17 septembre 2007

Le choix et la nécessité


L’action politique est perçue par bon nombre de nos concitoyens comme une suite de choix entre différentes options dans le but d’atteindre des objectifs conformes à de grands principes politiques. On essaye ainsi d’estimer l’impact de telle ou telle mesure « toutes choses étant égales par ailleurs », mais le réel est souvent peu enclin à se laisser figer de la sorte, en outre, c’est bien souvent la nécessité qui guide les choix des responsables politiques.

En effet, en politique comme ailleurs, nécessité fait loi, le choix est un luxe qu’on ne rencontre que rarement. Cette nécessité prend souvent la forme de contraintes financières : l’Etat doit honorer ses dettes vis-à-vis de ses créanciers sous peine d’inspirer une défiance généralisée. Cette préoccupation peut sembler bassement matérielle, elle est en faite bien souvent à l’origine d’évènements politiques d’une importance majeure : c’est la nécessité de financer la guerre de Trente Ans qui ont conduit les deux cardinaux-ministres Richelieu et Mazarin à augmenter considérablement les impôts pour payer les armées, ce qui a peu ou prou conduit à la Fronde. C’est la situation désastreuse des finances de l’Empire qui a condamné le retour de Napoléon lors des Cents Jours, Waterloo n’ayant fait que précipiter sa chute. Enfin, c’est le financement de la protection sociale qui a conduit Jacques Chirac à mener en 1995 une politique contraire à celle qu’il avait prônée lors de la campagne électorale et qui a fini par aboutir au départ d’Alain Juppé.

La nécessité est également omniprésente dans le domaine des relations internationales. Pour s’en convaincre, il suffit de lire « Diplomacy » d’Henry Kissinger, l’ancien Secrétaire d’Etat de Richard Nixon y dresse une histoire des relations diplomatiques sous l’angle de la nécessité. Sous sa plume, l’événement devient l’émanation inéluctable de causes profondes qu’on ne peut comprendre qu’en regardant le passé. Ce qui réduit le champ des possibles pour les gouvernants, c’est la Raison d’Etat, c’est elle qui dicte les grands choix stratégiques. Considérons le déclenchement de la Première Guerre mondiale, pour la première fois en Europe, le système de balance des pouvoirs a été remis en cause et remplacé par un système d’alliances rigides entre des Etats de forces disparates : Angleterre, France, Russie et Serbie d’un côté et Allemagne et Autriche-Hongrie de l’autre. Cet équilibre est d’autant plus fragile que les « petits » peuvent entraîner leurs alliés à entrer à guerre par un chantage au retournement d’alliance. C’est donc, au départ, conduite par la nécessité que l’Allemagne finit par céder aux demandes autrichiennes et entre dans un conflit qui n’était au départ que régional. L’assassinat de François-Ferdinand à Sarajevo n’a fait que précipiter ce qui devait nécessairement arriver, en fait de cause, il s’agit d’un prétexte.

Qu’en est-il de la politique fiscale ? Est-ce la justice ou l’efficacité qui commande à la levée d’un impôt ? Là encore, il semble que la réponse est à trouver du côté de la nécessité. Risquons cette lapalissade : l’impôt que l’on décide est d’abord celui que l’on est en mesure de lever. Sous l’Ancien Régime, quand l’Etat n’était pas suffisamment fort et organisé, il s’agissait des droits de douanes (comme aujourd’hui en Afrique même si cela est mauvais pour l’économie de ces pays) facilement perceptibles à l’entrée des villes, puis dans le cadre d’un Etat-nation plus structuré ce sera l’impôt sur le revenu. Avec la mondialisation, qui implique une mobilité du capital mais aussi des personnes, cette taxation devient plus délicate du fait de l’exil fiscal, de même que l’impôt sur les sociétés peut entraîner des délocalisations et que les charges sur les salaires pèsent sur l’emploi. Reste la TVA, payée par des consommateurs non-délocalisables, et qui prend une part de plus en plus importante dans les recettes de l’Etat et peut-être, demain, dans le financement de la protection sociale. On peut trouver cette situation injuste (elle l’est), inefficace sur le plan économique, ces considérations pèsent peu face à la nécessité de percevoir effectivement l’impôt.

Vision bien pessimiste de la politique qui ne peut rien et qui subit tout. Reste-t-il des choix aux responsables publics pour mener leur pays dans la bonne direction ? Heureusement, oui. La nécessité commande à court et à moyen terme : la situation passée explique en très grande partie la situation à venir ; en revanche, il est possible d’influer sur un avenir plus lointain. Un pays est un gros navire, on ne peut pas changer sa direction instantanément mais on peut choisir le cap. Franklin Delano Roosevelt illustre particulièrement ce propos : voici un homme qui a réussi par sa vision, son charisme et sa capacité de conviction à emmener un peuple majoritairement non-interventionniste (pour ne pas dire isolationniste) à entrer de plain pied dans la Seconde Guerre Mondiale. C’est en grande partie la personnalité de cet homme d’exception qui a dicté l’issue du plus grand conflit de l’histoire de l’humanité. On peut également citer le choix du nucléaire pour la France par le Général de Gaulle (relayé en ce qui concerne le nucléaire civil par ses deux successeurs Pompidou et Giscard d’Estaing) qui assure une partie de notre prospérité actuelle et qui sera probablement décisive dans l’avenir.

On peut ainsi définir le véritable Homme d’Etat, non comme celui qui est courageux, non comme celui qui est honnête, non comme celui qui est charismatique mais comme celui qui parvient à se libérer des différentes formes de la nécessité. Ces gens-là sont rares, ils réussissent l’exploit de marquer le réel de leur empreinte. Lourde tâche pour le peuple que de savoir les repérer.

Aucun commentaire: