03 novembre 2009

La décomposition du paysage politique français


S’il possède de nombreux défauts, on peut s’accorder assez facilement sur la qualité que possède Nicolas Sarkozy pour faire bouger les lignes politiques. Le Président de la République est un animal politique hors norme, doué d’une véritable intelligence de l’action et du rapport de force. La conséquence de cet activisme stratégique est une véritable recomposition, ou plutôt une décomposition, du paysage politique français dont il convient de brosser les grandes lignes.

Durant la campagne de 2007, la stratégie de Nicolas Sarkozy était simple, elle passait par le rassemblement de toutes les droites afin d’arriver nettement en tête au premier tour. Ce pari risqué dans un pays dont on disait qu’il se gagnait au centre a eu pour effet d’offrir aux électeurs français un choix politique assez clair : une politique économique plus libérale et un discours fort sur les valeurs, à commencer par le travail et l’autorité. La droite française rejoignait ainsi ses partis frères à l’échelle de l’Europe. Il faut d’ailleurs reconnaître que cet effort de clarification politique n’a pas été réalisé par les principaux adversaires de Nicolas Sarkozy : Ségolène Royal et François Bayrou. Ces derniers sont restés dans une certaine forme d’ambigüité et proposaient, chacun à leur manière, un programme politique aux contours flous.

Dès son élection, le nouveau Président a commencé à brouiller les lignes en jouant la carte de l’ouverture. Il a réussi à convaincre les frustrés comme Bernard Kouchner ou Jean-Marie Bockel, les compétences chez Jean-Pierre Jouyet ou Martin Hirsch et celui qui se situe dans l’entre-deux de la frustration et de la compétence : Eric Besson. Si Nicolas Sarkozy a pu se permettre cette ouverture, c’est parce qu’il avait suffisamment donné de gages à l’électorat de droite au cours de sa campagne, ce qui s’appelle bétonner ses arrières, une position que n’avait pas réellement connu son prédécesseur Jacques Chirac. L’ouverture, c’est l’acte I de la décomposition du paysage politique français.

Le deuxième moment important de cette décomposition, c’est la lente dérive (au sens maritime du terme) de François Bayrou vers la gauche. Celui qui aurait peut-être pu être Premier Ministre à l’heure actuelle s’il avait su amorcer ce virage plus tôt, dans l’entre deux tours, à fait évoluer son parti du centre droit au centre gauche. Historiquement, François Bayrou sera certainement considéré comme le grand liquidateur de la démocratie chrétienne en France, il a délibérément choisi de sacrifier ce grand mouvement de pensée sur l’autel de son ambition personnelle et de son ego surdimensionné. Ce repositionnement stratégique a cependant du mal à masquer l’absence totale de pensée politique du Modem : quel est son programme économique ? Quel est son programme social ? Toutes les prises de parole du leader maximo de ce parti étant consacrées au sauvetage de la République en danger.

L’acte III de la décomposition, c’est la crise économique qui a eu pour effet collatéral d’enterrer définitivement la timide politique économique libérale que le pouvoir essayait de mener jusqu’alors. Place à une politique keynésienne que ne renierait pas le premier social-démocrate venu. Plus qu’une logique keynésienne, c’est une logique guainésienne qui est aujourd’hui à l’œuvre à la tête de l’exécutif (si un débat existe pour savoir si le multiplicateur keynésien est inférieur ou supérieur à 1, il ne fait guère de doute, dans la tête de son auteur, que le multiplicateur gainésien vaut au moins 8 !). Le conseiller spécial de l’Elysée, qui avait été contenu pendant le début de mandat, s’est subitement senti pousser des ailes et s’est réveillé un matin en refondateur du capitalisme. En quelques mois, de façon assez opportuniste, la droite française est devenue presque autant antilibérale que la gauche, ce qui fait de notre pays un cas tout à fait singulier.

Signe de cette frénésie keynésienne (qui aurait certainement bien fait rire Keynes lui-même) dont s’est emparée la classe politique française dans son ensemble : le débat autour de la relance budgétaire. Dans un premier temps le gouvernement a défendu un plan de relance de 15 milliards axé sur l’investissement face à une opposition qui réclamait 100 milliards principalement ciblés sur la relance du pouvoir d’achat. Dans un second temps, l’exécutif sort l’idée de Grand Emprunt, d’un montant qui pourrait approcher les 100 milliards et c’est l’opposition qui crie (avec raison) au dérapage incontrôlé de la dette publique. Le débat économique a ainsi perdu toute rationalité, il n’existe plus de point de repère.

Le dernier moment en date de cette décomposition/recomposition est venu des dernières élections européennes avec l’émergence des écologistes comme concurrents sérieux du Parti Socialiste au sein de l’opposition et l’effondrement du parti de François Bayrou. Tirant les leçons de ce scrutin, Nicolas Sarkozy a décidé d’accentuer le mouvement de rapprochement de la droite vers les thèses écologistes, ce qui s’est matérialisé par la taxe carbone. L’occasion pour lui aussi de remettre en cause de dogme de la croissance économique avec les conclusions de la commission Stiglitz qui recommande de tenir compte plus largement du bien-être de la population.

Au cours de ces quatre actes, le Parti Socialiste continue sa lente descente aux enfers avec un congrès de Reims désastreux et une incapacité à émettre la moindre idée originale et pertinente. On pourrait se consoler en se disant qu’une nouvelle génération finira par émerger, sauf que les quadras du PS sont plus médiocres encore que leurs aînés. Ce qui rassemble Peillon, Valls, Hamon, Montebourg et Moscovici c’est leur ambition personnelle démesurée, leur opportunisme qui les fait changer d’écurie à chaque congrès et leur absence de vision politique.

Au terme de ce rapide tour d’horizon, le paysage politique français apparaît comme un véritable champ de ruine : une droite qui n’a aucun cap, qui cherche au même moment à chasser sur les terres de l’extrême-droite, du centre gauche et des écologistes, deux personnalités qui n’ont rien d’autre à offrir que leur ego : François Bayrou et Dominique de Villepin, un PS en miette, en proie à la guerre civile, des écologistes qui ne sont pas à la hauteur de leur tâche historique et une gauche de la gauche qui joue le scénario du pourrissement à la Die Linke.

Ce résultat n’est pas à mettre seulement sur le compte de quelques événements isolés comme j’ai pu le faire dans cet article : des mouvements de fond sont à l’œuvre pour brouiller et déstructurer le spectre politique français. Le premier, c’est le pragmatisme, personnalisé par Martin Hirsch et appuyé par de nombreux économistes (principalement des économètres) qui, en cherchant à désidéologiser la politique, finit par la dépolitiser. Pourtant, on ne dira jamais assez que la politique, fût-elle économique, n’est pas une question (uniquement) technique : la définition de ce qui est optimal résulte d’un choix politique pas d’une analyse technico-économique. Le second, c’est l’arrogance moderne qui ne se sent aucune attache vis-à-vis du passé dont elle entend faire table rase. Les partis politiques et leur leader se sentent ainsi libre de tous les mouvements, pourvu que la stratégie électorale le justifie. Les hommes politiques contemporains semblent oublier que les traditions politiques qu’ils sont censés incarner sont plus importantes qu’eux, que ce sont elles qui font l’histoire d’un pays et qu’elles ne doivent pas être pensées comme des tremplins commodes pour satisfaire une ambition personnelle.

La restructuration du paysage politique, essentielle pour la vie démocratique de notre pays, ne se fera qu’à travers l’humilité. Humilité du positivisme économique qui n’a pas à s’ériger au-dessus des choix politiques sous couvert de pragmatisme. Humilité de la classe politique vis-à-vis des traditions intellectuelle dont elle est le fruit.

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