13 novembre 2011

Les démocraties européennes en danger ?

Depuis quelques semaines, les marchés financiers semblent avoir supplanté les électeurs dans le choix des dirigeants des Etats européens. En quelques jours, nous sommes passés d’une annonce par Georges Papandréou d’un référendum sur les mesures d’austérité à la nomination de deux gouvernements « techniques » dirigés par Lucas Papademos en Grèce et Mario Monti en Italie. Plutôt que de donner la parole au peuple, il a donc été choisi de placer deux technocrates sans attaches politiques particulières pour administrer à ce même peuple les mesures d’austérité jugées nécessaires. Cette situation a de quoi choquer et il est légitime de penser que l’Europe est en train de quitter le chemin de la démocratie sous la dictature des marchés. Je vais pourtant essayer de montrer que cette situation n’est pas aussi choquante qu’il y paraît au premier abord.

1. Ce ne sont pas les marchés qui choisissent les gouvernements

Il convient tout d’abord de tempérer l’idée selon laquelle ce sont les marchés qui sont seuls responsables des changements opérés à la tête de la Grèce et de l’Italie. Dans les deux cas, il faut noter la fragilité des leaders en place, notamment au sein de leur propre camp. Georges Papandréou s’est décrédibilisé aux yeux de l’opinion et des parlementaires en proposant un référendum suite au sommet européen d’octobre, la fracture avec son puissant ministre des finances Evangelos Venizelos est devenue béante. C’est donc avant tout pour des motifs de politique intérieure que le dirigeant du PASOK a perdu le pouvoir et qu’est apparue comme nécessaire par les parlementaires grecs la mise en place d’un gouvernement d’union nationale. Pour diriger ce gouvernement, le nom de Lucas Papademos, ancien vice-président de la Banque Centrale Européenne et professeur d’économie à Harvard, a tout d’abord été avancé puis il s’est effacé au profit d’autres personnalités plus politiques, notamment l’actuel président du parlement grec, membre du PASOK. Ce n’est qu’en raison d’une absence de consensus sur ces personnalités entre les deux principaux partis grecs que le choix est finalement revenu vers Lucas Papademos, étant entendu que de nouvelles élections seraient organisées en février pour donner une direction politique claire au pays.

En Italie, il serait fastidieux de faire la liste des éléments à charge qui ont contraint Silvio Berlusconi à quitter le pouvoir. Sa mauvaise gestion de la crise de la dette italienne et la pression des marchés n’ont été que le catalyseur d’un départ qui était déjà, dans toutes les têtes, jugé comme nécessaire et inexorable. L’Italie ne pouvait plus conserver à sa tête un dirigeant totalement discrédité par ses frasques personnelles, incapable de faire passer la moindre réforme d’envergure au parlement et totalement dans la main de son allié populiste Umberto Bossi, patron de la Ligue du Nord. Quant au choix de Mario Monti, il s’est imposé par consensus au sein de la classe politique italienne et a fait l’objet d’un intense lobbying de la part du Président Italien, ancien leader communiste, Giorgo Napolitano.

Sans trop préjuger du résultat des élections espagnoles du week-end prochain, on peut s’attendre à une victoire assez nette du Parti Populaire, ce sera donc le peuple espagnol, librement, qui portera au pouvoir un parti qui prône une forte rigueur budgétaire. L’Espagne imitera ainsi le Portugal qui a connu la même évolution politique il y a quelques mois. Tous ces exemples montrent que si les marchés exercent une influence sur la politique intérieure des Etats européens, ce sont encore les peuples ou leurs représentants élus qui choisissent le gouvernement. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’une évolution de cette nature est facilitée par le fait que ces pays sont tous des régimes parlementaires où le chef de l’exécutif n’a pas la prééminence qui lui est conférée par un régime présidentiel. En France, une situation similaire ne saurait être envisagée car le Président de la République n’est pas nommé mais élu au suffrage universel direct. Cela ne signifie pas que notre pays soit à l’abri de telles secousses, mais elles ne pourraient prendre que deux formes : soit des élections anticipées, soit une mise en retrait (une « chiracisation ») du Président qui laisserait tout le pouvoir à un nouveau Premier Ministre.

2. La démocratie, c’est le choix parmi les possibilités offertes par la réalité

Au-delà de l’analyse de ces cas particuliers que sont chacun des Etats européens, on ne peut échapper à la question de fond de l’influence croissante des marchés financiers dans le choix des gouvernements et donc dans la politique menée. Plutôt que de s’en émouvoir, il convient de l’expliquer. La démocratie, avant tout, c’est le choix donné au peuple parmi les possibilités offertes par la réalité. C’est en cela que je récuse le caractère démocratique du référendum imaginé par Papandréou car il laissait supposer qu’il y avait une alternative possible au plan de sauvetage européen, ou, plus grave, que la sortie de la Grèce de la zone euro était une option possible. En fait, et on peut parfaitement le comprendre, Papandréou cherchait, à travers ce référendum, un plébiscite pour lui permettre de continuer à gouverner malgré la mauvaise foi de l’opposition de droite et la radicalité des manifestants de gauche.

Trop souvent on réduit la démocratie au choix du peuple, oubliant en cela la « réalité », qui finit, tôt ou tard, par resurgir. Pour reprendre l’expression favorite de Nicolas Sarkozy, on ne peut pas toujours « mettre la poussière sous le tapis ». En accumulant les déficits budgétaires années après années, les gouvernements européens, par facilité, se sont mis dans les mains des marchés financiers, c’est-à-dire des investisseurs et par voie de conséquence des agences de notation qui orientent les choix de ces derniers. L’avis de l’agence Moody’s sur la France n’aurait aucun impact si notre dette représentait 50% de notre PIB. C’est l’endettement massif des pays européen qui donne leur aura aux agences de notation. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que les marchés financiers sont aujourd’hui un moyen privilégié choisi par la « réalité » pour se manifester et se rappeler au souvenir de gouvernements qui avaient préféré la mettre de côté. Toutes les discussions morales sur ces banques sauvées par les Etats qui mettent désormais les Etats à genoux ou sur ces agences de notation qui s’étaient lourdement trompée pendant la crise des subprimes et qui viennent aujourd’hui donner des leçons aux Etats sont, de mon point de vue, hors de propos. Elles ressemblent furieusement à une ultime tentative de prendre le balai pour mettre la poussière sous le tapis, sauf que trop de poussière y est désormais accumulé et qu’il faut bien se résigner à faire quelque chose.

Il ne s’agit pas de dire qu’une seule politique est possible : le dosage des différentes mesures tenant compte de la situation des différents pays doit être un sujet de débat. Il s’agit d’équilibrer un keynésianisme dont on voit les limites et un ricardisme dont on a vu les dégâts dans le passé. Mais ce qui est sûr c’est que la rigueur relève aujourd’hui, pour les gouvernements européens, de l’ordre du nécessaire. L’Europe n’échappera pas à son destin, que la BCE puisse acheter de la dette des Etats ou qu’on continue à lui interdire (question qui est loin d’être anodine), elle va devoir consentir des efforts importants de manière prolongée, deux adjectifs qui peuvent être dosés de manière différente selon les politiques menées.

3. Comment concilier démocratie et austérité ?

Socialement et économiquement, il me semble préférable d’étaler ces efforts dans le temps, mais cela suppose une crédibilité très forte : le monde ne peut nous accorder un léger répit aujourd’hui que s’il est convaincu que nous ne fléchirons pas dans la politique menée dans la décennie à venir. Vient alors la question essentielle : comment concilier dix ans « d’austérité douce » avec la démocratie telle que nous la connaissons aujourd’hui ? Faudra-t-il en passer par dix ans de gouvernements d’union nationale dirigés par des technocrates dont la personnalité sera aussi austère que la politique qu’ils devront mener ? Faudra-t-il en passer par une tutelle de l’Union Européenne vis-à-vis des Etats européens les plus fragiles ? Dans les deux cas, il est probable qu’une vague de populisme ne gagne peu à peu en puissance, ce qui est d’autant plus inquiétant que nous partons déjà d’un niveau assez haut dans ce domaine.

L’autre possibilité, c’est que les principaux partis de gouvernements prennent leurs responsabilités en ne promettant pas n’importe quoi lors des élections mais en continuant à s’affronter « loyalement ». L’alternance politique de gens raisonnables est certainement le meilleur moyen de concilier démocratie et austérité tout en contenant les risques de montée du populisme. De ce point de vue, l’élection française de 2012 sera un test grandeur nature.

Cette deuxième option est cependant trop fragile, et il semble difficile d’échapper à un renforcement des traités européens pour éviter que certains pays ne dévient de la trajectoire qui leur est assignée. Partager la même monnaie, c’est un peu comme vivre dans le même immeuble, cela impose de se fixer des règles communes qui préservent la tranquillité de chacun. Afin d’éviter que cette surveillance européenne ne soit perçue comme une tutelle technocratique, il sera sans doute nécessaire d’aller plus loin dans la démocratie communautaire : la proposition allemande d’élire le Président de la Commission au suffrage universel direct européen va de ce point de vue dans la bonne direction. Il conviendrait, à cette occasion, de rassembler les fonctions de Président du Conseil (poste occupé par Herman Von Rompuy) et de Président de la Commission (poste occupé par José Manuel Barroso).

Dans tous les cas, il n’est pas envisageable que la classe politique externalise la fonction de gouvernement en la confiant à des personnalités qualifiées sans légitimité populaire. Pour le dire autrement, une fois qu’ils auront fait leurs preuves, messieurs Papademos et Monti devront se confronter au suffrage universel.

Et si le technocrate devenu responsable politique était une figure d’avenir pour l’Europe ?

05 septembre 2011

Tordre le coup à cinq contre-vérités

La campagne de 2012 est désormais bien enclenchée : elle est un rendez-vous crucial pour notre pays et doit lui permettre d’affronter ses problèmes en face. Je souhaite m’y engager à ma manière, c’est-à-dire sans ambigüité sur le camp que je soutiens mais sans sombrer dans la rhétorique partisane qui oblige à défendre des idées auxquelles on n’adhère pas. Pour passer de la théorie à la pratique, cet article a vocation à tordre le coup à cinq contre-vérités proférées par la gauche, assez révélatrices de son peu de scrupules en matière de débat économique.

1. La niche Copé qui vaut des milliards

Alors qu’il était ministre du budget en 2007, Jean-François Copé a fait voter une loi qui exonère de taxation les plus-values réalisées par la vente de filiales étrangères par les groupes français. Cette disposition est depuis appelée la « niche Copé » par le parti socialiste et est accusée de coûter chaque année plusieurs milliards d’euros de manque à gagner pour le budget de l’Etat. C’est donc l’occasion d’entonner le refrain bien connu selon lequel la droite n’a d’yeux que pour les riches et les grandes entreprises multinationales.

Effectivement, si on calcule le coût de cette mesure fiscale en appliquant à l’assiette exonérée le taux de taxation qui prévalait, à savoir 19%, on tombe sur 12 milliards d’euros de 2007 à 2009. Mais ce calcul n’a aucun sens puisque l’assiette disparaîtrait aussitôt dès lors que la niche serait supprimée, tout simplement parce que les groupes feraient leurs cessions de filiales depuis des holdings basées à l’étranger afin d’échapper à cette imposition, comme elles le faisaient avant la niche Copé. Ainsi aujourd’hui 21 des 29 pays de l’OCDE ont des dispositions similaires à la niche Copé et dans les autres pays les transactions se font à travers des holdings qui permettent d’échapper à la taxation.

Dès lors, supprimer la niche Copé ne reviendrait pas à rapporter 12 milliards d’euros au Trésor public mais à récupérer ce que le Trésor gagnait avant la mise en place de cette niche : rien ! Ce qui n’empêche pas Martine Aubry de déclarer récemment : "En dix ans, la droite a accru de 70 milliards les baisses d’impôt et les niches fiscales pour les plus favorisés. Y récupérer 50 milliards, je n’appelle pas ça des hausses d’impôts mais la suppression de dépenses fiscales inefficaces et injustes. Personne ne peut expliquer en quoi la niche Copé pour les grandes entreprises, qui a coûté 22 milliards à l’Etat, a été utile à l’économie française !"

2. Pour réduire le déficit sans douleur, il « suffit » de supprimer les niches inefficaces

A force de dénoncer à cor et à cri les niches fiscales, certains en viennent à proférer des inepties. Ainsi, depuis la sortie du rapport de l’IGF sur les niches fiscales et sociales (que personne n’a lu puisqu’il fait 6000 pages), la solution semble toute trouvée pour réduire le déficit de l’Etat sans douleur : supprimer les niches inefficaces ou peu efficientes afin de récolter près de 50 milliards d’euros par an.

Le raisonnement semble frappé au coin du bon sens : supprimer une niche inefficace ne peut pas faire de mal, il s’agit donc de la meilleure manière de réduire le déficit. Mais c’est oublier que d’une certaine manière, toutes les niches sont efficaces en ce sens qu’elles redonnent de l’argent aux Français qui peuvent le dépenser dans l’économie. Supprimer toutes les niches évoquées plus haut reviendrait presque à doubler le montant de l’impôt sur le revenu ce qui serait bien évidemment une catastrophe économique dont le pays ne se relèverait pas ! Comment de prétendus keynésiens peuvent-ils préconiser de telles mesures ?

Si des niches sont inefficaces (et beaucoup le sont) alors il faut les supprimer à fiscalité quasi-constante, c’est-à-dire baisser les taux à mesure que l’on bouche les trous dans l’assiette. Une telle politique aurait du sens car elle rendrait plus lisible le système fiscal français et donc certainement plus juste, mais elle ne rapporterait pas les milliards promis !

3. Les 2/3 du déficit actuel sont imputables aux cadeaux fiscaux faits aux riches par Nicolas Sarkozy

Martine Aubry, rejointe par les autres socialistes, le martèle : « Bien sûr il y a la crise, mais comme la Cour des Comptes l’a montré, les 2/3 du déficit sont imputables à la politique de Nicolas Sarkozy ». Ce n’est même pas le PS qui le dit, c’est cette vénérable institution de la rue Cambon. Dès lors, hors de question de voter la règle d’or proposée par ce pompier pyromane. Sauf que ces chiffres n’ont aucune valeur et que c’est bien la crise qui est responsable de l’essentiel du déficit actuel.

Pour le montrer, il faut reprendre le projet de budget 2009 réalisé en 2008 (avant la faillite de Lehmann Brothers) : le déficit était prévu à 2,7% du PIB avec une hypothèse de croissance à 1%, loin d’être trop optimiste. Finalement, à cause de la crise, le déficit de l’année 2009 aura été de 7,5% du PIB (en raison d’une croissance de -2,2%), soit 4,8% de plus ! Si bien que le déficit prévu pour 2011 de 5,7% ne serait que de 0,9% « si la crise n’avait pas eu lieu et toutes choses égales par ailleurs ». Si bien que ce n’est pas 1/3 mais 4/5 du déficit actuel qui est imputable à la crise.

L’idée des cadeaux fiscaux faits par Nicolas Sarkozy ne résiste pas non plus à l’examen : le taux de prélèvements obligatoires est passé de 43,5% en 2007 à 43,2% en 2011, on peut donc dire qu’il est resté constant sur la période, ce qui a baissé c’est le PIB et donc les recettes fiscales alors que les dépenses sont restées dynamiques. Au fond, on comprend mal ce que le PS reproche à Nicolas Sarkozy : est-ce de ne pas avoir augmenté les impôts ou de ne pas avoir coupé dans les dépenses en pleine crise économique ? Ces reproches sont ils recevables de la part d’un parti qui trouvait il y a peu de temps encore que le gouvernement n’en faisait pas assez en matière de relance de la consommation ?

Pour rester sur l’idée des cadeaux faits aux riches, un examen minutieux du bilan fiscal de Nicolas Sarkozy montre que les choses sont plus nuancées : création puis suppression du bouclier fiscal, abaissement de l’ISF, augmentation de 1% de la taxation des revenus du capital pour financer le RSA et puis plus récemment le projet de taxation des très hauts revenus et de rapprochement de la fiscalité du patrimoine sur celle du travail. Il faut faire preuve d’une certaine mauvaise foi pour voir là une politique exagérément pro-riches.

4. Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux ne rapporte rien

Selon les études, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite rapporterait entre 100 et 500 millions d’euros par an à l’Etat, bien loin des 2,5 milliards d’euros que coûte la TVA à 5,5% sur la restauration (et qui est une erreur, je le reconnais bien volontiers). Dès lors pourquoi s’obstiner dans une telle politique douloureuse qui ne rapporte presque rien ?

Tout d’abord il faut bien voir ce que l’on compare : dans la situation avant réforme on a 2 fonctionnaires qui deviennent 2 retraités (dont il faut bien payer les pensions) et on embauche 2 jeunes fonctionnaires. Avec la réforme, on se retrouve avec 2 retraités et 1 jeune fonctionnaire, l’économie relative est donc celle d’un jeune fonctionnaire mais cela ne signifie pas que la masse salariale + les pensions diminue pour l’Etat, cela permet juste d’en atténuer la hausse. Les véritables économies arriveront (c’est triste à dire mais c’est comptablement exact) quand les fonctionnaires retraités mourront et qu’il ne faudra plus leur verser leur pension.

Si l’on reprend le calcul en relatif entre la situation avec ou sans cette mesure de non remplacement, imaginons que l’on obtienne 500 millions d’économies par an (pour obtenir ce chiffre en haut de la fourchette il faudrait moins redistribuer de pouvoir d’achat aux fonctionnaires restants). Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces économies sont cumulatives d’une année sur l’autre car un fonctionnaire non embauché en 2007 me fait faire des économies en 2007 mais aussi en 2008 et en 2011 ! Ainsi, au bout de 2 ans, l’économie cumulée de cette politique est de 1 milliards et au bout de X années elle est de 0,5 X milliards d’euros. La poursuite de cette politique pendant une période suffisamment longue est donc bien ce qui permettra, à terme, de diminuer le déficit de l’Etat de manière structurelle. Loin d’être une mesurette, il s’agit donc d’une réponse de fond.

Il faut parfois faire confiance à son bon sens : si l’essentiel des dépenses de l’Etat consistent en de la masse salariale et des pensions de retraite, la seule réponse de fond pour les réduire est de recruter moins de fonctionnaires et d’allonger leur durée d’activité.

5. L’augmentation de la durée de cotisation est plus juste que le report de l’âge légal à 62 ans

Pour terminer, on entre dans le mensonge le plus grave du PS, celui relatif au régime de retraite. La position du PS, de Martine Aubry à François Hollande en passant par Ségolène Royal est de revenir à la retraite à 60 ans. Conscients qu’ils risquent de ne pas apparaître crédibles sur le plan des finances publiques, ils cautionnent en revanche l’allongement de la durée de cotisation à 41,5 annuités. En gros ils ne sont pas contre une réforme de retraite en soi mais pensent que le moyen utilisé est injuste. Ce qui est dommage c’est qu’en 2003 François Fillon a fait une réforme précisément basée sur l’augmentation de la durée de cotisation mais qu’à l’époque le PS était contre (peut-être aurait-il préféré à ce moment là une augmentation de l’âge légal, qui sait ?).

La nouvelle figure brandie par le PS est ce fameux ouvrier qui a commencé à travailler très jeune et qui doit avoir le droit de partir dès 60 ans s’il a cotisé plus de 41,5 ans. Notons que pour les carrières très longues la réforme Woerth autorise ce type de départs précoces. Mais bizarrement, on n’entend pas le PS parler des cas, nettement plus nombreux, des salariés qui n’arrivent pas à 41,5 ans de cotisation à 62 ans en raison d’un démarrage tardif dans la vie active (parce qu’ils ont fait des études) et/ou qu’ils ont connu de longues interruptions de carrières. Pour ceux là, le système uniquement basé sur la durée de cotisation est en réalité plus brutal que celui basé sur l’âge légal de départ à la retraite.

En effet, ce que ne dit pas le PS c’est que la durée de cotisation de 41,5 n’est pas requise pour toucher une retraite, dès lors que l’on accepte une décote. Supprimer l’âge légal nécessiterait donc d’augmenter ces décotes pour empêcher les gens de partir trop tôt ce qui serait socialement assez injuste. Mais l’essentiel n’est pas là : en adoptant cette posture, le PS arrive à s’opposer à une réforme impopulaire tout en faisant croire qu’il agit de manière responsable.

Pour être tout à fait honnête, le gouvernement n’a pas choisi de relever l’âge légal à 62 ans par plaisir de briser un symbole ou par choix philosophique mais tout simplement parce que c’était la mesure qui rapportait le plus d’argent au système à moyen terme, il suffit de relire les rapports du Conseil d’Orientation des Retraites de l’époque pour s’en convaincre. Si l’allongement de cotisation avait été retenu pour rapporter les mêmes gains financiers, il aurait fallu le porter à plus de 45 ans ! Est-ce ce que souhaite secrètement le PS ?

Conclusion

Ces exemples illustrent bien l’ambigüité savamment entretenue par le Parti Socialiste et ses dirigeants sur tout ce qui touche aux finances publiques. Avec de tels mensonges, leur arrivée au pouvoir ne laisserait que deux alternatives : la quasi-faillite du pays ou bien le renoncement de leurs engagements une fois arrivés au pouvoir. Heureusement, je les sais suffisamment responsables pour opter pour la deuxième option. Tous les moyens sont bons pour prendre le pouvoir, non ?

19 juin 2011

Quelle politique économique et budgétaire face à la mondialisation ?

La mondialisation est le grand phénomène économique de notre temps, celui par rapport auquel doivent se positionner les politiques économiques proposées par les différents partis politiques. Beaucoup de ceux, à gauche, qui réfléchissent sur ce sujet se cantonnent malheureusement à proposer des solutions protectionnistes sans avenir. En effet, on ne peut pas séparer l’économique du reste de l’organisation sociale : un protectionnisme, même raisonné, ne pourrait donc pas se cantonner aux échanges de biens, il supposerait, pour être efficace, une mise à l’écart de notre pays (ou de l’Europe selon le périmètre retenu) du reste de la marche du monde. Or cette mise à l’écart est aujourd’hui techniquement impossible étant donnés les moyens techniques de communication, de transports et d’information. Fort de ce constat, c’est une toute autre réponse que le protectionnisme qu’il faut apporter à la mondialisation.

1. Une politique économique basée sur la compétitivité du territoire

Dès lors que le capital et le travail sont mobiles dans la globalisation, il importe de rendre son territoire le plus attractif et le plus compétitif possible. L’action de l’Etat en matière économique ne doit donc pas viser à créer telle filière industrielle ou tels emplois, mais à créer des conditions extérieures ou plutôt un écosystème favorables pour l’activité économique. Cette politique de compétitivité (parfois appelée politique de l’offre) doit peu à peu se substituer à la politique keynésienne basée sur la demande. En effet, un des effets majeurs de la mondialisation est de décorréler le lieu de la production du lieu de la consommation, ce qui fait que les politiques de relance keynésienne s’essoufflent rapidement en augmentation des importations plutôt qu’en augmentation de la production nationale.

Cette politique de l’offre, esquissée par le candidat Sarkozy en 2007, parfois soulevée par le candidat Hollande, doit partir d’un diagnostic sur les déterminants de la compétitivité du « territoire France ».

a) Le coût du travail

Trop souvent, on résume la compétitivité d’un pays à son coût du travail, cette approche est simpliste, comme nous le verrons par la suite, mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un sujet essentiel qu’il serait dangereux de balayer d’un revers de main. Pour les activités intensives en main d’œuvre, il s’agit même d’un facteur essentiel pour décider de la localisation d’une nouvelle installation. Mort-né en 2007, le débat sur la TVA sociale (ou anti-délocalisation selon les appellations) ne pourra pas être éludé en 2012. Le déficit commercial chronique que connaît notre pays depuis plus de 10 ans est bien la traduction d’un trop-plein de consommation par rapport à la production, il est donc sage d’envisager de taxer davantage la consommation pour alléger le coût du travail.

Une deuxième mesure nécessaire est l’augmentation de la durée légale du travail. On ne dira jamais assez à quel point les 35h ont été néfastes pour notre économie, de même que la retraite à 60 ans. La défiscalisation des heures supplémentaires a permis en grande partie de desserrer cet étau dans le secteur privé mais cela s’est fait à un coût budgétaire très important qui n’est plus supportable. Par ailleurs, les 35h ont eu pour conséquence de désorganiser l’administration en offrant aux fonctionnaires un nombre faramineux de jours de RTT difficilement compatible avec un service public de qualité, en particulier à l'hôpital. Ces raisons plaident pour un retour à une durée hebdomadaire du travail de 38 ou de 39h pour le public comme pour le privé.

b) L’éducation

L’élément le plus déterminant pour la compétitivité d’un pays, c’est le niveau d’éducation de sa population. En cela, les dépenses liées à l’enseignement relèvent davantage de l’investissement que du fonctionnement. Mais tout n’est pas question de moyens, des réformes de structures sont indispensables pour rendre le système scolaire et d’enseignement supérieur plus efficace. La première consiste à concentrer les moyens au bon endroit : le système secondaire (collège et lycée) absorbe aujourd’hui trop de crédits en regard du primaire (là où se créent les décrochages) et de l’enseignement supérieur (là où se créent les compétences). Ce redéploiement doit aller de paire avec une réflexion profonde sur le collège unique. La comparaison des taux de chômage des jeunes entre les pays européens devraient nous inciter à remettre en cause ce modèle pour orienter vers l’apprentissage les élèves dont on sait très bien qu’ils ne s’épanouiront pas dans le système d’enseignement général, surtout que de très nombreux emplois sont à la clé.

Au niveau de l’enseignement supérieur, un grand pas a été fait avec l’autonomie des universités, il convient désormais d’aller plus loin en concentrant là encore les moyens sur les pôles d’excellence, comme cela est proposé pour les investissements d’avenir (ex Grand Emprunt). Il n’y aurait rien de pire que d’appliquer pour l’enseignement supérieur des critères issus de l’aménagement du territoire en disséminant les crédits sur toutes les universités.

c) Les infrastructures

Dans des économies qui sont de plus en plus communicantes, la manière dont un territoire est « connecté » se révèle essentielle pour sa compétitivité. Qu’il s’agisse des infrastructures de transports (lignes à grande vitesse), d’énergie (réseaux électriques, réseaux de chaleur, réseaux d’hydrocarbures) ou de communication (fibre optique, réseau mobile de 4ème génération), l’Etat doit investir pour générer une formidable externalité positive. Mais cela ne doit surtout pas signifier que tous les investissements en valent la peine : là encore une politiquement d’aménagement du territoire défensive serait la pire des choses. Il faut créer des réseaux là où il y en a besoin, c’est-à-dire à l’intérieur et entre les grands pôles géographiques dans lesquels se concentrent de plus en plus l’activité économique (logique des clusters). Le Grand Paris a cette vocation, de même que le développement des grandes métropoles régionales qui prennent souvent un nouvel essor quand elles se « connectent » à Paris par l’intermédiaire du TGV (Strasbourg, Bordeaux, Lyon, Marseille, Lille…). Ce développement en étoile autour de notre capitale correspond à notre Histoire et à notre culture, il est important d’en faire un atout plutôt que de souffler sur les braises de la jalousies entre les régions françaises.

d) La qualité du système de santé

La part croissante des dépenses de santé dans tous les pays occidentaux est la manifestation directe de l’intérêt croissant que les individus apportent à leur santé et à leur espérance de vie. Cette aspiration profonde, que l’on peut regarder comme une fuite en avant devant la peur de mourir dans les sociétés occidentales, fait de la qualité du système de soins d’un pays un atout majeur en termes de compétitivité. La France possède un avantage certain en la matière, même si le coût budgétaire de cette branche de la protection sociale doit être maîtrisé. Loin d’être antagonistes, le développement de l’offre de soin et une forte pression sur les coûts sont complémentaires : il faut sans cesse chercher à optimiser notre système de protection sociale en mutualisant (à travers l’impôt plutôt qu’à travers les cotisations sociales) l’essentiel et laissant à chacun le soin de financer sa protection complémentaire.

e) La pression fiscale et la situation des finances publiques

Un dernier élément, de plus en plus important, de la compétitivité est la pression fiscale et son évolution possible, qui dépend directement de la situation des finances publiques. On voit bien que les pays sont désormais en concurrence sur le marché des obligations d’Etat pour conserver ou obtenir le Graal : le AAA. En ce sens, une politique de désendettement est une politique de compétitivité.

2- Une politique budgétaire innovante et rigoureuse

Plusieurs débats agitent la politique budgétaire et fiscale : inscrire dans la Constitution une règle d’or sur les déficits, basculer une partie de la fiscalité sur le travail vers une fiscalité sur les pollutions environnementales, en particulier sur le carbone... Ces questions doivent être abordées de paire. La politique environnementale se résume bien souvent à une lutte contre des externalités négatives, l’Etat doit donc envoyer les bons signaux (les bonnes règles du jeu) aux consommateurs et aux producteurs pour orienter leurs comportements. En matière de carbone, après l’échec de la taxe carbone, il est nécessaire d’aller plus loin en donnant ce que tous les acteurs économiques soucieux de l’environnement attendent : de la visibilité. En ce sens, plus qu’une taxe, c’est un prix plancher, augmentant au fil du temps, qui est la meilleure solution. Ce système consiste à dire que le prix du pétrole vaudra au minimum tant d’euros à telle échéance, au moyen de taxes variables mises en place si le prix de marché est inférieur. L’intérêt de ce système, c’est qu’il permet aux acteurs économiques de faire des calculs économiques éclairés et rationnels, son désavantage, c’est qu’il fait rentrer des recettes très variables dans les caisses de l’Etat étant données les grandes fluctuations que connaissent les prix des matières premières énergétiques.

Il serait certainement possible de décomposer ces rentrées fiscales en un montant minimum à peu près certain et en un montant aléatoire ou « exceptionnel » positif. La première composante serait considérée comme une recette fiscale pérenne pouvant être inscrite de manière prévisionnelle dans le budget de l’Etat, au même titre que les autres impôts, à mettre en regard des dépenses pérennes et prévisibles du budget de l’Etat (au premier rang desquelles celles énumérées ci-dessus permettant une plus grande compétitivité de notre territoire), tandis que la seconde serait considérée comme une recette exceptionnelle consacrée aux éventuelles dépenses exceptionnelles (comme les catastrophes naturelles) mais surtout au désendettement. La règle d’or ainsi posée serait que les recettes pérennes du budget de l’Etat doivent couvrir ses dépenses pérennes, afin de viser un déficit nul. En cas de dépression économique, la baisse des recettes et l’augmentation des dépenses provoqueraient un déficit conjoncturel qui devrait être « cantonné » (comme l’est actuellement la dette sociale) et versé à la dette publique. Cela permettrait d’assouplir la discipline budgétaire en cas de crise. Un tel système permettrait de lutter contre les externalités négatives sur le plan environnemental et de réduire l’endettement, deux politiques qui participent là encore de la compétitivité de notre pays.

Conclusion

La politique économique et budgétaire proposée face à la mondialisation n’est ici qu’esquissée, mais elle me semble soulever un certain nombre de « vraies » questions devant lesquelles les candidats à la Présidentielle devront bien se positionner, sauf à revivre un énième débat présidentiel purement hexagonal et déconnecté des problèmes principaux que doit affronter notre pays.

13 juin 2011

Présidentielle : point de situation un an avant 2012

Dans onze mois, les Français choisiront qui exercera la fonction de Président de la République pour les cinq années à venir. Choisiront-ils de reconduire Nicolas Sarkozy ? Donneront-ils sa chance à l’alternance en conduisant le PS au pouvoir pour la première fois depuis 1997 ? Aurons-nous droit à une surprise avec l’élection d’un candidat issu d’une autre formation politique ?

1. Nicolas Sarkozy est-il déjà battu ?

L’élection de 2012 sera avant tout un référendum sur la personne du Président sortant. Les Français devront choisir s’ils décident de repartir pour 5 ans avec Nicolas Sarkozy ou s’ils préfèrent arrêter là. On peut même dire que le clivage droite/gauche a volé en éclat pour devenir un clivage entre pros et antisarkozystes. Cinq ans après, Jean-Louis Borloo, Dominique de Villepin ou François Bayrou pourront donc rejouer le scénario de la rupture avec une politique dont ils ont partagé les objectifs (à des degrés divers) et espérer l’emporter s’ils parviennent à se qualifier pour le second tour. Pour le dire autrement, tout adversaire de Nicolas Sarkozy pendant la campagne pourra se prévaloir d’une certaine forme de nouveauté, qu’il soit de gauche ou d’ailleurs.

Cela signifie bien que, plus que la politique, c’est la personne de Nicolas Sarkozy qui a provoqué des divisions profondes entre les Français. S’il souhaite être réélu, le Président sortant sait bien qu’il a tout intérêt à une dépersonnalisation de la campagne, il s’y emploie d’ailleurs depuis quelques mois. En cela, l’affaire DSK l’a beaucoup servi, même s’il n’en tire pas encore les bénéfices dans les sondages, puisqu’elle a montré que ses prétendus défauts (son attrait pour l’argent, son autoritarisme, son inculture…) étaient bien peu de choses face à ceux qui semblent s’attacher à une personnalité décrite jusqu’ici comme parfaitement morale. Nicolas Sarkozy, après s’être beaucoup tu sur cette affaire, devra montrer que les déluges de critiques versés sur lui par les socialistes depuis 2007 sont en fait une immense tartufferie. Il a commencé à jouer avec ce thème en laissant dire à François Fillon qu’en matière de morale, « les socialistes étaient croyants, mais pas pratiquants ».

Ainsi, même si les sondages ont peu évolué depuis deux mois, la popularité du Président sortant restant très basse, une évolution majeure semble s’être produite : le niveau de haine vis-à-vis de Nicolas Sarkozy a nettement baissé. Suivant la stratégie de François Hollande, il s’est « normalisé » en intervenant peu dans le débat politique depuis plusieurs semaines. Cette stratégie peut être payante si elle est suivie dans le long terme, mais elle s’effondrera au premier écart de langage : Nicolas Sarkozy doit donc renforcer son « surmoi » s’il souhaite être réélu.

Une fois l’hostilité à son égard descendue, il espère que le débat sera moins passionné et que l’on reconnaîtra que son bilan est loin d’être mauvais. Il se présentera comme l’homme qui sait gérer les crises, qu’elles soient économiques ou de politique étrangère, ce que beaucoup lui reconnaisse, mais également comme celui qui a réformé la France à travers des actions à plus long terme comme la réforme de l’Etat (RGPP, carte hospitalière, carte militaire), l’augmentation de la compétitivité du pays (crédit impôt recherche et suppression de la taxe professionnelle), l’autonomie des universités, le RSA, la réforme des institutions (critiquée à l’origine mais dont tout le monde loue les effets avec la réforme de la garde à vue ou la question prioritaire de constitutionnalité) ou encore le Grenelle de l’Environnement. Tout contestable qu’il soit, ce bilan est solide et c’est d’ailleurs l’atout principal de Nicolas Sarkozy pour 2012.

Mais on ne gagne pas une élection sur un bilan, la principale difficulté pour Nicolas Sarkozy sera donc de présenter ses nouvelles orientations pour 5 ans, ce qui est toujours très difficile pour le pouvoir sortant. Il peut également être attaqué sur les deux principales politiques sur lesquelles il a plutôt échoué : la sécurité et l’éducation. Les lois n’ont pas manqué sur ces domaines (surtout sur le premier) mais elles n’ont eu comme fonction que de masquer une certaine forme d’impuissance. Sur ces deux sujets, Nicolas Sarkozy a besoin de propositions très fortes pour la campagne de 2012, de même qu'en matière de compétitivité du pays, il devra aller plus loin et oser mettre sur la table la question de la TVA sociale.

2. Le PS peut-il perdre l’élection ?

Face à un Nicolas Sarkozy très impopulaire, après 10 ans passés dans l’opposition, le Parti Socialiste ne peut a priori pas perdre l’élection de 2012. La disqualification de DSK n’a pas changé profondément les choses de ce point de vue puisque dès le lendemain, François Hollande et Martine Aubry voyaient leurs intentions de vote face au Président sortant monter en flèche. On peut même penser que DSK était le candidat le moins solide des trois, celui qui aurait le moins résisté à une campagne longue.

La question essentielle pour le PS, c’est : Martine Aubry ou François Hollande ? La première rassemblerait plus facilement le PS et le reste de la gauche mais elle est beaucoup plus impopulaire à droite et au centre, ce qui renforcerait considérablement Nicolas Sarkozy par un phénomène de « vote utile » de son électorat traditionnel. Le second semble plus apte à rassembler au second tour mais il a l’appareil du parti contre lui. Ses prétendues lacunes en raison de son inexpérience ministérielle sont beaucoup plus secondaires, François Hollande pourrait même les retourner à son avantage en montrant qu’il incarne la nouveauté.

Sur le plan programmatique, le PS est fondamentalement dans l’erreur, en faisant de l’injustice fiscale la cause de tous les maux de notre pays. Contrairement à ce que les socialistes affirment, la machine à redistribuer fonctionne en France, plus que dans aucun autre pays et l’urgence n’est certainement pas à augmenter la progressivité de l’impôt. Bien entendu, des mesures symboliques sur les très riches ou sur certaines niches fiscales abusives sont toujours possibles et peut-être bienvenues, mais il s’agit là de sujets périphériques : si la redistribution doit réellement augmenter dans notre pays alors cela touchera principalement les cadres des classes moyennes supérieures qui gagnent l’essentiel de leur revenu de leur travail et qui sont déjà lourdement taxés. Le seul candidat au PS qui sorte de ces sujets purement hexagonaux est Arnaud Montebourg avec son concept de démondialisation qui est malheureusement une réponse qui serait catastrophique pour notre pays. A part cette aspiration à un protectionnisme illusoire, le PS refuse de se poser la question de la place de la France dans le monde globalisé. Cette ambiguïté savamment cultivée peut peut-être résister à une campagne électorale mais elle suscitera alors de lourdes illusions dans l’exercice du pouvoir : contrairement à ce qui est souvent annoncé, Sarkozy parti, les problèmes de la France seront toujours là.

3. Que sortira-t-il de la nébuleuse centriste ?

Entre ces deux mastodontes électoraux que sont le PS et l’UMP, y’a-t-il une place pour le centre dans l’élection de 2012 ? Cet espace est d’autant plus convoité depuis le retrait forcé de DSK et il est l’objet de toutes les convoitises de la part de François Bayrou et Jean-Louis Borloo, liste à laquelle on ajoute parfois le gaulliste Dominique de Villepin. Ces candidats en herbe espèrent certainement que Martine Aubry soit désignée candidate et que Nicolas Sarkozy se droitise pendant la campagne, deux phénomènes qui ont peu de chances de se produire concomitamment.

Le problème du centre, et de Borloo au premier chef, c’est qu’on voit mal ce qu’il proposerait de différent au pays que la politique menée par l’UMP ou par la partie sociale-démocrate du PS. Les contraintes financières sont telles que les marges de manœuvre sont très limitées pour des hommes politiques considérés comme responsables. Le Centre ne semble pas avoir aujourd’hui plus de recettes que les autres partis politiques pour réduire le déficit, tout en maintenant la cohésion sociale et en renforçant la compétitivité économique. Sans oublier la question environnementale sur laquelle Jean-Louis Borloo aura du mal à se démarquer de l’exécutif puisqu’il en a été l’artisan.

Le centre droit, dès lors qu’il ne semble pas en mesure de devancer Nicolas Sarkozy au premier tour ne devrait pas vraiment peser sur l’élection et le plus probable semble être d’avoir plusieurs candidats en-dessous de 10%.

4. L’heure de la maturité a-t-elle sonné pour l’écologie politique ?

Comme pour le PS, la question fondamentale pour Europe Ecologie est celle du résultat de sa primaire entre Nicolas Hulot et Eva Joly. L’analogie peut être poussée plus loin tant le premier incarne l’ouverture et la seconde le soutien du parti. Si Eva Joly l’emporte, il est fort probable que sa candidature en reste au stade du témoignage, car son rigorisme pourrait vite être considéré comme un sectarisme. Nicolas Hulot a en revanche plus de chances de faire sortir l’écologie politique de le stade d’immaturité qui l’a caractérisé jusqu’ici. Il a les moyens de troubler le jeu politique à gauche et au centre en franchissant la barre des 10%. Ce faisant, sa candidature serait certainement une bonne nouvelle pour Nicolas Sarkozy puisqu’elle viendrait fractionner encore plus l’espace centriste, empêchant l’émergence d’alternative sérieuse.

Les écologistes, et Nicolas Hulot au premier chef, semblent en revanche complètement schizophrènes sur la question du nucléaire puisqu’ils refusent d’admettre que leur volonté de sortir de l’atome entraîne une mise au second plan de la question du réchauffement climatique. Comment le Nicolas Hulot d’aujourd’hui pourra de manière crédible s’opposer au Nicolas Hulot d’hier qui voyait le nucléaire comme un des éléments de la solution climatique ? Il s’agira certainement d’un débat fondamental de la présidentielle de 2012, avec un PS dont la position n’est pas encore établie sur ce sujet.

Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, les écologistes semblent privilégier le symbolique sur la résolution de problèmes complexes : la tâche qui les attend sera donc grande s’ils parviennent au pouvoir, car le réel ne se dérobe pas devant les symboles.

5. Quelle importance prendra le vote extrême ?

Il y a quelques mois, la qualification de l’extrême droite pour le second tour à travers un « 21 avril à l’envers » semblait acquise. Malgré les affaires à répétition (DSK, Tron, Ferry) qui se sont succédées depuis, le péril frontiste semble plus éloigné aujourd’hui. Comme annoncé dans un article précédent, Marine Le Pen est certainement monté trop tôt dans les sondages et elle peine à conserver son audience dès lors que son programme est sous le feu des projecteurs.

De la même manière, l’extrême gauche ne semble pas en situation de profiter de la crise économique et sociale : la non-candidature d’Olivier Besancenot et le tassement dans les sondages de Jean-Luc Mélenchon semblent attester que l’extrémisme n’est pas si élevé que cela en France et qu’il se concentre de toute façon sur le Front National.

Il n’en demeure pas moins que le FN peut à tout moment dominer les débats si la campagne s’oriente sur le protectionnisme face à la mondialisation, car sur ce sujet il possède incontestablement l’antériorité. Il y a donc de véritables raisons de fond qui peuvent conduire à un vote extrême conséquent dans les années à venir et donc à une accession au second tour de la présidentielle. Si tel n’est pas le cas, la question essentielle sera celle du report de voix en faveur de Nicolas Sarkozy au second tour. En effet, les sondages actuels indiquent que le bloc droite+extrême droite est assez élevé et que le bloc de gauche est plutôt faible : Nicolas Sarkozy aura donc besoin, comme en 2007, de ces voix pour espérer l’emporter.

Conclusion

Les deux incertitudes principales pour le moment sont les résultats des deux primaires au PS et chez Europe Ecologie. Le scénario le plus favorable pour la gauche serait que soient désignés François Hollande et Eva Joly, ce qui permettrait au candidat PS d'arriver en tête avec un score assez élevé au soir du premier tour et de l’emporter assez logiquement au second. Le scénario le plus favorable pour Nicolas Sarkozy serait une candidature de Martine Aubry et d’Eva Joly qui lui laisserait plus d’espace au centre, même si un candidat centriste émergeait, la bataille du second tout serait alors particulièrement serrée.

17 avril 2011

L'infructueuse dialectique du développement durable

Le développement durable est aujourd’hui dans toutes les têtes et sur toutes les lèvres, mais il demeure encore largement impensé. Plus que d’un projet politique, il s’agit de la description d’un horizon souhaitable où cohabiteraient le développement économique, la justice sociale et la protection de l’environnement. Or ces objectifs sont assez largement opposés deux à deux et ce n’est que par une manipulation dialectique que l’on essaye de concilier ces contraires, ce qui aboutit à un discours qui se contorsionne de plus en plus pour se libérer in fine du réel.

1. L’économique et le social : l’explosion du compromis keynésien

La première brique sur laquelle repose le développement durable, c’est le progrès conjoint de l’économique et du social que l’on appelle le compromis keynésien et qui a été longtemps le programme politique fructueux de la social-démocratie. L’idée est que payer convenablement de grandes masses de travailleurs permet de constituer un marché de masse et donc de contribuer au progrès économique. Il y a donc une externalité positive (et non un bénéfice direct) à bien payer ses salariés, mais qui n’a rien à voir avec le poncif selon lequel Ford payait bien ses salariés afin qu’ils puissent s’acheter des voitures. En effet, en payant bien ses salariés, Ford fait du bien à toutes les entreprises mais il se fait du mal car il augmente ses coûts de production, ce n’est que si l’ensemble des entreprises réagit de la même manière (dans une certaine limite : au-delà on ne fait que créer de l’inflation) que le système est stable. A la vérité, si Ford payait bien ses salariés, c’est parce qu’il voulait attirer chez lui les travailleurs dans une situation de plein emploi, c’était donc le symptôme d’un rapport de force favorable aux travailleurs. Ce qui a permis ce compromis keynésien, ce qui a contraint ce compromis keynésien, c’est le cadre politique national et la moyennisation de la société (au sens de développement de la classe moyenne, c’est-à-dire une certaine homogénéisation de la société).

La mondialisation, en faisant éclater le cadre national, rend impossible la poursuite de ce compromis keynésien. En effet, la production et la consommation se réalisant de plus en plus dans des endroits distincts, il n’y a plus cette externalité positive évoquée précédemment : une entreprise exportatrice est avant tout intéressée par la baisse de son coût de production et donc par une pression à la baisse sur les salaires. Peu importe en effet pour un exportateur de participer à une dépression économique là où il produit si le marché où il vend n’en est pas affecté. Il faudrait à l’échelle du monde ce qu’ont été les Etats nations au temps des Trente Glorieuses, c’est-à-dire un cadre politique cohérent et contraignant, pour que l’externalité positive soit maintenue et que subsiste le compromis keynésien. Et encore, cette situation aurait pour préalable une « moyennisation » de la société mondiale qui serait difficilement vécue par les riches que nous sommes tous en tant qu’Occidentaux. Nous assistons donc à une déconnexion des intérêts économiques et sociaux, dont les crises mondiales à répétition ne sont que la manifestation : le système se maintient tant bien que mal grâce aux prêts des riches (de plus en plus riches) vers des pauvres (de plus en plus pauvres) afin qu’ils continuent à consommer. L’accumulation des dettes à l’échelle mondiale, qu’elles soient privées (les subprimes) et publiques (les dettes souveraines), n’est que la conséquence de cette déconnexion entre l’économique et le social, de cette « démoyennisation ».

2. L’économique et l’environnemental : le mythe de la croissance verte

La deuxième brique qui sous-tend le développement durable, c’est l’idée que le développement économique est compatible avec la préservation de l’environnement et en particulier avec la gestion des ressources naturelles (matières premières, eau, énergie, biodiversité…). Certes, en théorie, la croissance économique est agnostique sur le plan de la consommation de ces ressources : on peut très bien concevoir un système où le développement économique se fait par l’exploitation de ressources énergétiques et minières non renouvelables ou un système dans lequel les biens les plus prisés soient renouvelables (nourriture et vêtements produits sans intrants, idées…). Force est de reconnaître que depuis le début de la Révolution industrielle, c’est la première version qui s’est imposée, pour la simple et bonne raison qu’elle permet de « profiter » d’un stock patiemment constitué (les réserves de pétroles, les gisements de charbon, de fer, de cuivre…) plutôt que d’attendre que les ressources renouvelables … se renouvellent !

Tant que l’économie est matérielle (et elle d’autant plus avec la dématérialisation des iPad et des data centers), l’activité économique a des conséquences négatives sur la préservation de l’environnement. Proposition miroir de la précédente : les politiques de préservation de l’environnement freinent l’activité économique. Préserver la biodiversité, gérer quantitativement et qualitativement les ressources en eau, limiter les rejets dans l’air… tout cela a un coût. Les tenants de la croissance verte diront que derrière ce coût il y a des emplois et donc de la consommation future, ils feraient bien de relire Frédéric Bastiat et sa distinction entre ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas (http://bastiat.org/fr/cqovecqonvp.html) !

L’environnement et l’économie sont donc en grande partie opposés. En particulier, l’écologie est fondamentalement un anti-keynésianisme, c’est le refus de penser que produire des choses inutiles puisse être un bien ou que la consommation est comme une bicyclette : il faut toujours avancer pour éviter de tomber. Dans la logique keynésienne, c’est la demande qui dicte l’offre et entraîne la production alors que dans la logique écologiste, c’est la production renouvelable possible qui dicte la demande tolérable.

3. L’environnemental et le social : la difficile acceptabilité sociale de l’écologie

La dernière brique constitutive du développement durable, c’est l’idée que l’écologie est socialement acceptable, c’est-à-dire que les corrections introduite par la préservation de l’environnement ne pénalisent pas les plus pauvres par rapport aux plus riches. La mise en place d’une taxe carbone ou l’instauration de zones en centre-ville où les véhicules les plus polluants (c’est-à-dire les vieux diesels) seraient interdits de circuler montrent bien qu’il en va tout autrement. En effet, ces deux initiatives sont indiscutables sur le plan écologique mais ne sont pas socialement acceptables car elles touchent les plus pauvres.

On pourrait prétexter qu’il s’agit de deux exemples parmi d’autres, mais il y a une raison de fond à cette opposition entre l’environnement et le social : parce qu’ils cherchent plus à satisfaire des besoins (se nourrir, se chauffer, se déplacer) que des désirs, et que les besoins sont plus matériels que les désirs (il suffit de comparer le chauffage d’un logement à la lecture d’un livre), il s’avère que les pauvres dépendent plus de la « matière » (en proportion de leur consommation) que les riches. Par voie de conséquence, taxer l’essence ou l’électricité a des conséquences plus fortes sur les classes les plus défavorisées. Une manière de résoudre ce problème, c’est la lutte contre la précarité énergétique qui est une problématique montante dans le débat publique. Il s’agit d’aider les plus pauvres à isoler leur logement afin de diminuer leur consommation d’énergie et donc de limiter leurs dépenses. Dans le cas où les taux de retour sur investissement de telles opérations sont raisonnables, on trouve bien une synergie entre une politique sociale et une politique environnementale. Mais très souvent, les taux de retour sur investissement sont très longs (40 ou 50 ans), si bien que l’impact social d’une politique contre la précarité énergétique est moindre que si on donnait directement la subvention au propriétaire et qu’il continuait à payer de grosses factures d’énergie.

Conclusion

Le développement durable se base sur trois concepts (le compromis keynésien, la croissance verte et l’acceptabilité sociale de l’écologie) qui sont autant de renversements dialectiques. Ce sont des intentions qui sont exprimées d’autant plus fort qu’elles ne vont pas de soi. Comme souvent en politique, on confond ce qui est avec ce qui est souhaitable, et c’est le réel qui fait les frais de cette contorsion dialectique. Comme cela est souvent observé dans les dissertations de lycéens, c’est la synthèse qui est fumeuse ! Or le développement durable est le résultat d’une triple synthèse.

On peut penser que l’opposition entre l’économique et le social est conjoncturelle, le passé (les Trente Glorieuses) ayant montré qu’il pouvait en être tout autrement. En revanche, l’opposition entre l’environnement d’un côté et l’économique ou le social de l’autre me semble nettement plus durable. L’économique et le social ont en effet le mouvement (certains diront le progrès) en commun alors que la protection de l’environnement est une recherche de stabilité, d’immobilité. Prométhée d’un côté, le Cosmos de l’autre.

L’écologie est fondamentalement un conservatisme. Ironie de l’histoire politique, ce conservatisme est né dans le camp du progressisme. Ceux qui répètent à longueur de phrase qu’être écologiste, c’est forcément être de gauche se trompent, sauf à penser que dans la mondialisation libérale, c’est la gauche qui incarne le conservatisme et la droite le progressisme.

03 avril 2011

Qu’est-ce qui fait monter Marine Le Pen ?

Les cantonales n’ont fait que confirmer ce que les sondages laissaient pressentir depuis quelques semaines : le FN rencontre un large écho dans l’opinion publique et le risque d’un nouveau 21 avril (à l’endroit ou à l’envers) pèse à nouveau sur le débat politique français. Mais qu’est-ce qui fait ainsi monter Marine Le Pen et son parti ?

1. Un climat politique malsain

Les premiers responsables de cette montée en flèche de la présidente du FN, ce sont les autres partis politiques dont le comportement, c’est le moins que l’on puisse dire, n’est pas très responsable. On assiste à un vaste jeu non coopératif entre formations politiques dont le bénéficiaire en dernier ressort semble immanquablement être le Front National. Examinons les responsabilités en balayant l’échiquier politique de la droite à la gauche.

L’UMP, en focalisant le débat sur l’immigration, la place de l’islam en France et l’identité nationale, a contribué à valider les thèmes habituels du Front National. Le parti d’extrême-droite s’est donc retrouvé sur son terrain de jeu, celui où il apparaît comme le parti qui a le moins varié dans ses analyses et ses propositions. Désormais, une bonne partie de l’électorat de droite se retrouve à mi-chemin entre l’UMP et le FN, avec une porosité dans les intentions de vote très importante, surtout dans les milieux populaires conquis par Nicolas Sarkozy en 2007.

Le PS, et l’opposition en général, a également contribué à faire monter le FN pour au moins deux raisons. Tout d’abord, en prétendant que la question de l’identité nationale n’avait aucune légitimité, le PS a cultivé une position commode sur le plan moral mais en total décalage avec le ressenti d’une bonne partie de la population. On assiste donc à un jeu particulièrement pervers : la droite agite des thèmes chers au FN, ce qui fait monter Marine Le Pen, et la gauche réagit en disant que ces questions ne se posent pas, ce qui fait une nouvelle fois monter Marine Le Pen.

Le PS, bien relayé par les médias, est également responsable d’un climat de guerilla politique depuis 2007 particulièrement malsain, avec des attaques d’une violence rare à l’égard du chef de l’Etat. En effet, si Sarkozy c’est le mal absolu alors le FN gagne mécaniquement en respectabilité. On a même vu les Guignols de l’info relayer avec un certain succès dans l’opinion l’idée selon laquelle Sarkozy et Hortefeux c’était pire que le FN, qu’ils incarnaient l’essence du racisme. Les partis « responsables » devraient se rendre compte que la violence en politique ne peut profiter qu’aux partis extrémistes et au FN en particulier.

Terminons notre tour d’horizon par le Front de Gauche emmené par Jean-Luc Mélenchon. On peut dire que l’ancien socialiste a magnifiquement préparé le terrain du populisme pour Marine Le Pen, agitant le thème sulfureux du « tous pourris ». Son succès médiatique ne semble avoir pour seul effet que de faire monter le FN, tant on peine à percevoir une percée du Front de Gauche dans les sondages. Pour résumer : c’est Mélenchon qui sème et Marine Le Pen qui récolte, les deux braconnant à peu près sur les mêmes terres.

2. Des raisons structurelles

Mais ce serait commettre une grave erreur d’interprétation que d’en rester à une explication aussi contingente de la montée de Marine Le Pen. Des raisons de fond sont également à l’œuvre, dont on peut également voir les effets dans d’autres pays européens comme j’ai essayé de le montrer dans différents articles de ce blog depuis le début d’année.

Tout d’abord, alors que tous les partis politiques choisissent de mettre en avant le thème de la protection, il n’est pas étonnant que ceux qui vont véritablement au bout de la logique, en proposant le protectionnisme et la fermeture des frontières, soient récompensés dans les intentions de vote. Quand les partis traditionnels expliquent qu’il faut maîtriser les flux migratoires, Marine Le Pen répond qu’il faut les stopper immédiatement ; quand les partis traditionnels critiquent les insuffisances de l’Union Européenne, Marine Le Pen propose d’en sortir ; quand les partis traditionnels blâment la mondialisation pour ses conséquences sociales, Marine Le Pen propose d'instaurer le protectionnisme ; quand les partis traditionnels rendent le libéralisme responsable de la situation économique et sociale actuelle, Marine Le Pen propose d’en finir avec ce système. Force est de constater que dans l’après-crise, le discours politique ambiant est devenu une modulation piano de la partition frontiste et que beaucoup de gens préfèrent le fortissimo au piano.

La vraie question est quel projet en rupture avec les thèses du FN peut à nouveau être porteur d’espoir ? Comment peut-on vendre le libéralisme, l’Europe, la mondialisation au peuple français ? Ces notions doivent à coup sûr être repensées après la crise mais les abandonner reviendrait de facto à accepter le programme politique du FN.

Enfin, si l’on fait un peu de sociologie électorale, on remarque que beaucoup de Français souffrent d’une représentation médiatique de la France composée uniquement de riches centres villes et de banlieues délaissées. Entre les deux, il y a une France rurale et périurbaine, souvent en première ligne face à la désindustrialisation et qui a l’impression que l’on refuse de prendre sa souffrance en considération, ce qui se traduit assez souvent par la tentation de l’extrême-droite.

Conclusion

Contenir le FN ne doit pas passer par un quelconque Front Républicain, qui serait assez vite contre-productif puisqu’il accréditerait la thèse populiste de l’ « UMPS », mais un apaisement du débat politique de la part des formations politiques « responsables » est plus que jamais nécessaire. Une fois cette violence politique maîtrisée, le plus difficile reste à faire : bâtir un projet d’espérance pour le peuple français au sein de la mondialisation, dont il est difficile de voir les contours à l’heure actuelle.

15 janvier 2011

Les Français n’ont pas besoin de cours d’économie, mais de physique statistique !

En photo : Ludwig Boltzmann

On entend souvent dire que les Français sont nuls en économie, et que cela explique leur approche très simpliste des problèmes politiques. C’est en partie vrai, mais tout dépend du contenu de ce qu’on appelle science économique : s’agit-il des théories microéconomiques qui sont souvent plus séduisantes que pertinentes ? S’agit-il des systèmes d’équations macroéconomiques qui donnent l’impression qu’un pilotage limité à quelques variables est possible ? A mon sens, le problème de fond n’est pas là, et le renforcement des cours d’économie ne changerait pas grand-chose à la culture politique des Français. En revanche, chacun gagnerait à apprendre un peu de physique statistique comme je vais tâcher de le montrer dans cet article.

Prenons deux exemples classiques de physique statistique : le comportement des gaz parfaits et le phénomène de l’aimantation (ou ferromagnétisme). Dans le premier cas, la physique statistique nous apprend comment passer de caractéristiques microscopiques, c’est-à-dire propres à chaque molécule de gaz (vitesse, position), à des propriétés macroscopiques (température, pression). C’est la même chose dans le second cas, avec le modèle d’Ising qui explique comment passer des moments magnétiques de chaque atome composant un métal à l’aimantation de ce même métal. Ce modèle est également utilisé pour expliquer les phénomènes de changements de phase. Ce dernier exemple est en fait beaucoup plus intéressant que le premier car le comportement individuel d’un atome n’est pas indépendant de celui de ses voisins, comme dans le cas des gaz parfaits, mais il est influencé par le champ magnétique induit par les atomes voisins.

Pour résoudre ce problème, on fait souvent l’approximation dite « du champ moyen », c’est-à-dire qu’on isole un atome et que l’on considère connu le champ généré par l’ensemble des autres atomes. Cela permet d’étudier le comportement de l’atome isolé, et comme tous les atomes sont considérés comme identiques ici, on peut en déduire un champ moyen : il suffit alors d’itérer suffisamment de fois pour que le champ moyen postulé en entrée soit identique au champ obtenu en sortie.

Cela peut sembler très technique : on touche pourtant là au cœur des problèmes politiques, économiques et sociaux. En effet, comme la physique statistique, ces sciences sociales doivent penser l’ « émergence », c’est-à-dire l’apparition de propriétés macros, que nous pouvons appeler des faits sociaux (chômage, réussite scolaire, ghettoïsation, croissance économique…) à partir de comportements individuels. Cette émergence ne doit absolument pas être comprise comme une causalité : bien souvent, les maux de la société, que la politique a pour tâche de résoudre, ne sont pas voulus par certains acteurs économiques. Un exemple assez connu est celui de la ghettoïsation : on peut montrer qu’une segmentation ethnique peut s’opérer sans qu’il n’y ait d’hostilité à vivre ensemble, il suffit pour cela de postuler une légère préférence pour son « semblable ». Etudier ces faits sociaux, c'est en fait étudier l'interaction permanente qui existe entre chaque individu et la société, qui n'est jamais que le "champ moyen" généré par les autres individus.

Prenons l'exemple de la méritocratie que j'ai évoqué rapidement dans mon dernier article : pour qu'une société "fonctionne", il faut nécessairement que les individus aient l'impression qu'ils seront, d'une manière ou d'une autre, payés en retour de leurs efforts. Un grand problème politique est donc de faire en sorte que l'organisation de la société permette à chaque individu de se réaliser, c'est-à-dire d'être en position de responsabilité sur le cours de son existence. Sans cela, la croyance méritocratique, toute nécessaire qu'elle soit, finira par s'estomper. A l'inverse, une société dotée d'une bonne organisation dans laquelle les individus ont l'impression que leurs efforts ne sont pas récompensés finira également par s'écrouler. C'est donc bien l'interaction entre une croyance intersubjective et une forme d'organisation sociale qui est le phénomène majeur que la politique doit prendre en compte. Pour cela les responsables politiques doivent "faire" (améliorer l'organisation sociale) mais également "dire" (pour ancrer cette croyance intersubjective).

Il y a au fond deux grandes conceptions politiques possibles : pour la première, que j’appellerai moralisatrice, les maux sociaux résultent de maux individuels qu’il convient d’éradiquer. Ainsi les difficultés d’intégration des populations immigrées trouvent toute leur cause dans l’intolérance et la xénophobie des individus de la société d’accueil, le chômage s’explique par l’appât du gain des chefs d’entreprises, la crise des subprimes vient de la recherche toujours plus grande du profit chez les banquiers américains,… Face à cette conception moralisatrice, il y a une conception politique qui se rapproche de la physique statistique, selon laquelle les maux sociaux émergent sans qu’ils soient nécessairement voulus par une partie des individus. Sans nier l’existence du mal individuel, il me semble qu’il joue au final un rôle assez limités sur les problèmes de la société. Pour le dire autrement, même si tout le monde était altruiste et de bonne fois, il y aurait toujours l’essentiel des problèmes sociaux à résoudre.

Il y a donc un clivage radical entre l’approche « moralisatrice » et l’autre que l’on peut qualifier de « complexe ». Ce clivage m’apparaît comme beaucoup plus important que le clivage droite/gauche qui est sans arrêt mis en avant. En effet, dans le premier cas, le projet politique consiste à identifier les « mauvais individus » et à les empêcher de nuire, c’est-à-dire à faire triompher le bien sur le mal. Dans le second cas, la politique consiste à comprendre et à réparer la mécanique sociale : l’homme politique passe du rôle de procureur à celui d’ingénieur.

Chacun des lecteurs de ce blog comprendra que c’est cette approche « complexe » que je m’efforce de porter au fil de mes articles. Elle me semble aujourd’hui minoritaire dans le discours politique, pour deux raisons principales : d’une part parce que l’approche moralisatrice est beaucoup plus accessible que l’approche complexe, ce qui permet aux populistes de tous poils de convaincre les foules et d’autre part parce que les programmes politiques des grandes formations politiques se sont considérablement rapprochés au fil des années à travers la construction européenne, la chute du communisme et la mondialisation, et que les partis (surtout à gauche) cherchent à se distinguer sur le plan moral, en profitant des diverses « affaires » qui peuvent secouer l’autre camp.

Il n’y a donc qu’une solution pour apaiser et rehausser le débat politique en France : des cours de physique statistique obligatoires pour tous !

02 janvier 2011

Racisme, culturalisme, xénophobie

On le sait, certains sujets sont tellement glissants qu’on préfère éviter de les aborder. Cette stratégie d’évitement conduit inéluctablement à un décalage croissant entre le discours et la réalité, à force de détours sémantiques et d’euphémisations. Il en est ainsi de tout ce qui touche à la diversité culturelle et ethnique. Disons-le tout de suite, le tabou qui entoure ces questions a de très bonnes raisons d’être : en effet, le XXème siècle nous a appris jusqu’à quelles atrocités la stigmatisation de l’ « autre » pouvait conduire, et il serait naïf de croire qu’en la matière l’Histoire a servi de leçon. A l’inverse, agiter le spectre des années trente dès lors que le sujet est abordé est aussi absurde que contre-productif.

Le problème qui me semble se poser aujourd’hui, c’est que l’antiracisme est sorti de son lit, c’est-à-dire que le discours qu’il véhicule dépasse son objet direct. En plus de dénoncer avec raison l’inégalité des hommes selon leur origine ethnique, l’antiracisme d’aujourd’hui tend à nier l’influence que la culture d’origine peut avoir sur un individu et fait reposer l’ensemble des difficultés de coexistence multiculturelle sur la discrimination dont les minorités seraient victimes. Dès lors, un amalgame se créé entre racisme, xénophobie et culturalisme. Il me semble nécessaire de remettre un peu d’ordre dans ces notions et de préciser ce qui me semble être le discours à tenir sur ces sujets.

1. L’origine raciale ne joue qu’un rôle marginal dans le comportement et les facultés des individus

Tel me semble être le principal axiome de l’antiracisme. Pour le dire autrement, l’homme est avant tout un être épigénétique c’est-à-dire que son identité est d’abord intellectuelle, sociale et culturelle. Bien entendu, on ne peut pas dire que l’origine raciale ne joue aucun rôle sur les facultés d’un individu (il suffit de penser aux performances sportives par exemple ou aux différences manifestes entre les hommes et les femmes), il s’agit juste de dire qu’entre le développement pré-natal (génétique et plus généralement biologique) et le développement post-natal (éducatif, social, culturel), c’est le second qui est le plus déterminant sur la construction de l’individu. Cette caractéristique est certainement propre aux espèces évoluées qui se soustraient peu à peu de la sélection Darwinienne en remplaçant le milieu extérieur biologique par un milieu extérieur social et culturel.

Il faut souligner que cette thèse minimale de l’antiracisme ne va pas de soi. La domination du monde à partir du XVème siècle par les Européens a fait naître dans l’esprit de beaucoup de personnes (aujourd’hui encore) l’idée que l’homme blanc était supérieur aux autres races. Il est utile de lire l’ouvrage génial de Jared Diamond « Guns, Germs and Steel » pour la chasser définitivement de son esprit. Ce livre qui tente d’expliquer les réussites diverses des civilisations depuis la dernière ère glaciaire commence par une interpellation crue : celui qui n’arrive pas à apporter une explication au fait que les aborigènes n’ont pas réussi à construire une civilisation développée alors que les européens, en s’installant sur la même terre y sont parvenus ne peut pas exclure la thèse raciste. Tout l’objet du livre est précisément d’apporter une réponse argumentée, ce qui en fait un puissant plaidoyer antiraciste.

Pour résumer, il explique que des civilisations séparées (ce qui était le cas pour faire simple de l’Eurasie+Afrique du Nord, de l’Amérique, de l’Afrique sub-saharienne et des multiples îles de l’Océanie avant que ne se développe la navigation hauturière) n’ont aucune raison d’avancer au même rythme puisqu’elles sont soumises à des contingences multiples et que dans ces conditions, ce sont les zones les plus peuplées, les plus vastes et dotées des espèces animales et végétales les plus variées qui ont le plus d’atouts. Diamond explique qu’à ces critères il faut en ajouter un autre : l’orientation Est-Ouest de l’Eurasie qui facilite le développement des espèces végétales les plus productives (puisqu’il se fait à iso-latitude) alors que l’Amérique comme l’Afrique sub-saharienne sont orientées Nord-Sud.

2. Les individus ne sont pas déterminés par leur environnement

Ce second axiome, qui a une portée plus humaniste qu’antiraciste, consiste à reconnaître la prépondérance du libre-arbitre sur les influences extérieures qui peuvent s’exercer sur l’individu et sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir. Pour le dire autrement, l’individu prime sur le groupe, qu’il soit social, ethnique, politique, sexuel ou culturel. Si cela ne doit pas conduire à une vision totalement individualiste de la société, cela exclut de fait les conceptions trop holistes qui font primer la communauté, la famille, la classe sociale, l’orientation ou le genre sexuel sur les individus qui les composent.

De ce fait, tous les discours (essentialistes) qui prétendent que « les Noirs sont comme ci » ou « les pauvres sont comme ça » doivent être dénoncés avec force, de même que ceux qui prétendraient définir comment sont les Blancs ou les riches. Si les questions politiques et économiques sont si complexes, c’est en grande partie parce que les individus ne sont pas réductibles à de grands groupes homogènes qui aimeraient, feraient et penseraient la même chose.

Le discours politique doit également mettre en valeur la volonté individuelle face à toute forme de détermination. Ne pas le faire pourrait conforter certains individus dans une forme d’irresponsabilité en rejetant tous leurs problèmes individuels sur la société, ce qui constitue un équilibre instable. La croyance dans la volonté individuelle et dans le mérite personnel est un élément de base de la société : c’est une nécessité plus qu’un constat.

3. En plus de l’influence sociale, il existe une influence culturelle

Si l’individu n’est pas déterminé par son environnement (axiome 2), il peut être influencé par lui. Cette influence est même prépondérante sur l’influence génétique ou raciale (axiome 1). Mais de quelles influences parle-t-on ? Très souvent, on se cantonne à l’influence sociale : effectivement, la segmentation entre chômeurs, retraités, cadres, ouvriers et techniciens est souvent très utile pour saisir certains faits sociaux. Les taux de réussite scolaire et les taux de délinquance, pour ne citer que deux exemples abondamment commentés, diffèrent ainsi significativement suivant ces groupes sociaux. Cette influence sociale est reconnue par tous, le seul débat, qui distingue peut-être entre la gauche et la droite, concerne le poids de cette influence par rapport à la volonté individuelle.

En revanche, les choses se compliquent dès que l’on parle d’influence culturelle, et l’accusation de racisme n’est jamais très loin. C’est pourtant ce que vient de mettre en évidence Hugues Lagrange, sociologue au-dessus de tout soupçon (de gauche, qui a travaillé dans les quartiers sensibles pendant une dizaine d’année, opposé au durcissement de la politique de l’immigration…) dans son essai « Le déni des cultures » qui a fait couler beaucoup d’encre. Si l’on résume la partie de son ouvrage qui concerne la délinquance, il est fait état qu’au sein des mêmes classes sociales, la proportion d’auteurs d’actes de délinquance est plus élevée chez les Maghrébins, les Turcs et les Noirs hors Sahel que chez les Français autochtones et les Européens et qu’elle est encore plus élevée chez les Sahéliens.

Il n’est pas question de stigmatiser telle ou telle communauté dans cette étude mais plutôt de montrer comment des différences culturelles (nombre d’enfants par femme, place de la femme dans le foyer, structure familiale…) peuvent être des facteurs explicatifs, en plus de la seule analyse par classe sociale, de phénomènes sociaux comme la réussite à l’école ou la délinquance. Cette part explicative est d’autant plus importante que la culture d’origine et la culture du pays d’accueil diffèrent et elle perdure d’autant plus que se constituent des ghettos urbains où la proportions d’immigrés provenant de la même zone géographique est très importante.

Au-delà des informations que cette étude révèle il faut retenir que les cultures existent et qu’elles influencent, à travers une langue, une religion dominante, une structure familiale typique,… le comportement des individus, au même titre que la condition sociale. Une simple introspection permet de soutenir cette thèse pourtant si contestée par nombre de sociologues : est-ce que j’aime l’opéra parce que j’appartiens à la classe des cadres ou parce que je suis de culture française ? Vraisemblablement un peu des deux, explications auxquelles il faut bien évidemment ajouter ma propre inclination personnelle car beaucoup de cadres français autochtones n’aiment pas l’opéra.

Dès lors il faut reconnaître que les cultures ne se mélangent pas sans efforts, que leur coexistence peut faire naître des frictions qui ne peuvent être intégralement expliquées par l’intolérance de la culture d’accueil.

4. Les influences sociales et culturelles ne sont pas stables dans le temps

Il faut aller plus loin dans l’analyse, jusqu’ici nous avons dit que le comportement et les facultés d’un individu s’expliquent principalement par sa volonté personnelle ainsi que par des influences sociales et culturelles et assez peu par sa condition biologique. Mais il ne faut pas prendre les influences sociales et culturelles comme des données intangibles qui ne seraient pas susceptibles d’évoluer dans le temps. Les cultures, comme les structures sociales, sont vivantes, elles évoluent, parfois de concert, parfois indépendamment l’une de l’autre. Ces évolutions peuvent être positives comme négatives et ne sont pas guidées par un quelconque « sens de l’Histoire » qui fournirait une forme de méta-explication.

Pour prendre un exemple précis tiré de l’étude d’Hugues Lagrange, rien ne dit que le taux de fécondité des femmes d’origine Sahélienne (aujourd’hui proche de 7) ne baissera pas pour rejoindre un niveau comparable aux cultures européennes ou maghrébines (plus proche de 2), ce qui aura des répercussions sur les structures familiales, la réussite scolaire des enfants et les taux de délinquance observés. Notons également que rien ne dit que la culture des immigrés Sahéliens en France ne se distingue pas progressivement de la culture d’origine Sahélienne sans nécessairement se fondre dans la culture française.

5. La xénophobie en Europe

Si le phénomène récent marquant dans les cultures musulmanes a été un durcissement réactionnaire, face à une certaine modernité occidentale, l’Europe de ces dernières années a été le théâtre d’une montée progressive de la xénophobie, que l’on peut constater avec l’augmentation des scores des formations dites d’extrême droite. Je pense que cette xénophobie a très peu à voir avec le racisme tel que défini dans cet article. La xénophobie, c’est la peur de l’étranger ou également la peur d’une culture différente, ce n’est pas un sentiment de supériorité raciale. Trois tendances de fond me semblent expliquer cette situation.

Tout d’abord, la globalisation s’est traduite par une intensification des phénomènes migratoires du Sud vers le Nord : l’Europe fait donc face à une augmentation significative sur les dernières décennies du nombre de ses habitants de culture non-autochtones.

Ensuite, contrairement à ce que beaucoup attendaient, la globalisation ne se résume pas à une occidentalisation du monde : si le modèle économique libéral et le mode de vie occidental tendent à se répandre sur toute la surface de la planète, on remarque que sur de très nombreux points, les différences culturelles à l’échelle mondiale ne vont pas en s’effaçant. On pourrait même dire que certaines formes de radicalisation sont interprétables comme une réaction à cette culture occidentale mondialisée.

Enfin, la civilisation européenne n’est plus sûre d’elle-même : elle souffre du phénomène de rattrapage économique des pays émergents (rattrapage qu’elle avait elle-même connu après la seconde guerre mondiale) qui vient diluer sa richesse et son influence. On ne demeure pas la zone du monde avec la croissance la plus faible pendant dix ans sans conséquences. Ce sentiment de déclin rend plus difficile l’intégration de cultures différentes, non pas en raison d’une haine de l’étranger mais parce les européens ne sont plus sûrs de la force de leurs valeurs et que certains craignent qu’elles ne soient pas de taille à lutter contre les valeurs des cultures arrivantes. C’est ce qui explique selon moi le durcissement laïc observé, principalement en France, ces dernières années : il s’agit de défendre des valeurs fortes (au risque de bomber un peu trop le torse parfois) face à l’Islam dont on craint la force (en particulier depuis 2001).

Pour résumer, l’Europe doit intégrer un nombre important de personnes dont la culture d’origine ne se rapproche pas nécessairement de la culture européenne, tout en affrontant une crise civilisationnelle qui diminue la confiance qu’elle a en ses propres valeurs. Il y a là tous les ingrédients pour expliquer la montée xénophobe en Europe. Comme ces causes sont profondes, il est probable que ce phénomène le soit lui aussi, et qu’il ne suffira pas de dire aux Européens qu’ils votent mal ou qu’ils sont intolérants pour le résorber. Ce phénomène se distingue également de ce qu’on a appelé auparavant l’extrême-droite et qui était avant tout un mouvement conservateur et populiste, assez proche du mouvement des Tea Party aux USA. Cette fois, c’est le caractère réactionnaire des cultures immigrées qui est dénoncé, au nom d’une certaine culture européenne libérale et laïque (un exemple est le parcours politique de Pim Fortuyn aux Pays-Bas).

Conclusion

L’antiracisme, en tant que négation des différences de facultés ou de comportements des individus en fonction de leur origine raciale, est une grande idée qu’il faut à tout prix défendre. Elle ne saurait cependant se confondre avec un anticulturalisme qui nierait l’influence que la culture d’origine peut avoir sur le comportement individuel. Ces influences culturelles, au même titre que les influences sociales, évoluent dans le temps, elles sont en particulier affectées par le grand phénomène de notre époque : la globalisation. Celle-ci rapproche géographiquement ces cultures les unes des autres sans en faciliter pour autant la coexistence. C’est fort de ce constat que des politiques d’intégration doivent être pensées en Europe (tâche délicate à laquelle je ne me suis pas attelé dans cet article) et non pas en se focalisant sur une intolérance de type raciste qui existerait en soi et qui déboucherait sur une montée des discriminations. S’arrêter à l’intolérance, c’est refuser de remonter toute la chaîne causale et en quelque sorte refuser de résoudre le problème que l’on dénonce.