11 septembre 2006

La France est-elle en crise ?


Après le 21 avril 2002, les régionales de 2004, le référendum sur la Constitution Européenne, la crise des banlieues et les manifestations contre le CPE, force est de reconnaître que la France est plongée dans une crise démocratique et sociale profonde. Mais quelle est la cause de ces nombreux soubresauts ?

Pour beaucoup, la France traverse une crise économique de grande ampleur, elle est en déclin, les Français le ressentent ce qui explique leur profond malaise. Pour moi, cette hypothèse est fausse, la France, même si elle connaît de graves difficultés n’est ni en crise, ni en déclin. Pour parler en termes financiers, nous vivons actuellement dans une « bulle pessimiste », déconnectée de la réalité, mais qui, comme toute bulle, a des incidences concrètes négatives sur notre pays.

Le terme de bulle est pour moi particulièrement approprié puisque le sentiment du déclin s’auto-entretient, c’est un phénomène d’opinion qui a tendance à prospérer, car il y a un certain plaisir masochiste à dire que les choses vont mal. En effet, pour les hommes politiques qui dénoncent la chute de notre pays, le déclin est le préalable au redressement : autant noircir le tableau quand il est question de s’atteler à la remise à niveau d’un pays.

Pour les Français, il y a également un certain plaisir à comparer une situation personnelle convenable à une situation collective apocalyptique. Beaucoup de nos compatriotes, dans les enquêtes d’opinion, répondent en effet qu’ils sont plutôt heureux, contents de leur entreprise et de leur emploi, mais quand on leur demande leur avis sur la situation collective, l’optimisme cède sa place au fatalisme et au catastrophisme. Chacun a ainsi l’impression de s’en sortir alors que tout se fissure et que tout s’écroule, ce qui est plutôt valorisant. Ainsi, la thèse du déclin a de nombreux alliés objectifs dans la population et chez ses dirigeants, et elle prend d’autant mieux que les Français souffrent d’un excès d’esprit critique qui se caractérise par un doute permanent, en particulier vis-à-vis des institutions.

Le problème, c’est que ce pessimisme généralisé a des conséquences très négatives sur la situation de notre pays. En premier lieu, l’image de la France dans le monde en pâtit, notre déclinisme vient s’ajouter à notre arrogance pour donner la curieuse image d’un pays qui ne sait pas ce qu’il veut et qui ne sait plus ce qu’il est. Nous paierons longtemps le prix du non à un référendum que nous avions pourtant proposé et qui augmentait le poids de la France. L’incohérence et l’instabilité sont des facteurs de risque, qui n’encouragent pas nos partenaires à mettre sur pied des projets communs et qui n’incitent pas les entreprises à investir, comme l’a récemment montré la pathétique affaire Toyal.

En se crispant de la sorte, la France tend à se marginaliser, la situation actuelle fait sourire hors de nos frontières, avant qu’elle n’entraîne de la pitié. Sur le plan intérieur, la crise démocratique et sociale a également des conséquences désastreuses : cela contribue au rejet de la politique, au vote pour les extrêmes, à la forte abstention mais également au délitement du lien social : les Français n’ont plus l’impression d’avoir un projet d’avenir en commun, ce qui pousse certains à se tourner vers des idéologies qui ont pourtant jadis fait la preuve de leur méfait.

Il ne s’agit pas de d’affirmer que la France ne connaît pas des difficultés, elles sont même parfois très sérieuses, ce qui est en cause c’est l’hypersensibilité des réactions de beaucoup de responsables publics et de citoyens, pour qui un affaiblissement de la conjecture est une crise économique ou la perte des JO le symbole que la France ne pèse plus rien. Dans le monde médiatique qui est le notre, la dramatisation est désormais la règle, la demi-mesure et la nuance doivent être remisées au placard. Rarement le manichéisme et le simplisme n’auront été si radicaux : tout va mal chez nous alors qu’ailleurs c’est le paradis. Pourtant, à y regarder de plus près, les taux de croissance de la France et de la Grande-Bretagne sont proches pour 2005, nous sommes le pays d’Europe qui reçoit le plus d’investissements étrangers, nous possédons plusieurs entreprises parmi les plus grandes du monde. Notre dette publique est très importante, et il faut absolument la réduire, mais d’autres pays comme l’Italie, l’Allemagne, le Japon et l’Angleterre connaissent le même problème, à des degrés divers.

La complexité et la diversité du monde ne nous sont plus intelligibles, les données factuelles pèsent peu face aux impressions et aux sensations : à mesure que l’économie mondiale se dématérialise, les jugements politiques se déconnectent de la réalité. Le symbole le plus frappant de cette dramatisation à outrance est la proposition, reprise par de nombreux leaders politiques, de passer à une VIème République. Imagine-t-on le grotesque de la situation ? Que dirons les historiens pour justifier un tel changement de régime, il ne s’agira ni d’une Révolution populaire, ni de la fin de la Restauration, ni de la défaite écrasante de Sedan, ni de la Seconde Guerre mondiale ou de la guerre d’Algérie, mais de la morosité des Français. Le régime politique qui aura survécu à la décolonisation, aux crises pétrolières des années 70 et à la chute du communisme devrait donc être abandonné pour des raisons conjoncturelles : tout ceci n’est pas sérieux.

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