26 décembre 2006

Des méfaits du Web 2.0


Il peut sembler paradoxal de vouloir pointer les méfaits du Web 2.0 et de tenir soi-même un blog, pourtant, à mesure que je connais ce milieu je sens poindre des dangers importants qui menacent l'information et la démocratie. Aujourd'hui l'heure est davantage à l'émerveillement devant l'émergence d'un nouveau type de média avec ses "cyber-journalistes" et ses "cyber-citoyens" capables de tout vérifier, de tout remettre en question et donc de briser les vérités officielles. Mais le monde du Web 2.0 n'est pas si idyllique, et trois dérives peuvent être mises en avant : la désinformation, la violence des propos et l'hypersurveillance.

La France du Général de Gaulle avait l'ORTF comme source unique d'information, les internautes d'aujourd'hui lui ont substitué Wikipédia. Bien entendu l'argument est un peu court car Internet permet une grande variété de points de vue et de sources d'information mais comme sur chaque marché, on assiste à des regroupemements, des oligopoles voire des monopoles. Wikipédia n'est pas une encyclopédie citoyenne, c'est surtout une collection de subjectivités. Nombreux sont ceux qui ont compris l'intérêt de maîtriser ce qui se disait sur eux, sur leurs domaines d'activité ou sur leurs adversaires. Il est si facile de mettre de l'idéologie dans un discours qui se veut objectif. Bien entendu, des systèmes de vérification et de contrôle existent, mais ils sont tous basés sur la démocratie et donc sur l'avis de la communauté, il n'existe pas d'institutions comme c'est le cas pour la presse. Ainsi certaines informations fausses circulent et se répandent rapidement sur le Web ce qui les rend crédibles. Autre disfonctionnement important : le Web 2.0 défend une information subjective, ceux qui ne sont pas présents pour se défendre en sont pour leur frais, ils laisseront sans réponses les attaques dont ils sont l'objet. Un blogger se rapproche d'un procureur tandis qu'un journaliste qui fait bien son métier doit plutôt s'inspirer d'un juge d'instruction en menant son investigation à charge et à décharge, en allant chercher l'opinion de ceux qui sont mis en cause. Comme pour la démocratie participative, il existe donc un "biais idéologique", ceux qui passent leurs journées sur AgoraVox ou Le Monde citoyen ne sont pas représentatifs du reste de la population, ils sont plus impliqués dans les débats du moment et les néo-marxistes y sont sur-représentés. De toute façon il y a un problème si l'on admet que les personnes politisées ne sont plus représentatives (je ne le suis plus moi-même) du reste de la population, pour le dire autrement, en reprenant les mots du philosophe Alain, les gens qui ne sont ni de droite ni de gauche (donc faiblement politisés) sont de droite, pourtant ils ont le même poids démocratique que les autres.

Le deuxième risque du Web 2.0 est très bien décrit par le philosophe Alain Finkielkraut bien qu'il maîtrise mal, selon ses propres termes, ces nouvelles technologies. Il y a une violence permanente sur les blogs ou les forums qui s'explique par l'anonymat des gens qui y écrivent mais également par l'absence du visage du destinataire. Comme nous l'apprend Lévinas (3 philosophes en un article, c'est pas mal), quand je rencontre autrui, je reste interdit devant son visage. Qui n'a jamais prévu de dire tout le mal qu'il pensait d'une autre personne et qui, se trouvant face à elle, a perdu tous ses moyens ? Cet interdit créé par le visage est une des bases de la vie sociale et de la civilisation, la communication virtuelle fait sauter cet interdit, ce qui peut libérer un torrent de haine. Les concepteurs du site AgoraVox en sont eux-mêmes conscients puisque dans chaque mail qu'ils envoient à un rédacteur il y a la mention : "Parfois, sur certains sujets -sensibles-, les réactions des lecteurs peuvent être très violentes et apparemment disproportionnées. Essayez toujours de -calmer le jeu- en répondant de manière factuelle et courtoise afin d'éviter tout dérapage ou polémique interminable". Ce garde-fou ne suffit évidemment pas.

Le dernier point que je voudrais signaler et qui explique l'anonymat de ce blog est l'hypersurveillance qui est à l'oeuvre sur Internet. La nouvelle arme absolue pour surveiller les autres est de taper leur nom sur Google et avoir ainsi accès aux propos qu'ils ont tenus, aux actions qu'ils ont menées ou aux commentaires dont ils sont l'objet. Il n'y a plus de distinction entre privé et public, dans la démocratie totale prônée par certains, tout le monde est en droit de tout savoir. Les plus exposés médiatiquement sont littéralement traqués par la blogosphère comme les hommes et femmes politiques qui voient surgir des vidéos pirates ou des attaques personnelles. Loïc Le Meur, pape du Web 2.0, l'annonce d'ailleurs avec enthousiasme : les hommes politiques ne pourront plus mentir, il y aura toujours un portable qui pourra enregister une vidéo clandestine ou un blogger caché qui pourra retranscrire des propos off. Finie donc l'hypocrisie qui règne entre les journalistes et les responsables politiques. Ces hymnes à la vertu, ont les a déjà entendu lors de la Révolution Française et plus particulièrement sous la Terreur. Qui ne voit pas aujourd'hui qu'Internet peut devenir l'outil par excellence du flicage, de l'hypersurveillance, de la dénonciation et de la calomnie. Ensuite, il ne reste plus qu'à laisser agir le fameux adage : "il n'y a pas de fumée sans feu" et le tour est joué, la réputation de la personne impliquée est définitivement salie.

Il faut d'urgence réintroduire des institutions et des instances de régulation dans le monde de liberté infinie qu'est Internet. On pourrait d'ailleurs s'interroger sur le fait qu'autant d'anticapitalistes investissent un moyen de communication et d'information aussi libéral, c'est la mariage de la carpe et du lapin !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Est ce que le figaro, liberation ou l'humanité sont plus neutre que le monde citoyen ou qu'un billet de Lemeur sur son blog?

Anonyme a dit…

J'ai du mal à concéder qu'il faille des autorités de régulation pour les blogs ou internet en général.

Premièrement, parce que la loi s'applique déjà à internet, et que la "modération" est sensée être faite par l'administrateur du site.

Deuxièmement, on ne contient pas la "haine" ou les divergeances en fliquant, mais plutôt par la discussion et le débat.
Si certaines personnes sont haineuses et au delà de l'atteinte de la raison, elles trouveront un moyen de l'exprimer de toute manière, et alors mieux vaut que cela se fasse sur un blog plutôt qu'ailleurs.

Et enfin, introduire une autorité de régulation revient à faire intervenir le politique, or l'intérêt notable du système blog est de permettre à qui le veut de publier et d'exprimer ses idées.
Il faut faire le tri des informations, mais avoir un accès libre et quasi immédiat à l'information contribue beaucoup à un vote plus éclairé.

Pour un utilisateur averti (conscient que ce qu'il lit n'est pas forcément une vérité absolue, et que le recoupage des informations est nécessaire), le grand espace de liberté du Web 2.0 est un outil très appréciable, et fondamentalement citoyen, où l'électeur qui n'est pas forcément partisan n'est plus reconduit à un rôle de spectateur qui ne peut voir que les informations qu'on a choisi pour lui.

Oui, cela donne plus de transparence vis à vis des politiques, non, ce n'est pas de l'hyperflicage.
Je ne vois pas pourquoi un politique qui aspire à la plus importante fonction de la république devrait bénéficier d'un régime de protection personnel lorsque cela touche à son activité politique, bien au contraire !

Herbie