15 août 2009

La crise : symptôme ou pathologie ?


Si vous plongez votre main dans de l’eau bouillante, vous ressentirez une vive douleur. Cette douleur, c’est un symptôme, un signal créé par votre cerveau pour réagir au véritable mal : la destruction de vos cellules ébouillantées. Etymologiquement, un symptôme, c’est ce qui survient avec, par coïncidence. A force d’observer la concomitance du symptôme (douleur, nez qui coule, toux,…) et du mal (pathologie, microbe, virus,…), on en vient à associer l’un à l’autre, ce qui est une erreur profonde de logique. On peut faire cesser la douleur sans remédier au mal, en insensibilisant la main plongée dans l’eau bouillante par exemple. Ce faisant, la destruction des cellules continuera mais il n’y aura plus de signal pour déclencher le retrait de la main de l’eau bouillante. S’attaquer uniquement au symptôme, c’est un peu comme casser le thermomètre : cela change notre perception des choses, mais pas les choses elles-mêmes.

Quel rapport avec l’économie et avec la crise en particulier ? J’y viens. La principale manifestation de la crise économique de laquelle nous commençons à sortir a été l’explosion d’une bulle immobilière aux Etats-Unis (ainsi que dans d’autres pays occidentaux comme l’Espagne ou l’Irlande) qui a fragilisé les institutions bancaires, les obligeant à limiter le crédit, ce qui s’est traduit par un impact négatif sur l’ensemble de l’économie. La réponse à apporter à ce type de crise dépend en fait précisément du problème exposé plus haut, à savoir : la crise est-elle le mal ou le symptôme du mal ?

Si la crise c’est le mal, alors il est de bonne politique de lutter contre la baisse de l’immobilier et la diminution du crédit en promouvant une politique budgétaire et monétaire expansionniste. C’est toute la logique de l’approche keynésienne.

Si la crise n’est qu’un symptôme du mal, alors toutes ces interventions publiques qui visent à modifier les comportements des acteurs privés en les forçant à investir ou à consommer plus qu’ils ne le feraient naturellement, reviennent à casser le thermomètre ou à insensibiliser la main plongée dans l’eau bouillante. C’est toute la logique de l’approche autrichienne (école économique qui se réclame de Von Mises et de Hayek).

Il faut donc s’interroger sur la définition du mal en économie. Principalement, il s’agit d’une mauvaise utilisation des ressources (capital, travail, ressources naturelles). Par contraste, le « bien » en économie, c’est l’utilisation et la combinaison optimale des ressources disponibles pour combler le plus de besoins et de désirs possibles. Si l’on adopte cette perspective, on arrive à la conclusion qu’une bulle économique est un mal et que l’éclatement de cette bulle est le symptôme, la douleur, qui vient nous alerter de ce mal et nous oblige à réagir pour le faire disparaître.

L’article suivant : http://mises.org/story/3616 montre comment a pu se traduire concrètement la bulle immobilière aux Etats-Unis et en particulier à Las Vegas. Des médecins et des professeurs, séduits par la profitabilité du secteur, ont peu à peu quitté leurs occupations traditionnelles pour devenir agents immobiliers. Il s’agit à l’évidence d’une mauvaise utilisation des ressources, d’un mal pour l’économie. On cherchant à redresser le marché de l’immobilier coûte que coûte, en s’opposant à la correction du marché, on perpétue ce mal.

Imaginons maintenant que vous souffriez d’un mal de tête et que je vous propose un remède qui clamera la douleur mais dont l’un des effets secondaires est de provoquer un mal de tête encore plus important un peu plus tard. A l’évidence, vous risquez de refuser mon traitement, pourtant, n’est-ce pas à ce que l’on assiste actuellement au niveau monétaire ? Pour lutter contre un premier mal de tête (la crise Internet), Alan Greenspan, le patron de la FED a considérablement baissé les taux, ce qui a très vraisemblablement contribué à soigner le premier mal de tête mais à générer une nouvelle maladie (la bulle immobilière) qui a fini par déboucher sur un deuxième mal de tête (l’éclatement de cette bulle). Le successeur de Greenspan, Ben Bernanke propose un nouveau remède, une baisse des taux encore plus forte que celle proposée par son prédécesseur. Il y a fort à parier que cette politique monétaire expansionniste contribuera à atténuer ce second mal de tête. Mais il y a également fort à parier qu’elle en génère un troisième.

Le problème, c’est que Bernanke, comme tous les économistes et tous les politiques est jugé sur les résultats qu’il apporte à la crise actuelle, peu importent en fait les conséquences à long terme de ses actions. Pour caricaturer, le docteur autrichien, c’est celui qui est prêt à vous laisser atrocement souffrir pour ne pas compromettre votre santé, tandis que le docteur keynésien, c’est celui qui est prêt à tout pour calmer votre douleur, quitte à mettre votre santé en danger. On prête souvent à Keynes la citation suivante « à long terme, on est tous morts », ne s’agirait-il pas en fait d’une citation tronquée, du style « si l’on suit exclusivement les principes du keynésianisme, alors à long terme, on est tous morts » ?

Là où l’approche keynésienne retrouve du crédit face à la logique autrichienne, c’est sur la question du chômage. En effet, le chômage est à la fois un symptôme de la crise mais c’est surtout un mal à lui seul, un gâchis fantastique de ressources humaines. Le « laissez-faire » autrichien en période de crise, s’il permet une réallocation du capital efficace en faisant disparaître les investissements structurellement non rentables, peut engendrer une perte nette des ressources en termes de travail, ce que l’on appelle pompeusement l’effet d’hystérésis.

C’est finalement tout le problème de la crise actuelle : c’est à la fois un symptôme et une pathologie, elle appelle donc des réponses pour calmer la douleur et d’autres pour soigner le mal. Mais que faire dès lors que le remède à la douleur augmente le mal et que le remède au mal intensifie la douleur ? Au minimum, cela devrait conduire économistes, banquiers et politiques à un peu plus d’humilité et à un peu moins de certitudes.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"Le problème, c’est que Bernanke, comme tous les économistes et tous les politiques est jugé sur les résultats qu’il apporte à la crise actuelle, peu importent en fait les conséquences à long terme de ses actions."

Ah, quel problème ça... Dans tous les domaines il y a cette tentation du court-termisme. Sans compter qu'en plus, viser le long terme, c'est souvent risqué, et en plus personne ne te félicitera 20 ans plus tard (si tes successeurs n'ont pas bousillé ta stratégie...)