29 juin 2009

Forces et faiblesses du Libéralisme et du Socialisme

Depuis l’origine du débat politique moderne, que l’on peut faire remonter à 1789 pour ce qui concerne notre pays, deux grandes conceptions de l’économie politique s’affrontent. D’un côté le Libéralisme, qui entend faire prévaloir le principe de liberté des échanges et des services entre les individus, et de l'autre le Socialisme, qui estime que l’Etat, dépositaire de l’intérêt général, doit exercer certaines contraintes dans la sphère économique et sociale. Bien entendu le socialisme n’est pas la seule doctrine qui prône une intervention contraignante de l’Etat dans le jeu des intérêts privés : il en va de même du communisme, du nationalisme, du protectionnisme ou encore du colbertisme.

Pour simplifier, nous retiendrons uniquement le socialisme qui est aujourd’hui l’idéologie alternative au libéralisme la plus en vue. D’un côté la liberté vertueuse, de l’autre la contrainte nécessaire : voici ce qui résume le mieux l’opposition des grands systèmes de pensée sur le plan économique et social. L’objet de cet article est de proposer un éclairage original sur le fait qu’aucun de ces systèmes ne soit parvenu à triompher de l’autre après plus de deux siècles d’affrontement. Pour cela, j’ai relevé ce qui me semble être la grande force et la grande faiblesse du libéralisme et du socialisme.

1. La force du libéralisme : sa cohérence

Que l’on soit libéral ou antilibéral, il est un fait établi que le libéralisme est une doctrine particulièrement cohérente, qui a subie très peu de modifications fondamentales depuis le XVIIIème siècle. Smith, Ricardo, Say, Bastiat, Friedman… tous pourraient se retrouver sur des conceptions de l’économie et du rôle de l’Etat extrêmement proches. Cette cohérence vient de la simplicité du contenu positif à la base du libéralisme, à savoir que les intérêts des individus sont harmonieux et donc que la meilleure façon de parvenir à un optimum social est de laisser libre court au jeu des intérêts privés.

Cette force conceptuelle est d’autant plus grande que le libéralisme s’applique à des domaines plus larges que la simple économie politique : éducation, mœurs, culture… Partout le même axiome libéral peut s’appliquer et entraîner la même conséquence : un engagement minimal de l’Etat dans la société. L’intervention de l’Etat, pour un libéral, ce ne peut être qu’un mal nécessaire, quand il n’y a pas d’autre choix. L’exemple le plus symptomatique est certainement le monopole public de « battre monnaie », qui se traduit aujourd’hui par les pouvoirs dévolus aux Banques Centrales qui sont des institutions publiques à peu près partout dans le monde.

Le libéralisme, on l’a vu, a un contenu positif extrêmement limité, il ne prétend pas instituer un ordre économique nouveau mais plutôt permettre l’application d’un ordre « naturel ». Un libéral, c’est donc quelqu’un qui s’extasie devant la fabuleuse mécanique sociale qui se met naturellement en place : c’est un contemplateur.

2. La faiblesse du libéralisme : c’est une doctrine indirecte

Commençons tout d’abord par remettre les choses en place : au même titre que le socialisme, le libéralisme est une doctrine sociale (contrairement au capitalisme par exemple). En effet, c’est une méthode de gouvernement dont l’objectif est de parvenir à un optimum social. Le libéralisme ce n’est donc pas la loi de la jungle, le droit de chacun de faire ce qu’il veut. A cet égard, l’expression « libéralisme social » est un pléonasme qu’il serait bon d’éviter. De façon plus générale, dans une démocratie, toutes les doctrines de gouvernement ont pour but le bien du peuple, c’est-à-dire un optimum social. Rien ne sépare les libéraux, les socialistes ou les protectionnistes de ce point de vue, pourvu qu’ils croient à ce qu’ils disent.

La faiblesse principale du libéralisme, c’est que c’est une doctrine indirecte, c’est-à-dire qu’elle emprunte un détour pour parvenir à son but : l’optimum social. Ce détour, c’est le libre jeu des intérêts particuliers qui est sensé induire l’intérêt de la société toute entière. Ce détour, c’est la « main invisible » de Smith ou « l’harmonie » de Bastiat. Présenté comme cela, le libéralisme peut sembler déroutant : comment le bien (optimum social) peut-il émerger d’une forme de mal (somme des égoïsmes individuels) ?

Quelles qu’elles soient, les critiques du libéralisme en reviennent toujours à cette contradiction apparente. Cela est dû au fait que nous ayons intégré (malgré nous) le modèle de l’oppression, qu’elle soit politique, sociale ou économique. Nous sommes tous des marxistes en puissance de ce point de vue. Mais tout est différent sous le régime de la liberté : comme rien n’oblige aucune partie à contracter un échange, cet échange est nécessairement bénéfique à toutes les parties en présence. Un gouvernement libéral, ce n’est donc pas un gouvernement qui regarde les trains passer, il doit au contraire faire triompher le régime de la liberté dans les échanges (c’est-à-dire la concurrence), ce qui peut passer par des politiques extrêmement interventionnistes. La politique « libérale » de la Commission Européenne en fournit un bon exemple avec la lutte contre les monopoles.

3. La force du socialisme : c’est une doctrine directe

A l’inverse, la force principale du socialisme, c’est que c’est une doctrine économique directe. C’est-à-dire qu’elle entend apporter des solutions immédiates aux différents maux de la société. Il y a de la pauvreté : fournissons une allocation aux pauvres. Il y a des bas salaires : mettons en place un salaire minimum. Il y a des métiers pénibles : fixons une durée limite au travail hebdomadaire. Comment pourrait-on, a priori, s’opposer à une telle politique d’éradication du « mal » social ?

Cette doctrine politique est la plus à même de répondre aux attentes légitimes de la population. C’est ce qui explique sans doute que les discours véritablement libéraux se fassent rares lors des campagnes électorales. Comment, en effet, défendre une doctrine indirecte face aux urgences sociales ? Il y a un biais interventionniste dans la vie politique. C’est ce qu’a très bien compris Henri Guaino, qui s’enorgueillit d’avoir transformé un Nicolas Sarkozy « libéral et atlantiste » en un « patriote promoteur du pouvoir d’achat » et, par conséquent, de l’avoir fait gagner.

Le socialisme est donc en phase avec la conviction partagée par bon nombre de citoyens que la politique c’est d’abord et avant tout de la morale. Dès lors que le « mal social » est identifié, il suffit de le combattre directement par la politique. La complexité du monde, à laquelle tout gouvernement doit faire face, se trouve réduite à une opposition manichéenne entre le bien et le mal. Mais le présupposé implicite du socialisme, c’est l’absence d’adaptation des acteurs économiques face aux contraintes dont ils font l’objet. Dans le cas du droit du travail, cela revient à penser que la difficulté de licencier n’a pas d’impact sur la faculté d'embaucher. C’est le propre d’une doctrine directe que de faire quelque peu l’impasse sur les effets indirects ou secondaires qu’elle induit.

4. La faiblesse du socialisme : son incohérence

La première qualité d’un socialiste, c’est finalement son inventivité, sa capacité à élaborer le bon système de contraintes. Il y a donc autant de socialismes qu’il y a de socialistes. C’est Frédéric Bastiat (encore lui, toujours lui !) qui en a fourni l’explication la plus convaincante : « La Liberté n’a qu’une forme : s’abstenir de contrarier et de déplacer les intérêts. La Contrainte peut se manifester, au contraire, par des formes et selon des vues infinies. Les écoles Socialistes n’ont donc encore rien fait pour la solution du problème social si ce n’est qu’elles ont exclu la Liberté. Il leur reste encore à chercher, parmi les formes infinies de la Contrainte, quelle est la bonne. Et puis, pour dernière difficulté, il leur restera à faire accepter universellement par des Hommes, des agents libres, cette forme préférée de la Contrainte ».

En ces quelques phrases se trouve résumé tout le problème du socialisme, un problème dont on peut dès à présent dire qu’il ne pourra jamais venir à bout. Il est dans l’essence même du Socialisme d’être une doctrine instable en évolution permanente pour répondre aux multiples et nouvelles formes que peut prendre le mal social. Il faut donc périodiquement « refonder » le socialisme, comme le répètent à l’envi les différents responsables du PS depuis 2002. Il faut se demander ce que cela signifie d’être de gauche au XXIème siècle. Question légitime qui est pourtant totalement incongrue pour un libéral. En effet, à la question qu’est-ce qu’être libéral au XXIème siècle, la réponse serait immanquablement : c’est la même chose qu’au XVIIIème siècle.

Le libéralisme, doctrine de la contemplation sociale, n’a donc nullement besoin d’être refondé. Le socialisme, doctrine de la construction sociale, doit l’être périodiquement, à chaque fois que cette construction s’affaisse ou qu’une nouvelle construction semble plus prometteuse. Le socialisme est donc bien une doctrine historique, au sens marxiste du terme.

Conclusion

Libéralisme et Socialisme sont donc appelés à continuer à structurer la vie politique pendant de nombreuses années, tant leurs forces et leurs faiblesses respectives sont fortes. La cohérence du libéralisme et l’attrait du socialisme continueront à emporter la conviction des uns ou des autres.

Bien entendu, Libéralisme et Socialisme n’épuisent pas le champ des possibles sur le plan des doctrines politiques, on peut notamment penser à l’écologie politique. Comme tout conservatisme, il s’agit en fait d’une doctrine politique aux contours mal identifiés qui peut tout à la fois s’accommoder du Libéralisme (marchés de CO2) ou de la Contrainte (interdiction de telle ou tellle activité industrielle). Car finalement, quel que soit le problème posé, les deux seules façons de le résoudre sont et demeureront la Liberté ou la Contrainte.

22 juin 2009

Protection sociale et variabilité de l’économie

La crise financière, devenue crise économique, tourne actuellement à la crise sociale. L’occasion pour beaucoup de saluer la protection qu’apporte le modèle social français, qui est désormais érigé en amortisseur de crise. Mais la question fondamentale est : contre quoi ou contre qui ce modèle social nous protège-t-il ? En effet, les notions de sécurité sociale, de transferts sociaux, de mutualisation des risques ou de protection du travail sont trop souvent employés les uns pour les autres et il convient d’y remettre un peu d’ordre.

A la base, tout le monde doit s’accorder sur le fait que l’économie est variable par essence. Cette variabilité est le résultat du progrès technique, des changements de goûts des individus, des aléas individuels (accident, maladie,…) ou encore des aléas naturels (tempêtes, sécheresses…). Cette variabilité entraîne une nécessaire flexibilité de l’économie ou, en d’autres termes, la stabilité complète de l’économie n’est pas un objectif tenable. La protection sociale a pour objectif d’amortir les variations inéluctables de l’économie sur le tissu social. Examinons dans le détail si les principales formes du modèle social français répondent à cet objectif.


La mutualisation des risques


L’essentiel du modèle social français consiste à mutualiser certains risques entre tous les salariés, qu’il s’agisse de l’Assurance Maladie, de l’Assurance Chômage ou de la retraite par répartition. Il convient de séparer les risques universels (maladie, veuvage…) qui concernent l’ensemble des citoyens, les risques propres aux salariés (accident du travail, perte d’emploi,…) et enfin la prévoyance (retraite, que certains présentent parfois sous l’angle du « risque de survie » après 60 ans).

Ces risques sont de plusieurs natures et doivent donc être financés de manière différente. Les risques universels concernent tous les individus, ils doivent donc être financés par l’impôt, ce qui commence à être le cas avec la CSG qui s’est substituée à certaines cotisations maladie. Les risques salariaux doivent être financés par des cotisations sociales assises sur les salaires puisqu’ils ne concernent que les salariés : cette branche de la Sécurité Sociale est de ce point de vue l’héritière directe des Sociétés de Secours Mutuels du XIXème siècle et qui étaient gérées par les salariés eux-mêmes. La prévoyance, enfin, peut être imposée ou pas et peut s’organiser par répartition ou par capitalisation, selon le degré de maturité que l’on accorde aux salariés. Il s’agit, en tout état de cause, d’un salaire différé qui doit être, d'une manière ou d'une autre, financé par les salariés eux-mêmes.

Dans tous les cas, il ne s’agit pas de réduire les risques (maladie, chômage, retraite…) mais d’en limiter la portée sur les individus en les mutualisant. C’est le résultat de l’aversion naturelle des individus pour le risque : ils préfèrent, par exemple, payer un peu tous les mois pour leur santé que prendre le risque de payer d’énormes sommes le jour où ils seront gravement malades. Inutile donc de préciser que ces branches de la Sécurité Sociale doivent être financièrement équilibrées : il n’y a pas dans ce système d’apport d’argent extérieur, ce sont les individus qui se payent leur propre protection sociale. En termes mathématiques, il s’agit d’un système d’espérance nulle mais qui réduit la variabilité pour chaque individu, d’où son utilité sociale.

Cet équilibre financier ne doit pas forcément être réalisé à court terme, car il faut bien amortir les crises économiques. Il ne peut pas simplement viser l’équilibre à long terme car la protection sociale bénéficie uniquement aux générations actuelles et ne doit en aucune façon être financée par les générations suivantes (contrairement à certaines dépenses d’investissement de l’Etat). C’est donc à moyen terme, c’est-à-dire à l’horizon d’un cycle économique, que l’équilibre doit être trouvé. Or ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui, puisque la sécurité sociale française est en déficit chronique depuis 20 années, qui n’ont tout de même pas toutes été des années de crise ! Il semble donc que les Français se mentent à eux-mêmes, ou que les dirigeants politiques les trompent sur ce sujet, ce qui revient un peu au même.




Il faut donc clarifier les financements. L’Etat doit prendre totalement la main sur l’Assurance Maladie, en assurant son fonctionnement par l’impôt et par diverses contributions directes (ticket modérateur, franchise médicale, non-remboursement de certains soins laissés aux mutuelles et aux assurances,…) et en limitant l’augmentation des coûts par sa politique de santé (réforme de l’hôpital, recours aux médicaments génériques…). C’est lui qui a toutes les cartes en main dans ce dossier. Pour s’assurer de l’équilibre de cette branche, il serait bon qu’un financement dédié (l’actuelle CSG) y soit directement affecté.

En revanche, l’Etat doit se désengager de la mutualisation des risques salariaux en confiant directement leur gestion (chômage, accidents du travail,…) aux syndicats de salariés et en fusionnant les cotisations salariales et patronales (distinction qui n’a aucun sens). Les entreprises se contenteraient de verser ce qu’on appelle aujourd’hui le salaire hyperbrut directement aux salariés et les salariés décideraient, par branche, du montant des cotisations, du montant et de la durée des remboursements en votant pour leurs représentants syndicaux. Ces syndicats seraient responsables de l’équilibre financier du système, c’est-à-dire en dernier ressort du versement des allocations.

En ce qui concerne la prévoyance, un système par points qui assurerait mécaniquement l’équilibre financier (en fonction du ratio actifs/retraités et de la croissance) éviterait de relancer périodiquement le débat sur les retraites et permettrait de pérenniser le système par répartition auxquels les citoyens sont à juste titre attachés.


Les transferts sociaux

Les transferts sociaux (RSA, allocations familiales, CMU, minimum vieillesse…) consistent, en dernier ressort, à mettre certaines catégories de la population à contribution aux bénéfices d’autres catégories. Par exemple, la carte Famille Nombreuse ne revient pas à faire financer par l’Etat une partie du billet de train des familles mais à demander aux gens qui ont peu d’enfants ou qui n’utilisent pas le train de payer une partie du ticket des gens qui ont beaucoup d’enfants et qui utilisent le train. C’est ainsi que les choses doivent être présentées.

Un transfert social est donc un choix politique qui ne peut être financé que par l’impôt et absolument pas par des cotisations sociales. Il serait également sain que ces impôts soient dédiés afin que l’on s’assure que le système est bien équilibré à moyen terme et que les générations futures ne contribuent pas aux transferts sociaux des générations actuelles. Notons, de plus, que le caractère obligatoire de l’Assurance Maladie ou de l’Assurance Chômage participe aux transferts sociaux puisque cela revient à faire contribuer les riches et bien portants au-delà des risques qu’ils encourent en réalité.

Dans le cas des transferts sociaux, il s’agit de protéger les individus contre la précarité et de réduire certaines inégalités (si on laisse de côté la politique nataliste). Cet objectif peut se ramener à un problème d’aversion pour le risque dans le cadre de la théorie de la justice de Rawls : il s’agit d’une assurance sur laquelle les individus s’accorderaient avant qu’ils puissent évaluer leur propre fortune par rapport au reste de la société.


Le droit du travail

On a vu que les systèmes de protection sociale consistaient avant tout en une mutualisation de certains risques, qu’ils ne cherchaient pas à supprimer la maladie, le chômage ou « la survie après 60 ans » mais plutôt à rendre ces aléas acceptables par le corps social. Dès lors, qu’en est-il du droit du travail français réputé particulièrement protecteur ? Protecteur contre quoi, protecteur contre qui ? Il ne saurait bien évidemment être question de vouloir supprimer la flexibilité de l’économie puisque cette flexibilité est inéluctable, c’est une « donnée » du problème, pas une variable.

En réalité, le droit du travail est protecteur POUR les insiders (fonctionnaires, CDI dans des grandes entreprises…) CONTRE les « outsiders » (CDD, interim, salariés d’entreprises exposés à la concurrence internationale). C’est l’une des bases du malaise français. La crise actuelle en est l’illustration : la France des insiders, dont je fais partie, n'en vois pas du tout les conséquences, le taux de chômage de cette catégorie est certainement resté stable et relativement bas au cours des derniers mois. En conséquence, tout l’ajustement économique se fait sur la France des outsiders qui sont massivement envoyés au chômage. Autre exemple : l’augmentation du SMIC profite essentiellement à ceux qui ont déjà un emploi assez stable au détriment de ceux qui en cherchent un et dont la productivité est assez faible.

Bref, le droit du travail français semble fonctionner à rebours du reste de la Protection Sociale : il ne mutualise pas les risques : il les concentre ! Pour remédier à cette situation, la fin des coups de pouce au SMIC, un contrat de travail unique et la fin de l’emploi à vie pour les fonctionnaires (dont je fais encore partie) semblent s’imposer. C’est l’une des conditions de la mobilité sociale et de la lutte contre la précarité.


Conclusion


La protection sociale est donc nécessaire pour lisser la variabilité de l’économie sur le corps social en mutualisant un certain nombre de risques. Cette mutualisation doit impérativement se traduire par un équilibre financier à moyen terme, car ce sont les générations actuelles qui profitent de la Protection Sociale. Les rôles et les responsabilités doivent pour cela être clairement établis entre l’Etat et les syndicats de salariés. Enfin, une protection sociale qui aboutit à concentrer les risques économiques sur certaines catégories de la population manque évidemment son but et doit être radicalement modifiée.

09 juin 2009

Les leçons d’une campagne

Cette campagne européenne, qui n’a pas passionné les foules, a été l’occasion pour moi de m’impliquer assez fortement pour défendre les listes UMP. Au regard de cette expérience, j’aimerais tirer quelques conclusions, sur les résultats du scrutin tout d’abord mais également sur l’engagement politique de manière plus générale.

Les résultats de dimanche soir sont assez simples à analyser : deux grands vainqueurs (UMP et Europe Ecologie), deux grands perdants (PS et MODEM), un vote extrême contenu (droite comme gauche) et une abstention record qui témoigne de l’éloignement des citoyens pour le fonctionnement des institutions européennes. L’UMP a gagné avant tout sur un bilan : la Présidence Française de l’Union Européenne, Europe Ecologie sur un projet environnemental qui a le vent en poupe et qui présente la particularité de ne pouvoir s’articuler qu’au niveau européen ou mondial. Le PS et surtout le MODEM ont perdu sur leur incapacité à parler d’Europe et sur leur antisarkozysme stérile.

Cette première lecture doit cependant être affinée pour saisir tous les paradoxes de cette élection. L’UMP tout d’abord a profité du mode de scrutin proportionnel à un tour qui bénéficie aux listes d’union, la majorité bénéficie donc d’un effet de loupe qui masque son absence d’alliés potentiels. Nul doute que les élections régionales, qui se dérouleront sur deux tours, seront beaucoup plus difficiles à gérer pour l’UMP. Sur le fond, l’UMP a beaucoup parlé d’Europe durant cette campagne, mais finalement assez peu du rôle du Parlement Européen. C’est inévitable pour un parti qui privilégie une approche intergouvernementale de l’Europe, on est donc en droit de se demander quelle sera la valeur ajoutée réelle des députés de la majorité élu dimanche dernier.

Europe Ecologie s’est illustrée d’abord et avant tout par le talent de sa tête de liste Daniel Cohn-Bendit, pour qui il est difficile de ne pas éprouver de la sympathie tant il semble à la fois sincère et enthousiaste. Il est apparu comme un recours pour les électeurs de gauche ou du centre qui ne se sont pas reconnus dans les campagnes ternes du PS ou du MODEM. Sur le fond, l’unanimisme écologique qui règne depuis dimanche ne doit pas être une occasion d’évacuer les vrais problèmes, à commencer par celui du nucléaire. C’est l’urgence climatique qui a porté la dynamique en faveur d'Europe Ecologie, ce qui implique de trouver toutes les réponses qui permettent de limiter les émissions de gaz à effet de serre : les écologistes ne peuvent plus continuer à esquiver le débat sur l’intérêt du nucléaire dans ce contexte.

Le Parti Socialiste a été durement sanctionné, certainement beaucoup plus qu’il ne le méritait. Il faut reconnaître l’effort qui a été celui du PSE de bâtir un programme commun pour cette élection. Le problème, c’est que l’idéologie sous-jacente à ce programme – la social-démocratie – est dépassée. La mondialisation a rendu caduque le présupposé selon lequel le progrès économique et le progrès social vont de pair. Le retour en force de la régulation n’a pas pu profiter aux PS européens en raison de la conversion des partis conservateurs au pouvoir à ces thèses. En réalité, le PS n’a pas grand-chose à offrir aux Français que ce que fait Nicolas Sarkozy, et les électeurs le ressentent. S’il y a un terrain idéologique qui demeure inoccupé aujourd’hui, c’est plutôt celui du libéralisme.

Le Modem paye l’obsession présidentielle de son leader maximo François Bayrou. Jamais un parti issu de la grande famille de la Démocratie Chrétienne n’aura aussi peu parlé d’Europe. Dévoré par l’ambition, rongé par la paranoïa, l’éternel 3ème homme a perdu tous ses nerfs quelques jours avant le scrutin en insultant Daniel Cohn-Bendit. Cet épisode lui a certainement coûté de nombreuses voix. Malgré ce naufrage électoral, le Modem reste en position centrale : ni la droite ni la gauche ne peut revendiquer la majorité des voix sans lui. Ce serait donc une erreur d’enterrer François Bayrou trop tôt, sa capacité de nuisance reste forte même si ses chances présidentielles sont aujourd’hui très faibles. C’est la seule bonne nouvelle de ce scrutin pour le PS qui voit s’éloigner son concurrent le plus dangereux.

L’abstention record en Europe, enfin, frappe le nouveau Parlement d’une certaine illégitimité. Que pèsera ce Parlement élu par si peu de citoyens, sur des bases aussi peu claires ? A quoi bon consulter les électeurs par des scrutins de liste quand il s’agit de désigner avant tout de « bons » députés européens qui devront rechercher un consensus afin de peser face au Conseil des Ministres Européen ? A l’avenir, j’entrevois une possibilité de politiser davantage le scrutin européen : imposer que tous les membres de la Commission soient issus du nouveau Parlement et qu’ils cèdent leur place à un suppléant. Dans ce cadre, le Président de la Commission ne serait plus proposé par le Conseil Européen mais par le Parlement. Le Conseil désignerait quant à lui le véritable homme fort de l’Union : le Président du Conseil.

Après ces considérations électorales, j’aimerais évoquer la question de l’engagement politique. Certains lecteurs de mon blog ont pu trouver étrange que je prenne fait et cause pour un parti au cours de cette campagne, prenant le risque d’abandonner tout esprit critique. Je pense en fait que la vie politique est faite de périodes d’action et de périodes de réflexion. Je récuse l’idée qu’il y aurait un « au-dessus » à la politique, un « arrière-monde » composé d’idées pures qui s’opposerait à la fausseté de l’affrontement électoral. Aussi élaborée et complexe soit-elle, une réflexion politique se termine par un bulletin dans une urne, et c’est très bien ainsi. On peut décrier à longueur de temps la faiblesse de l’offre politique, je préfère me dire que cette offre répond à la demande du corps électoral et que si un projet irrésistible existait, il verrait immanquablement le jour dans une société libérale.

Dans ces conditions, il me semble noble de « rentrer dans l’arène » et de défendre une liste ou un camp. Bien entendu je ne partage pas l’intégralité des vues de l’UMP, cela ne m’a pas empêché de défendre avec sincérité ce avec quoi j’étais d’accord. Parfois, j’ai été conduit à interpréter la ligne de l’UMP, à me détourner du discours officiel et compassé qui prévaut lors des campagnes électorales, pour exprimer le fond de la pensée conservatrice et libérale. J’ai également été aidé par le sujet dont il était question au cours de cette campagne : l’Europe, car je me reconnais parfaitement dans la politique du Président de la République, ce qui n’est pas forcément le cas de la politique intérieure qu’il mène.

Merci en tous cas aux lecteurs de ce blog, et un grand merci à Sof avec qui nous avons réussi à maintenir un désaccord constructif. Car une bonne ligne politique, c’est une ligne qui peut être contestée : le consensus, loin d’être un aboutissement, est fondamentalement apolitique.