01 juin 2007

Un si fragile vent d'enthousiasme


Il règne sur la vie politique française un parfum étrange : un vent d’enthousiasme et de confiance porte le nouveau Président et l’ensemble de son gouvernement et leur permet d’atteindre des niveaux de popularité très élevés. Cette fois, ils tiendront leurs promesses, semble dire l’opinion publique, comme si le courage, la volonté et le respect de la parole donnée étaient de retour au sommet de l’Etat. On loue l’ouverture, l’écoute et le pragmatisme de Nicolas Sarkozy chez ceux-là même qui ne l’avaient pas épargné de critiques durant la campagne à commencer par les responsables syndicaux. Le nouveau gouvernement a donc toute latitude pour mener à bien sa politique, la France attend le changement. Reste à connaître le détail et la cohérence d’ensemble des différentes réformes annoncées et c’est là que le bât pourrait bien blesser. En effet, ces derniers jours ont été caractérisés par certaines imprécisions et déclarations contradictoires : l’état de grâce pourrait bien venir buter sur une réalité peu sensible aux élans d’enthousiasme ou aux incantations.

Nicolas Sarkozy a réussi sa rupture avec « une certaine façon de faire de la politique », il a, en quelques jours, ringardisé ses prédécesseurs avec un nouveau style de présidence qui se veut ancrée dans les préoccupations des citoyens. Sa campagne décomplexée lui permet d’être suffisamment légitime chez les électeurs de droite pour oser l’ouverture à gauche et le fait d’avoir fait connaître de manière très précise ses intentions sur un nombre important de sujets économiques, sociaux, environnementaux ou éducatifs le met en position de force dans les négociations à venir. En prenant l’opinion à témoin il oblige tous ses interlocuteurs à une plus grande responsabilité. Le changement générationnel est également pour beaucoup dans la confiance nouvelle que semblent accorder les Français à leurs responsables politiques, les innombrables séances de jogging entre les deux têtes de l’exécutif sont là pour le rappeler. Le résultat est impressionnant : le moral des ménages est au plus haut, la France a repris la main sur la scène européenne, même l’épineuse libération d’Ingrid Betancourt semble en voie de trouver une issue favorable. Cela aussi Nicolas Sarkozy l'avait clairement annoncé le soir de son élection : « La France est de retour ».

Il est tentant de succomber à ce vent d’enthousiasme, surtout quand il génère une confiance dont notre pays a tant besoin. Mais il faut prendre garde à ne pas trop s'éloigner de la réalité en idéalisant ce qui est en train de passer : si la confiance venait à se transformer en euphorie, un réveil douloureux serait à peu près inévitable pour l'ensemble des citoyens. Les Français doivent, plus que jamais, exercer ce qui fait leur réputation à travers le monde : l'esprit critique. Bien entendu, il ne faut pas sous-estimer les ressorts psychologiques et parfois irrationnels de la politique : un choc de confiance peut permettre de faire sauter certains blocages dans la société, de ce point de vue, Nicolas Sarkozy partage avec Dominique Villepin la doctrine bonapartiste des "Cent jours" au cours desquels il est possible d'agir efficacement. Mais tôt ou tard, le réel fait irruption, la froideur des statistiques officielles, qui reflètent peu ou prou les performances de notre pays, vient glacer la flamme des meilleurs tribuniciens.

Pour passer de la théorie à la pratique, il suffit de piocher dans l'actualité : suppression de la carte scolaire, déduction fiscale des intérêts des emprunts immobiliers, suppression des droits de succession, détaxation des heures supplémentaires ou encore service minimum sont autant de problèmes potentiellement conflictuels dont la résolution ne se satisfera pas de déclarations d'intentions : le diable est dans les détails. Selon quels critères les élèves seront-ils classés pour intégrer un établissement scolaire prisé ? Cette liberté de choix n'est-elle pas contradictoire avec l'obligation pour l'Etat d'assurer un haut niveau d'éducation sur l'ensemble du territoire ? Quels emprunts immobiliers pourront bénéficier de la défiscalisation ? Le coût d'une telle mesure ne va t-il pas aggraver la dette publique ? L'impôt sur les successions n'est-il pas un moyen juste et efficace en faveur de la redistribution ? L'instauration conjointe d'un bouclier fiscal à 50% et d'une probable augmentation de la TVA ne va t-elle pas venir accroître les inégalités ? N'y a-t-il pas un risque de fraude avec la détaxation des heures supplémentaires pour les employeurs et les employés, les premiers ayant tout intérêt à déguiser des augmentation de salaire en heures supplémentaires factices ? Une loi sur le service minimum peut-elle avoir un impact quelconque sans contrevenir au droit de grève ?

Les questions, on le voit, sont nombreuses à rester pour l'instant sans réponse. Cela est parfaitement normal, c'est d'ailleurs cette complexité de la réalité qui fait toute la beauté de la politique. Aussi, pour que vive le débat dans la démocratie française, il faut espérer que les rapports de force dans la prochaine assemblée ne soient pas trop déséquilibrés et qu'émerge face au pouvoir en place une opposition structurée et attentive. L'occasion est si belle de réformer et moderniser la France en profondeur qu'il faut être particulièrement vigilant pour que les choix économiques et sociaux qui seront faits soient les bons. Il n'est pas sûr qu'une nouvelle chance se présente à notre pays en cas d'échec.

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