicide matériel, moral et collectif, — c'est de voir ces classes, dans leur égarement, faire au capital une guerre acharnée. — Il ne serait ni plus absurde, ni plus triste, si nous voyions tous les capitalistes du monde se concerter pour paralyser les bras et tuer le travail.

25 janvier 2009

La croissance économique existe-t-elle ?

Cet article fait en partie suite aux nombreux échanges fructueux autour du précédent article « Croissance Verte : un nouvel Eldorado ? ». Il est particulièrement long mais j'espère que les lecteurs auront le courage de le lire jusqu’au bout, sans se laisser rebuter par le formalisme mathématique.

Introduction

Parmi tous les concepts développés par la science économique, c’est certainement celui de croissance qui prend le plus de place dans le débat publique. La politique économique d’un gouvernement, la puissance d’une nation, le bien-être d’une population : tout semble se ramener à un seul et même indicateur : celui de croissance économique. Nos dirigeants œuvrent donc naturellement pour « augmenter la croissance ». Cette expression toute simple est en réalité d’une formidable abstraction. En effet, si on réfléchit un peu, on remarque que la croissance c’est la variation du Produit Intérieur Brut qui est lui-même la somme de toute la valeur ajoutée de l’économie qui est elle-même la variation de la richesse d’un pays. Augmenter la croissance, c’est donc augmenter l’augmentation de l’augmentation de la richesse nationale, une sorte de dérivée troisième en quelque sorte. Dis comme cela, on comprend bien que cette notion ne va plus tout à fait de soi…

Revenons donc aux définitions : la croissance économique désigne l'augmentation de la production de biens et de services dans une économie sur une période donnée, en particulier sur une période longue. A court terme, les économistes préfèrent parler d’expansion ou de récession. Pour la calculer, on étudie les variations d’une grandeur macroéconomique bien connue, le Produit Intérieur Brut, qui est, selon la définition que l’on retient, la somme des valeurs ajoutées des entreprises, la production finale totale, la demande totale ou encore les revenus totaux d’un pays sur une année. Ces équivalences sont en effet quasi-immédiates : ce qui est produit doit être consommé à partir des revenus des individus qu’ils retirent de leur activité productive. La boucle est bouclée !

L’objet de cette article est de rentrer plus en détail dans cette notion de croissance économique en essayant de retirer un à un les voiles qui pourraient entraver notre compréhension (comme nous y invite Frédéric Bastiat) et d’aboutir à une critique de la croissance économique. Avant de développer ce point de vue, commençons par dire ce que cette critique n’est pas…


Cette critique n’est pas une interrogation sur le bien fondé du développement économique

On reproche souvent aux partisans de la croissance économique de vouloir ramener toute l’existence humaine à sa dimension socio-économique. L’homme ne serait plus qu’un homo economicus uniquement capable de produire et de consommer. Cette critique est totalement justifiée et mériterait un article (que dis-je, un livre) entier. On peut en effet se demander quel est le sens de tout cela et si les hommes sont plus heureux grâce à la croissance économique.

De même, il ne s’agit pas ici d’entrer dans le débat entre croissance et décroissance, qui a émergé ces dernières décennies avec les différentes problématiques environnementales. En effet, il est légitime de s’interroger sur la conciliation d’une croissance continuellement positive, qui implique un développement exponentiel avec le monde fini dans lequel nous vivons. Pour ceux que le sujet intéresse, on ne saurait que trop conseiller la lecture des travaux de l’économiste Nicolas Geogescu Roegen (cliquer ici) qui centre son analyse sur l’idée d’entropie empruntée à la thermodynamique.

Enfin, il n’est pas question de rentrer non plus dans le débat entre richesse et puissance. La croissance s’intéresse à la richesse, qui est une variable extensive et qui peut par conséquent augmenter dans tous les pays à la fois et chez tous les individus à la fois. On peut objecter que les seules variables « réelles » c’est-à-dire celles qui ont un impact sur le bonheur des individus sont d’abord et avant tout relatives, que ce qui compte n’est pas d’être riche mais « plus riche que… ». Sous cette approche, qui est celle de la puissance, ce que l’un gagne, l’autre le perd et il n’y a donc pas de croissance possible. Chacun est libre d’avoir sa propre opinion sur ce sujet, en prétendant parler de croissance économique, je me place par principe dans l’hypothèse d’un jeu qui n’est pas à somme nulle.


Cette critique n’est pas une interrogation sur la pertinence du PIB pour calculer la croissance

Le calcul du PIB est une opération technique complexe, qui requiert le travail de nombreux fonctionnaires aguerris de l’INSEE et qui est donc l’objet de conventions et d’erreurs de mesure multiples. Que le lecteur se rassure : il n’en sera pas question par la suite, d’une part parce qu’il ne s’agit pas là de mon domaine de compétence et d’autre part parce là ne situe pas le cœur du sujet.

Des critiques plus fondamentales remettent en cause la manière même dont est constitué le PIB, par exemple en ne tenant pas compte de la production et des services réalisés au sein des ménages. Comme le dit l’adage « épouser sa cuisinière est le plus sûr moyen de faire diminuer le PIB ». Cet argument tout à fait recevable n’a en fait que peu d’importance dès lors qu’il s’agit de calculer la croissance du PIB : on imagine mal en effet que le nombre de mariage entre un homme et sa cuisinière évolue significativement d’une année à l’autre. Ainsi, si le PIB est biaisé, la croissance du PIB l’est certainement beaucoup moins. Notons d’ailleurs que beaucoup de biens et de services non-marchands (ceux que produit l’Etat par exemple) sont bel et bien comptabilisés dans le PIB en étant évalués à leur coût de revient.

Vient ensuite la fameuse question qui a agité bon nombre d’économistes : est-il légitime de compter les services dans le PIB ? Un lourd héritage matérialiste m’a longtemps amené à répondre à cette question par la négative, en ne voyant de croissance possible que dans les biens matériels. Mais force est de reconnaître que les biens et les services ne sont pas si différents que cela du point de vue de l’économie : tous deux nécessitent des ressources (matières premières et/ou temps de travail) et procurent de l’utilité à celui qui les achète. Si la distinction entre services et industrie ne semble pas pertinente pour ce qui concerne le PIB, on peut toutefois s’interroger sur les activités qui créent de la richesse ou de l’utilité de manière globale et celles qui ne font que la déplacer. La croissance n’a en effet rien à voir avec l’idée de justice ou de redistribution. Ainsi, on peut se demander si l’activité des juges, des avocats ou encore des conseillers fiscalistes doit être comptabilisée dans le PIB. Si ces activités sont absolument indispensables à la société (sauf la troisième certainement), en répondant à l’impératif de justice, elles ne peuvent pas être considérées comme des activités productives, c’est-à-dire qu’elles ne permettent pas de faire grossir la taille du gâteau.

Une fois posées tous ces prémices, entrons dans le vif de cette « critique de la croissance »…


Une définition générale de la croissance

Ce qui fait la particularité de la croissance, c’est sa nature duale, à la fois objective et subjective. En effet, on sent bien que si la croissance à quelque chose à voir avec des données purement matérielles comme le nombre de barils de pétrole, le nombre d’heures travaillées ou encore la masse de métal nécessaire pour fabriquer une voiture, elle est également liée à ce que les gens sont prêts à acheter c’est-à-dire à leurs goûts subjectifs. La croissance, ce n’est donc ni tout à fait dans les mains (activité productive), ni tout à fait dans la tête (activité de consommation), mais un peu dans les deux à la fois.

Des tentatives ont été faites pour tenter d’objectiviser la notion de croissance et donc les goûts des individus en se concentrant sur les besoins humains et non sur leurs désirs. Manger, se loger sont en effet des activités nécessaires à tous les individus et peuvent donc être partiellement objectivisables. Telle a été la démarche des physiocrates qui ont en quelque sorte assimilé l’économie à la science de la subsistance. Mais cette distinction entre besoin et désir ou plaisir est en réalité très fragile et on peut très facilement se convaincre que la civilisation consiste à transformer les plaisirs d’aujourd’hui en besoins de demain et à créer de nouveaux désirs. Se concentrer sur les besoins, c’est donc en quelque sorte ramener la vie humaine à sa simple survie.

La tentative inverse, qui consisterait à vouloir faire de la croissance une notion totalement subjective n’est pas plus satisfaisante. Imaginons que tous les individus voient du jour au lendemain doubler l’utilité qu’ils portent à tous les biens et services, rien ne changera alors dans ce qui est consommé ou dans ce qui est produit : l’utilité n’a pas de sens dans l’absolu mais seulement de manière relative, elle est ordinale (permet de hiérarchiser les choix) et non cardinale.

Pour conserver cette dualité objectivité/subjectivité, on peut donc proposer la définition suivante : la croissance économique c’est l’augmentation des biens et des services utiles. Pour ce faire, on peut imaginer d’emblée deux possibilités : fabriquer plus efficacement des objets appréciés par les consommateurs ou alors que les goûts des consommateurs se tournent davantage sur des produits plus faciles à fabriquer. La productivité comme les goûts peuvent donc influer sur la croissance économique.

Les choses deviennent tout de suite plus complexes dès qu’il s’agit de mesurer cette croissance…

L’impossibilité théorique de calculer la richesse d’un pays

Commençons par décrire le plus généralement possible ce qu’est une économie en se focalisant sur les grandeurs « réelles ». Tout d’abord, une économie s’appuie sur des ressources R, qui comprennent à la fois les matières premières, le capital et le travail humain. Pour des raisons de simplicité nous ne nous distinguerons pas entre ces ressources de nature différentes, en particulier, nous ne nous intéressons pas ici à la dynamique d’accumulation du capital. Ces ressources sont utilisées pour générer des biens selon une certaine fonction de production. Pour le bien i, on note cette fonction Fi, on a donc Xi=Fi(Ri) où Ri représente la quantité de ressources utilisées et Xi la quantité de biens i produits. Enfin, dernier élément majeur de l’économie : les goûts des consommateurs, qui sont des préférences entre tous les paniers de biens possibles. Pour les représenter mathématiquement, on utilise une fonction dite d’utilité ordinale U(X1,…Xn). Cette fonction d’utilité n’a pas de réalité en soi puisque toute transformation croissante de U convient également pour décrire les préférences des consommateurs, ce qui existe, c’est donc, pour être rigoureux, la classe d’équivalence des transformations croissantes de U.

Dans cette économie, les individus apportent des ressources (temps de travail, prêt du capital, matières premières) et en échange ils peuvent consommer des biens qui leur apportent une certaine utilité. Pour bien fixer les idées, nous prendrons par la suite l’exemple le plus simple possible, à savoir une économie à deux biens A et B, avec une ressource homogène R, des fonctions de productions linéaires et une fonction d’utilité qui respecte la décroissance marginale de l’utilité qu’apporte chacun des biens (la premier yaourt consommé apporte plus d’utilité que le second…) :
Pour savoir quelles ressources sont utilisées pour la production de quels biens, le plus naturel est de regarder quelle allocation des ressources maximise l’utilité des individus. En effet, à long terme ce sont bien les goûts des individus qui entraînent des modifications de l’appareil productif. On peut donc, avec quelques calculs assez simples, déterminer les quatre quantités Ra*, Rb*, Xa* et Xb* qui sont réalisées à l’équilibre :

Toutes les valeurs « réelles » de l’économie sont ainsi exprimées, indépendamment du fait que l’on soit en économie de marché ou dans un régime totalitaire et centralisateur particulièrement efficace. Vient alors la question principale : qu’est-ce que la croissance ou plutôt qu’est-ce que le PIB dans ces conditions ? Il est définit comme étant égal à la production totale, on est donc tenté d’additionner Xa* et Xb*, mais ces deux biens ne sont pas homogènes, imaginons qu’il s’agisse de trombones et de voitures, il serait absurde de faire une simple addition entre ces deux quantités. On peut alors être tenté de définir le PIB comme étant égal à l’utilité à l’équilibre U*. Toutefois, rappelons que cette utilité est ordinale et non cardinale et donc que U ne peut pas être définie de manière unique. Pour reprendre notre exemple, les paramètres a et b n’ont pas d’existence réelle, en revanche les rapports entre ces valeurs en ont une puisqu’ils indiquent des préférences entre A ou B.

Il ne semble donc pas possible de mesurer le PIB et donc impossible de calculer la croissance d’une telle économie. On peut en revanche continuer à parler de développement économique, au moins de manière qualitative. Regardons pour cela ce qui peut augmenter l’utilité totale à l’équilibre : il peut s’agir d’une augmentation des ressources R, d’une augmentation des productivités alpha ou beta ou enfin d’une augmentation relative des préférences vers les biens de consommations qui utilisent le moins de ressources. Ce simple petit modèle fournit donc l’essentiel des facteurs qui peuvent influencer positivement le développement économique. Augmenter R, c’est travailler plus, disposer de plus de capital ou prélever davantage de matières premières. Augmenter alpha ou beta c’est améliorer la productivité du travail (éducation) ou des machines (progrès technique, effet d’échelle). Enfin, le dernier effet, moins évident, consiste à dire qu’un peuple a tout intérêt à ne pas avoir de goûts trop « luxueux » qui consommeraient trop de ressources. On peut s’arrêter rapidement sur ce point en comparant rapidement la France et les Etats-Unis. Un fait marquant est l’importance de la fonction sur la finition chez les Américains par rapport à chez nous (j’aurais certainement l’occasion d’y revenir dans un prochain article). On peut dès lors se demander si ce tropisme Français pour la finition n’est pas un handicap au développement économique.

Une autre conséquence de ce qui précède, c’est que comparer la « richesse » de deux peuples n’a pas de sens clairement défini dès lors que leurs préférences sont différentes. Imaginons en effet qu’un premier peuple qui « préfère » le bien A produise 5 quantités de A et 4 quantités de B à partir de ses ressources et qu’un deuxième peuple qui « préfère » le bien B produise 4 quantités de A et 5 quantités de B. Comment peut-on décider lequel de ces pays a le plus grand PIB ou la plus grande richesse ? C’est tout simplement impossible, on peut juste dire que le peuple 1 préfère son panier de consommation, de même que le peuple 2 préfère le sien.


L’introduction des prix pour mesurer partiellement la croissance

Pour sortir de simples considérations qualitatives sur le développement économique, une solution consiste à introduire des prix dans l’économie. Notons P(A), P(B) et P(R) les prix d’un bien A, d’un bien B et de l’utilisation d’une ressource R. Ces prix n’ont pas d’existence réelle (ce sont des grandeurs nominales qui dépendent de la quantité de monnaie en circulation), seuls les rapports entre eux sont réels. Nous allons donc supposer que P(R)=1 et que tous les prix s’expriment donc en fonction de R. La quantité totale de monnaie échangée au cours de l'année vaut donc R et si l'on considère que les individus sont payés et font leurs achats une fois par mois, la masse monétaire nécessaire est donc R/12 (plus généralement, on a la relation Mv=PY ou v est la vitesse de circulation de la monnaie, P le niveau général des prix et Y la production). Par ailleurs, la rémunération des biens A ou B sert intégralement à rétribuer les facteurs de production R(A) et R(B) (autre façon de dire que la valeur ajoutée est répartie entre le travail et le capital), on a donc :

Dans ce modèle simplifié, les prix ne dépendent que de la productivité des facteurs de production et non des goûts des consommateurs, cela tient uniquement au cas particulier d’une fonction de production linéaire, dans le cas général on a P(A)=R*(A)/F(R*(A)), qui dépend donc de R*(A) et donc des goûts des consommateurs pour A. On peut donc désormais calculer le PIB :

Bien entendu, comme tout ce qui est acheté sert à rémunérer l’utilisation des ressources, le PIB est alors égal à la quantité des ressources. Cela signifie t-il que seule l’augmentation de R peut générer de la croissance ?

Commençons par ce cas le plus simple, si la quantité des ressources R a une croissance g, alors le PIB aura également une croissance g entre l’année 1 et l’année 2. Ce résultat n’est guère surprenant et, disons-le, d’un intérêt limité.

Prenons désormais le cas d’une augmentation de la productivité dans la fabrication du bien A (progrès technique ou augmentation de la productivité des travailleurs) d’un taux g. Dans notre modèle cela se traduit par une hausse de alpha qui devient alpha(1+g). Le prix du bien A devient donc 1/(alpha(1+g)) et le calcul du PIB redonne R. On devrait donc en conclure qu’une hausse de la productivité n’a pas de conséquence sur le PIB. Mais, objectera-t-on à juste raison, le prix du bien A a baissé entre l’année 1 et 2, il faut donc en tenir compte dans le calcul du PIB, c’est-à-dire corriger les effets de l’inflation ou de la déflation. Pour cela on décide d’évaluer le PIB de l’année 2 à partir des prix de l’année 1. C’est ce tour de « passe-passe » et UNIQUEMENT lui qui permet d’aboutir à une estimation quantitative de la croissance. Dans ce cas, regardons ce que devient le PIB :


Dans, ce cas, le taux de croissance du PIB, définit par PIB’/PIB – 1 vaut :

Si l’on observe en détail ce taux de croissance, on peut tirer quelques conclusions intéressantes. Tout d’abord, la croissance du PIB est d’autant plus importante que la productivité a lieu sur un bien « désiré » par les consommateurs, c’est-à-dire d’autant plus que a est grand par rapport à b. Ensuite, ce taux de croissance est d’autant plus important que alpha est grand par rapport à beta, ce qui consiste à dire qu’augmenter la productivité sur des biens où celle-ci est déjà élevée est préférable pour la croissance. Ce résultat ne saurait toutefois être général et il dépend certainement de la modélisation utilisée ici (dans laquelle une augmentation de la productivité chez A entraîne une plus grande consommation de ressources au profit de A).

Après l’augmentation des ressources et de la productivité, regardons maintenant ce que donne une modification dans les goûts des individus. Supposons par exemple qu’ils se mettent à préférer davantage le bien A que le bien B par rapport à l’année précédente. Cela se traduit par une hausse de a, qui passe à a(1+g). Calculons désormais le PIB :



Dans ce cas, la modification des préférences d’une année sur l’autre n’a aucun impact sur le PIB même si cela déplace la production en faveur de A au détriment de B. Ce résultat entre donc en contradiction avec l’idée exposée par le paragraphe précédent, à savoir que les individus devraient être plus ou moins heureux selon que le bien A nécessite moins ou plus de ressources que le bien B pour être produit. Il y a donc ici une déconnection assez fondamentale entre l’idée de croissance économique et d’augmentation de l’utilité totale des individus. Ce n’est d’ailleurs pas la seule…



Limites du calcul de la croissance à partir des prix

On a vu que le calcul de la croissance était rendu possible par la convention qui consiste à fixer les prix de l’année n+1 comme étant égaux aux prix de l’année n. Cela suppose donc qu’aucun bien nouveau n’est créé au cours de cette année. En effet, supposons qu’en année 1, il n’existe qu’un seul bien de consommation A, avec la même fonction de production que précédemment. Son prix s’établit donc à 1/alpha, et le PIB s’établit à R. Au cours de l’année 2, un nouveau bien B apparaît avec la même fonction de production et les mêmes préférences que dans les paragraphes précédents. Son prix s’établit à 1/beta tandis que le prix de A ne varie pas. En se basant sur l’évolution du prix du bien A, on en conclut donc que l’inflation a été nulle au cours de l’année, on peut donc calculer le nouveau PIB, qui vaut également R (calcul déjà effectué plus haut), la croissance entre l’année 1 et l’année 2 est donc nulle, quelle que soit la nature et l’utilité procurée par le nouveau bien B. On comprend bien qu’il y a ici un problème fondamental. En pratique on évite cette difficulté en considérant que les nouveaux biens produits au cours d’une année représentent une faible proportion des produits consommés et qu’on peut donc compter un indice d’inflation global et un PIB nominal pour calculer la croissance. Ce faisant, on sous-estime tout de même la croissance.

Un deuxième écueil peut être parfaitement illustré par les rasoirs ou les « box » Internet. Il s’agit de biens de consommation qui s’améliorent continuellement en restant à peu près au même prix. Les rasoirs voient leur nombre de lames augmenter tandis que les box offrent de plus en plus de services (téléphone, télévision…). La fonction de production reste globalement la même mais cela masque un double effet : la qualité des biens A est améliorée de même que la productivité, si bien qu’il faut toujours autant de ressources pour produire un bien, mais que ce bien n’est plus tout à fait le même. Il est évident que dans ce cas, il y a bien progrès économique puisque l’on augmente l’utilité des individus à ressources utilisées inchangées. Pourtant, cette évolution n’a aucun impact sur le PIB (si l’on considère que le nombre de rasoirs ou de box vendus n’évolue pas significativement). Là encore, la croissance du PIB semble s’éloigner de l’idée de développement économique.



Conclusion

On le voit, la notion de croissance économique est loin d’aller de soi, principalement parce qu’elle consiste à ramener à un même indicateur, à une même jauge, la production de biens très divers. La monnaie est alors utilisée comme « la mesure de toute chose » pour pouvoir additionner les choux et les carottes, mais alors ce n’est plus la croissance économique que l’on mesure mais la croissance de la masse monétaire (à vitesse de circulation de la monnaie constante). On défalque donc l’inflation pour s’approcher de la croissance réelle, ce qui suppose quelque part qu’aucun nouveau bien n’est créé ni qu’aucune amélioration de la qualité des biens n’a lieu.

Cela signifie-t-il pour autant que le calcul du PIB n’a aucun intérêt ? Pas du tout, il est même certainement, parmi les indicateurs calculables, celui qui permet le mieux de quantifier le développement économique. En revanche, le calcul de la croissance trimestrielle à deux chiffres après la virgule, et surtout l’utilisation qui est faite de ces chiffres par les politiques, journalistes et économistes, est complètement démesurée. Ce qui doit guider l’action publique, ce sont les éléments qualitatifs du développement économique qui ont été développés au cours de cet article et en premier lieu l’augmentation de la productivité des facteurs. Tout le reste n’est qu’illusion (dépense publique massive, qu’il faudra bien rembourser un jour), pillage (utilisation intensive des matières premières) ou abaissement de la qualité de vie (augmentation de la quantité de travail).

15 janvier 2009

En attendant la suite...


Difficile de suivre le rythme d'un article par semaine sur ce blog ! Rassurez-vous, un article est en cours sur la croissance, mais il implique de nombreuses lectures et clarifications. A cette occasion, j'ai découvert un économiste français du XIXème siècle plutôt méconnu : Frédéric Bastiat. Bizarre de s'intéresser à un homme dont les écrits furent les livres de chevet de Ronald Reagan et de Margareth Thatcher, au moment ou tout le monde célèbre le grand retour du keynésianisme. Précisément, ces périodes d'engouement pas toujours rationnelles doivent être le moment de se plonger dans des oeuvres qui offre un autre son de cloche. La lecture de Keynes aurait été ainsi bien profitable lors des dernières années.

Mais là n'est pas l'essentiel, Bastiat c'est avant tout un style très agréable et une manière inégalée de décrire l'économie à partir d'idées simples. Ces "idées simples" que j'aime tant en économie car elles permettent de rester au contact de la réalité et de ne pas transformer une science sociale en un édifice d'abstraction. Parmi elles, la nécessité de rappeler la différence entre la richesse et la monnaie et donc de lever le voile monétaire qui repose sur l'économie. C'est ce que fait Bastiat dans ce texte formidable intitulé "Maudit argent". Ce texte DOIT être lu par tous ceux que l'économie intéresse ! Autre série de textes intéressants, les "Ce que l'on voit, ce que l'on ne voit pas", que l'auteur introduit comme suit : "Dans la sphère économique, un acte, une habitude, une institution, une loi n'engendrent pas seulement un effet, mais une série d'effets. De ces effets, le premier seul est immédiat; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas; heureux si on les prévoit. Entre un mauvais et un bon Économiste, voici toute la différence: l'un s'en tient à l'effet visible; l'autre tient compte et de l'effet qu'on voit et de ceux qu'il faut prévoir. Mais cette différence est énorme, car il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa. — D'où il suit que le mauvais Économiste poursuit un petit bien actuel qui sera suivi d'un grand mal à venir, tandis que le vrai économiste poursuit un grand bien à venir, au risque d'une petit mal actuel".

Enfin, suite à l'article "Pourquoi l'impôt doit-il être progressif", j'aimerais faire partager le commentaire tout à fait intéressant (pour ceux que les mathématiques ne rebutent pas) d'un lecteur de ce blog (A.P.), ce texte figure juste à la fin de cet article. Sur le fond, on en revient un peu au même à savoir que ma façon d'aborder le problème n'est pas vraiment convaincante. J'ai trouvé depuis quelle était la justification microéconomique couramment avancée pour justifier cette progressivité de l'impôt. Il s'agit de considérer que les pertes marginales d'utilité dues à l'impôt sur un euro de revenu supplémentaire soient les mêmes pour tous. On exige donc la condtion suivante : U(R+eps)-U(R+(1-t(R)eps)=A*eps (où eps est une petite somme supplémentaire ajoutée au revenu R et taxée au taux marginal t(R)). Cette condition s'écrit autrement t(R)=A/U'(R). La progressivité est donc justifiée pour toute fonction d'utilité concave.

Cette explication n'est toutefois pas vraiment convaincante selon moi, d'une part car on compare des utilités absolues et cardinales entre individus (alors qu'il me semble que seule les pertes relatives d'utilité puissent être comparée) et d'autre part parce que la justice sociale ne commande pas que chaque effort marginal du à l'impôt soit le même pour tous mais bien que la charge totale que représente l'impôt soit comparable d'un individu à un autre. Le débat continue donc sur cette question, place désormais à la contribution de ce mystérieux lecteur :



Les propriétés minimales de la fonction d’utilité U sont les suivantes: de classe C0, croissante, concave, de domaine de définition R+. On remarquera alors qu’à moins d’être constante à partir d’un certain moment, elle est strictement croissante, ce que nous supposerons. La relation de définition du taux marginal d’imposition s’écrie : (1-A)U(R)=U(R(1-t(R)). Pour éviter de dire des trivialités nous supposerons 0
La relation de définition du tm d’imposition contient une condition cachée. Nécessairement on doit avoir 0≤t(R)≤1, dans ces conditions en faisant tendre R vers 0 dans la relation, par continuité de U, il vient U(0)=0. Réciproquement on vérifie, par le TVI que cette condition assure l’existence et l’unicité de t(R) pour R#0. A ce stade, on peut remarquer qu’aucune des fonctions données en exemple dans le texte ou les commentaires, à l’exception notable de R^1/2 et de la fonction construite à partir de cette dernière dans le commentaire, ne vérifie cette relation. On ne peut donc légitimement les considérer comme fournissant des exemples ou des contre-exemples. Ceci dit, examinons ce que nous pouvons dire de plus.

La croissance de U donne R1≤R2 => U(R1)≤U(R2) soit (1-A)U(R1)≤(1-A)U(R2) d’où U(R1(1-t(R1)))≤U(R2(1-t(R2))) donc par stricte croissance R1(1-t(R1))≤ R2(1-t(R2)). La hiérarchie des revenus est préservée.

Plus intéressant (1-A)U(R)=U(R(1-t(R)))≥t(R).U(0)+(1-t(R))U(R)=(1-t(R))U(R), par concavité de U pour l’inégalité. Donc pour R#0, A≤t, le tm est au moins égal à A.

Supposons que U soit de classe C1, (dérivable en 0 devrait suffire), alors à l’aide d’un développement limite en 0, on constate que la limite de t en 0 est alors A, valeur que l’on adoptera dans ce cas pour t(0), qui n’était jusqu'à présent pas défini.

Avec ces hypothèses, le tm des plus pauvres est alors le tm minimal. On peut donc observer le cas pathologique d’un tm décroissant que lorsque lim0 U’(R) est infini. On comprend mieux la situation : seule l’utilité marginale infinie des plus pauvres peut entrainer un tm supérieur au tm des plus riches.

Si l’on reprend l’exemple de U(R)=(R+1)^(1/2), transformé d’après nos explications en U(R)=(R+1)^(1/2)-1, alors on constate que le tm croit de A a 2A-A^2, brave fonction qui satisfera une mentalité socialiste.

Si l’on considère la fonction U(R)=R pour R≤1 et U(R)=(R+1)/2, le calcul donne alors t=A pour R≤1, t=(A+1)/2-(1-A)/(2R) pour 1≤R≤(1+A)/(1-A) puis t=A+A/R pour (1+A)/(1-A)≤R. Le taux d’imposition croit de A à 2A/(1+A) en R=(1+A)/(1-A) pour décroitre ensuite vers A. Le poujadiste criera à l’exploitation de la classe moyenne.

Considérons enfin la fonction d’utilité U(R)=R+R^(1/2). On se convainc par des calculs que le tm baisse de 2A-A^2 à A. L’aristocrate est content : l’impôt est dégressif.

Nul doute qu’en jouant avec les pentes on puisse produire à peu près n’importe quoi.

08 janvier 2009

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