20 novembre 2006

Le thème de la présidentielle


Beaucoup s'interrogent sur ce que sera la "querelle" de l'élection à venir. Après la "fracture sociale" en 1995 et "l'insécurité" en 2002, quel thème viendra s'imposer dans le débat ? Cette question est très délicate et conditionne beaucoup de choses : elle peut détourner la campagne des vrais enjeux comme elle peut être une chance inédite de moderniser notre pays. Je me suis, sur ce sujet, forgé une opinion profonde : la question de la protection des démocraties occidentales (et en particulier la France) dans la mondialisation est désormais au centre du débat politique. Pour reprendre la typologie proposée plus haut, je pense qu'il s'agit là d'une bonne question à laquelle peuvent être apporté des réponses très diverses, certaines étant de très mauvaises réponses.

C'est finalement la question de la nation qui est posée : est-elle destinée à disparaître dans la mondialisation ? Quelle est sa fonction sociale ? L'heure est-elle venue de passer au post-nationalisme ? Je pense que la nation est une étrangeté puisqu'elle s'oppose au moteur de l'histoire : la liberté individuelle. Elle prétend mettre du lien social entre des "classes" qui n'ont pas de réels intérêts communs et, en tant que République, elle fait passer l'égalité au premier plan en assurant une action redistributive. Elle est le cadre de la politique qui, par définition, s'oppose au projet individualiste.

Aujourd'hui, la modernité c'est le post-nationalisme, on se veut "citoyen du monde", rebuté par les crimes commis au nom des nations, on s'en éloigne comme on s'est éloigné des religions pour les mêmes raisons. Mais on s'en éloigne surtout parce qu'on croit que l'on a intérêt à agir de la sorte : ceux sont les individus qui s'estiment assez forts pour affronter la mondialisation qui ne supportent plus ce carcan, ce sont certaines "élites" qui cherchent avant tout à sauver leur peau et à se valoriser au maximum dans un monde plein d'opportunités et qui ne se sentent plus liées par un destin commun avec les autres couches sociales.

Ainsi, dire que la France gagne globalement dans la mondialisation (de même que les autres pays) et que tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes est un discours (faussement) naïf dans la mesure où il y a des perdants objectifs dans la mondialisation. Le discours de certains économistes est de dire qu'il ne s'agit là qu'un problème de redistribution des richesses, l'important étant d'être gagnant globalement. Sauf que cette redistribution est devenue difficile voire impossible : les Etats rencontrent des problèmes de financement de la protection sociale considérable, ils sont soumis au chantage des "gagnants de la mondialisation" et des entreprises qui peuvent partir à tout moment si la fiscalité leur est trop défavorable. Les pays européens en sont donc réduits à s'aligner sur le taux d'impôt sur les sociétés le plus bas pour ne pas voir fuir les sièges sociaux.

Ce qui fait problème, ce sont les asymétries phénoménales qui existent entre les différents acteurs de la mondialisation, les salariés Français sont mis en concurrence avec des salariés des pays émergents (notamment la Chine) qui ont des salaires très bas et pas de protection sociale, les entreprises Françaises sont mises en concurrence avec des entreprises d'Europe de l'Est qui ne payent aucun impôt sur les sociétés. Dès lors la question de la protection de la France (mais plus largement de l'Europe) dans la mondialisation doit être posée. On ne doit cependant pas y répondre en termes simplistes : le replis protectionniste serait une catastrophe pour notre économie puisqu'un salarié sur quatre travaille pour l'exportation. La France est un excellent exportateur de services, de produits agricoles et dans une moindre mesure, de produits industriels.

Comment, alors, mettre en place ce que le Premier Ministre appelle "le patriotisme économique européen", quelle voie peut-on trouver entre le replis protectionniste et l'ouverture totale des marchés sans réglementation ? Nicolas Sarkozy propose de remettre la préférence communautaire au goût du jour, les Démocrates Américains ont axé une partie de leur campagne sur une modération du libre-échange pour protéger leur industrie, des économistes de renom comme Patrick Artus s'interrogent sur les moyens de limiter les OPA hostiles sur des groupes européens venues d'entreprises issues des pays émergents. Le débat est donc ouvert, et je prédis qu'il sera au coeur de la future campagne.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Je viens de faire connaissance avec votre blog que je trouve intéressant. Mais ne vous connaissant pas encore bien, je me demande si votre proposition : "je pense que la nation est un étrangeté etc. " doit être prise au 1er degré ou si elle doit être vue comme en décalage avec votre pensée. Je pencherais pour cette dernière car dans une chronique précédente, vous appelez au secours la nation contre les effets indésirables du libéralisme.
Et puis, quand bien même la liberté serait le moteur de l'histoire, est-ce que cela lui donnerait tous les droits ? Vous ne le pensez certainement pas. Cordialement

Anonyme a dit…

Je crains que le débat ne se résume qu'à une bataille médiatique entre une madone de gauche et un "diablotin" de droite.
Entre la Mère protectice et le Père fouettard.
Les français ayant peur du monde et du changement se retourneront vers Mme Royal

Vive la République ! a dit…

Cher Yiang Xiong,

Comme vous l'avez noté, je suis plutôt un défenseur de la nation. Ce que j'ai voulu dire c'est qu'elle semble à contre-courant de la liberté individuelle surpuissante à laquelle je m'oppose. Je regrette que la liberté individuelle (et donc l'individualisme) soit le moteur de l'histoire mais il me semble que cela soit bien le cas. Face à ce mouvement, il faut porter haut les valeurs véhiculées par la nation comme l'égalité et le lien social.

Vive la République ! a dit…

Cher jpm,

Je suis de plus en plus d'accord avec vous, les Français auront envie d'une personnalité douce, qui les rassure. Ce sera leur réponse face à le brutalité de la mondialisation. Cette réponse sera inopérante, je le crains, car les défis majeurs auxquels la France est confrontée ne disparaîtront pas, mais les Français se seront offert une parenthèse utopique, une sorte de rêve.

Anonyme a dit…

Votre réponse me rassure pleinement. Il me semble que la précision n'était pas inutile. A bientôt

Anonyme a dit…

Hey !

Ce blog est intéressant. Je l'ai découvert il y a quelques jours et j'avoue apprécier pleinement la qualité de ses articles ainsi que l'esprit des conversations qui ressort. Bon, après cette micro-fellation numérique admirative de courtoisie, il faut dire que j'aime bien ton article VLR.

C'est clair et synthétique, ça résumme beaucoup de choses avec efficacité et la discussion avec jpm et Mister Yang Xiong a permis de nuancer avec pertinence certains de tes propos.

J'aimerai par contre vous proposer une approche un peu plus technologique de l'idée de démocratie, de la mondialisation et du nationalisme.

Pour revenir sur les campagnes précédentes, depuis 1995, les thèmes des campagnes ont des connotations plutôt négatives - « fracture sociale », « insécurité ». Cela réactive dès lors tous les processus de projection et de symbolisation, des individus à l’Etat, de citoyens à la nation, de l’Homme au monde, dans un circuit du désir et un système de représentation singulier : le « modèle français » héritée de la philosophie des Lumières du XVIIe siècle, et en particulier sur le rôle de l’Etat.

Le mix idéal entre l’Etat providence et l’Etat régalien a essayé d’être réalisé, entre en le dernier septennat et le premier quinquennat. Comme dirait Jean Baudrillard, « certes, Chirac est nul ». Entre la chute d’un Mur et l’effondrement de deux tours.

Or, à partir de 1995, il semble que cette réactivation enclenchée des angoisses étatiques (le social pour l’un, la sécurité pour le « douc commerce adoussissant les mœurs » pour l’autre) est principalement liée à une transformation du système technique déjà amorcée lors de la proto-industrialisation de l’Europe du XVIIe siècle, comme un processus plus global mais toujours corrélatif de « la nationalisation des consciences ». Rappelons aussi que la révolution française s’inscrit parfaitement dans la logique des différents stades de développement économiques énoncés par Rostow en 1960 - http://fr.wikipedia.org/wiki/Walt_Whitman_Rostow - voir aussi la critique.

Bref, tout ça pour dire que la création d’un outil baptisé Internet n’a fait que développer des effets toujours plus complexes. Avec cette technique, les chaînes de causalité ont démonté la linéarité du temps. Nous en sommes arrivés à la « société monde », selon les termes de « l’écrivain francophone nord-américain » Maurice G Dantec. C’est aussi un outil issu de la Guerre Froide, plus une bataille au regard des siècles derniers, rendu public en 1992. Je me souviens de la pub Mac que j’avais vu juste avant d’aller voir Toy’s Story dans un mall quand j’étais gamin : « Internet, c’est beaucoup plus facile avec Mac… ». En couverture de Newsweek il y a une petite centaine de semaine : « I pod therefore I am » (Mac, 21st century philosopher) . Oups, j’ai failli m’égarer.




Le problème de la politique, en France, semble être l’état critique du langage de la République, pluraliste. L’apparition d’un nouveau système technique est en outre caractérisé comme la diffusion de nouvelles technologies (grecque ancien : technè + logos = ce qui permet aux hommes d’obtenir quelque un résultat attendu + ce qui constitue grossomodo l’opération magique du langage = une technologie). Or, Internet et une technè qui créé sans cesse des agencements aléatoires avec la multiplicité des logos, selon une sorte d’ “ordre” que l’on pourrait qualifier de chaotique.

D’où la remise en cause profonde de la démocratie, de la nation, de monde, du globe, du cosmos…hahaha (rire machiavélique et démoniaque). Ces idées tendent à être replacées dans la chaîne de causalités, je pense que ça doit vouloir être ça le sens de remise en cause. Regardez ce qu’il s’est passé à Budapest en septembre. Le siège de la télévision MTV (Magyar TV je crois) s’est fait défoncé. Après il y a eu des débats devant le Parlement mais force est de constater que cela s’est bien essoufflé, malgré un sursaut chaotique le jour des commémorations de 1956.

La bipolarisation devient alors très intéressante. L’alternance gauche-droite ou droite-gauche se résumerait-elle en une succession de 1 et de 0 ? (pour simplifier, avec termes de la matière première que nécessite l’outil Internet, c'est-à-dire des lignes de codes 0-1libérées par le sort de la Fée Electrice, sa mère supérieure).

Bon c’est pas très concret tout ça, mais au regard des effets de miroirs que peuvent être générée par une logique de la polarité, je me dis pourquoi pas ? « Battre la Gauche.» « Battre le Droite. » Tout le discours politique est ainsi déversée dans le néant numérique que constitue l’écran, soutenu du bout des doigts par la lumière oubliée du tube cathodique. A qui s’adresse donc ces messages codés dans le fond ? Les manifestations seront crédibles le jour où les manifestants iront chanter dans les rues et laisseront leurs postes de télévisions allumés, hurlant des messages d’outre tombe par la lucarne. Mute.

Alors UMPS, sérkolène ou sagozy, tout ces androgynes sans bite ni chatte peuvent toujours se pavaner librement devant leur reflet. Explosons leur la face dans un miroir, tout en leur retournant notre reflet devenu morbide et pleutre. Et s’il y a une différence entre le progressisme et le conservatisme, entre le libéralisme et le communisme, entre le steevime et le mansonisme, il y en a autant entre un 0 et un 1. Je crois que c’est dans les miroirs qu’auront lieu les principales batailles à mener pour une République pluraliste, encore prisonnière de ses reflets fièrement affichés depuis 1789, en pleine putréfaction.

Merci aussi au ministère de la Défense pour avoir encore déterrer tous ces cyber-cadavres depuis la mise en place des Journée d’Appel à la Défense. Waaaaou ça bouge, c’est encore mieux que dans les manuels d’histoire du collège - qui s’épuisent à arracher les dernières lignes de temps sur les marchés de l’édition. Nous revoyons toutes l’histoire française en six minutes avec des transitions stylées et un peu de musique classique. C’est comme si la vidéo, le son et les belles présentations powerpoint n’avaient pas encore voulu sortir de leur cocon militaire dans une optique éducative, voire même d’élévation. C’est une bien faible volonté que de limiter principalement ce potentiel technologique au Paysage Audiovisuel Français et de l’injecter comme une piqûre de rappel citoyenne. L’Union Européenne pourrait-elle, grâce à la Politique Agricole Commune, financer la culture et la mise en forme de ses paysages, ainsi que l’élevage de ses bêtes ?

Où se trouve alors la force du logos pour la France ? C’est peut être notre dernier soupir qui sais ? « Tout est possible » depuis 1968, c’est bien ça ?

Où se trouve le désir, la volonté des français ? Ca serait un bon thème pour les présidentielles.

( - Dans ton cul ? – laissons ça pour Canal +)

( - Chez Darty ? – c’est mieux entre deux 6 minutes)

( - Chez Leroy Merlin – du côté de chez vous quoi, sûrement pas chez nous)

( - sur France Télévision – peux beaucoup mieux faire)

( - Sur Arte – Les Dessous des Cartes, ça c’est une bonne émission ! Mais bon, l’UE ne vas pas subventionner des émissions aux heures de grandes écoutes, surtout si les minutes qui s’écoulent valent chère…pour des fabricants de jouet et de services chat sms par exemple.) Jouons cartes sur table !

( - chez Auchan, la Vie, la Vraie)

Dans la langue ? Avec un nouveau langage républicain ?

Anonyme a dit…

Guaguy observe que les campagnes précédentes se sont faites sur des thèmes "négatifs" et il a raison.
Vous-même prévoyez que la mondialisation sera un des points centraux de la campagne à venir. Tout ce que je vois c' est que, seul pour l' instant, Sarkozy l' a abordé. Il l' a fait sans exagération de pessimisme et en intégrant une vision de la Nation et de l' Europe. C' est faire le pari qu' une approche globale et positive sera mieux perçue qu' un discours fragmenté caressant les craintes des français. Sans doute a-t-il interêt à prendre avance et avantage sur ce thème.
Sera-ce LE thème central ? Pour ma part, il me semble que la question de la dette pourrait prendre une place tout aussi importante dans le débat.

Anonymous Erick

Vive la République ! a dit…

Il faudrait que le thème de la dette tienne une place importante dans le débat. Je crains malheureusement qu'il soit largement escamoté, chaque candidat s'engageant dans de nouvelles dépenses. Ce qu'il faudrait c'est que pour chaque nouvelle dépense on dise comment on va la financer (augmentation des impôts, baisse d'autres dépenses...)

Toutefois la question de la dette est un des problèmes auquel la France est confrontée, il ne peut constituer à lui seul un projet politique. La place de la France dans la mondialisation me paraît être un thème plus global.

Anonyme a dit…

Je mentionnais la dette comme un thème. Lecteur du "Papy-Krach qui énumère les "trois piliers" du problème, je pense néanmoins qu' il peut s' ouvrir sur un réel projet couvrant

- le financement des retraites,
- l' éducation et
- l' emploi,

les trois étant pour l' auteur du livre intimement liés. En outre, les deux derniers points s' inscrivent trés bien dans un "plan anti-mondialisation".

Anonymous Erick