16 janvier 2008

Le véritable anticapitalisme, c'est le libéralisme


Deux anticapitalistes : Olivier Besancenot et Charles Beigbeder

Michel Rocard a raison d'insister sur le niveau abyssal d'ignorance qu'ont les Français en économie. Au prétexte qu'il s'agit d'une science "sociale", chacun se croit autorisé à donner son avis. Ce manque de culture économique se traduit par une confusion dans les termes employés. En particulier, il est d'usage dans notre pays d'assimiler libéralisme et capitalisme. Ainsi, la gauche de la gauche se réclame-t-elle tour à tour de l'antilibéralisme ou de l'anticapitalisme. Pourtant, ces deux termes sont en tous points opposés et le véritable débat économique contemporain doit précisément porter sur la confrontation de ces deux doctrines.

Le libéralisme est une doctrine politique dont la déclinaison économique se traduit par la mise en oeuvre de concurrence libre et non-faussée sur l'ensemble des marchés. Cela se traduit par une atomicité des acteurs économiques, une parfaite transparence dans l'information, une homogénéité des produits, la libre entrée sur les marchés et la libre circulation des facteurs de production. Dans ce cadre, les économistes prédisent un profit nul pour les entreprises puisque les prix s'établissent aux coûts marginaux. Le raisonnement est très simple, dès lors qu'une entreprise ferait un profit, n'importe qui aurait intérêt à créer une entreprise avec des biens comparables pour prendre une partie de la marge.

Le capitalisme, c'est tout le contraire, on pourrait le définir comme le moyen de se départir des hypothèses de la concurrence parfaite. En effet, quel chef d'entreprise peut accepter pour seul horizon une absence de profit ? Tous les capitalistes cherchent ainsi à acquérir un pouvoir de marché, l'idéal étant le monopole, à protéger l'information dont ils disposent, à se différencier des concurrents et à bloquer la porte aux nouveaux entrants pour qu'ils ne viennent pas partager la marge avec les acteurs existants. L'opposition entre libéraux et capitalistes ne date pas d'hier, Adam Smith, déjà, fustigeait en son temps le mercantilisme qui restreignait la concurrence et, par conséquent, favorisait la position des gens en place.

Soyons réalistes, d'où vient aujourd'hui la plus grande menace pour un géant comme Microsoft : des mouvements antilibéraux qui se développent dans les démocraties occidentales ou de la Commission Européenne que l'on qualifie à juste titre de libérale ? On voit d'ailleurs de nombreux grands groupes industriels chercher l'appui "patriotique" de la population pour s'opposer aux décisions de la Commissaire à la Concurrence de l'Union, en brandissant par exemple l'importance des "champions nationaux". En réalité, ceux qui promeuvent le libéralisme dans le monde patronal sont davantage les responsables de PME qui subissent de plein fouet le pouvoir de marché de ces grands groupes qui leur bloquent l'entrée, c'est le cas en particulier de M. Beigbeder, patron de Poweo, qui cherche à pénétrer le marché de l'électricité.

La différence principale entre ces deux doctrines est que le libéralisme cherche un optimum social (surtout dans sa vision utilitariste), il cherche à maximiser le bien-être de la population tandis que le capitalisme ne cherche qu'à défendre des intérêts privés. Ainsi, il n'y a pas d'incompatibilité majeure entre le socialisme et le libéralisme puisque tous deux se placent du point de vue de la collectivité, les sociaux-libéraux ne sont donc pas forcément atteints de schyzophrénie comme on l'entend parfois. Ce qui fait cependant diverger ces deux doctrines, c'est la répartition des richesses entre les individus et pas seulement leur production de manière globale. Le socialisme cherche à combler les inégalités sociales alors que le libéralisme ne dit rien sur ce thème. Le raisonnement est le suivant : si l'on veut partager le gâteau, il faut d'abord un gros gâteau et donc une maximisation globale. D'ailleurs, la plupart des grands économistes (surtout les Prix Nobel) ne sont-ils pas à la fois de gauche ET libéraux ? Le capitalisme ne s'intéresse pas, quant à lui, à ces aspects macroéconomiques et se concentre principalement sur une optimisation microéconomique.

Doit-on pour autant en conclure que le libéralisme représente le bien quand le capitalisme incarnerait le mal ? Les choses ne sont pas si simples en réalité, même quand on prétend se placer du point de vue de la collectivité. En effet, si on fait un peu d'histoire économique, on comprend que la révolution industrielle, qui a eu lieu au XIXème siècle en Europe Occidentale, doit énormément à l'accumulation primitive de capital chez certains gros patrimoines. Sans cet effet de taille, il est probable que la dynamique ne se serait pas enclenchée, en tous cas pas si vite. Plusieurs économistes expliquent ainsi que si la Chine n'a pas décollé à cette période, c'est parce que l'Etat empêchait toute accumulation privée de richesses. Ainsi, il y a fort à parier que si une Commission Européenne existait au XIXème siècle et pratiquait la même politique qu'aujourd'hui, l'Europe n'aurait pas connu le même essor. Sans remonter si loin dans le passé, on doit reconnaître que les rentes de certaines entreprises sont essentielles pour le développement de la recherche appliquée, elles servent à financer des projets risqués mais prometteurs. Vouloir limiter les profits des entreprises au profit de la collectivité peut donc constituer un frein au développement économique et au progrès technique.

Plus fondamentalement, ce qui remet en cause la pensée économique libérale, c'est qu'elle ne parle pas de la réalité mais d'un monde merveilleux où règne la concurrence pure et parfaite. Ainsi, le discours libéral est davantage normatif que prédictif, il vise à rapprocher la réalité de son modèle plutôt que de trouver un modèle qui reflète la réalité. De surcroît, le libéralisme économique devient critiquable quand ceux qui le défendent ne choisissent que certaines parties de cette doctrine : en clair, ils sont d'accord pour libéraliser le marché du travail pour gagner en compétitivité mais beaucoup moins pour libéraliser les conditions de la concurrence qui pourrait leur faire perdre des parts de marché. Une telle approche, totalement opportuniste, n'est finalement pas si étrangère au capitalisme, qui fait feu de tout bois tant que ses intérêts ont quelque chose à y gagner.

Et si finalement le mot de la fin ne revenait pas à l'historien et homme politique Français Jacques Bainville : "La supériorité des occidentaux tient, en dernière analyse, au capitalisme, c'est-à-dire à la longue accumulation de l'épargne. C'est l'absence de capitaux qui rend les peuples sujets." Cette phrase mérite en tous cas d'être méditée à une époque où la question de la détention des capitaux (notamment par les pays émergents) va se faire de plus en plus brûlante.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour sortir de la crise que traverse aujourd'hui le parti socialiste, il me semble qu'il devrait se positionner sur cette doctrine du libéralisme.
En effet, si la gauche pouvait aujourd'hui se présenter comme libérale (même si cela semble difficile étant donné l'idée que se font les gens de gauche de ce terme), une vraie alternative à la politique de Nicolas Sarkozy pourrait voir le jour.

Anonyme a dit…

Un petit message du Brésil - Rio de Janeiro - d'où il est bien agréable de te lire, ici où le débat politique est quasi inexistant!