09 décembre 2008

La relance, quelle relance ?


Ca y est, Keynes est de retour ! Après des décennies de mise au placard au profit de la révolution libérale, ses idées ont été remises sur le devant de la scène lors du G20 de novembre dernier, où les principaux chefs d’Etats de la planète se sont engagés à soutenir l’activité en menant des plans de relance coordonnés dans le temps. Ce résultat prouve au passage que cette réunion était tout sauf un cocktail mondain destiné à grossir l’ego de notre omni-président comme on a pu le lire dans la presse française, dont la myopie égale certainement celle de Louis XVI qui écrivit dans son journal intime le jour du 14 juillet « Rien ».

Dans ce cadre, la France, par la voix de Nicolas Sarkozy, a annoncé son propre plan de relance la semaine dernière. Contrairement à la Grande-Bretagne de Gordon Brown qui a choisi une relance par la consommation en baissant provisoirement de 2 points son taux de TVA, le gouvernement français (ou plutôt l’exécutif français) a choisi une relance par l’investissement basée notamment sur une politique de grands travaux. Quelques mesures concernent toutefois la consommation des ménages les plus pauvres, comme la prime de 200 euros que toucheront les ménages éligibles au futur RSA.

Ce choix est salutaire étant donné la situation sociale, économique et financière de notre pays. En effet, commençons par rappeler que si la crise touche très durement les populations précaires (chômeurs, CDD, interim), elle épargne pour l’instant une très grande partie de la population (fonctionnaires ou CDI notamment). Quand bien même la crise s’aggraverait, les Français, qui ont un taux d’épargne très important, pourraient alors piocher dans leur bas de laine pour passer ces moments difficiles. Dans ces conditions, une relance globale de la consommation serait à la fois injuste socialement et inefficace sur le plan économique : si relance du pouvoir d'achat il doit y avoir, elle doit cibler exclusivement les Français les plus exposés dont on est certain qu’ils consommeront tout de suite l’argent distribué. C’est ce que fait le plan de relance avec la prime de 200 euros, certainement de manière trop timide.

Sur le plan économique, il faut savoir qu’une relance basée principalement sur la consommation se traduirait d’abord par une augmentation de nos importations, c’est-à-dire qu’elle assurerait avant tout une relance dans les pays exportateurs que sont la Chine ou l’Allemagne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les plans de relance doivent être coordonnés dans le temps afin que chaque pays profite des externalités positives des plans de ses voisins sans pouvoir adopter un comportement opportuniste de « free rider ». Autant la baisse de la TVA en Angleterre augmentera en partie l’activité en France des entreprises qui exportent outre-Manche autant on imagine mal l’impact des grands travaux annoncés en France sur l’économie britannique. C’est d’ailleurs l’un des principaux reproches que nos voisins européens seraient justifiés à faire à la France, à savoir qu’elle se conduit de manière opportuniste. L’autre raison économique a été avancée par le Président de la République lui-même : après des mois d’inflation, l’heure est aujourd’hui à la baisse des prix et le risque de la déflation se fait à nouveau jour ; inutile dans ces conditions pour l’Etat de participer à la baisse des prix en baissant la TVA.

C’est sur le plan financier que ce plan semble le plus intéressant. En effet, malgré les chiffres annoncés, son impact sur la dette et le déficit public sera assez limité. Les nouveaux investissements annoncés sont très souvent des projets qui étaient prévus pour plus tard, il s’agit donc uniquement de les décaler dans le temps. Bien entendu, cela n’est pas tout à fait neutre sur les comptes de l’Etat puisqu’en avançant les dépenses, on creuse la dette à court terme et on augmente ainsi la charge de la dette. D’après les calculs du gouvernement, les perspectives de déficit de 2012 sont même légèrement améliorées puisque certaines dépenses auront été effectuées plus tôt. Il s’agit donc d’une manière assez habile de combiner la relance à court terme avec la maîtrise des déficits à moyen terme. C’est sans doute la raison pour laquelle ce plan a été bien accueilli au niveau européen, où l’on devait craindre qu’une fois de plus, la cigale France profite de la situation pour détériorer sa situation financière. Les choses seraient fondamentalement différentes avec une relance de la consommation par une diminution de la pression fiscale puisque les sommes ainsi dépensées ne seraient pas compensées ultérieurement, sauf à annoncer dès maintenant qu’une hausse des impôts suivrait la baisse à court terme. Un tel scénario paraît toutefois peu compatible avec le calendrier électoral français et la perspective des élections présidentielles de 2012.

Le plus important dans ce plan, c’est qu’il remet au goût du jour la politique de l’offre si longtemps différée par le gouvernement alors qu’il s’agissait d’un des axes de campagne du candidat Sarkozy. Disons-le une fois de plus, le gouvernement s’est lourdement compromis dans le plan de relance avant l’heure que constituait le paquet fiscal. En mangeant dès 2007 son pain blanc, la France se retrouve aujourd’hui en situation de ne pouvoir mettre sur la table qu’un modeste 1,5% de son PIB. De plus, sur le plan social, l’extension des heures supplémentaires, mesure efficace en période de croissance économique, pourrait aggraver le chômage en période de récession en créant des effets d’aubaine chez les entrepreneurs. Le risque était donc grand de voir le gouvernement privilégier une nouvelle fois une politique de la demande (pourtant tellement plus porteuse sur le plan politique comme le prouve le positionnement opportuniste de l’opposition sur ce sujet). Bien au contraire, la crise va permettre à la France de renforcer sa compétitivité à moyen terme en relançant les grands investissements dont elle a besoin : en plus de l’effet keynésien de court terme d’une relance de l’activité, cette politique générera donc des externalités positives dont nous profiterons dans les années à venir, ce qui ne serait pas le cas avec une relance de la demande. Quand bien même la dette de l’Etat augmenterait, il en ira de même de ses actifs, les générations futures ne seront donc pas lésées.

En ce qui concerne les mesures d’aides sectorielles, ciblées sur le bâtiment et l’automobile, elles sont bien entendu nécessaires puisqu’il s’agit des secteurs les plus touchés (car ils sont directement affectés par la crise du crédit). Qui plus est, ils représentent la colonne vertébrale industrielle de la France, c’est-à-dire une fraction très importante des emplois, il n’est donc pas concevable de les laisser tomber au moment même où les autres pays, Etats-Unis en tête, s’engagent à aider leur propre industrie automobile à se restructurer. On a également constaté à quelles extrémités (cf. la faillite de Lehmann Brothers) ont menées les politiques de lutte contre "l'aléa moral", si cher aux microéconomistes, qui consistent à laisser tomber les entreprises en difficulté pour punir leur comportement passé et leurs erreurs stratégiques. Il faut toutefois éviter de s’écarter trop fortement des lois du marché en créant une compétitivité fictive de ces secteurs à travers des subventions toujours plus importantes et toujours moins coopératives au niveau des échanges internationaux. La prime à la casse des voitures de plus de 10 ans et le fonds de restructuration de la filière automobile vont dans le bon sens et s’inscrivent parfaitement dans la politique de décarbonation du parc français. La mise en chantier de nombreux logements sociaux a, quant à elle, l’avantage de faire baisser les prix de l’immobilier à long terme en augmentant l’offre locative et d’éviter dès aujourd’hui que ne se créé la bulle immobilière de demain. Là encore, une politique de soutien au pouvoir d’achat pour aider les ménages à payer leur loyer aurait de forte chance de subir un effet d’éviction via une augmentation desdits loyers.

Le succès de ce plan dépend beaucoup de l’évolution de la crise dans les mois à venir. Le pari de l’exécutif est que la crise ne s’aggravera pas de manière importante, sans quoi un deuxième plan serait inéluctable, et qu’elle pèsera sur le moyen terme, période où les investissements publics annoncés viendront jouer un rôle contra-cyclique. Si la crise est, comment le disent certains économistes, un choc négatif de la demande à très court terme, une relance par la consommation aurait alors été certainement le choix le plus efficace. Dans ce cas de figure, la France devra attendre son tour et profiter éventuellement des plans de relance dans les autres pays. Il est en revanche absurde de dire que la relance par l’investissement met plusieurs années à produire des effets sur la croissance sous prétexte qu’il faut attendre que les nouvelles infrastructures soient construites. Ceux qui affirment cela confondent l’effet keynésien de court terme des investissements et l’externalité positive qu’apportent ces investissements à moyen terme. Pour le dire autrement, c’est la construction des lignes TGV et non leur utilité qui relancera la croissance à court terme : on pourrait tout aussi bien demander à la moitié de la population de creuser des trous et à l’autre de les combler. Si délai il y a entre une relance par la consommation et une relance par l’investissement c’est en raison du temps nécessaire pour faire démarrer les chantiers, d’où la simplification temporaires des procédures administratives proposée par le gouvernement.

Enfin, le fait de confier à un ministre à part entière le suivi de ce plan de relance est avant tout une opération de communication (assez astucieuse reconnaissons-le), elle permet surtout de solutionner un problème de personne interne à la majorité. La plus grande crise économique depuis 1929 aura permis de régler le cas Devedjan à l’UMP, comme on dit dans ces cas-là « petite cause, grands effets » ! Cela ne doit pas occulter l’essentiel à savoir que ce plan de relance est relativement bien inspiré bien que certainement sous-dimensionné en raison de nos faibles marges de manœuvre budgétaires.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Et que répondrais-tu aux mauvaises langues qui disent que ce plan de sauvetage est juste une manière comptable de basculer des investissements déjà prévus par ailleurs dans la case "relance", pour montrer que le gouvernement est sur le coup (comme le super ministre chargé de le mettre en oeuvre)? D'autre part, où est vraiment la relance "par l'investissement", lorsque une part non négligeable de la "vraie" relance (et pas celle des lignes TGV déjà budgétées) est consacrée à des remises sur des voitures dont les modèles existent déjà (et pas sur de la R&D pour une voiture verte par exemple)? On pourrait même, si on est vraiment vicieux, que ce n'est pas rendre service à l'industrie française que de ne pas l'inciter à se réformer, et qu'elle paiera une addition encore plus salée lorsque l'effet "jupette" sera passé et que les ménages se seront rééquipés...

Je n'ai pas les chiffres, peut-être que je me trompe d'ordre de grandeur pour les affectations des dépenses, mais voilà ce que des mauvaises langues pourraient dire...

Vive la République ! a dit…

Salut Xavier,

Je vois que les mauvaises langues ne manquent pas sur Paris... En ce qui concerne ta premiere crainte, je pense que l'augmentation reele de la dette a court terme, visible par tous, prouvera bien que ce plan n'est pas que cosmetique et que beaucoup de projets vont etre effectivement lances en avance de phase. Peu importe dans ce cas que les lignes TGV soient deja budgetees : en les faisant un an ou deux ans plus tot on participe bien a la relance.
Pour l'automobile le probleme est le meme : il s'agit d'appliquer une politique contracyclique en l'aidant quand ca va mal, en pensant que la reprise de l'activite qui suivra la crise leur permettra de s'en sortir, meme si certains menages francais se seront deja equipes.

Par contre, les mauvaises langues auraient raison de dire que quand on avance des investissements dans le temps, on trouve toujours le moyen d'en trouver de nouveaux pour apres (surtout qu'on sera en periode pre-electorale), dans ce cas la, la dette va effectivement bien augmenter.