29 juin 2009

Forces et faiblesses du Libéralisme et du Socialisme

Depuis l’origine du débat politique moderne, que l’on peut faire remonter à 1789 pour ce qui concerne notre pays, deux grandes conceptions de l’économie politique s’affrontent. D’un côté le Libéralisme, qui entend faire prévaloir le principe de liberté des échanges et des services entre les individus, et de l'autre le Socialisme, qui estime que l’Etat, dépositaire de l’intérêt général, doit exercer certaines contraintes dans la sphère économique et sociale. Bien entendu le socialisme n’est pas la seule doctrine qui prône une intervention contraignante de l’Etat dans le jeu des intérêts privés : il en va de même du communisme, du nationalisme, du protectionnisme ou encore du colbertisme.

Pour simplifier, nous retiendrons uniquement le socialisme qui est aujourd’hui l’idéologie alternative au libéralisme la plus en vue. D’un côté la liberté vertueuse, de l’autre la contrainte nécessaire : voici ce qui résume le mieux l’opposition des grands systèmes de pensée sur le plan économique et social. L’objet de cet article est de proposer un éclairage original sur le fait qu’aucun de ces systèmes ne soit parvenu à triompher de l’autre après plus de deux siècles d’affrontement. Pour cela, j’ai relevé ce qui me semble être la grande force et la grande faiblesse du libéralisme et du socialisme.

1. La force du libéralisme : sa cohérence

Que l’on soit libéral ou antilibéral, il est un fait établi que le libéralisme est une doctrine particulièrement cohérente, qui a subie très peu de modifications fondamentales depuis le XVIIIème siècle. Smith, Ricardo, Say, Bastiat, Friedman… tous pourraient se retrouver sur des conceptions de l’économie et du rôle de l’Etat extrêmement proches. Cette cohérence vient de la simplicité du contenu positif à la base du libéralisme, à savoir que les intérêts des individus sont harmonieux et donc que la meilleure façon de parvenir à un optimum social est de laisser libre court au jeu des intérêts privés.

Cette force conceptuelle est d’autant plus grande que le libéralisme s’applique à des domaines plus larges que la simple économie politique : éducation, mœurs, culture… Partout le même axiome libéral peut s’appliquer et entraîner la même conséquence : un engagement minimal de l’Etat dans la société. L’intervention de l’Etat, pour un libéral, ce ne peut être qu’un mal nécessaire, quand il n’y a pas d’autre choix. L’exemple le plus symptomatique est certainement le monopole public de « battre monnaie », qui se traduit aujourd’hui par les pouvoirs dévolus aux Banques Centrales qui sont des institutions publiques à peu près partout dans le monde.

Le libéralisme, on l’a vu, a un contenu positif extrêmement limité, il ne prétend pas instituer un ordre économique nouveau mais plutôt permettre l’application d’un ordre « naturel ». Un libéral, c’est donc quelqu’un qui s’extasie devant la fabuleuse mécanique sociale qui se met naturellement en place : c’est un contemplateur.

2. La faiblesse du libéralisme : c’est une doctrine indirecte

Commençons tout d’abord par remettre les choses en place : au même titre que le socialisme, le libéralisme est une doctrine sociale (contrairement au capitalisme par exemple). En effet, c’est une méthode de gouvernement dont l’objectif est de parvenir à un optimum social. Le libéralisme ce n’est donc pas la loi de la jungle, le droit de chacun de faire ce qu’il veut. A cet égard, l’expression « libéralisme social » est un pléonasme qu’il serait bon d’éviter. De façon plus générale, dans une démocratie, toutes les doctrines de gouvernement ont pour but le bien du peuple, c’est-à-dire un optimum social. Rien ne sépare les libéraux, les socialistes ou les protectionnistes de ce point de vue, pourvu qu’ils croient à ce qu’ils disent.

La faiblesse principale du libéralisme, c’est que c’est une doctrine indirecte, c’est-à-dire qu’elle emprunte un détour pour parvenir à son but : l’optimum social. Ce détour, c’est le libre jeu des intérêts particuliers qui est sensé induire l’intérêt de la société toute entière. Ce détour, c’est la « main invisible » de Smith ou « l’harmonie » de Bastiat. Présenté comme cela, le libéralisme peut sembler déroutant : comment le bien (optimum social) peut-il émerger d’une forme de mal (somme des égoïsmes individuels) ?

Quelles qu’elles soient, les critiques du libéralisme en reviennent toujours à cette contradiction apparente. Cela est dû au fait que nous ayons intégré (malgré nous) le modèle de l’oppression, qu’elle soit politique, sociale ou économique. Nous sommes tous des marxistes en puissance de ce point de vue. Mais tout est différent sous le régime de la liberté : comme rien n’oblige aucune partie à contracter un échange, cet échange est nécessairement bénéfique à toutes les parties en présence. Un gouvernement libéral, ce n’est donc pas un gouvernement qui regarde les trains passer, il doit au contraire faire triompher le régime de la liberté dans les échanges (c’est-à-dire la concurrence), ce qui peut passer par des politiques extrêmement interventionnistes. La politique « libérale » de la Commission Européenne en fournit un bon exemple avec la lutte contre les monopoles.

3. La force du socialisme : c’est une doctrine directe

A l’inverse, la force principale du socialisme, c’est que c’est une doctrine économique directe. C’est-à-dire qu’elle entend apporter des solutions immédiates aux différents maux de la société. Il y a de la pauvreté : fournissons une allocation aux pauvres. Il y a des bas salaires : mettons en place un salaire minimum. Il y a des métiers pénibles : fixons une durée limite au travail hebdomadaire. Comment pourrait-on, a priori, s’opposer à une telle politique d’éradication du « mal » social ?

Cette doctrine politique est la plus à même de répondre aux attentes légitimes de la population. C’est ce qui explique sans doute que les discours véritablement libéraux se fassent rares lors des campagnes électorales. Comment, en effet, défendre une doctrine indirecte face aux urgences sociales ? Il y a un biais interventionniste dans la vie politique. C’est ce qu’a très bien compris Henri Guaino, qui s’enorgueillit d’avoir transformé un Nicolas Sarkozy « libéral et atlantiste » en un « patriote promoteur du pouvoir d’achat » et, par conséquent, de l’avoir fait gagner.

Le socialisme est donc en phase avec la conviction partagée par bon nombre de citoyens que la politique c’est d’abord et avant tout de la morale. Dès lors que le « mal social » est identifié, il suffit de le combattre directement par la politique. La complexité du monde, à laquelle tout gouvernement doit faire face, se trouve réduite à une opposition manichéenne entre le bien et le mal. Mais le présupposé implicite du socialisme, c’est l’absence d’adaptation des acteurs économiques face aux contraintes dont ils font l’objet. Dans le cas du droit du travail, cela revient à penser que la difficulté de licencier n’a pas d’impact sur la faculté d'embaucher. C’est le propre d’une doctrine directe que de faire quelque peu l’impasse sur les effets indirects ou secondaires qu’elle induit.

4. La faiblesse du socialisme : son incohérence

La première qualité d’un socialiste, c’est finalement son inventivité, sa capacité à élaborer le bon système de contraintes. Il y a donc autant de socialismes qu’il y a de socialistes. C’est Frédéric Bastiat (encore lui, toujours lui !) qui en a fourni l’explication la plus convaincante : « La Liberté n’a qu’une forme : s’abstenir de contrarier et de déplacer les intérêts. La Contrainte peut se manifester, au contraire, par des formes et selon des vues infinies. Les écoles Socialistes n’ont donc encore rien fait pour la solution du problème social si ce n’est qu’elles ont exclu la Liberté. Il leur reste encore à chercher, parmi les formes infinies de la Contrainte, quelle est la bonne. Et puis, pour dernière difficulté, il leur restera à faire accepter universellement par des Hommes, des agents libres, cette forme préférée de la Contrainte ».

En ces quelques phrases se trouve résumé tout le problème du socialisme, un problème dont on peut dès à présent dire qu’il ne pourra jamais venir à bout. Il est dans l’essence même du Socialisme d’être une doctrine instable en évolution permanente pour répondre aux multiples et nouvelles formes que peut prendre le mal social. Il faut donc périodiquement « refonder » le socialisme, comme le répètent à l’envi les différents responsables du PS depuis 2002. Il faut se demander ce que cela signifie d’être de gauche au XXIème siècle. Question légitime qui est pourtant totalement incongrue pour un libéral. En effet, à la question qu’est-ce qu’être libéral au XXIème siècle, la réponse serait immanquablement : c’est la même chose qu’au XVIIIème siècle.

Le libéralisme, doctrine de la contemplation sociale, n’a donc nullement besoin d’être refondé. Le socialisme, doctrine de la construction sociale, doit l’être périodiquement, à chaque fois que cette construction s’affaisse ou qu’une nouvelle construction semble plus prometteuse. Le socialisme est donc bien une doctrine historique, au sens marxiste du terme.

Conclusion

Libéralisme et Socialisme sont donc appelés à continuer à structurer la vie politique pendant de nombreuses années, tant leurs forces et leurs faiblesses respectives sont fortes. La cohérence du libéralisme et l’attrait du socialisme continueront à emporter la conviction des uns ou des autres.

Bien entendu, Libéralisme et Socialisme n’épuisent pas le champ des possibles sur le plan des doctrines politiques, on peut notamment penser à l’écologie politique. Comme tout conservatisme, il s’agit en fait d’une doctrine politique aux contours mal identifiés qui peut tout à la fois s’accommoder du Libéralisme (marchés de CO2) ou de la Contrainte (interdiction de telle ou tellle activité industrielle). Car finalement, quel que soit le problème posé, les deux seules façons de le résoudre sont et demeureront la Liberté ou la Contrainte.

30 commentaires:

Louis-Marie Jacquelin a dit…

Pas mal du tout, comme analyse des fondements des deux pensées politiques... Avec un petit côté prolibéral élitiste : peut-on résumer ton article avec cette phrase : "le libéralisme perdurera tant que certains pourront voir qu'il est la solution permanente, le socialisme perdurera tant qu'il pourra aveugler les autres par ses solutions à court terme"?

Vive la République ! a dit…

Meme si elle est un peu caricaturale, ta phrase-synthese me plait bien. Mais il ne s'agit que de mon opinion et j'admets qu'on puisse en avoir d'autres. Comme je le disais dans un precedent article, une pensee politique c'est une pensee avec laquelle on peut etre en desaccord. On ne pourra pas, selon moi, demontrer que le liberalisme ou le socialisme ont raison.

Vincent T. a dit…

C'est rigolo de dire que le libéralisme est moins contraignant que le socialisme. Les règlements européens m'ont l'air assez "contraignants", même si à tendance libérale. Dans le gaz, on casse les monopoles, là ou d'autres nationalisaient, au nom de la concurrence. Le libéralisme, c'est de la contemplation interventionniste (admirez la cohérence...), qui n'existe pas sous une seule forme. Que faut-il laisser faire, que faut-il contraindre pour forcer à converger vers le "naturel" état d'équilibre ? Un monopole genre Rockefeller au XIXème, ben on laisse. Au XXème, ça passe moins. Un hedge-fund au XXème siècle, OK, au XXIème, qui sait... Une centrale nucléaire en Iran, ben... là c'est pas pareil ! :)
Je serais d'ailleurs curieux de connaître ta version du libéralisme en politique étrangère.

Le libéralisme, c'est, à mon sens, avant tout une doctrine économique (et pas politique...), qui marcherait très bien si le monde était homogène (et à symétrie sphérique ;)). L'économie politique, c'est de l'économie appliquée à la politique. Comme l'économie, ça marche de façon parfaite, mais uniquement sur le papier... Et il te manque tout le pan de politique non économique, pour laquelle il y a autant de doctrines que de dirigeants (quid de l'alcoolémie au volant en libéralie ? 0.5 g ? 0 g ? on laisse les gens qui interagissent par des accidents décider ?). Vouloir l'opposer au socialisme, qui est pour le coup plus une doctrine politique, c'est comparer une carotte et deux choux. Ca dépend du cours du marché ;)

Vive la République ! a dit…

@Vincent T (mais de qui peut-il bien s'agir ?),

A propos des monopoles, il y a deux types d'interventions libérales selon moi : la vraie et la fausse. La fausse, c'est ce que tu décris comme l'interventionnisme, c'est-à-dire une action à contenu clairement positif qui consiste à casser des monopoles. Entre ça et l'interventionnisme socialiste, il est vrai que la différence ne saute pas aux yeux (je parle des moyens employés bien entendu).

Quelle est selon moi la vraie doctrine libérale en ce qui concerne le libéralisme : soit ce sont des monopoles naturels et comme le dirait Milton Friedman il n'y a alors que des mauvaises solutions, la moins mauvaise étant certainement un monopole public. Soit il s'agit du résultat de hautes barrières à l'entrée et dans ce cas la politique libérale, la seule, la vraie, consiste à réduire voire d'abolir ces barrières (droits de douane, autorisations administratives,...). Dernier cas, c'est un monopole historique et là je dois distinguer deux sous-cas. Premier sous-cas, c'est l'héritage d'un monopole public, dans lequel cas il faut s'assurer que cette entreprise ne bénéficie d'aucun avantage particulier par rapport aux autres firmes privées (exemple EDF ne peut pas fixer comme il l'entend les tarifs d'utilisation du réseau via sa filiale RTE car se serait déloyal). Deuxième sous-cas : le monopole est le résultat d'une firme qui a loyalement conquis son marché grace à un avantage comparatif (plus d'inventivité...), dans ce cas il y a bien rente mais l'Etat (ou l'UE) n'a rien à faire de particulier, car cette rente c'est la récompense de la prise de risque et de l'innovation. En voyant cette rente, d'autres acteurs privés seront incités à prendre des risques et à innover, ce qui est vertueux. De toute façon, s'il n'y a pas de barrières à l'entrée, en vertu de l'adage "No cash on the table", le monopole finira tôt ou tard par céder de la place à la concurrence (qui finira bien par imiter ce que fait la firme en place).

Voilà, je crois avoir bien refermé tous les cas et les sous-cas sur cette question de la politique libérale face aux monopoles.

Ensuite j'ai un peu de mal à te suivre quand tu pars sur Rockefeller puis l'Iran... Je réponds juste à la question de la politique étrangère. C'est certainement une question sur laquelle le libéralisme a peu de choses à dire car il ne reconnaît pas vraiment d'échelon intermédiaire entre l'individu et l'humanité. Donc ça donnerait quelque chose du genre "Faîtes du commerce international et pas la guerre".

Le libéralisme n'est pas une doctrine politique ! Là je m'arrache les cheveux. Le droit de vote, le respect des minorités, la lutte obstinée contre la colonisation et contre l'esclavage... Ca fait tout de même un lourd, très lourd actif à mettre au compte du libéralisme. Peut-on en dire autant du Bonapartisme qui a rétabli l'esclavage (et sacrifié une génération de Français) ou du radical-socialisme qui s'est fait le chantre de la colonisation ? Non, l'adage la Liberté plutôt que la Contrainte s'applique à des champs plus vastesque l'économie.

Je termine par la question très intéressante de la sécurité routière : tu assimiles le libéralisme à la loi de la jungle où tout le monde fait ce qu'il veut. Or aucun libéral ne prétendra qu'on peut user de sa liberté pour mettre en danger la vie des autres. La justice doit sanctionner les dommages infligés par certains individus à d'autres (à ce propos tous les libéraux font de la justice et de son bras armé la police des monopoles publics). Donc il est légitime d'empêcher quelqu'un de conduire en état d'ivresse ou de fumer en public dans un espace non ventilé. En revanche, il n'est pas légitime d'obliger un adulte à mettre sa ceinture. Dans ce domaine, l'Etat devrait se contenter d'informer les individus responsables.

Vincent T. a dit…

Mon identité est secrète et doit rester un mystère qui attise les spéculations les plus hasardeuses ;)

Pour les monopoles, le cas Rockefeller, qui contrôlait en 1900 le raffinage de 90 % du pétrole américain, est un peu le cas limite dans la belle théorie libérale. Le monopole n'est ni historique, ni naturel, c'est juste un gentil entrepreneur qui a racheté tous ses concurrents. Du coup il fixait à sa guise les prix du pétrole et les conditions de ses sous-traitants. Les très socialistes américains ont décidé d'intervenir de façon assez "directe" par la loi, en interdisant les "abus de position dominante". Mais n'est-ce pas la restreindre la liberté d'entreprendre (en interdisant la constitution de monopole) ou la liberté de commercer (en qualifiant d'abus une légitime augmentation de la marge) ? Pas sûr que ce soit si facile de botter en touche pour les monopoles ;) Quid des oligopoles genre OPEP ?

Pour la politique étrangère, le côté rigolo vient des exemples pratiques : doit-on intervenir quand les turcs massacrent les albanais ? Quand les serbes massacrent les bosniaques ? Ca dépend des fois ;) Tout ça pour dire que le libéralisme est un peu "incomplet" tant que l'on n'est pas à l'état d'équilibre tant désiré. On prend parfois des décisions guidées par l'humanité (qui n'est pas qu'une feuille de choux communiste), parfois induisant des contraintes, même quand on est libéral.

Le libéralisme a probablement apporté (un peu) aux démocraties actuelles. Si tu considères Tocqueville comme un libéral, tu remarqueras qu'il met quand même des limites assez nettes à ce que le peuple peut ou non décider. Sauf erreur, il est plutôt critique vis-à-vis de la démocratie américaine (qui n'a pas vraiment changé depuis).

On ne peut qu'adhérer à une défense de la liberté, mais on se retrouve assez vite confronté à des apories de raisonnement : que faire quand deux libertés se heurtent ? On en restreint une des deux ? Si oui, laquelle ? Les lois sécuritaires ou anti-terroristes sont un bon exemple : a-t-on le droit de restreindre les libertés de se déplacer au nom de la protection des citoyens ? La liberté d'avoir un porte-clé en forme de couteau rituel inca versus la protection du personnel de l'avion ? La confidentialité des échanges est-elle une liberté (Echelon) ?

Le pire est en terme environnemental et social. Le marché de CO_2 c'est bien, mais le mercure (Minamata), le plomb, l'arsenic, l'uranium... on en fait quoi ? Est-ce une liberté que de boire de l'eau sans ? Quid des fertilisants et des engrais alors ? On interdit bêtement, comme un socialiste, ou on fait un "droit positif" à boire de l'eau propre ?

On peut démultiplier les exemple le montant et les conditions d'embauche doivent-ils être complètement libres ? Doit-on contraindre la non-discrimination ?
Dans mon idée, le libéralisme, c'est bien, mais ça ne suffit pas.

Pour finir avec la sécurité routière, plusieurs distinguos. Etre ivre au volant pourrait être manifestement illicite, mais la légère euphorie ? Oui pour les automobilistes, non pour les conducteurs de transports publics. Et même pour les automobilistes, on sanctionne une partie des euphories (au dessus de 0.5 g par litre de sang en France, 0.8 au Canada, quand on estime à 1 l'ivresse notable pour une personne normale), mais pas les autres. Peut-on conduire quand nos réflexes sont diminués ? Si c'est par la fatigue, oui, si c'est pas l'alcool, pas toujours ;) La liberté dans tout ça est une notion assez difficile à appliquer. On peut faire une politique paternaliste (bouh ! c'est socialiste ça, anti-libéral) en interdisant tout ce qu'on peut mesurer (alcool et drogue), ou compter sur la responsabilité des gens. En pratique, tous les pays occidentaux limitent l'alcoolémie au volant... Le monde est décidément au bord du communisme :)

Landry a dit…

Toujours aussi intéressant.

Ne peut-on cependant pas nuancer ta vision ?

- En ce qui concerne le libéralisme, j'ai une objection d'ordre philosophique. Il me semble en effet très trompeur de prétendre que l'on est plus libres dans une économie de marché. Essentiellement parce que la liberté de choix économique m'est peut-être pas la forme de liberté qui a le plus de valeur morale. La liberté n'est ici en outre qu'une absence de contrainte, donc a un sens assez faible, d'autant qu'en pratique les contraintes sont multiples, en tout cas en économie réelle avec un marché qui n'est pas parfait et pas parfaitement efficace. C'est plutôt la théorie des jeux qui me paraît le mieux expliquer l'engouement pour le libéralisme, car un système qui se régule de lui-même et dans lequel les acteurs sont libres est plus stable. Là où l'on retrouve malgré tout de la liberté est que les risques totalitaires sont vraisemblablement moindres lorsqu'il n'est pas nécessaire d'effectuer trop de contrôles.

- Pour la doctrine socialiste, n'est-ce pas un mal français que de voir dans le socialisme nécessairement une vision interventionniste directe et à court terme ? N'est-on pas face à une rhétorique politique alors que des modèles économiques socialistes existent ? Ne faut-il voir dans le principe de redistribution qu'un bienfait moral, à la limite social, sans vouloir admettre certains bienfaits d'ordre économiques dans la mesure où les politiques en question sont intelligentes et bien appliquées ? Un exemple pour illustrer mon propos, celui de la sécurité sociale. En effet il me semble que donner aux moins riches de bénéficier d'un système de santé efficace, et mutualiser le risque de santé permettent d'avoir une population plus productive, et évite de bloquer des capitaux dans des réserves que chacun ne manquerait pas d'établir s'il n'y avait pas de mutualisation, non ? Avec tous les risques et inconvénients que cela comporte, bien entendu.

Vive la République ! a dit…

Réponse à VT,

1. Monopoles
Revenons aux fondamentaux. Que cherche le libéral ? L'échange libre des services, que l'on traduirait aujourd'hui par la concurrence libre et non faussée. Le problème que soulève Vincent à propos de Rockefeller c'est qu'il rendait des services à la société (raffiner du pétrole) à un prix bien trop élevé par rapport à ses coûts. Il le peut car à court terme le nombre de raffineries est limité et il les a toutes achetées. Mais à long terme, si la situation perdure, n'importe quel industriel aura intérêt à construire des raffineries, vendre moins cher son pétrole et récolter toutes les parts de marchés. Bien entendu, il y a des rigidités et on ne revient pas tout de suite à l'équilibre, ce qui peut pousser certains gouvernements à agir préventivement en disant : je ne veux pas que quelqu'un ait une trop grande part de marché sur un secteur parce qu'après il va relever les prix. Effectivement, en agissant ainsi il y a intervention, mais elle vise à éviter la période transitoire néfaste du monopole (qui n'est pas durable à long terme). Cette intervention est d'autant plus justifiée que les rigidités sont fortes (par exemple si une raffinerie ça coûte cher et ça met du temps à être installé).

2. Politique étrangère
Je ne comprends pas pourquoi tu persistes sur ce sujet, puisque cela n'a rien à voir avec le libéralisme qui ne fait pas la différence entre un Serbe, un Turc, un Albanais ou un Bosniaque. Je maintiens que le libéralisme s'étend à d’autres champs que l'économie mais je n'ai jamais dit qu'il s'appliquait à tous les champs. Convenons simplement que si tous les êtres humains sur Terre étaient libéraux, il n'y aurait pas de guerres.

3. Tocqueville
Tocqueville, qui a été ma première "révélation" libérale a été effectivement un observateur critique de la démocratie en mettant en exergue ses possibles évolutions (ses prédictions se sont d'ailleurs révélées parfaitement juste, quand on lit la Démocratie en Amérique on a l'impression que ça a été écrit hier. Alors que comme dirait Desproges, le Capital c'est comme l'annuaire, on tourne trois pages puis on décroche !). Malgré cette étude critique, il dit clairement que le jeu en vaut la chandelle et qu'un retour à l'ordre ancien est d'une part impossible et de l'autre pas souhaitable. Dire cela au milieu du XIXème quand on vient de la haute aristocratie c'est tout de même pas si mal !

Vive la République ! a dit…

Réponse à VT (suite),

4. La confrontation des libertés
L'aporie du raisonnement libéral que tu dénonces n'est qu'apparente puisque tu insinues que le libéralisme promeut la liberté pour chacun de faire ce qu'il veut. Or ce n'est pas du tout ce dont il s'agit : ce que dit le libéralisme, c'est que quand les gens sont d'accord pour faire quelque chose ensemble (échange marchand, don, relation sexuelle,...) alors il faut les laisser faire. Le problème vient évidemment de la définition des "gens" : il faut prendre en compte tous ceux qui sont affectés par l'échange. Pour un contrat de travail, il s'agit de l'employeur et du salarié. Pour le prix du pétrole il s'agit de tous les producteurs et de tous les acheteurs. Et dès qu'il y a des externalités alors ça devient plus compliqué car beaucoup de gens peuvent se retrouver impliqués. Dans ce cas l'Etat a un rôle à jouer, car on ne peut pas faire autrement. Je ne peux contracter avec tous les automobilistes de France pour savoir combien d'alcool j'ai le droit de boire avant de conduire, donc l'Etat fixe un seuil, il n'y a guère d'autres choix. Idem pour les réglementations sur la pollution qui sont une manière d'inclure les victimes potentielles dans le contrat entre l'industriel et son client. Bref, le libéralisme ce n'est pas la loi de la jungle, ce n'est pas la promotion aveugle de la liberté individuelle.

5. La discrimination
C'est une question très délicate sur laquelle je vais essayer de faire un article bientôt. Je peux juste répéter ce que j'ai lu hier chez Friedman à ce sujet (quelle coïncidence) : dans une société libre, la discrimination est d'abord nuisible à celui qui en est l'auteur. Exemple de discrimination : je veux acheter le meilleur frigo sauf si c'est un Brandt. En faisant cela je me fais du mal à moi-même car je réduis potentiellement mon bien-être. Si j'arrive à fédérer plein de gens autour de moi, je commence également à faire du mal à Brandt car j'acquière un pouvoir de marché. Pour le racisme c'est un peu la même chose : tant que les racistes sont peu nombreux ils se font d'abord du mal à eux-mêmes, s’ils occupent toutes les places de DRH et de videurs de boîte de nuit ils commencent à faire beaucoup de mal aux Noirs et aux Arabes. La conclusion de Friedman, c'est que la discrimination directe du type je tape sur la tête de mon voisin parce qu'il est noir doit être évidemment sanctionnée mais que pour la discrimination indirecte : je ne veux pas embaucher mon voisin parce qu'il est noir, c'est beaucoup plus compliqué. Je préfère ne pas m'étendre et espère pouvoir écrire quelque chose d'intelligent à ce sujet rapidement.

6. Alcoolémie au volant
Je crois avoir déjà répondu.

Vive la République ! a dit…

Réponse à Landry,

1. Valeur morale de la liberté économique
Je ne vois pas au nom de quoi le fait que les gens se rendent des services ne soit pas quelque chose de moral. Je fais ton pain en échange tu me fabriques une chemise : c'est la base de la vie en société donc ça a quelque chose à voir avec la morale collective. Serait-il plus moral que tous les individus se fassent des dons les uns aux autres et qu'on espère qu'à la fin tout le monde s'y retrouve à peu près ? Je prétends au contraire que cette manière de voir est moins morale car certains profiteraient du système et d'autre seraient abusés.

2. Socialisme et interventionnisme
Je ne conçois pas le socialisme autrement qu'interventionniste et à court terme. Mais cela pour des raisons tout à fait défendables d'urgence sociale.

3. Redistribution
La redistribution est-elle morale ? Cela dépend des situations et de l'imperfection des marchés. Si les marchés fonctionnaient parfaitement c'est-à-dire si tous les services échangés se valaient, alors la redistribution ne serait pas si morale que cela. S'il s'agit de compenser des injustices qu'on arrive pas à réparer c'est autre chose. Un exemple que j'aime beaucoup : la carte famille nombreuse. Dirais-tu qu'il serait moral que deux personnes payent le même prix pour un ticket de train et qu'au milieu du trajet celui qui a plusieurs enfants se lève, prenne le portefeuille de celui qui n'en a pas et lui prélève 5 euros ? Je dis que la morale ne va pas de soi dans cet exemple de redistribution.

4. Sécurité Sociale
Comme j'ai eu l'occasion de le dire dans un précédent article, la protection sociale me semble parfaitement compatible avec le libéralisme. Il s'agit d'un mécanisme de mutualisation des risques entre acteurs privés. Ce qui peut être remis en question (et nettement moins libéral) c'est son caractère obligatoire. J'y suis toutefois favorable pour des raisons de stabilité : imaginons que tout le monde soit à la sécu puis qu'on libéralise, alors les 10% les moins malades vont se dire, je n'ai pu intérêt à souscrire. Du coup hausse des cotisations pour les 90% qui restent. Alors 10% nouveaux se disent à leur tour, ça ne vaut plus le coup et ainsi de suite. Au final, tout le monde est malheureux, donc l'intervention de l'Etat est légitime. Mais ce raisonnement ne me convainc pas pleinement, cela mérite plus de réflexion.

marmiton a dit…

Bonjour Vincent,

Je sais bien qu'il faut éviter la "tentation du paradoxe a tout prix", mais il me semble ici que les deux concepts considérés sont si simplifiés, si vidés de leur ambiguïté, que la conclusion que tu tires semblent des lors inéluctable.

Mais au final, les partisans du socialisme ne seront pas le moins du monde affectés par ta conclusion, parce qu'ils ne reconnaitront pas leur pensée dans la description caricaturale que tu en fais ; les détracteurs du libéralisme (ceux-la même qui ont inventé les termes "néo-libéral" et "ultra-libéral) seront quant à eux comblés de te voir confiner le libéralisme à sa forme la plus vulnérable: le libre marché.

En effet, tu assimiles dès le début le libéralisme à la théorie du libre marché, au laissez-faire. Si cela était si simple, comment expliques-tu que le mot liberalism soit aux Etats-Unis synonyme d'interventionnisme d'Etat? A te lire, l'interventionnisme d'état, censé régler les market failures, ou "défaillances du marché", doit rester un "mal nécessaire, quand il n'y a pas d'autre choix" (note que la notion de "mal" dénote une croyance plus qu'une pensée scientifique). Pourtant, les économistes du vingtième siècle ont mis à jour, dans un cadre formel (ta fameuse cohérence), une ribambelle de market failures : antisélection, assymétrie d'information, externalités (environnement, sécurité, éducation, santé), coordination (théorie des jeux), coûts de transaction etc.

Mais, rien à y faire, le libéral que tu décris, comme envouté par la magie de sa théorie de la "main invisible", est à peine ébranlé par ces révélations. Le concept est si séduisant, si attrayant, si esthétique, qu'il se refuse à remettre en cause sa légitimité politique.Sa théorie est cohérente parce que tautologique, le fou du laissez-faire cantonne sa pensée à un champs d'hypothèses dans lequel elle ne peut que se vérifier. En somme, il veut s'en tenir au premier chapitre de son manuel d'économie parce que c'est beau, et surtout, c'est facile.

Au final, tout est affaire de proportion. Le détracteur du laissez-faire (appelons le socialiste) pense que dans la réalité, les market failures, loin d'être anecdotiques, sont au moins aussi importantes que ses bénéfices. Le principal problème (et aussi l'angle d'attaque de la Chicago school) est que les modalités de mis en oeuvre de leur correction sont loin d'être évident. Voilà pourtant une tâche qui devrait plaire aux libéraux: le retour de la responsabilité et la libérté de l'homme face à une mécanique divine (la "main invisible") et finalement arbitraire.

Il ne s'agit pas là d'apporter des correctifs de fortune pour récolter quelques voix, il s'agit véritablement d'optimiser le "bien-être" sur le long-terme. Le socialiste pense que le contrat d'individu à individu ne permet qu'un progrès incrémental, ne menant qu'à des minimum locaux.

marmiton a dit…

Hmm. Mea Culpa.
En te relisant, je me rends compte que mes propos ne contredisent en rien les tiens. En fait je ne fais que m'étaler sur ce que tu appeles la faiblesse du libéralisme.

La raison est que j'ai été vraiment agacé par ta vision caricaturale du socialisme. Il me semble qu'il vient pourtant répondre à des problème que le libéralisme ne résoud pas, et plus encore, dont il n'envisage pas même l'existence.

Vive la République ! a dit…

@ Marmiton,

Tout d'abord, il est assez déstabilisant d'être tutoyé et appelé par son prénom par quelqu'un dont on ne connaît pas l'identité. J'espère que cela pourra être assez vite réparé.

1. Une vision caricaturale ?
Les concepts de libéralisme et de socialisme sont effectivement poussé à bout donc déconnectés d'une certaine réalité (je ne me revendiquerai pas comme un libéral total de ce point de vue), mais je pense que cela a le mérite de faire apparaître les grandes lignes de désaccord. D'ailleurs la seule conclusion que je tire est que ces deux conceptions continueront à s'affronter, je ne dis nullement que le libéralisme triomphera.

Je comprends mal en quoi ma conception du socialisme est caricaturale : un socialiste estime que l'Etat doit intervenir de manière contraignante dans la vie économique et sociale. Je ne pense pas que le PS rejetterait ce point de vue.

2. Libéralisme et interventionnisme
Il faut se méfier des étiquettes, je n'accorde pas vraiment d'importance au fait que les démocrates américains se fassent appeler "liberals", de même que je n'ai jamais pensé que la République Démocratique du Congo était démocratique. Pascal disait quelque chose du genre : "je ne discute pas des termes pourvu qu'on s'accorde sur le sens qu'on leur donne". Aussi ai-je pris soin de définir ce que j'entendais par libéralisme.

3. L'apport de l'économie du XXème siècle
L'objet de mon article est de discuter des principes de l'économie politique, ces principes d'inspiration morale, renvoie à une vision de l'homme. La théorie économique peut venir renforcer ou affaiblir telle doctrine à un moment donné mais je ne pense pas que cela change fondamentalement les choses. La question dont je traite n'est pas de nature technique. Pour le dire autrement, je pense qu'on est libéral ou socialiste avant que ne surgissent les problèmes d'externalités ou de market failures et chacun essaye ensuite de répondre à ce réel selon ses propres principes.

4. La main invisible
Je n'aime pas la vision de Smith de "Main invisible", elle me semble avoir fait un grand tort au libéralisme car elle fait comme si quelque chose de magique se produisait. Je préfère de très loin la vision de Frédéric Bastiat qui explique que si l'on aboutit à un optimum social ce n'est pas par hasard mais parce que "les intérêts légitimes sont naturellement harmonieux". Si cela vous intéresse, il passe 600 pages à décrire pourquoi dans "Harmonies Economiques".

4. L'origine des market failures
Prenons la crise actuelle des subprimes. La politique du gouvernement Clinton en matière d'accès au logement, les déficits colossaux de l'administration Bush et la politique monétaire assez irréaliste de la FED ne sont-elles pas les principales causes de la crise ? Pourtant il s'agit là d'institutions publiques qui ont généré de graves market failures.

5. Finalement nous sommes d'accord
Vous dites "Le socialiste pense que le contrat d'individu à individu ne permet qu'un progrès incrémental, ne menant qu'à des minimum locaux", cela me convient et ne me semble pas trop éloigné de ce que je décris dans mon article. Affaire de style dirons-nous. Dans la même veine, voici ma définition du libéral : "Le libéral pense que le contrat d'individu à individu est la condition même du progrès économique et qu'il permet d'aboutir à un optimum global".

Muad'Dib a dit…

Bonjour cher hôte,


1. Sécurité Sociale
Votre raisonnement ne "convainc pas tout à fait". C'est un problème de sélection adverse. Mathématiquement, je mutualiserai mes risques avec des gens qui ont un profil de risque inférieur ou égal au mien, pas avec tout le monde! Et c'est là la grande différence entre la sécurité sociale et une véritable approche libérale. Aux US,
- si je fume, je paye un premium. C'est normal me direz-vous, c'est volontaire.
- si je suis obèse, je paye un premium. Pourtant, est-ce vraiment volontaire?
- si je suis diabétique, je paye un premium. Pourtant, ce n'est vraiment pas volontaire.
Conclusion: je ne donnerais pas mon génome à un assureur américain, seulement au français qui s'en servirait pour mieux me soigner. Et si vous me parlez de discrimination, je vous répondrai que c'est légal aux US, et que vous m'opposez un concept d'égalité bien socialiste.

2. Market Failure
De manière générale, on vous sent complètement enfoncé dans la tautologie libérale (vous avez quand même fini par justifier le cassage des monopoles comme anticipation d'une évolution libérale naturelle démontrée "avec les mains"). Aller aux US vous permettra rapidement de vous rendre compte que le libéralisme est une véritable religion: s'il y a un problème, c'est que quelque part, on n'a pas laissé le marché fonctionner. Nouveau point Godwin.
Pour suivre "marmiton", le libéralisme serait donc une sorte de théorème superbe: son génial inventeur l'appliquerait à tout-va, et blâmerait la non-vérification des hypothèses (d'ailleurs impossible) lorsqu'un contre-exemple flagrant arrive.
Vous parlez de la crise des subprimes, mais rappelons nous de ce qu'a dit Greenspan a l'époque: "I made a mistake in presuming that the self-interests of organizations, specifically banks and others, were such as that they were best capable of protecting their own shareholders and their equity in the firms" ( http://www.nytimes.com/2008/10/23/business/worldbusiness/23iht-gspan.4.17206624.html )
On a l'impression que vous sous-estimez complètement la taille des market failures. Alors oui, le coût ou le caractère arbitraire des décisions publiques sont faciles à pointer du doigt. Alors que les market failures, elles, sont plus difficilement évaluables, et ont justement l'attrait d'une justification "naturelle" ou "cohérente". Néanmoins elles sont bien loin d'être anecdotiques.

Muad'Dib a dit…

3. Sécurité Routière
Les cas les plus simples sont ceux où il y a une prise de risque volontaire (mise en danger de soi en ne mettant pas la ceinture) ou involontaire (mise en danger de soi par des conducteurs alcoolisés) de dangers connus. Mais dès que le danger est moins connu, cela devient plus problématique: jusqu'à quel point l'état ou l'employeur doit-il être paternaliste?
Si le risque d'un médicament/activité n'est pas connu, les frontières sont plus floues:
- est-ce que l'état ne doit rien faire, et laissez la seule peur de la poursuite en justice dissuader l'entreprise?
- est-ce que l'on peut se contenter d'étiqueter les risques en police 2pt, et transférer complètement le risque sur l'utilisateur "informé" qui de toutes façons: ne lit pas, voit les mêmes informations partout, et n'a aucunes connaissances en médecine
- est-ce qu'on peut autoriser un médecin à empêcher à un patient l'accès d'un médicament risqué? est-ce qu'on peut laisser un employeur à empêcher une femme enceinte de travailler dans un environnement avec du plomb? Aux US non (cf. Automobile Workers v. Johnson Controls)

4. Libéralisme et Liberté
Vous donnez une vision un peu rose du libéralisme, dont les contradictions cessent tout bonnement dès lors que la liberté de contracter existe. Néanmoins, la liberté de contracter n'existe pas partout. La violence n'est pas une forme d'échange bilatéral et elle persiste: dans un pays civilisé comme les US, l'assaut judiciaire que certains peuvent se payer en est une forme.
Ce type d'approche aboutit à la justification de la pauvreté par le libéralisme: les pauvres sont pauvres parce qu'ils ont fait des mauvais choix, l'ordre "naturel" et "cohérent" de l'économie leur a donc assigné cette place de pauvre. Ce genre de raisonnement passe sous silence: les asymétries d'information, la sélection adverse, etc.... des markets failures déjà sous-estimées (par vous) dans les marchés, et encore plus dans l'organisation sociale. D'où l'intervention sociale.

Muad'Dib, un libéral, pourtant

Anonyme a dit…

Sur un « plan psychologique », ne pourrait-on pas :

Considérer le libéralisme comme conception politique désirant laisser libre cours à la vie, aux passions ? (avec le risque de diluer la substance qu’est la vie. En effet, sans limites les passions peuvent être dévorantes et donc aller à l’encontre de la vie).

Considérer le socialisme comme une conception politique désirant protéger la vie, réguler les choses ? (avec le risque d’étouffer la substance, qu’est la vie. En effet, de trop nombreux cadres peuvent briser la créativité, nécessaire à toute vie).

A la manière d’Edgar Morin qui nous incite à raisonner nos passions et passionner notre raison, ne nous faudrait-il pas, aujourd’hui, une conception politique qui nous propose un arbitrage entre passions et raison plutôt qu’une distinction passion / raison ?

Ne nous faudrait-il pas une conception politique proposant une définition concertée d’un chemin de sagesse ?

Anonyme a dit…

Je trouve dommage qu'une analyse de cette qualité se conclue sur une justification de l'existant sans proposer une alternative à l'affrontement des deux doctrines que sont le libéralisme et le socialisme.

Vous évoquez l'écologie politique pour aussi tôt l'écarter d'un revers de la main parce que vous considérez que cette doctrine est mal identifiée. Qu'entendez-vous exactement par ce terme ?
A travers la crise que rencontre aujourd'hui le socialisme ne peut-on pas également considérer qu'il est mal identifié ? Quand le libéralisme propose une intervention de l'état pour sauver les banques est-il également bien identifié ?

Peut être, finalement, toute théorie est-elle finalement vaine, parce que nous ne pouvons réellement comprendre toute la complexité du réel.

La question pourrait-être alors quelles pratiques politiques pour demain ?

Je distingue ici théorie et pratique à la manière de Serge Carfantan qui dit :
"Dans l'histoire des sciences, nous pouvons remarquer que le plus souvent, c’est la pratique qui fait lui plus souvent avancer la théorie et non l’inverse. Nous avons l’habitude de placer la technique après la science en disant qu’elle en est une application de la science, mais ce schéma est théorique et scolaire".

"La machine à vapeur de Carnot n’est en rien une application des connaissances de la thermodynamique. Carnot était un officier de marine qui cherchait surtout à assurer à sa patrie la suprématie sur les mers, d’où ses recherches pour améliorer le rendement des machines à vapeur. La découverte des premières lois de la thermodynamique viennent en fait de là. Dans ce cas, on voit bien que c’est la science qui se dégage de la technique et non l’inverse".

Il est à mon avis indispensable d'imaginer aujourd'hui de nouvelles pratiques politiques. Et il ne faut pas oublier de rêver car

" Lorsqu'un seul homme rêve ce n'est qu'un rêve. Mais si beaucoup d'hommes rêvent ensemble, c'est le début d'une réalité " Hundertwasser

Vive la République ! a dit…

Cet article n'a pas vocation à proposer une "solution" mais plutôt à identifier la tension irréductible du débat entre libéralisme et socialisme. Il est d'ailleurs intéressant de voir que beaucoup d'entre vous me reprochent de prendre fait et cause pour l'une des deux doctrines (le libéralisme) quand d'autres me reprochent de ne pas suffisamment trancher le débat.

A travers cet article j'ai voulu mettre en pratique un "ton" spécifiquement politique. La politique ce n'est pas une histoire de démonstration, comme je l'ai dit plus haut, c'est plutôt une proposition avec laquelle il est légitime d'être en désaccord. En même temps, la politique ce n'est pas la neutralité objective : elle suppose un engagement. C'est ce que j'ai essayé de faire en défendant plutôt la conception libérale.

Pour ce qui est de l'écologie politique je ne la balaye pas du tout d'un revers de la main, ce me semble être un sujet tout à fait capital. Mais c'est un sujet plus qu'une doctrine, qui peut être appréhendé dans une optique libérale ou "socialiste" (au sens de contraignante).

xavier a dit…

Mon cher VLR,

Encore un fois un billet auquel je souscris – quasiment – entièrement. Pourtant, c’est bien ce « quasiment » qui me pousse à laisser un commentaire. Je voudrais nuancer ton dernier commentaire au sujet du choix que le politique a entre deux options.

Pour simplifier (caricaturer ?) ton discours, on peut dire qu’il y a d’une part une pensée libérale, qui pense être en mesure – car elle a les Arguments Mathématiques (je me laisse aller à mettre des majuscules aux noms communs moi aussi, ça fait plus sérieux) et le Dogme, comme d’autres ont les Tables de la Loi, la Révélation, le Livre et ce genre de trucs – d’assurer le bien absolu de l’Humanité ; et d’autre part une pensée socialiste (je ne suis pas sûr que le terme soit parfaitement choisi d’ailleurs : « interventionniste » aurait peut-être été plus adéquat) qui n’ont pas de corps doctrinaire et qui colmatent les brèches au coup par coup.

Il me paraît clair que l’économie réelle se fiche pas mal d’axiomes qui, s’ils étaient respectés de manière IDEALE, permettraient l’avènement du nirvana libéral. En effet, nous ne vivons pas dans le monde éthérées des mathématiques, et en sciences économiques comme en sciences physiques, les conditions d’application d’un modèle ne sont jamais remplies que de manière approchées.

De manière amusante car contraire à une idée reçue, j’ai l’impression que finalement le socialisme, qui doit « sans cesse se réinventer », s’il n’a pas la beauté mathématique – et un peu mystique, convenons-en – du libéralisme, est moins dogmatique et donc plus adaptable. Il faut se méfier des ayatollah du libéralisme, qui justifient tout par le Modèle, y compris le Modèle lui-même.

Quand on me pose la question, je me dis libéral, parce que je pense, comme toi, qu’on dit beaucoup d’ânerie au Français pour les flatter dans leur ignorance (« interdiction des licenciements ! des soins gratuits pour tous ! un logement décent garanti ! non à l’injustice et le malheur c’est pas bien ! »). Mais dans le fond, je suis un pragmatique, donc un interventionniste, et ce n’est pas blasphémer que de vouloir faire la synthèse entre les deux options.

Vive la République ! a dit…

@Xavier,

Je pense effectivement que le libéralisme est un système qui est d'abord cohérent avant d'être en phase avec la réalité quotidienne. Mais si l'on admet que les principes sur lesquels il se fonde sont justes, on doit pouvoir penser qu'à long terme il est également le système le plus efficace.

Bien entendu, en refusant de fournir des rustines, il oublie certaines urgences sociales qui ne peuvent pas se contenter d'être résolues "à long terme". En ce sens, il y a certainement un entre-deux à trouver.

Mais attention aux fausses bonnes solutions et aux effets pervers. Je pense que les acteurs économiques finissent toujours par s'adapter et par contourner les obstacles que l'on dresse devant eux.

Donc si je souscris à la phrase de Keynes "A long terme on est tous morts", je pense qu'il faut lui adjoindre "A se concentrer sur le court terme on va dans le mur".

Anonyme a dit…

Alors que vous parliez de l'écologie politique en tant que doctrine dans votre article, voilà à présent qu'elle devient sujet.

Vous dites : "c'est un sujet plus qu'une doctrine, qui peut être appréhendé dans une optique libérale ou "socialiste" (au sens de contraignante)".

Pourquoi ne pourrait-on pas plutôt appréhender libéralisme et/ou socialisme sous l'angle de l'écologie politique ?

Vive la République ! a dit…

@Anonyme,

Vous touchez là à un point très important. Pour moi, l'écologie est une forme de conservatisme. Je le dis de manière d'autant plus positive que je me sens conservateur et écologiste.

Or le conservatisme comme son opposé le progressisme, ne sont pas des doctrines de gouvernement comme peuvent l'être libéralisme et socialisme. Ce sont des positions intellectuelles voire philosophiques qui demandent ensuite à être transcrites en actes gouvernementaux. Et là il faut bien revenir à la question de la liberté ou de la contrainte.

Je pense personnellement que le libéralisme et le conservatisme sont au fond conciliable, c'est une question sur laquelle j'essaye de réfléchir depuis plusieurs mois. L'idée de contemplation d'un ordre naturel (social ou environnemental) que j'ai avancé dans mon article est peut-être le point de départ de cette réflexion. A creuser...

Vive la République ! a dit…

Suite de mon commentaire précédent,

J'ajouterais comme point commun entre libéralisme et conservatisme une certaine humilité par rapport à ce qui existe : c'est-à-dire l'absence de volonté de construire un monde nouveau. Cette humilité ne doit cependant pas se transformer en fatalité du type : on ne peut rien faire contre les désordres sociaux, écologiques ou culturels.

En tous cas, ce tropisme conservateur me pousse à dire que si le libéralisme doit être défendu, il ne peut pas s'agir d'un libéralisme "triomphant", c'est-à-dire d'une doctrine complète qui a fait le tour de tous les sujets. Il s'agirait plus d'un libéralisme minimal, qui se garde d'annoncer des lendemains qui chantent.

Vincent T. a dit…

Faut pas partir en vacance sur ton/votre blog (à toi de voir si mon identité secrète est percée à jour ;))...

1. Les monopoles : l'équilibre converge naturellement, mais on peut lui donner des coups de pouce pour que ça aille plus vite. Quelque part, le coup de pouce est une contrainte pour accélérer la convergence (sauf erreur). Et quelque part, une contrainte, c'est contre ta définition du libéralisme ;) En fait, je pense que le libéralisme pêche un peu comme le socialisme : si tout le monde se mettait ensemble pour converger vers l'état d'équilibre, tout irait bien. Et comme ce n'est pas le cas, on aide un peu pour que ça converge plus vite. C'est paternaliste, même si ça évite une période néfaste... et paternaliste, c'est mal ;) Qui sait si ceux qui appliquent la contrainte vont vraiment diriger le système dans la bonne direction... alors que le système s'y dirigeait tout seul !

2. Politique étrangère : si je persiste, et que tu persistes à botter en touche c'est exactement pour relever ce que tu mentionnes. Le libéralisme n'a rien à voir avec la politique étrangère, voilà au moins un point qui lui manque. Mon objectif de rang 1 est de montrer (en copiant bassement sur Compte-Sponville), que le libéralisme, ça marche en économie, mais qu'en-dehors, c'est de l'éthique déguisée. La démonstration se fait en plusieurs étapes, la première étant de reconnaître que le libéralisme n'est pas une théorie politique complète, puisqu'il lui en manque des pans entiers. On peut commencer par la politique étrangère ;)

3. Tocqueville. Entre monarchie et démocratie, j'admets un léger penchant vers la démocratie, fut-elle libérale ;) Je voulais juste noter que le libéralisme n'est pas à l'origine des révolutions démocratiques. Que des libéralistes aient fait des choses bien, j'en conviens, mais de là à dire que le libéralisme (que je conçois plutôt comme théorie économique) ait mené l'humanité vers une époque plus éclairée, ait inventé le droit de vote, après la roue, la poudre et l'électricité, ça me paraît un tantinet excessif.

4. Ta conception du libéralisme, visiblement inspirée de Bastiat, défend la liberté, la responsabilité et la solidarité (il met des majuscules, mais c'est contraire aux règles typographiques de base ;)). Il dit explicitement (cf l'intro "A la jeunesse française", j'en suis qu'au début) qu'il faut laisser les gens faire des erreurs et ne pas le leur interdire a priori. Soit on est frappé soit même par une conséquence de l'erreur, et on est responsabilisé, soit on frappe des innocents, et par "le merveilleux appareil réactif de la Solidarité", on est touché aussi. Mais c'est le fait d'être touché par la conséquence néfaste qui permet d'apprendre, et de ne pas recommencer. Ta politique bassement paternaliste, à tendance populiste (qui ne peut s'émouvoir des innocentes victimes de la route ?), de limitation du niveau de l'alcool me semble contraire à la doctrine libérale de Bastiat. Tu limites la liberté car tu prétends savoir ce qui est bon pour tous (conduire de façon sobre), tu imposes ce fait à tous, et tu ôtes toute responsabilité aux chauffards. Ils n'apprennent pas, et les accidents de la route continuent. Assassin, va ;)
Idem pour l'industriel et son client.

Le terme même de "loi de la jungle" me paraît paradoxal pour la doctrine libérale, il tendrait à insinuer que si on laisse complètement libres les individus, on est ramené à un état néfaste de "jungle" ou les loups s'entre-dévorent. Est-ce à dire que les intérêts individuels ne sont pas naturellement "harmoniques" ?

Sinon, pour des idées d'articles, je soumets une proposition : la création artistique comparée à la création scientifique. D'un côté des artistes avec des droits d'auteurs, de l'autre, des gentils CNRS qui bossent aux frais de l'Etat et qui publient leurs "créations" pour 0 €... Deux modèles concurrents, ou deux milieux trop différents pour qu'aucune transposition ne soit possible ? Les libéraux vont introduire le CNRS en Bourse ?

Vive la République ! a dit…

@ Vincent T,

1. Il est certain que les monopoles posent un problème de principe pour le libéralisme, au même titre que tout ce qui met trop de temps pour converger "naturellement" vers l'état d'équilibre. Mais si l'on suit le pragmatisme auquel tu nous invites, on devrait se demander quelle part de l'économie les monopoles représentent, et surtout, de cette part combien sont en fait issus de l'intervention directe ou indirecte de l'Etat. Friedman en parle dans son livre Capitalisme et Liberté pour dire que le gros problème des monopoles (d'un point de vue quantitatif) c'étaient les monopoles publics ou semi-publics. Il faudrait savoir ce qu'il en est aujourd'hui car le livre date de 1962, mais je ne pense que ce soit différent aujourd'hui. Cela dit je reconnais que même s'il s'agissait d'un exemple marginal, le cas Rockefeller pose une question de principe à laquelle il convient de répondre.

2. Là, il me semble que l'on soit dans la pure rhétorique. Je n'ai pas encore reçu le livre de Comte-Sponville mais je dénonce fortement ton syllogisme : le libéralisme ne traite pas tous les sujets politiques, donc il ne s'agit pas d'une doctrine politique complète donc il n'est valable que pour les questions économiques. Une fois de plus, ce n'est pas pour des raisons économiques que les libéraux se sont opposés à la colonisation et à l'esclavage mais pour des raisons morales, héritées de leur vision de la liberté.

3. Je retiens juste ton expression "la démocratie, fût-elle libérale". Je me demande si au fond la démocratie peut s'épanouir sur un terreau autre que le libéralisme et donc si elle n'est pas libérale par essence. D'où selon moi l'erreur majeure de l'administration Bush d'avoir voulu "démocratiser" le Moyen-Orient avant qu'il ne se soit lui-même libéralisé.

4. Merci de suivre mes recommandations de lecture. Ce que tu dis est intéressant car il s'agit précisément de l'une des deux lacunes que je trouve au raisonnement (au demeurant remarquable) de Bastiat. La première est qu'il ne traite pas du problème des externalités, je ne sais pas s'il avait même conscience de ce problème à l'époque. La seconde, je te laisse la découvrir nous aurons peut-être l'occasion d'en reparler.

Je récuse l'idée de paternalisme quand il s'agit de traiter des externalités. Etre paternalisme, c'est dire que l'on connait mieux ce qui est bon pour un individu qu'il ne le connaît mieux lui-même. La ceinture obligatoire ou l'interdiction de conduire en état d'ivresse sur un chemin privé sont donc une forme de paternalisme. Mais cela est tout à fait différent quand on met en jeu la vie des autres, dès lors que l'on se trouve sur la voie publique. On n'interdit pas aux gens de boire parce qu'ils se font du mal à eux-mêmes mais parce qu'ils peuvent en faire potentiellement aux autres ! Il en va de même pour les problèmes de pollution.

Bastiat ne dit d'ailleurs pas que "les intérêts individuels sont naturellement harmoniques" mais, si tu as bien lu que "les intérêts individuels légitimes sont naturellement harmonique". L'ajout de l'adjectif légitime montre bien qu'il a conscience qu'une liberté totale laissée aux individus n'est pas souhaitable ni même possible.

Pour les idées d'articles suivant, ce sera plutôt "la discrimination", sujet très intéressant.

J'espère en tous cas que ce monopole public inefficace qu'est l'US Postal ne va pas tarder à m'apporter le livre de Comte-Sponville :-)

Vincent T. a dit…

1. L'origine publique ou non du monopole ne me paraît pas pertinente : dès que l'on rétablit les règles du jeu libéral, ces monopoles sont condamnés à disparaître. Si ce n'est pas le cas, c'est qu'il existe des états où on ne peut jamais converger vers l'état d'équilibre, ce qui remet en cause le fondement du libéralisme. Si c'est le cas, l'intervention est bien un paternalisme qui s'ignore, puisqu'elle force un mouvement naturel en supposant que les acteurs ne sont pas à même de le faire suffisamment rapidement.

2. Tu m'as mal compris : je n'ai pas démontré que le libéralisme n'était valable que pour les sujets économiques, j'ai juste constaté que nous étions d'accord sur la première étape du raisonnement, à savoir dire qu'il ne couvrait pas tout le spectre de la politique, donc n'était pas une doctrine politique complète. La restriction aux questions purement économique dépend fortement de ce que l'on met derrière libéralisme, et je pense que nous ne sommes pas d'accord sur ce point.

3. La démocratie s'est relativement bien épanouie dans l'Athènes antique, qui au passage n'accordait pas le droit de vote aux femmes et pratiquait assidûment l'esclavage. Soit une démocratie épanouie est nécessairement libérale, et dans ce cas le libéralisme s'accommode de l'esclavage, soit la démocratie peut vivre sans libéralisme ;)

4. Pour l'alcool au volant, si boire induisait automatiquement des morts, ton raisonnement se tiendrait. Mais en pratique, il ne fait qu'augmenter un risque déjà présent. Doit-on pousser à l'absurde ton principe de précaution qui fait que tout ce qui conduit à une augmentation d'un risque pour autrui doit être interdit ? Faut-il génocider les papillons pour éviter les mortels cyclones ? Pour la voiture, on peut condamner les chauffards meurtriers sans pour autant interdire l'alcool... Par ailleurs, conduire, même sobre, met en danger la vie d'autrui sur la voie publique. Faut-il interdire la voiture ? M'est avis que le seul argument qui tienne pour défendre la sobriété relative au volant est un argument paternaliste et moral : la voiture est essentielle, mais elle est dangereuse. On l'autorise, mais en essayant d'en restreindre au maximum les risques dans la limite du moralement acceptable, et on force ces restrictions par la lois, car sinon vous n'en tiendriez pas compte.

Enfin ton ajout de "légitime" montre surtout que sans morale, le libéralisme ne tient pas très longtemps ;)

Vive la République ! a dit…

@Vincent,

1. Le libéralisme propose la liberté des transactions entre acteurs privés : aucune intervention de l'Etat et donc aucun monopole public ne peut donc être considérée comme "naturelle" selon lui (seulement inévitable dans certains cas). La confusion vient certainement de mon propre emploi du terme "naturel" dans mon article qui n'est certainement pas le plus approprié à la discussion.

2. Je comprends mal où tout cela nous mène : existe-t-il une doctrine politique complète au sens où tu en parles ? Que nous disent les principes du socialisme pour la conduite d'une politique étrangère ou d'une politique culturelle ?

3. La démocratie athénienne tient-elle plus de l'aristocratie ou de l'aristocratie ? Les personnes qui y détenaient le pouvoir ne vivaient-elles pas dans un monde libéral. Les esclaves évidemment n'appartenaient pas à ce monde libre (par définition) mais ils ne participaient pas non plus à la démocratie Athénienne.

4. Sanctionner un comportement à risque ou sanctionner quelqu'un une fois qu'il a tué quelqu'un, cela revient au même que de se demander s'il vaut mieux faire de la maintenance préventive ou curative. La première se révèle bien souvent moins coûteuse (en vie humaine pour l'exemple qui nous intéresse). Donc l'intervention de l'Etat à ce niveau relève beaucoup plus de la recherche d'efficacité que du paternalisme. Pourquoi s'intéresse-t-on à cette question et pas à d'autres facteurs de risque ? Parce qu'il s'agit d'un domaine où il y a beaucoup de morts et où l'action de l'Etat peut se révéler particulièrement efficace pour les réduire.

5. Je suis totalement d'accord pour dire (avec toi ?) que le libéralisme est avant tout moral. Dire que les services échangés entre individus doivent se valoir, qu'est-ce, sinon de la morale ?

Vincent T. a dit…

1. Supposons qu'un monopole public ait existé, mais qu'on le privatise. On est ramené à un cas où il n'y a plus que des acteurs privés, cas qui aurait très bien pu être le point de départ de ton système. Supposes-tu que le monopole peut indéfiniment se maintenir dans un cadre libéral ? Si non, en quoi l'intervention ("Contrainte") est justifiée pour atteindre l'état d'équilibre ? (d'avance : un mal transitoire n'est pas une justification, cf. "Le Mal" de FB) Si oui, c'est très problématique...

2. Disons que les principes du socialisme ne s'opposent pas à une intervention pour défendre les droits de l'homme en un pays tiers, ou au à un rôle de mécène culturel (subvention aux scénaristes, aux compagnies de théâtres, de cirque). Ma vision du socialisme étant un peu moins rigide que la vision que tu as du libéralisme, elle se plie assez à l'air du temps, et peut épouser tout le spectre politique ;) Comme de toute façon, c'est juste une morale avec des principes légèrement différents, et que la morale a toujours son mot à dire...

3. Tu associais "la lutte obstinée contre la colonisation et contre l'esclavage" au libéralisme, et tu prétends désormais que si on considère que les esclaves athéniens étaient en dehors du monde libre, on peut rester libéral et garder ses esclaves ? Quant au caractère non-démocratique de l'Athènes post-Périclès, je te laisse défendre un peu plus ta vision "aristocratique" de la mère des démocraties modernes... mais sauf pirouette sémantique, je crains que ce ne soit mal parti ;)

4. La différence entre une machine et un homme te semble si ténue que tu compares les lois à la maintenance ? Contrairement à la machine, l'homme est supposé avoir un libre-arbitre, une capacité à l'empathie envers son semblable qui induit une Responsabilité (cf Bastiat). Pour cette dernière, la sanction naturelle est souvent suffisante, et la sanction légale ne doit être utilisée qu'avec parcimonie, uniquement quand elle a une plus-value indiscutable (toujours cf. Bastiat). Quand il y a meurtre, pas de doute. Quand on parle de probabilité supérieure de causer un accident (n'impliquant pas nécessairement autrui, ça peut être un platane), c'est nettement moins simple. Quand en plus tu observes que :
"le nombre important d’interventions législatives au cours des années 80 et l’intensification du volume des contrôles de ces dernières années ont permis de maintenir l’alcoolisation sur un équilibre stable mais ne l’ont pas fait disparaître." (http://www.etatsgenerauxalcool.fr/)
On finit par douter de l'efficacité suggérée : plus de moyens, plus de contraintes, même résultat...

Si tu regardes les études canadiennes, la consommation d'alcool augmente le taux d'homicide (sans voiture). Faut-il interdire l'alcool ? Cette consommation augmente aussi (de façon très nette) les cirrhoses du foie, les pancréatites et les cardiopathies ischémiques, payées via la Sécu par toute la société. Il serait très efficace, au moins économiquement et toutes choses égales par ailleurs (sic!), de supprimer ces causes de coût ou de mort, non ?

Mon problème de fond est que l'Etat - en libéralie - ne me paraît pas devoir rechercher une quelconque "efficacité" du fonctionnement de la société, mais uniquement mettre en œuvre les conditions minimales pour que cette efficacité puisse émerger "naturellement". Quand tu commences, pour des sujets un peu tangents, à imposer des contraintes au nom d'une supposée efficacité, je ne sais pas trop où ça s'arrête... en économie ça marche aussi ?

5. Zut, si on est d'accord, plus de discussion... Enfin c'est pas grave, si tu admets aussi qu'il n'y a pas qu'une morale, ça remet en cause l'argument de départ de Bastiat, à savoir que le libéralisme (l'unique) est légitime car il s'agit de l'organisation naturelle de la société. Si il y en a autant que de morale, on a juste décalé le problème : quelle libéralisme adopter ? Quelle morale ?

Vive la République ! a dit…

A partir de quand un échange doit-il prendre fin ? Certainement quand la valeur ajoutée critique (indéniable de mon point de vue au cours de ces 28 commentaires : record du blog battu) cède la place à des échanges plus rhétoriques.

Evidemment, il est délicat d'être juge et partie dans un débat de cette nature, c'est pourquoi cette réponse sera conclusive en ce qui me concerne, ce qui n'empêchera pas Vincent de répondre (ce dont je ne doute pas), en essayant toutefois d'éviter les éléments de relance.

1. Je reconnais bien volontiers qu'il y a conflit, au sein du libéralisme, entre un interventionnisme minimal et la lutte nécessaire contre ce qui entrave la liberté des échanges (en particulier les monopoles). Effectivement, le libéralisme ne part pas d'une page blanche, une histoire économique le précède. A long terme, il me semble cependant qu'un monopole qui abuse de sa situation dominante ne puisse pas se maintenir indéfiniment (comme tu le supposes) dans une économie libérale. Plus il imposera des prix élevés, plus il fera naître autour de lui des concurrents qui lui prendront des parts de marché, ou plus il incitera les consommateurs à s'orienter vers des produits de substitution. L'OPEP n'a par exemple pas intérêt à faire trop monter les prix du pétrole si elle veut éviter que les énergies alternatives ne se développent trop vite. Le premier choc pétrolier explique par exemple la politique nucléaire de la France qui se traduit à terme par un manque à gagner important pour les pays producteurs de pétrole.

2. En ce qui concerne la politique étrangère et culturelle, ce n'est pas le socialisme que tu défends mais un simple pragmatisme, qui pourrait s'accommoder de n'importe quelle doctrine politique. Le socialisme ne peut pas être qu'une réponse pragmatique à des problèmes qui surviennent, il doit démontrer une certaine unité intellectuelle, justifier ses actions politiques à partir de principes politiques et moraux.

En ce qui concerne les Droits de l'Homme, je me permets de remarquer qu'ils doivent plus au libéralisme qu'au socialisme pour la simple raison que les socialistes n'existaient pas au moment de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, contrairement à la bourgeoisie et à la noblesse libérale qui les ont promus. C'est donc assez amusant de dire que le libéralisme ne dit rien sur la politique étrangère et de lui "piquer" une idée pour en faire la base de la doctrine socialiste dans ce domaine.

Au-delà de la théorie, il est bon de juger la politique sur les actes : en quoi la RealPolitik chère à Hubert Védrine est-elle socialiste ? Je ne la condamne pas en soi (j'ai même tendance à préférer sa vision à celle du ministre en poste), mais elle est infiniment plus proche de la vision d'un Nixon (Républicain) que de celle d'un défenseur des Droits de l'Homme. Autre exemple, où est la cohérence en matière de politique étrangère quand les socialistes votent la censure du gouvernement qui sort la France du commandement intégré de l'OTAN et qui, 40 ans plus tard, votent la censure du gouvernement qui réintègre la France dans l'OTAN ?

Ma conclusion sur ce point est que si le libéralisme ne tient pas lieu, à lui seul, de politique étrangère, le socialisme est dans le même cas (voire pire). Il ne constitue donc pas une doctrine politique "plus complète".

Vive la République ! a dit…

3. Je parlais de rhétorique dans mon introduction, en voici la première illustration flagrante. Dans un échange précédent je dis que le libéralisme me semble être un pré-requis à la démocratie, c'est-à-dire que la liberté des échanges (liberté économique dirons-nous) est un pré-requis à l'exercice de la liberté politique. Tu me réponds qu'Athènes constitue un contre-exemple, ce qui ne me semble pas être le cas puisque ceux qui y exerçaient la liberté politique possédaient également la liberté économique au préalable (ce qui n'infirme donc pas ma thèse). Et voici que tu conclues que le libéralisme s'accommode de l'esclavage !

Histoire de s'amuser un peu, appelons "démocratique" tout ensemble constitué exclusivement de nombres pairs. Disons qu'un nombre est "libéral" s'il est divisible par 2. Ma thèse c'est que pour qu'un ensemble soit démocratique, il faut que tous ses éléments soient libéraux. Appelons "Athènes" l'ensemble des entiers inférieurs à 1000, composée d'éléments libéraux et d'éléments non-libéraux (qu'on peut appeler les "esclaves"), et la "démocratie Athénienne" qui ne contient que les éléments libéraux d'Athènes. Je dis que la "Démocratie Athénienne" vérifie ma propriété et tu me réponds qu'Athènes ne la vérifie pas, et pour cause : Athènes n'est pas une démocratie.

4. Un peu plus fort dans la rhétorique, voici que mon emploi de la métaphore de la maintenance fait de moi quelqu'un qui distingue à peine l'homme et la machine. Sur le fond, le libéralisme n'est pas un automatisme qui peut dire avec certitude que dans tel secteur il faut intervenir car le risque dépasse un certain seuil et que dans d'autres cas il ne faut rien faire. Je n'ai pas envie de rentrer dans le détail des problèmes de sécurité routière car cela nous éloigne du débat. Ce qui m'importe c'est de dire qu'une intervention de l'Etat en matière d'alcoolisme au volant peut être justifiée à partir de principes libéraux et que cela n'a rien d'un paternalisme. Cela ne veut pas dire qu’elle est nécessairement justifiée.

5. Accord relatif dirons-nous. Ce n'est pas parce que le libéralisme est moral et qu'il y a plusieurs morales qu'il y a plusieurs libéralismes. Le principe du libéralisme reste toujours essentiellement le même : la liberté des échanges permet que les services échangés se valent. Promouvoir la liberté est donc moral.

Il me semble avoir fait le tour, ne reste plus qu'à réfléchir à une nouvelle idée d'article qui suscitera peut-être également un débat aussi intense.

Vincent T. a dit…

Bon je réponds brièvement sur le seul point où nous pourrions converger sans disserter longuement, le 3.
Tu as prétendu deux choses qui me semblent en contradiction : le libéralisme a à son actif "le respect des minorités, la lutte obstinée contre la colonisation et contre l'esclavage" d'une part, et "la démocratie [...] est [...] libérale par essence". D'où on peut déduire, par ce que j'appellerais la logique mais que tu rapproches de la rhétorique : "la démocratie lutte pour le respect des minorités, contre la colonisation et l'esclavage" (?). Si tu n'acceptes comme démocratie qu'une démocratie libérale, c'est effectivement difficile à contredire vu que l'axiome de départ est ta conclusion. Si tu as une vision moins exiguë de la démocratie, et que tu acceptes que la IIIème République (colonisatrice) ou que l'Athènes antique (esclavagiste) en fassent partie, je pense que c'est nettement moins évident. Dans mon idée, une démocratie est une principe de fonctionnement qui n'exclue pas implicitement toutes les inégalités de traitement imaginables entre tous les individus (un jeune de 17 et 19 ans n'ont pas les mêmes droits, ça ne choque personne, il n'y a pas si longtemps, les jeunes hommes faisaient l'armée et les jeunes femmes non...). Ta démonstration mathématique me convient bien : appelons libérale une démocratie, et montrons que toute démocratie est libérale ;)

Pas la peine de s'approfondir sur le fait que le principe essentiel du 5. (promouvoir la liberté des échanges) peut difficilement s'appliquer au 4. (seule la morale, non universelle, sous-jacente le justifierait éventuellement), je risque de me faire taxer de sophiste... Et puis il y aura probablement d'autres articles pour s'y étendre !