Pour simplifier, nous retiendrons uniquement le socialisme qui est aujourd’hui l’idéologie alternative au libéralisme la plus en vue. D’un côté la liberté vertueuse, de l’autre la contrainte nécessaire : voici ce qui résume le mieux l’opposition des grands systèmes de pensée sur le plan économique et social. L’objet de cet article est de proposer un éclairage original sur le fait qu’aucun de ces systèmes ne soit parvenu à triompher de l’autre après plus de deux siècles d’affrontement. Pour cela, j’ai relevé ce qui me semble être la grande force et la grande faiblesse du libéralisme et du socialisme.
1. La force du libéralisme : sa cohérence
Que l’on soit libéral ou antilibéral, il est un fait établi que le libéralisme est une doctrine particulièrement cohérente, qui a subie très peu de modifications fondamentales depuis le XVIIIème siècle. Smith, Ricardo, Say, Bastiat, Friedman… tous pourraient se retrouver sur des conceptions de l’économie et du rôle de l’Etat extrêmement proches. Cette cohérence vient de la simplicité du contenu positif à la base du libéralisme, à savoir que les intérêts des individus sont harmonieux et donc que la meilleure façon de parvenir à un optimum social est de laisser libre court au jeu des intérêts privés.
Cette force conceptuelle est d’autant plus grande que le libéralisme s’applique à des domaines plus larges que la simple économie politique : éducation, mœurs, culture… Partout le même axiome libéral peut s’appliquer et entraîner la même conséquence : un engagement minimal de l’Etat dans la société. L’intervention de l’Etat, pour un libéral, ce ne peut être qu’un mal nécessaire, quand il n’y a pas d’autre choix. L’exemple le plus symptomatique est certainement le monopole public de « battre monnaie », qui se traduit aujourd’hui par les pouvoirs dévolus aux Banques Centrales qui sont des institutions publiques à peu près partout dans le monde.
Le libéralisme, on l’a vu, a un contenu positif extrêmement limité, il ne prétend pas instituer un ordre économique nouveau mais plutôt permettre l’application d’un ordre « naturel ». Un libéral, c’est donc quelqu’un qui s’extasie devant la fabuleuse mécanique sociale qui se met naturellement en place : c’est un contemplateur.
2. La faiblesse du libéralisme : c’est une doctrine indirecte
Commençons tout d’abord par remettre les choses en place : au même titre que le socialisme, le libéralisme est une doctrine sociale (contrairement au capitalisme par exemple). En effet, c’est une méthode de gouvernement dont l’objectif est de parvenir à un optimum social. Le libéralisme ce n’est donc pas la loi de la jungle, le droit de chacun de faire ce qu’il veut. A cet égard, l’expression « libéralisme social » est un pléonasme qu’il serait bon d’éviter. De façon plus générale, dans une démocratie, toutes les doctrines de gouvernement ont pour but le bien du peuple, c’est-à-dire un optimum social. Rien ne sépare les libéraux, les socialistes ou les protectionnistes de ce point de vue, pourvu qu’ils croient à ce qu’ils disent.
La faiblesse principale du libéralisme, c’est que c’est une doctrine indirecte, c’est-à-dire qu’elle emprunte un détour pour parvenir à son but : l’optimum social. Ce détour, c’est le libre jeu des intérêts particuliers qui est sensé induire l’intérêt de la société toute entière. Ce détour, c’est la « main invisible » de Smith ou « l’harmonie » de Bastiat. Présenté comme cela, le libéralisme peut sembler déroutant : comment le bien (optimum social) peut-il émerger d’une forme de mal (somme des égoïsmes individuels) ?
Quelles qu’elles soient, les critiques du libéralisme en reviennent toujours à cette contradiction apparente. Cela est dû au fait que nous ayons intégré (malgré nous) le modèle de l’oppression, qu’elle soit politique, sociale ou économique. Nous sommes tous des marxistes en puissance de ce point de vue. Mais tout est différent sous le régime de la liberté : comme rien n’oblige aucune partie à contracter un échange, cet échange est nécessairement bénéfique à toutes les parties en présence. Un gouvernement libéral, ce n’est donc pas un gouvernement qui regarde les trains passer, il doit au contraire faire triompher le régime de la liberté dans les échanges (c’est-à-dire la concurrence), ce qui peut passer par des politiques extrêmement interventionnistes. La politique « libérale » de la Commission Européenne en fournit un bon exemple avec la lutte contre les monopoles.
3. La force du socialisme : c’est une doctrine directe
A l’inverse, la force principale du socialisme, c’est que c’est une doctrine économique directe. C’est-à-dire qu’elle entend apporter des solutions immédiates aux différents maux de la société. Il y a de la pauvreté : fournissons une allocation aux pauvres. Il y a des bas salaires : mettons en place un salaire minimum. Il y a des métiers pénibles : fixons une durée limite au travail hebdomadaire. Comment pourrait-on, a priori, s’opposer à une telle politique d’éradication du « mal » social ?
Cette doctrine politique est la plus à même de répondre aux attentes légitimes de la population. C’est ce qui explique sans doute que les discours véritablement libéraux se fassent rares lors des campagnes électorales. Comment, en effet, défendre une doctrine indirecte face aux urgences sociales ? Il y a un biais interventionniste dans la vie politique. C’est ce qu’a très bien compris Henri Guaino, qui s’enorgueillit d’avoir transformé un Nicolas Sarkozy « libéral et atlantiste » en un « patriote promoteur du pouvoir d’achat » et, par conséquent, de l’avoir fait gagner.
Le socialisme est donc en phase avec la conviction partagée par bon nombre de citoyens que la politique c’est d’abord et avant tout de la morale. Dès lors que le « mal social » est identifié, il suffit de le combattre directement par la politique. La complexité du monde, à laquelle tout gouvernement doit faire face, se trouve réduite à une opposition manichéenne entre le bien et le mal. Mais le présupposé implicite du socialisme, c’est l’absence d’adaptation des acteurs économiques face aux contraintes dont ils font l’objet. Dans le cas du droit du travail, cela revient à penser que la difficulté de licencier n’a pas d’impact sur la faculté d'embaucher. C’est le propre d’une doctrine directe que de faire quelque peu l’impasse sur les effets indirects ou secondaires qu’elle induit.
4. La faiblesse du socialisme : son incohérence
La première qualité d’un socialiste, c’est finalement son inventivité, sa capacité à élaborer le bon système de contraintes. Il y a donc autant de socialismes qu’il y a de socialistes. C’est Frédéric Bastiat (encore lui, toujours lui !) qui en a fourni l’explication la plus convaincante : « La Liberté n’a qu’une forme : s’abstenir de contrarier et de déplacer les intérêts. La Contrainte peut se manifester, au contraire, par des formes et selon des vues infinies. Les écoles Socialistes n’ont donc encore rien fait pour la solution du problème social si ce n’est qu’elles ont exclu la Liberté. Il leur reste encore à chercher, parmi les formes infinies de la Contrainte, quelle est la bonne. Et puis, pour dernière difficulté, il leur restera à faire accepter universellement par des Hommes, des agents libres, cette forme préférée de la Contrainte ».
En ces quelques phrases se trouve résumé tout le problème du socialisme, un problème dont on peut dès à présent dire qu’il ne pourra jamais venir à bout. Il est dans l’essence même du Socialisme d’être une doctrine instable en évolution permanente pour répondre aux multiples et nouvelles formes que peut prendre le mal social. Il faut donc périodiquement « refonder » le socialisme, comme le répètent à l’envi les différents responsables du PS depuis 2002. Il faut se demander ce que cela signifie d’être de gauche au XXIème siècle. Question légitime qui est pourtant totalement incongrue pour un libéral. En effet, à la question qu’est-ce qu’être libéral au XXIème siècle, la réponse serait immanquablement : c’est la même chose qu’au XVIIIème siècle.
Le libéralisme, doctrine de la contemplation sociale, n’a donc nullement besoin d’être refondé. Le socialisme, doctrine de la construction sociale, doit l’être périodiquement, à chaque fois que cette construction s’affaisse ou qu’une nouvelle construction semble plus prometteuse. Le socialisme est donc bien une doctrine historique, au sens marxiste du terme.
Conclusion
Libéralisme et Socialisme sont donc appelés à continuer à structurer la vie politique pendant de nombreuses années, tant leurs forces et leurs faiblesses respectives sont fortes. La cohérence du libéralisme et l’attrait du socialisme continueront à emporter la conviction des uns ou des autres.
Bien entendu, Libéralisme et Socialisme n’épuisent pas le champ des possibles sur le plan des doctrines politiques, on peut notamment penser à l’écologie politique. Comme tout conservatisme, il s’agit en fait d’une doctrine politique aux contours mal identifiés qui peut tout à la fois s’accommoder du Libéralisme (marchés de CO2) ou de la Contrainte (interdiction de telle ou tellle activité industrielle). Car finalement, quel que soit le problème posé, les deux seules façons de le résoudre sont et demeureront la Liberté ou la Contrainte.