05 janvier 2008

Une politique de civilisation


Avec 2008, une deuxième étape s’ouvre : celle d’une politique qui touche davantage encore à l’essentiel, à notre façon d’être dans la société et dans le monde, à notre culture, à notre identité, à nos valeurs, à notre rapport aux autres, c'est-à-dire au fond à tout ce qui fait une civilisation. Depuis trop longtemps la politique se réduit à la gestion restant à l’écart des causes réelles de nos maux qui sont souvent plus profondes. J’ai la conviction que dans l’époque où nous sommes, nous avons besoin de ce que j’appelle une politique de civilisation. Nicolas Sarkozy, qui parle beaucoup, pour ne pas dire trop, depuis qu'il a été élu Président de la République, a certainement prononcé ici ses mots les plus importants et les plus prometteurs. Il convient cependant de rendre à César ce qui est à César puisque la formule "politique de civilisation" est le titre d'un livre du philosophe Edgar Morin et que le discours du Président a été écrit (comme toujours quand il est bon) par Henri Guaino, mais cela n'a guère d'importance : en effet, en écrivant son livre, Edgar Morin n'a pas préempté cette expression et il ne saurait s'ériger en arbitre universel de ce qui relève ou pas de la civilisation, de plus, si Nicolas Sarkozy garde sa confiance et son amitié à son nègre de talent, c'est bien qu'il se retrouve dans les discours que ce-dernier lui écrit.

Venons-en à l'essentiel, car c'est bien de cela dont il est question : la civilisation, comme je l'ai écrit à maintes reprises sur ce blog, c'est le coeur du projet politique, son essence même. Bien entendu, en se constituant, les sociétés ont eu besoin d'une organisation politique pour gérer les affaires courantes mais la politique ne s'est jamais cantonnée à ce rôle que lui offre la nécessité, elle s'est toujours voulue un ferment, un catalyseur de la civilisation. Le rayonnement culturel de chaque civilisation est un projet politique qui ne peut en rien se réduire à une quelconque organisation de la société. Ce qui fait la grandeur de l'Homme, c'est qu'il peut faire passer des valeurs avant des intérêts. Longtemps, ce qui a dominé le projet de civilisation de l'Europe Occidentale, c'était la morale chrétienne, aujourd'hui, les sociétés sécularisées doivent également s'appuyer sur un socle de valeurs morales laïques, fussent-elles inspirées par les religions qui ont marqué notre monde.

De ce point de vue, il faut souligner la bêtise de certains responsables socialistes, en particulier de Benoît Hamon pour qui le discours de Nicolas Sarkozy est bien la preuve qu'il n'est pas totalement républicain puisqu'il souhaite revenir à un ordre moral religieux. Comment ne pas comprendre qu'une société sans morale est destinée à s'effondrer ou que la morale peut être laïque ? Sans distinction entre le bien et le mal, partagée par le plus grand nombre, seul le nihilisme peut se développer. L'harmonie dans la société n'est pas la résultante des individualismes, des intérêts et des égoïsmes, elle nécessite une impulsion et des repères venus d'en haut. Ce "haut", qui a souvent été la religion par le passé, peut aujourd'hui être l'Ecole Républicaine, la famille ou encore l'élite intellectuelle de ce pays, si du moins elle existe encore.

Il est bon de soulever le débat sur la "politique de civilisation", encore faut-il annoncer les réponses qu'on entend y apporter. Nicolas Sarkozy a égrainé un catalogue à la Prévert : bâtir l'Ecole et le ville du XXIème siècle, promouvoir l'intégration, la diversité, les droits de l'homme, protéger l'environnement ou encore moraliser le capitalisme financier. Cette liste n'est certainement pas exhaustive en même temps qu'elle peut manquer de cohérence. Ce qui est important, c'est de raccrocher le progrès humain au progrès technique, ce qui ne va pas de soi. C'est ainsi qu'il convient de distinguer, comme nous y invite Edgar Morin, le "bien-être" (notion de base de l'économie utilitariste) du "mieux-être". Cela repose sur une interrogation profonde sur la notion de croissance qui est parfois utilisée hâtivement pour juger du niveau de bonheur d'une société. La croissance économique n'est pas suffisante à un projet politique d'envergure en même temps qu'elle y est indispensable. Ainsi, les libéraux qui y voient l'alpha et l'oméga de la vie sociale et les partisans de la décroissance font tous deux fausse route.

Il est primordial que, pris dans le torrent de l'actualité, nous prenions le temps de nous arrêter pour réfléchir à la société que nous voulons. Ce qui est paradoxal, c'est que la personne qui nous y invite soit la cause principale du déluge médiatique qui nous abreuve quotidiennement et qui nous rend aveugle à l'essentiel. Comment accepter, en effet, de prendre de la hauteur avec un homme qui se veut avant tout pragmatique et qui ne cesse de se réclamer de l'action et du résultat ? La pratique présidentielle de Nicolas Sarkozy, basée sur la compréhension des aspirations de la population, même si celles-ci sont changeantes et superficielles est en opposition avec la posture de l'homme politique qui cherche à élever son peuple et à le guider sur les chemins de la civilisation.

Autre paradoxe, comment parler de "civilisation" avec un homme qui incarne mieux que quiconque le matérialisme à outrance et qui se vautre dans le luxe et les paillettes ? Est-ce bien le même homme qui entend redonner ses lettres de noblesse à l'action politique et qui se complait dans des goûts de nouveau riche ? A-t-on élu Guaino pour se retrouver avec Christian Clavier ? C'est ce doute permanent qui fait le mystère de Nicolas Sarkozy, un narcisse qui en appelle à l'intérêt général, un homme qui prononce autant de fois le mot "je" que le mot "France". On peut certes objecter qu'il ne faut pas confondre la vie privée de Nicolas Sarkozy avec ses propos publics, le seul problème est que la morale repose en grande partie sur l'exemplarité qui peut devenir alors une force de conviction impressionnante, comme l'a malheureusement prouvé Robespierre.

Sarkozy cherche-t-il à gagner la confiance du peuple, allant jusqu'à flatter ses bas instincts, pour être en mesure de le tirer vers le haut et de contribuer au renouveau de la France ou au contraire est-il le symptome de son époque qui cherche à se racheter une conscience par quelques disocurs aux envolées lyriques ? Une chose est sûre, la notion de "politique de civilisation" est promise à un belle avenir, elle jouera en 2008 le rôle qu'à joué l'"ouverture" en 2007.

1 commentaire:

Kévin a dit…

Bravo, comme à votre habitude vous publiez un post réfléchi, intéressant qui pose des questions de fond et qui, contrairement à beaucoup d'autres posts que l'on retrouve sur le web, s'achève par une ouverture à la réflexion, à la discussion et au dialogue.
Par ailleurs, à propos du paradoxe que vous citez sur le matérialisme qu'incarne N. Sarkozy, on peut ajouter qu'il semble paradoxal de prôner un développement durable et de vouloir être le président du pouvoir d'achat (au sens où ce dernier peut-être (au-delà du pouvoir s'acheter à manger) la recherche constante et sans limite de plaisirs égocentriques qui banissent la dimension humaine au profit de l’image de marque et de l’avoir).
Pour quelle croissance et, dans un cadre plus général pour quel modèle de civilisation milite réellement N. Sarkozy ?