27 novembre 2009

Réflexions sur la dette publique

Cet article est le premier d'une série de deux consacrée à la dette publique. Il s'agit tout d'abord de présenter un cadre d'analyse général et de pointer ce qui me semblent être un certain nombre de "fausses solutions". Le deuxième article tentera de proposer des pistes de solutions. Entre les deux, je serais très reconnaissant aux lecteurs de ce blog intéressés par le sujet de bien vouloir me livrer leur sentiment en laissant un commentaire ou en m'envoyant un mail.

1. Pourquoi se soucier de la dette publique ?

La dette publique française n’a cessé d’augmenter au cours des 30 dernières années, à l’instar de ce qui s’est passé dans la plupart des pays comparables. La crise économique récente a considérablement accéléré cette évolution. Si la situation est préoccupante, elle est loin d’être catastrophique pour le moment, la signature de la France suscitant toujours la confiance des investisseurs. Dans ces conditions, on est en droit de se demander si la dette publique est réellement un problème pour notre pays et si vouloir la contenir ne s’apparente pas à une mise sous tutelle de la politique sous la contrainte comptable.

Il y a pourtant trois raisons essentielles qui invitent à s’inquiéter du déséquilibre persistant des finances publiques :

  • La première d’entre elles, c’est le risque d’emballement de la dette qui finirait par la rendre insoutenable et qui entraînerait notre pays vers la faillite. Ce scénario, qui n’est aujourd’hui pas le plus probable étant donnée la notation de la dette française, pourrait être causé par une forte remontée des taux d’intérêts qui viendrait augmenter le service de la dette, par une incapacité politique à réduire les dépenses publiques, par l’impossibilité d’augmenter les recettes de l’Etat ou par une combinaison des trois. Laisser déraper les finances publiques, c’est augmenter ce risque dont les répercussions économiques, sociales et politiques seraient absolument catastrophiques.
  • La deuxième raison c’est la volonté de retrouver des marges de manœuvre budgétaires, synonymes de marges de manœuvre politiques. En effet, se soustraire à la contrainte d’équilibre des finances publiques, comme cela a été le cas en France depuis 35 ans, ce n’est pas faire disparaître la contrainte financière, c’est la déplacer : sur les générations futures qui ne peuvent pas s’exprimer à travers la volonté générale du moment mais aussi à plus court terme par une limitation croissante des marges de manœuvre budgétaire de l’Etat en raison de charges d’intérêt de la dette publique croissantes (bientôt le premier poste de dépenses publiques). Aujourd’hui, la charge de la dette représente autant que ce que rapporte l’impôt sur le revenu, dès 2010 ce poste pourrait représenter un tiers du budget de l’Etat.
  • La troisième raison, certainement la plus essentielle, c’est que la dette publique est le moyen à travers lequel la classe politique et l’opinion publique françaises se mentent à elles-mêmes depuis des années. Prôner l’équilibre des finances publiques ce n’est pas avoir une vision étriquée et comptable de la politique, c’est au contraire lui redonner sa noblesse. En effet, faire de la politique c’est faire des choix, c’est admettre que tout n’est pas possible et que tout ne peut pas être prioritaire. L’équilibre financier d’un Etat est donc la marque d’un peuple et d’une classe politique responsable. L’évolution comparée des déficits publics et de la croissance du PIB montre que le creusement de la dette publique a été un moyen pour la France de maintenir son niveau de dépenses publiques malgré une croissance moindre (plus de 5% avant le premier choc pétrolier de 1974, moins de 2,5% après). Le risque est grand que le même scénario ne se reproduise après la crise actuelle avec une nouvelle baisse de notre croissance structurelle et un maintien des dépenses publiques à un niveau d’avant-crise. Il y a un danger réel d’accoutumance à l’endettement public, un peu à la manière des pays disposant d’abondantes ressources naturelles et qui en deviennent dépendants au point de ne pas diversifier le reste de leur économie.

Ces trois raisons impliquent que l’objectif de diminution de la dette publique est la seule voie responsable pour les années à venir. Il est toutefois difficile d’établir un niveau cible à atteindre : s’agit-il d’un ratio dette/PIB de 60% comme inscrit dans le Pacte de Stabilité et de Croissance ? Plutôt que ce rapport entre un stock et un flux, il semble préférable de considérer le ratio entre les charges d’intérêts de la dette et le budget de l’Etat qui traduit mieux l’oberration des marges de manœuvre budgétaires due à l’endettement. Un objectif raisonnable pourrait être que le service de la dette pèse moins que l’une des principales dépenses d’avenir : le budget de l’Education Nationale. Cet objectif relève plus d’un symbole politique que d’une analyse quantitative sur le niveau de dette optimale.

Cet objectif de diminution de la dette publique étant posé, il convient de présenter un chemin permettant de le respecter. Nous commencerons tout d’abord par énumérer un ensemble de « fausses solutions » souvent présentées comme des recettes miracles pour réduire l’endettement avant de détailler les conditions qui nous semblent nécessaires pour y parvenir.

2. Les fausses solutions pour réduire l’endettement de notre pays

Les pistes évoquées ci-dessous sont souvent considérées comme allant dans le sens d’un meilleur équilibre des finances publiques, toutefois elles sont largement insuffisantes pour ramener le déficit public dans des proportions raisonnables. Il convient donc d’être particulièrement lucide face aux différentes recettes miracles du désendettement.

a) Un retour de la croissance
Comme indiqué précédemment, la croissance structurelle de la France s’établit autour de 2,2% depuis le premier choc pétrolier. En admettant que la crise actuelle n’ait pas d’impact sur ce taux de croissance structurel, ce qui implique une forte croissance dans les années à venir pour compenser les années 2008 à 2010, la Cour des Comptes estime que notre déficit diminuerait jusqu’à se stabiliser à un niveau structurel de 3% du PIB.

Si l’on considère un scénario moins favorable où les pertes de 2008 à 2010 soient irréversibles et où la croissance à partir de 2011 s’établisse à un niveau structurel légèrement plus faible de 1,8%, le déficit structurel de la France serait alors égal à 7,5% du PIB ce qui est très clairement insoutenable.

Postuler que la croissance seule pourra solutionner le problème de la dette, c’est faire le pari d’une croissance dans les années à venir supérieure en moyenne à ce que connaît notre pays depuis le milieu des années 70, ce qu’aucun élément tangible ne vient accréditer aujourd’hui. La croissance doit bien entendu rester un objectif prioritaire de la politique économique, mais un discours de responsabilité sur l’endettement public implique de ne pas se reposer sur d’éventuels « lendemains qui chantent » et de prendre en considération un scénario aujourd’hui très crédible : le maintien d’une croissance structurelle pour notre pays autour de 2%.

b) Un retour de l’inflation
L’inflation est souvent présentée comme un remède miracle pour réduire les dettes des Etats. Il est vrai que par le passé, que ce soit au sortir des guerres de Louis XIV ou plus récemment à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, c’est ainsi que l’Etat est parvenu à assainir ses finances. Mais la situation actuelle est différente pour trois raisons essentielles :

• La Banque Centrale Européenne est aujourd’hui indépendante et son mandat, dont la remise en cause exigerait l’unanimité des pays de la zone euro, est de limiter l’inflation à 2%.

• L’inflation ne se décrète pas dans un monde globalisé : avec la mobilité des capitaux, les torrents de liquidités déversées par les Banques Centrales conduisent davantage à créer de nouvelles bulles qu’à générer de l’inflation. Structurellement, les réserves mondiales de main d’œuvre à bas salaire sont un frein important à une inflation significative (sauf si des politiques très protectionnistes étaient menées, ce qui ne me semble pas désirable).

• Quand bien même on assisterait à un retour de l’inflation, il faut savoir que 10% de la dette publique aujourd’hui est indexée sur l’inflation et que 15% de la dette publique est à court terme. Il ne fait aucun doute qu’une forte inflation conduirait à une augmentation des taux exigés pour cette dette à court terme, ce qui limiterait l’impact positif d’une telle évolution pour les finances publiques. Rappelons également que, sauf à ce que l’inflation reste forte sur une très longue période, la période de désinflation, qui succéderait à une période d’inflation, serait douloureuse pour les finances publiques.

Rappelons enfin que l’inflation n’est pas un phénomène neutre, elle est un facteur d’imprévisibilité pour les acteurs économiques et pèse donc sur la croissance structurelle de notre pays.

c) Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite
Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite est l’élément phare de la Révision Générale des Politiques Publiques menée par l’Etat depuis 2007. Cette évolution est absolument nécessaire à long terme pour revenir à une fonction publique moins pléthorique qui génère d’importantes dépenses de fonctionnement pour l’Etat. Cependant, à court et à moyen terme, cette mesure n’a qu’un impact très limité sur l’équilibre des finances publiques. L’économie souvent avancée est de l’ordre de 500 M€/an. En effet, un fonctionnaire qui part à la retraite continue à être une charge financière pour l’Etat qui doit alors lui verser une pension. De plus, les fonctionnaires sont aujourd’hui recrutés avec un niveau de qualification supérieur à celui que possédaient leurs aînés partant à la retraite, ce qui se traduit par une rémunération supérieure.

Pour se donner un ordre de grandeur, cette mesure de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite rapporte aujourd’hui 5 fois moins que ne coûte la baisse de la TVA consentie à la restauration. On voit bien, dès lors que ce n’est pas de là que viendront les grandes économies qui viendront rétablir l’équilibre des finances publiques.

    Conclusion
    Il ressort de cet état des lieux rapide que l'endettement est un problème réel pour notre pays, principalement parce qu'il réduit considérablement les marges d'actions politiques des différents gouvernements. Mais il n'y a pas de recette magique pour revenir à l'équilibre des finances publiques, des réformes structurelles qui stabilisent les dépenses publiques sont donc nécessaires, ce sera l'objet du prochain article consacré à ce sujet.

    03 novembre 2009

    La décomposition du paysage politique français


    S’il possède de nombreux défauts, on peut s’accorder assez facilement sur la qualité que possède Nicolas Sarkozy pour faire bouger les lignes politiques. Le Président de la République est un animal politique hors norme, doué d’une véritable intelligence de l’action et du rapport de force. La conséquence de cet activisme stratégique est une véritable recomposition, ou plutôt une décomposition, du paysage politique français dont il convient de brosser les grandes lignes.

    Durant la campagne de 2007, la stratégie de Nicolas Sarkozy était simple, elle passait par le rassemblement de toutes les droites afin d’arriver nettement en tête au premier tour. Ce pari risqué dans un pays dont on disait qu’il se gagnait au centre a eu pour effet d’offrir aux électeurs français un choix politique assez clair : une politique économique plus libérale et un discours fort sur les valeurs, à commencer par le travail et l’autorité. La droite française rejoignait ainsi ses partis frères à l’échelle de l’Europe. Il faut d’ailleurs reconnaître que cet effort de clarification politique n’a pas été réalisé par les principaux adversaires de Nicolas Sarkozy : Ségolène Royal et François Bayrou. Ces derniers sont restés dans une certaine forme d’ambigüité et proposaient, chacun à leur manière, un programme politique aux contours flous.

    Dès son élection, le nouveau Président a commencé à brouiller les lignes en jouant la carte de l’ouverture. Il a réussi à convaincre les frustrés comme Bernard Kouchner ou Jean-Marie Bockel, les compétences chez Jean-Pierre Jouyet ou Martin Hirsch et celui qui se situe dans l’entre-deux de la frustration et de la compétence : Eric Besson. Si Nicolas Sarkozy a pu se permettre cette ouverture, c’est parce qu’il avait suffisamment donné de gages à l’électorat de droite au cours de sa campagne, ce qui s’appelle bétonner ses arrières, une position que n’avait pas réellement connu son prédécesseur Jacques Chirac. L’ouverture, c’est l’acte I de la décomposition du paysage politique français.

    Le deuxième moment important de cette décomposition, c’est la lente dérive (au sens maritime du terme) de François Bayrou vers la gauche. Celui qui aurait peut-être pu être Premier Ministre à l’heure actuelle s’il avait su amorcer ce virage plus tôt, dans l’entre deux tours, à fait évoluer son parti du centre droit au centre gauche. Historiquement, François Bayrou sera certainement considéré comme le grand liquidateur de la démocratie chrétienne en France, il a délibérément choisi de sacrifier ce grand mouvement de pensée sur l’autel de son ambition personnelle et de son ego surdimensionné. Ce repositionnement stratégique a cependant du mal à masquer l’absence totale de pensée politique du Modem : quel est son programme économique ? Quel est son programme social ? Toutes les prises de parole du leader maximo de ce parti étant consacrées au sauvetage de la République en danger.

    L’acte III de la décomposition, c’est la crise économique qui a eu pour effet collatéral d’enterrer définitivement la timide politique économique libérale que le pouvoir essayait de mener jusqu’alors. Place à une politique keynésienne que ne renierait pas le premier social-démocrate venu. Plus qu’une logique keynésienne, c’est une logique guainésienne qui est aujourd’hui à l’œuvre à la tête de l’exécutif (si un débat existe pour savoir si le multiplicateur keynésien est inférieur ou supérieur à 1, il ne fait guère de doute, dans la tête de son auteur, que le multiplicateur gainésien vaut au moins 8 !). Le conseiller spécial de l’Elysée, qui avait été contenu pendant le début de mandat, s’est subitement senti pousser des ailes et s’est réveillé un matin en refondateur du capitalisme. En quelques mois, de façon assez opportuniste, la droite française est devenue presque autant antilibérale que la gauche, ce qui fait de notre pays un cas tout à fait singulier.

    Signe de cette frénésie keynésienne (qui aurait certainement bien fait rire Keynes lui-même) dont s’est emparée la classe politique française dans son ensemble : le débat autour de la relance budgétaire. Dans un premier temps le gouvernement a défendu un plan de relance de 15 milliards axé sur l’investissement face à une opposition qui réclamait 100 milliards principalement ciblés sur la relance du pouvoir d’achat. Dans un second temps, l’exécutif sort l’idée de Grand Emprunt, d’un montant qui pourrait approcher les 100 milliards et c’est l’opposition qui crie (avec raison) au dérapage incontrôlé de la dette publique. Le débat économique a ainsi perdu toute rationalité, il n’existe plus de point de repère.

    Le dernier moment en date de cette décomposition/recomposition est venu des dernières élections européennes avec l’émergence des écologistes comme concurrents sérieux du Parti Socialiste au sein de l’opposition et l’effondrement du parti de François Bayrou. Tirant les leçons de ce scrutin, Nicolas Sarkozy a décidé d’accentuer le mouvement de rapprochement de la droite vers les thèses écologistes, ce qui s’est matérialisé par la taxe carbone. L’occasion pour lui aussi de remettre en cause de dogme de la croissance économique avec les conclusions de la commission Stiglitz qui recommande de tenir compte plus largement du bien-être de la population.

    Au cours de ces quatre actes, le Parti Socialiste continue sa lente descente aux enfers avec un congrès de Reims désastreux et une incapacité à émettre la moindre idée originale et pertinente. On pourrait se consoler en se disant qu’une nouvelle génération finira par émerger, sauf que les quadras du PS sont plus médiocres encore que leurs aînés. Ce qui rassemble Peillon, Valls, Hamon, Montebourg et Moscovici c’est leur ambition personnelle démesurée, leur opportunisme qui les fait changer d’écurie à chaque congrès et leur absence de vision politique.

    Au terme de ce rapide tour d’horizon, le paysage politique français apparaît comme un véritable champ de ruine : une droite qui n’a aucun cap, qui cherche au même moment à chasser sur les terres de l’extrême-droite, du centre gauche et des écologistes, deux personnalités qui n’ont rien d’autre à offrir que leur ego : François Bayrou et Dominique de Villepin, un PS en miette, en proie à la guerre civile, des écologistes qui ne sont pas à la hauteur de leur tâche historique et une gauche de la gauche qui joue le scénario du pourrissement à la Die Linke.

    Ce résultat n’est pas à mettre seulement sur le compte de quelques événements isolés comme j’ai pu le faire dans cet article : des mouvements de fond sont à l’œuvre pour brouiller et déstructurer le spectre politique français. Le premier, c’est le pragmatisme, personnalisé par Martin Hirsch et appuyé par de nombreux économistes (principalement des économètres) qui, en cherchant à désidéologiser la politique, finit par la dépolitiser. Pourtant, on ne dira jamais assez que la politique, fût-elle économique, n’est pas une question (uniquement) technique : la définition de ce qui est optimal résulte d’un choix politique pas d’une analyse technico-économique. Le second, c’est l’arrogance moderne qui ne se sent aucune attache vis-à-vis du passé dont elle entend faire table rase. Les partis politiques et leur leader se sentent ainsi libre de tous les mouvements, pourvu que la stratégie électorale le justifie. Les hommes politiques contemporains semblent oublier que les traditions politiques qu’ils sont censés incarner sont plus importantes qu’eux, que ce sont elles qui font l’histoire d’un pays et qu’elles ne doivent pas être pensées comme des tremplins commodes pour satisfaire une ambition personnelle.

    La restructuration du paysage politique, essentielle pour la vie démocratique de notre pays, ne se fera qu’à travers l’humilité. Humilité du positivisme économique qui n’a pas à s’ériger au-dessus des choix politiques sous couvert de pragmatisme. Humilité de la classe politique vis-à-vis des traditions intellectuelle dont elle est le fruit.