30 janvier 2009

Bastiat, encore et toujours

En complément de l'article sur la croissance ci-dessous, ce merveilleux passage de l'économiste Frédéric Bastiat dans une réponse au socialiste Proudhon. Ce passage illustre l'une des causes possibles de la croissance que je soulevais dans mon article, à savoir l'augmentation des ressources (ici, le capital). Bastiat en profite pour donner la seule interprétation possible du concept de croissance (même s'il ne prononce pas ce mot) : le soulagement du sort de l'humanité. Il met donc les choses à leur juste place en faisant de la machine économique un moyen et le bonheur une fin. On est loin du "travailler plus pour gagner plus", parfaitement incontestable dans l'optique d'une augmentation quantitative de la croissance, plus discutable en ce qui concerne l'évolution de la qualité de la vie.

Quelle que soit mon admiration sincère pour les admirables lois de l'économie sociale, quelque temps de ma vie que j'aie consacré à étudier cette science, quelque confiance que m'inspirent ses solutions, je ne suis pas de ceux qui croient qu'elle embrasse toute la destinée humaine. Production, distribution, circulation, consommation des richesses, ce n'est pas tout pour l'homme. Il n'est rien, dans la nature, qui n'ait sa cause finale; et l'homme aussi doit avoir une autre fin que celle de pourvoir à son existence matérielle. Tout nous le dit. D'où lui viennent et la délicatesse de ses sentiments, et l'ardeur de ses aspirations; sa puissance d'admirer et de s'extasier? D'où vient qu'il trouve dans la moindre fleur un sujet de contemplation? que ses organes saisissent avec tant de vivacité et rapportent à l'âme, comme les abeilles à la ruche, tous les trésors de beauté et d'harmonie que la nature et l'art ont répandus autour de lui? D'où vient que des larmes mouillent ses yeux au moindre trait de dévouement qu'il entend raconter? D'où viennent ces flux et des reflux d'affection que son cœur élabore comme il élabore le sang et la vie? D'où lui viennent son amour de l'humanité et ses élans vers l'infini? Ce sont là les indices d'une noble destination qui n'est pas circonscrite dans l'étroit domaine de la production industrielle. L'homme a donc une fin. Quelle est-elle? Ce n'est pas ici le lieu de soulever cette question. Mais quelle qu'elle soit, ce qu'on peut dire, c'est qu'il ne la peut atteindre si, courbé sous le joug d'un travail inexorable et incessant, il ne lui reste aucun loisir pour développer ses organes, ses affections, son intelligence, le sens du beau, ce qu'il y a de plus pur et de plus élevé dans sa nature; ce qui est en germe chez tous les hommes, mais latent et inerte, faute de loisir, chez un trop grand nombre d'entre eux.

Quelle est la puissance qui allégera pour tous, dans une certaine mesure, le fardeau de la peine? Qui abrégera les heures de travail? Qui desserrera les liens de ce joug pesant qui courbe aujourd'hui vers la matière, non-seulement les hommes, mais les femmes et les enfants qui n'y semblaient pas destinés? — C'est le capital; le capital qui, sous la forme de roue, d'engrenage, de rail, de chute d'eau, de poids, de voile, de rame, de charrue, prend à sa charge une si grande partie de l'œuvre primitivement accomplie aux dépens de nos nerfs et de nos muscles; le capital qui fait concourir, de plus en plus, au profit de tous, les forces gratuites de la nature. Le capital est donc l'ami, le bienfaiteur de tous les hommes, et particulièrement des classes souffrantes. Ce qu'elles doivent désirer, c'est qu'il s'accumule, se multiplie, se répande sans compte ni mesure, — Et s'il y a un triste spectacle au monde, — spectacle qu'on ne pourrait définir que par ces mots: suicide matériel, moral et collectif, — c'est de voir ces classes, dans leur égarement, faire au capital une guerre acharnée. — Il ne serait ni plus absurde, ni plus triste, si nous voyions tous les capitalistes du monde se concerter pour paralyser les bras et tuer le travail.

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