03 août 2009

Pour un protectionnisme mondial


A chaque période de tension économique et sociale, resurgit le spectre du protectionnisme. Malgré les leçons de la crise de 1929, où les mesures protectionnistes ont, de l’avis général, considérablement amplifié la dépression, les néo-protectionnistes font du libre-échange l’une des causes principales des difficultés économiques et sociales actuelles. Emmenés par l’intellectuel autoproclamé Emmanuel Todd, les économistes Jacques Sapir et Jean-Luc Gréau, l’ancien président d’ATTAC Bernard Cassen et l’essayiste Hakim El Karoui (fils de la célèbre professeur de mathématiques financières Nicole El Karoui), cette quintessence de l’esprit français en appelle à un protectionnisme européen. Il s’agit en effet de ne pas tomber dans la ringardise et le nationalisme, incarné par le protectionnisme « Old School ».

1. Quelle différence entre le Soleil et la Chine ?

Les prédécesseurs de Todd & Cie avaient en effet été renvoyés dans les cordes par l’économiste Frédéric Bastiat et sa fameuse Pétition des fabricants de chandelles (disponible ici, c’est un régal à lire), dont le paragraphe principal dit ceci : « Nous subissons l'intolérable concurrence d'un rival étranger placé, à ce qu'il paraît, dans des conditions tellement supérieures aux nôtres, pour la production de la lumière, qu'il en inonde notre marché national à un prix fabuleusement réduit; car, aussitôt qu'il se montre, notre vente cesse, tous les consommateurs s'adressent à lui, et une branche d'industrie française, dont les ramifications sont innombrables, est tout à coup frappée de la stagnation la plus complète. Ce rival, qui n'est autre que le soleil, nous fait une guerre si acharnée, que nous soupçonnons qu'il nous est suscité par la perfide Albion (bonne diplomatie par le temps qui court!), d'autant qu'il a pour cette île orgueilleuse des ménagements dont il se dispense envers nous. ».

Ainsi, tout protectionniste conséquent devrait, comme le recommande Bastiat plus loin, être favorable à la condamnation de toutes les ouvertures laissant passer le jour. Quelle différence y’a-t-il, en effet, à ce que l’avantage compétitif soit conféré à la nature (ici, le Soleil) ou à un autre peuple (la Chine pour nos néo-protectionnistes) ? Il y a en réalité une petite différence, à savoir que la nature rend toujours ses services gratuitement tandis que même s’ils ne sont pas très chers, nos amis Chinois exigent toujours quelque compensation financière pour rendre les leurs. La nature est donc un adversaire potentiel autrement plus dangereux pour notre industrie nationale et nos emplois : songez un peu aux millions d’emplois perdus par l’utilisation de l’utilité gratuite contenue dans les hydrocarbures dans le domaine des transports ! Donc, en préalable à toute conversation avec un protectionniste, j’exigerais qu’il m’explique pourquoi ce qui est ridicule à propos du Soleil et des fabricants de chandelles ne le serait pas à propos de la Chine et de notre industrie nationale.

2. Une concurrence déloyale ?

Le principal argument employé par les protectionnistes, c’est celui de la concurrence déloyale. La Chine ne respecterait pas les règles du jeu, elle tricherait ce qui fausserait les échanges internationaux. C’est la question des dumpings, environnementaux et sociaux, à laquelle il convient de répondre de manière séparée car les problématiques sont tout à fait différentes.

Commençons par le dumping environnemental et en particulier les émissions de CO2. Supposons qu’en Europe chaque tonne de CO2 soit taxée à 30€ et qu’une telle législation n’existe pas en Chine. Un produit est fabriqué (prix du CO2 compris) à 50€ en Europe et à 40€ en Chine auxquels s’ajoute l’émission d’une tonne de CO2 par produit. Dans ce cas effectivement, on peut parler de dumping environnemental, c’est-à-dire que la Chine va émettre du CO2 qui va affecter notre bien-être et il est donc légitime que l’Europe prélève une taxe sur le CO2 émis par les produits importés. C’est d’ailleurs la position de l’OMC qui juge ces taxes compensatoires légitimes. Si l’on s’intéresse à des pollutions locales (en gros n’ayant pas d’impact en dehors de la Chine), le problème est tout différent et on ne peut plus vraiment parler d’externalité environnementale. A la rigueur on pourrait évoquer une externalité éthique (cela nous coûte de savoir que la Chine pollue ses rivières), mais cela me semble assez tiré par les cheveux et nous entraînerait très loin.

Passons maintenant au dumping social. La Chine dans ce cas est sensée exercer une concurrence déloyale car elle n’assure pas de protection sociale à ses salariés comparable à la nôtre et que les Chinois acceptent de travailler pour moins cher. Dans ce cas, c’est un abus de langage de parler d’externalité de la part des Européens, le problème n’a donc rien à avoir avec le dumping environnemental de type CO2. Certains pourraient toujours argumenter en faveur d’une externalité éthique, une souffrance que nous Européens ressentirions à la pensée de tous ces Chinois avec des salaires insuffisants. Bref, l’alliance de l’Occident et des travailleurs chinois contre le gouvernement et les patrons chinois. Tartufferie que tout cela ! Qui souhaite réellement le bien-être du peuple Chinois aujourd’hui : les Européens qui réclament un protectionnisme ou le gouvernement chinois ? Demandez à un Chinois et sa réponse ne fera pas un pli.

Donc plutôt que de parler de dumping, il faut parler de prix complet des services, intégrant le coût des externalités nous affectant. Un échange juste ou loyal, c’est un échange où ce prix est correctement établi.

3. Le libre-échange tire la demande intérieure vers le bas ?

Le grand argument en vogue chez les protectionnistes aujourd’hui est que le libre-échange entraînerait une compétition entre les travailleurs, donc une déflation salariale dans les pays riches et enfin par une baisse de la demande intérieure. C’est cette cause qui est mise en avant pour expliquer la crise actuelle : les travailleurs occidentaux ne gagnaient plus assez d’argent, les Américains en particulier, donc ils se sont endettés pour maintenir leur niveau de vie ce qui a causé la crise des subprimes notamment. Assez surprenant, les néo-protectionnistes expliquent que ce dommage causé par le libre-échange serait récent : en gros le libre-échange c’était bien avant mais désormais ça ne marche plus à cause de ce problème de demande. J’ai personnellement toujours du mal avec les raisonnements économiques historiquement datés : le principe du libre-échange est intemporel, on peut penser que ses conséquences sont globalement positives ou globalement négatives, mais dire que cela dépend des époques me semble suspect.

On peut déjà s’interroger sur ce constat : en France par exemple cette théorie est invalidée par l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés sur les dernières années (même si elle a été faible) et aux USA on peut remettre en cause cette causalité directe entre modération salariale et endettement des ménages. Plutôt que d’agiter cette concurrence salariale vers le bas causée par la Chine, on gagnerait certainement à s’interroger sur la faible croissance de la productivité en Occident ces dernières années (comme nous y invite JP Cotis dans son rapport sur le partage de la valeur ajoutée).

Les néo-protectionnistes proposent donc d’augmenter les droits de douanes pour renchérir le coût du travail Chinois, ce qui permettrait d’augmenter les salaires en Europe et donc de relancer la demande et la croissance. Comme dirait un brillant économiste français déjà cité une centaine de fois sur ce blog, « ça c’est que l’on voit ». Ce que l’on ne voit pas, c’est le renchérissement du coût des produits importés du fait des droits de douanes, ce qui se traduit directement par une baisse du pouvoir d’achat, surtout chez les catégories populaires qui consomment beaucoup de produits importés venant de Chine. Car contrairement à une idée répandue, ce n’est pas la Chine mais le consommateur européen qui paye les droits de douane, de même que ce n’est pas l’Arabie Saoudite qui paye la TIPP. Cette baisse de pouvoir d’achat induit donc une baisse de la demande et de la croissance. Si l’on cherche à faire le bilan en net de l’augmentation des droits de douanes, on se rend compte que les choses sont plus complexes et il est fort probable que le remède (le protectionnisme) ne fasse qu’aggraver le mal (la baisse de la demande intérieure).

4. La Chine manipule sa monnaie ?

Un autre argument employé, à raison cette fois, contre les pratiques commerciales de la Chine est qu’elle manipule sa monnaie ce qui a pour effet de la sous-évaluer. Ainsi, les produits chinois sont moins chers qu’ils ne devraient l’être ce qui est injuste. Mais injuste pour qui ? Pour les industries européennes qui ne peuvent pas s’aligner sur les prix chinois, ou pour les industries chinoises qui ne reçoivent pas la juste rémunération du service qu’elles rendent ? C’est toujours le même problème avec le taux de change : quand il se déprécie on gagne en compétitivité mais on perd en richesse. Il faudrait d’ailleurs plutôt dire : on gagne en compétitivité parce qu’on perd en richesse.

Le taux de change du Yuan n’est donc pas injuste, en revanche sa sous-évaluation rend le système instable. De même que le déficit structurel de la balance courante américaine rend le système instable. A long terme, chaque pays devrait avoir une dette extérieure nulle, ce qui est la simple traduction qu’il a rendu autant de service au monde extérieur que le monde extérieur ne lui en a rendu. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le protectionnisme qui apportera une solution à ce problème de stabilité monétaire, une libéralisation des taux de changes avec la Chine serait une voie beaucoup plus prometteuse.

5. Un protectionnisme européen n’est pas un nationalisme ?

Les néo-protectionnistes, fiers de leur trouvaille de protectionnisme européen, expliquent que ce dernier évite les travers du nationalisme propres aux anciens protectionnismes. L’argument est peu convaincant, puisqu’en fin de compte les droits de douanes seraient bel et bien appliqués sur les produits chinois, et pas sur les produits pas chers en général (qui peuvent tout aussi bien être fabriqués en Chine qu’en Slovaquie).

Il est aussi amusant de voir que cette idée est principalement agitée en France, notre pays commerçant assez peu avec l’extérieur de l’Union Européenne et ayant donc moins à craindre des mesures de rétorsions de la Chine, de l’Inde ou du Brésil. La situation est différente chez nos voisins allemands, qui sont certainement peu enclins à se laisser entraîner sur cette voie, quelle que soit la puissance rhétorique française.


Ce qui est rassurant, ce sont les progrès effectués par Todd&Cie : du protectionnisme national, ils sont passés au protectionnisme européen. Encore un petit effort et ils toucheront au but : le protectionnisme mondial, appelé parfois libre-échange !

10 commentaires:

Malakine a dit…

Votre papier est truffé d'erreurs factuelles et de caricatures qui trahissent une connaissance très superficielle des thèses protectionnisme. Par exemple, nous sommes davantage favorables aux quotas qu'aux taxes, le libre échange n'a pas attendu l'émergence de la chine pour être un vecteur de compression de la demande (lire L'illusion économique de Todd paru en 1998 où il n'utilise jamais l'argument liés au dumping asiatique) ...

Néanmoins l'article intéressant dans la mesure où il rend compte d'une réflexion qui est manifestement encore en cours. Continuez à réfléchir sur ces questions et à vous documentez, je prends le pari que vous évoluerez bientôt sur ce sujet.

Vive la République ! a dit…

@ Malakine,

Merci de bien vouloir expliciter les innombrables erreurs factuelles que j'ai pu commettre. Celle que vous mettait en exergue ne me semble pas particulièrement convaincante, d'une part parce que certains protectionnistes parlent bel et bien de taxes et que d'autre part, admettez que cela revient un peu au même dès lors que la taxe est bien calibrée (cela rejoint le débat sur les quotas européens de CO2 et la taxe CO2 qui peuvent être équivalents).

Vous dites que le libre-échange était mauvais même avant la concurrence asiatique, ce n'est pas JL Gréau qui a au moins le mérite de reconnaître les bienfaits du libre-échange dans la période précédente. Cela veut-il dire que le libre échange au sein même de l'Europe est un mal ? Que le libre-échange entre la France et l'Allemagne est un mal ? Pire, que le libre-échange entre la Bretagne et la Normandie est un mal ? Ou faut-il remonter au libre-échange entre un boulanger et un forgeron du même village pour assister au phénomène de "compression de la demande" ?

En ce qui concerne la documentation, la rédaction de cet article m'a contraint de lire diverses longues interview de Todd, de lire les interventions de Sapir/Gréau/El Karoui à un colloque organisé par Chevènement et à écouter JL Gréau pendant 1/2 heure lors d'un colloque de l'OCDE. Je ne suis pas particulièrement prêt à en faire davantage, et certainement pas à lire un livre d'Emmanuel Todd !

En ce qui me concerne, j'ai également mes références Bastiat, mais le passage que j'ai cité me semble suffisant, je ne demande pas aux lecteurs de lire ses oeuvres complètes (ce qui serait toutefois une très bonne chose). Si Todd&Cie sont incapable d'expliciter leur pensée en 5 pages d'inteview ou de comptes-rendu de colloques c'est tout de même un peu gênant.

Enfin, j'aimerais bien que vous répondiez au problème de la pétition des fabricants de chandelles...

Vive la République ! a dit…

Autre dilemne posé par Bastiat sur lequel j'aimerais bien avoir votre avis si vous en avez le temps : interdire aux gens de travailler de la main droite. Avec une telle contrainte, il faudrait certainement plus de travailleurs pour réaliser la même tâche, ce qui veut dire plus de travail, donc une stimulation de la demande intérieure et enfin de la croissance !

Bien entendu, le problème c'est que le prix de tous les biens augmenterait : mais n'est-ce pas également ce qui se passe avec le protectionnisme ?

Vincent T. a dit…

Bon, tu manques de contradicteur crédible on dirait :)

Concernant la différence entre la Chine et le Soleil, tu l'ébauches à moitié en parlant du coût non nul du service rendu par les Chinois. Si un service est disponible gratuitement dans la Nature, payer quelqu'un pour ce service est assez absurde, nous en convenons. Ceci dit, tant que la nuit existera, les fabricants de chandelles ou assimilés survivront assez bien (cf. Philips).

Maintenant pour la fabrication d'un T-Shirt, où la Nature n'intervient pas directement, quelle différence entre un T-Shirt fabriqué à Meulin et un fabriqué à Wujiang. On utilise les mêmes machines, les même techniques, le même modèle de vêtement, la seule chose qui change, c'est le coût de la main d'oeuvre (admettons). On a le choix entre 50 ouvriers chinois payé peu et travaillant beaucoup, ou 100 ouvriers français, payés plus cher. La différence des "coûts complets" entre production française et chinoise, en première approximation, pour un T-Shirt destiné à la consommation française, c'est le surcoût de main d'oeuvre en France moins le coût de transport Chine->France. Tout le monde est content, ça s'optimise, on trouve qu'il est souvent plus rentable de fabriquer en Chine.

Petit soucis, ce calcul marche pour quasiment toute industrie où la main d'oeuvre représente une part importante du coût total du produit, et où les machines sont transportables. C'est-à-dire pour pas mal d'industries au final. Ce qu'on reproche au Chinois du coup, c'est de fermer des usines en Europe pour en ouvrir en Chine (délocalisation). Les consommateurs européens paient leurs bien moins chers, mais doivent faire face à une augmentation du chômage (ou à sa non-diminution, ce qui revient au même), chômage qui a un coût social via les prestations sociales (indemnités/RMI/RSA). Si on était en situation de plein emploi, tu pourrais dire que les employés virés de l'industrie textile peuvent s'employer ailleurs. Avec un chômage à 10 %, cet argument est moins percutant.
Le "coût complet" devrait donc être surcoût de main d'oeuvre français - coût logistique/transport - surcoût social des emplois supprimés. Tu peux voir la taxe à l'importation comme un moyen de faire payer le surcoût social par le consommateur, plutôt que de le faire payer par le contribuable.

On peut comprendre l'idée d'un protectionnisme européen si on admet que les modèles sociaux en Europe sont globalement homogènes, et que la concurrence n'est pas faussée par un dumping quelconque (Bruxelle y veille en théorie). Je suis d'accord qu'elle aurait plus de pertinence avec un SMIC européen ou mieux, avec un droit du travail européen, mais bon. Et je serais heureux qu'on puisse passer à un protectionnisme mondial, avec les mêmes conditions (concurrence sur les techniques de production ou sur l'efficacité industrielle, avec un coût du travail homogène, pas concurrence sur les sacrifices que l'on arrive à imposer aux travailleurs). En attendant, taxer des produits car ils induisent un surcoût de prestations sociales ne me paraît pas complètement abberrant ;)

Vive la République ! a dit…

@Vincent T,

Je ne pense pas que tu viennes à bout du paradoxe des fabricants de chandelles. Il n'y a pas de différence fondamentale entre la lumière et un T-shirt, les deux apportent une certaine utilité au consommateur : ce n'est pas la quantité de travail incorporé dans un produit qui intéresse le consommateur.

Tu dis oui mais il faut compter les coûts complets. Avant de rentrer dans ce débat, je tiens à faire remarquer qu'on peut appliquer exactement le même raisonnement avec l'effet du soleil sur les fabricants de chandelle, donc je maintiens que si l'on peut justifier le protectionnisme alors on peut justifier la condamnation des ouvertures laissant passer le jour. Heureusement, il me semble qu'on ne puisse justifier ni l'un ni l'autre, car une fois de plus l'erreur vient de ne tenir compte que de ce qu'on voit et d'oublier ce que l'on ne voit pas.

Tous les ans en France, des centaines de milliers d'emplois sont détruit et à peu près le même nombre sont créés, le solde net qui détermine la diminution ou l'augmentation du chômage est très faible par rapport aux variations brutes. Parmi les destructions d'emploi, très peu semblent dues aux délocalisations (moins de 1% dit-on). Les effets du progrès technique et surtout des changements de goûts des consommateurs sont sans commune mesure avec le phénomène de délocalisations pour expliquer des destructions d'emploi : faut-il interdire ou freiner le progrès technique ? Faut-il interdire ou freiner les changements de goûts ? Non, car ce serait se focaliser sur ce que l'on voit "les emplois détruits", notamment ceux dus à des délocalisations qui sont fortement médiatisés en oubliant ce que l'on ne voit pas, à savoir le nombre à peu près équivalent d'emplois créés.

Le libre-échange n'est pas le déterminant du taux de chômage, il n'est qu'à voir la diversité des taux de chômage dans les pays développés exposés exactement au même commerce international. Le chômage s'explique en partie par la conjoncture (on le voit en ce moment malheureusement) et en partie par la fluidité et les rigidités du marché du travail.

Dans ces conditions, il n'y a pas de coût complet à calculer du libre-échange, ou alors un coût vraiment complet qui prend en compte les destructions d'emploi et les créations équivalentes et qui revient au gain net du libre-échange. On peut être en désaccord avec ce point de vue, mais dans ce cas, par cohérence intellectuelle on doit être pour la limitation du progrès technique, des changements de goûts des consommateurs, de la lumière du jour et du fait que les travailleurs puissent travailler de la main droite : dans tous les cas c'est le même raisonnement qui est à l'oeuvre.

Vive la République ! a dit…

Quant à la pertinence de l'échelle européenne pour appliquer le protectionnisme, il me semble qu'en ce qui concerne la France, le flux des délocalisation au sein de l'UE dépasse largement le flux des délocalisations hors de l'UE. Donc si barrières douanières il faut ériger, elles doivent être situées au sein même de l'UE, ce qui ferait un peu désordre.

Vincent T. a dit…

Il n'y a pas de paradoxe avec les chandelles. Je te réponds "oui au soleil, non à la production de toutes les chandelles du monde en Chine". Je ne dis pas qu'il faut artificiellement augmenter la demande de chandelle en se cloitrant sous terre, et je ne dis pas non plus qu'il faut cesser de commercer avec la Chine. Il y a d'autres positions que "libre-échangiste pur" ou "protectionniste forcené".

Reprenons : deux entreprises de chandelle (tu as l'air d'aimer l'exemple) se font concurrence sur la planète. Un extra-terrestre arrive, il crée une île artificielle dans l'Atlantique, il escalavagise 10 millions d'honnêtes citoyens et commence à produire des chandelles. Comme les esclaves ne lui coûtent rien, il a des frais de main d'oeuvre nuls. Sa technique est rudimentaire, ruineuse en temps de travail (qui ne lui coûte rien), il s'approvisionne sur les mêmes marchés de cire que les deux autres, et tire les prix vers le bas grâce à ses esclaves. 10 millions de personnes suffisent, à approvisionner le monde entier en chandelle (hypothèse). Dans ce cas tu vas me dire, libre-échange oblige, les autres entreprises doivent se reconvertir dans autre chose, elles ne sont pas concurrentielles. Pourtant, la technique de l'extra-terrestre n'est pas plus performante et le temps passé à produire des chandelles est plus important. Tu me réponds, le consommateur s'en fout tant que c'est moins cher, et à part les ex-ouvriers de chandelle, tout le monde est content.

Globalement, tu délocalises la production sur l'île, qui tourne à fond donc est en plein-emploi, et tu exportes du chômage en retour. Tu me dis : le chômage n'augmente pas en France, c'est un signe que peu d'emplois sont détruits par délocalisation, ou que l'on créé autant que ce qu'on détruit. Certes, on crée des emplois, mais si en plus on en détruisait moins ce serait mieux. La production industrielle de la Chine a été multipliée par près de 2.8 (+180 %) entre 2000 et 2007, tandis que celle de l'UE, du Japon ou des USA stagne à +/- 5 % sur cette même période ("L’industrie européenne et la mondialisation", INSEE, L'industrie en France 2008). Le même document précise qu'entre 1995 et 2007, la part de l'emploi industriel en Europe est passée de 21 % à 17% (proportion qui ne peut s'expliquer par les seuls gains de productivité).

Est-ce par ce que la Chine est plus innovante, plus performante, plus ingénieuse dans ses méthodes de production, ce qui justifierait qu'elle capte toute la production ? Probablement pas. Quel est son avantage compétitif ? Des bas salaires, et une main d'oeuvre abondante. Dans le fond, si les Chinois veulent se faire exploiter, pourquoi pas, mais si il commence à produire des Airbus, ça va mal finir pour nous (et c'est déjà le cas...). Pas que le monde sera plus pauvre, mais les ouvriers qui ne peuvent bosser pour moins que le SMIC risque de ne pas apprécier d'être toujours au chômage. Ce protectionnisme européen est une forme de réaction face à ce constat de désindustrialisation : la concurrence n'est pas loyale, et favorise le modèle social du moins-disant, les pays qui veulent défendre leurs salariés se retrouvent avec des chômeurs sur les bras, et les consommateurs ne risquent pas de changer la tendance. Faut-il abolir le SMIC et sabrer le code du travail, taxer les produits chinois, ou ne rien faire ?

Vive la République ! a dit…

@Vincent T,

Si, il y a bien un paradoxe des chandelles, ne t'en déplaise. Le soleil et la fabrication des chandelles pour moins cher ont exactement le même effet : ils réduisent la production de chandelles en France et rendent pour moins cher le service "clarté" aux consommateurs français.

En ce qui concerne l'efficacité, ne tournons pas autour du pot : si les Chinois fournissent un service pour moins cher que les entreprises française, c'est que cela correspond à une utilisation plus efficace des ressources. On peut multiplier à l'envi les indicateurs mais je pense qu'à peu près tout est contenu dans le prix de revient. Peut-être qu'ils utilisent plus de salariés, mais un salarié chinois coûte moins de ressources qu'un salarié français, d'abord parce que le niveau de vie en Chine est moins élevé mais aussi parce que ce salarié a lui-même bénéficié de beaucoup moins de ressources en termes d'éducation qu'un salarié français. Cette différence de prix indique qu'utiliser des travailleurs français pour fabriquer des T-shirts, cela revient à gâcher des ressources car ils peuvent être plus utiles ailleurs.

Bref mon argument est simple : le libre-échange est un gain net pour le consommateur français et c'est neutre pour les travailleurs français car les destructions d'emploi dues aux délocalisations ne sont pas corrélées à moyen terme au taux de chômage. C'est ce dernier point qui prête à discussion.

Une fois de plus, commençons par contester mon point de vue et par en tirer toutes les conséquences. Le progrès technique est strictement équivalent au libre-échange (meilleure utilisation des ressources pour produire le même bien, ou production d'un bien d'une meilleure qualité), donc il détruit également des emplois à court terme. Quantité d'emplois, des milliards d'emplois ont été détruits depuis l'invention de l'agriculture à cause du progrès technique. Si on pense qu'il faut à tout prix limiter les destructions d'emploi alors on est pour des barrières douanières élevées ET pour la limitation du progrès technique !

Mais cette logique complètement malthusienne du travail est erronnée. Elle est résumée par ta phrase "Certes, on crée des emplois, mais si en plus on en détruisait moins ce serait mieux". Tu sous-entend qu'il y a un stock de travail à effectuer que l'on doit se repartir et donc que toute destruction d'une partie de ce stock diminue la quantité de travail disponible pour chaque individu, d'où la hausse du chômage. De même avec cette vision malthusienne, on pense que la vague de départs en retraite va mécaniquement résorber le chômage, cette vision me semble très dangereuse.

Je prétends au contraire qu'il y a un stock de travailleurs (et pas un stock de travail) et un nombre infini de tâches à pourvoir afin d'accroître nos désirs et de satisfaire nos besoins. Donc quand des emplois sont détruits, les travailleurs vont remplir d'autres tâches pour satisfaire d'autres désirs.

Une manière de confronter nos deux visions et de regarder ce qui se passe sur le marché du travail : des flux bruts sans commune mesure avec le solde net. Cette observation s'accorde parfaitement avec ma vision, elle semble complètement "magique" dans ta vision (au nom de quoi les créations et les destructions d'emplois devraient s'équilibrer ?).

Vive la République ! a dit…

Ce qui peut influer sur le taux de chômage de court terme, c'est la "cinétique de la réaction", qu'il s'agisse de libre-échange comme de progrès technique : il est toujours préférable que les évolutions se fassent lentement pour que les gens aient le temps de se reconvertir. Donc supprimer du jour au lendemain tous les droits de douanes serait probablement une mauvaise idée.

Je ne conteste pas la diminution de la production industrielle ou du nombre de travailleurs dans l'industrie en Europe, qui s'explique justement parce que la Chine est devenue le sous-traitant du monde en effectuant beaucoup des taches à plus faibles valeur ajoutée de l'industrie. Les grands groupes industriels européens ont conservé les tâches à haute valeur ajoutée sur leur territoire. Cette évolution est, me semble-t-il, aussi inexorable que la baisse de la part de l'agriculture dans l'économie depuis la révolution industrielle. Cela ne veut pas dire la mort de l'industrie dans les pays développés mais la diminution progressive de la production industrielle de faible valeur ajoutée en Europe.

Ce à quoi il faut faire attention, c'est à ne pas devenir dépendant de notre sous-traitant Chinois (et autres pays à faible coûts de main d'oeuvre), comme Airbus doit veiller à ne pas devenir dépendant de ses sous-traitants. C'est pourquoi des interventions de l'Etat peuvent se justifier dans des domaines stratégiques (énergie, défense, agriculture...).

Les personnes peu qualifiées en France peuvent-elles survivre dans ces conditions ? Il faudra certainement diminuer cette proportion dans les années à venir par une hausse du niveau général d'éducation et puis il faut développer les innombrables tâches de faible valeur ajoutée (et pourtant tout à fait essentielles) non-délocalisables, comme les services à la personne.

Vincent T. a dit…

Je persiste et signe pour le soleil : le jour où on pourra délocaliser nos emplois sur le Soleil, j'admettrais de le considérer comme équivalent de la Chine. Mon point de vue n'est pas vraiment en contradiction avec le tien : oui au progrès technique, et dans l'absolu oui au libre-échange. Ma position est équivalente à considérer le monde comme un système isolé (sauf erreur, on est nécessairement protectionniste à l'échelle mondiale, vu qu'on refuse obstinément les contacts des extra-terrestres depuis l'épisode de la zone 51). On niveau mondial donc, il y a une quantité infinie de service que l'on peut en théorie produire, mais une quantité finie qui peut être absorbée par le marché. Et un stock fini de travailleur. Dire que le prix de revient indique une utilisation "efficace" des ressources est probablement notre principal point de désaccord : rétablissons l'esclavage sur une île déserte, et on allouera les ressources de la façon la plus "efficace" possible. Comme ce minimum est a priori peu souhaitable (j'espère que tu en conviens), on peut se demander si il n'y a pas un maximum "humain" que l'on peut exiger d'un travailleur. En France on estime qu'il se situe à 35 h/semaine pour un SMIC. Si d'autres pays estiment qu'il se situe à 70 h/semaine pour un dixième de SMIC, ce n'est pas que les salariés sont plus efficace (à l'heure, j'en doute), juste qu'ils sont moins bien protégés.

Dans ton raisonemment, j'ai l'impression que tu oublies qu'on parle d'êtres humains, pas simplement de machines. Il me paraît compréhensible que des employés plus efficaces ou plus performants puissent être préférés par un employeur, mais dans le calcul de délocalisation, c'est plus un calcul sur le système social le plus exigeant. Rien à voir avec des paramètres du travail horaire, juste avec le "coût minimal de main d'oeuvre" et son "exploitabilité". On optimise le cadre législatif, et c'est cela que je trouve discutable. La différence avec le soleil ou le progrès technique, c'est que tout cela est neutre au point de vue mondial (à technologie et consommation équivalentes), mais crée des anisotropies à l'échelle des pays.

On observe en pratique qu'il y a 8-10 % de chômeurs en France, malgré une infinité de tâches à accomplir. Est-ce parce qu'ils ne "veulent" pas travailler ? Ne sont pas adaptés aux demandes du marché ? Demander une hausse générale du niveau général d'éducation est louable, mais il existera toujours des gens incapables de gravir les marches de la pyramides scolaires. Que faire des ces personnes ? On les échange contre des ingénieurs chinois ? Les services à la personne sont une fausse bonne idée, sauf erreur, il y avait un article du Monde sur la fin de cette "bulle" ;)

Dans l'absolu, ton problème est que tu fais un "bête" optimisation de math qui te montre qu'il est économiquement intéressant d'échanger quelques chômeurs contre des produits moins chers, et que globalement, tout le monde est gagnant. De mon côté, naïf, j'aurais tendance à ne pas encourager le gouvernement chinois à exploiter ses travailleurs, et à compatir de la misère des chômeurs. Très sentimental, pas très rationnel me diras-tu... Certes, mais si l'objectif de l'économie est d'optimiser le bien-être, en prenant une métrique qui défavorise les situations très en deçà de la moyenne (au niveau mondial ou national), pas sûr que tes arguments tiennent toujours ;)