21 septembre 2008

Sarkozy et l'action


Après une longue trêve estivale, je reprends ce blog en espérant que je n'aurai pas perdu trop de lecteurs en route. Pour commencer cette nouvelle saison, j'ai choisi un sujet ô combien original et à peine rebattu : Nicolas Sarkozy. En effet, cet homme, dont la personnalité m'apparaissait complètement transparente après la lecture du portrait de Yasmina Réza dans "L'aube, le soir ou la nuit", s'avère beaucoup plus difficile à saisir que je ne me l'imaginais. Le Président de la République est rempli de paradoxes et possède de nombreuses facettes.

Pendant la campagne électorale, cela pouvait passer pour de l'opportunisme électoral, il n'était d'ailleurs pas le premier à adapter son discours en fonction de son auditoire. Cela ne l'a pas empêché d'emporter la conviction des foules de manière éclatante pour une raison assez simple selon moi : Nicolas Sarkozy croyait, à chaque fois, à ce qu'il disait. Si on doit lui faire un procès, ce n'est pas en raison de son cynisme mais par son manque de cohérence : Nicolas Sarkozy accepte trop facilement la contradiction interne de ses propos.

Cette vision de la politique a longtemps heurté à la conception rationnelle que je m'en faisais, héritée certainement de ma formation scientifique où la non-contradiction est le préalable indispensable à la réflexion. Mais la politique n'est pas la science, elle est davantage le lieu de l'action que celui de la réflexion et elle doit être jugée en fonction de son efficacité plutôt que de sa vérité. La parole de l'homme politique est en cela fondamentalement différente de celle de l'écrivain, du philosophe ou du scientifique : elle n'a pas vocation à décrire la réalité mais à la modifier, en un mot, elle est performative.

C'est parce qu'il a compris cela que Nicolas Sarkozy est un homme politique d'envergure et pas un gestionnaire ou un administrateur, il refuse la fatalité et ne se résigne pas au statu quo du monde qui l'entoure. Ce trait de caractère peut s'incarner en lui de manière simpliste et vulgaire, notamment quand il fait du volontarisme l'alpha et l'oméga de sa politique, car la volonté de changer la réalité ne doit pas se transformer en déni de la réalité, à ce titre, "aller chercher la croissance avec les dents" est aussi stupide qu'inefficace.

En revanche, ce refus de la fatalité peut prendre une tournure beaucoup plus subtile comme le montre le débat sur la suppression de la publicité à la télévision. Nicolas Sarkozy a expérimenté ici le discours le plus performatif qui soit en lançant cette idée sans aucune concertation au milieu d'une conférence de presse, peu lui importaient alors les détails d'intendance ou les obstacles qui se dresseraient contre cette mesure, il la jugeait simplement souhaitable et possible. Dans ce cas de figure, nul doute qu'une consultation préalable aurait vidé l'idée de sa substance, on aurait trouvé toutes les raisons du monde pour en reporter l'application, pour diminuer la publicité plutôt que de la supprimer... Si le résultat de cette mesure sur l'équilibre économique de France Télévisions n'est pas encore connu, il est en revanche indiscutable que ce débat a conduit les chaînes publiques à modifier leur grille de rentrée en affirmant leur différence par rapport aux chaînes commerciales, en cela Nicolas Sarkozy a gagné en partie son pari. Tous ceux qui l'accusent d'agir de la sorte pour aider les chaînes privées dirigées par ses amis font ici preuve d'une mesquinerie qui n'est pas à la hauteur du débat, alors même qu'ils ont réclamé la suppression de la pub sur le service public à corps et à cris sans jamais l'obtenir.

La politique étrangère est le lieu de l'action par excellence, celui finalement où Nicolas Sarkozy devrait se sentir le plus à l'aise, pourtant le bilan est ici plus mitigé. La gestion de la crise du Tibet a en effet était tout à fait catastrophique, la France réussissant l'exploit de s'attirer les foudres de Pékin alors même que Nicolas Sarkozy a fini par se rendre à la cérémonie d'ouverture : "la guerre et le déshonneur" pour reprendre les termes de Churchill. La réintégration de la France dans le commandement intégré de l'OTAN et le lancement de l'Union pour la Méditerranée, quant à elles, illustrent la capacité de mouvement et d'impulsion de la diplomatie française sans que l'on voit très clairement les intérêts que pourrait en retirer notre pays. Il en va tout autrement du dernier évènement en date, à savoir la crise géorgienne, on peut bien évidemment trouver que l'Europe n'a pas été assez ferme face à la Russie mais elle a réussi, pour la première fois, à s'affirmer comme une puissance politique (alors que les divergences entre Etats étaient au moins aussi grandes qu'au moment de la crise irakienne), à obtenir l'essentiel, c'est-à-dire le cessez-le-feu dans les tous premiers jours du conflit et à commencer à réfléchir plus globalement à une politique russe commune des 27. Cette unité n'a été possible en grande partie par l'intervention très rapide de Nicolas Sarkozy en Russie et en Géorgie, pour une fois l'Europe se trouvait incarnée en une personne physique capable de discuter avec les autres puissances. Le Président de la République, à travers ces différentes crises ou initiatives est donc en train de trouver sa voie et de se départir de sa naïveté et de son amateurisme initial.

Sur le plan économique, les résultats de la politique de Nicolas Sarkozy sont plus décevants car dans ce domaine la cohérence redevient un élément incontournable. Le Président a cru à tort qu'il pouvait à la fois mener une politique de l'offre (car il savait que la faiblesse de la France était là) et une politique de la demande (pour répondre aux préoccupations sur le pouvoir d'achat). La crise financière actuelle fait craindre à certains (et espérer à d'autres) un effondrement de la confiance des Français dans l'exécutif, je pense qu'ils se trompent complètement. En homme d'action, Nicolas Sarkozy se nourrit des crises qui sont des moments exceptionnels où les cartes sont rebattues, il sait pertinemment que les grands hommes ne se révèlent que dans les grandes circonstances. Sa faible connaissance de l'économie ne lui permet pas de trouver par lui-même les solutions, ce travail doit incomber à ses conseillers, mais son audace et son intuition politique peuvent lui permettre, une fois le cap choisi, de l'atteindre dans de bonnes conditions. De ce point de vue, son discours du 25 septembre sur la crise revêt une importance considérable, car si le cap annoncé n'est pas le bon, Nicolas Sarkozy cherchera tout de même à l'atteindre par tous les moyens.

La crise financière, économique, géopolitique et énergétique, s'il est douloureuse pour les individus, est un terreau idéal pour révéler les grands hommes, Nicolas Sarkozy en a conscience et c'est pourquoi il se soucie si peu des attaques personnelles qu'il subit, notamment sur sa conception autoritaire du pouvoir. Même s'il y prête la plus grande attention, il arrive à regarder au-delà de cette agitation politicienne : plus que par ses contemporains, c'est par les livres d'histoire qu'il veut être jugé. Curieuse conclusion à propos d'un homme qui passe une partie de son temps le nez dans les enquêtes d'opinion, le paradoxe n'est en fait qu'apparent : Nicolas Sarkozy sait à quel point le chemin emprunté est aussi important que la destination finale en politique, et qu'avoir raison trop tôt ou trop tard revient au même que d'avoir tort.

1 commentaire:

Kévin a dit…

Vous me voyez ravi de pouvoir à nouveau vous lire.
Vous donnez ici, à mon humble avis, une très bonne définition de ce que doit être un homme politique, c'est à dire un homme d'action. Que l'on soit pour ou contre la politique de Mr Sarkozy, personne ne peut lui reprocher d'être dans l'inaction.
Mais quel est le juste milieu entre l'inaction et trop d'actions ?
Peut être ce lien http://sergecar.club.fr/cours/devoir3.htm permettra-t-il d'apporter une réponse