03 août 2007

La récompense du vice ?


Après la libération des infirmières bulgares détenues en Libye, la classe médiatique a unanimement salué le rôle joué par la France, et en particulier par le Président de la République et son épouse, pour mettre un terme à une affaire qui n'en finissait pas. C'était la démonstration dans le domaine des relations internationales du "credo" sarkozyste : avec la volonté politique, tout est possible. Mais très vite les premiers doutes sont apparus, l'ancien Ministre des Affaires Européennes de Lionel Jospin, Pierre Moscovici, a été le premier à s'être publiquement demandé si les contreparties accordées à la Libye ne consituaient pas une certaine "récompense du vice".

Les affaires internationales sont souvent complexes et rarement limpides, celle-ci ne déroge pas à la règle. Pour tenter de comprendre ce qui s'est passé, il faut considérer les intérêts des différentes parties en présence : La France, la Libye, l'Union Européenne et la Bulgarie. Il faut tout d'abord se demander si les efforts de la France ont eu une portée purement humanitaire ou s'il s'agissait de faire avancer, d'une manière ou d'une autre ses intérêts nationaux.

Une première réponse consiste à dire qu'il est aujourd'hui possible de concilier sans trop de difficulté ces deux objectifs. En effet, avec le développement de la démocratie et l'importance de plus en plus grande accordée à l'opinion publique, il peut être dans l'intérêt de la France de se positionner comme le défenseur des droits de l'Homme et des causes humanitaires. Les Etats-Unis ont occupé ce rôle au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, notamment en s'opposant à la politique coloniale de ses deux plus proches alliés : le Royaume-Uni et la France, il semble aujourd'hui que leurs erreurs répétées en politique étrangère (principalement en Irak) les aient discrédités au yeux du monde et que s'ils occupent toujours de manière incontestable le rôle de "gendarme du monde", la place de "conscience du monde" soit désormais vacante. En s'engageant dans un dossier où la France n'était pas directement impliquée, Nicolas Sarkozy s'est ainsi positionné comme le "meilleur allié" des Bulgares et son action a été d'autant plus appréciée qu'elle a semblé dans un premier temps totalement désintéressée. Est-ce là la nouvelle politique étrangère de la France : jouer l'opinion et les peuples plutôt que les gouvernements en espérant que des relations d'amitié forte entre les peuples naîtront des relations économiques et politiques à l'avantage de notre pays ? Cette politique peut sembler naïve et utopique, il n'est toutefois pas exclu qu'elle soit gagnante à long terme.

Plus prosaïquement, on peut envisager cette affaire des "infirmières bulgares" sous un angle purement franco-français. Dans ce cas, Nicolas Sarkozy a cherché à montrer au peuple Français que son activisme et sa détermination donnaient des résultats et que ce qui était possible sur la scène internationale serait également réalisé en politique intérieure. Pour l'instant, cette stratégie est gagnante, si l'on en croit les derniers sondages d'opinions. En plus d'approuver l'action extérieure de leur Président, les Français ont l'impression, notamment au travers de cet événement, que la parole de leur pays reprend du poids sur la scène internationale. Mais la crédibilité gagnée à l'intérieur a peut-être été perdue à l'extérieur de nos frontières : la politique du "coucou" qui consiste à faire son nid dans celui des autres, c'est-à-dire de récupérer les lauriers au dernier instant d'un travail de longue haleine de l'ensemble de l'Union Européenne (notamment les présidences Britannique et Allemande), a passablement énervé nos partenaires européens. Il n'est qu'à lire la presse Allemande pour comprendre à quel point la stratégie du Président de la République n'at pas fait l'unanimité. Faut-il, pour se rapprocher des Bulgares ou plutôt pour flatter les Français se fâcher avec les Allemands ? Ce serait là un bien mauvais calcul dans les intérêts mêmes de la France.

Vient également l'explication la plus classique et certainement la plus probable : l'application stricte de la Realpolitik. La France a pu profiter de cette crise diplomatique et de la fin de l'embargo sur les armes contre la Libye pour vendre à ce pays ses propres produits. Dans ce cas, les infirmières bulgares auront été un prétexte pour implanter Areva, Thalès et EADS dans le pays d'un Khadafi redevenu fréquentable. Bien entendu, les contrats révélés ces derniers jours ont été engagés sous le précédent gouvernement, mais il semble raisonnable que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, ne les ignorait pas. Si tel était le cas, la France aurait choisi de mettre ses intérêts avant ses valeurs et ses principes, ce qui est monnaie courante en matière de relations internationales. Une chose est certaine, on ne peut pas à la fois obtenir des contrats et se présenter comme un modèle de vertu qui n'a agi que de manière désintéressée.

Enfin, on peut s'interroger sur le rôle joué par l'épouse du chef de l'Etat, qui a relégué pour l'occasion Bernard Kouchner au rang de sous-secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères. Dès lors que cette affaire sort du cadre humanitaire pour entrer dans celui de la politique et de la diplomatie, on ne peut pas cautionner une telle attitude. Cécilia Sarkozy ne possède aucun mandat, sa parole personnelle ne saurait engager celle du peuple Français. Il reste donc plusieurs zones d'ombre dans cette affaire, une comission d'enquête parlementaire, dont le principe a rencontré l'approbation du Président de la République, paraît donc appropriée. C'est en tous cas comme cela que l'on fonctionne dans les autres démocraties.

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