04 juillet 2009

Le Grand Emprunt n’est pas une Grande Idée

Photo : Antoine Pinay

Au milieu d’une avalanche de lieux communs désormais baptisés « Guainismes », Nicolas Sarkozy a fait une proposition forte lors de son discours historique (?) devant le Congrès : l’Etat lèvera un Grand Emprunt, d’un montant inconnu, à un taux inconnu sur une durée inconnue, auprès de souscripteurs inconnus pour financer des projets inconnus. L’objet des mois à venir consiste pour le gouvernement à lever ces inconnues. Le flou est donc total pour l’instant, ce qui n’empêche pas de livrer quelques idées sur ce « Grand Emprunt ».

1. L’idée même de Grand Emprunt

Avant de rentrer dans les détails de financement, la première question à examiner est la légitimité de ce Grand Emprunt. L’Etat se propose, en effet, de disposer de l’épargne d’acteurs privés (particuliers français ou institutionnels) pour financer des grands projets d’avenir. Il va donc, par conséquent, affecter à un nombre colossal de ressources certains emplois particuliers. Comme l’a très justement fait remarquer l’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin : l’Etat est-il le mieux placé pour exercer cette tâche ?

Bien entendu, on nous a annoncé une grande concertation entre le gouvernement, les parlementaires, les partenaires sociaux ou encore les ONG, ce qui est mieux que rien, mais au maximum cela ne dépassera guère le millier de personnes qui auront un mot à dire sur le sujet. Ce millier de personnes utilisera donc l’épargne de plusieurs millions d’acteurs privés, ce simple chiffre devrait déjà nous faire réfléchir sur la perte en ligne potentielle d’information. Surtout, il est évident qu’un fonctionnaire, un parlementaire ou un syndicaliste n’ont pas avec l’argent de l’Etat, le lien étroit qui unit un acteur privé avec son propre argent : il y a donc fort à parier que les choix d’investissements retenus ne soient pas les plus pertinents en tous cas pas les plus productifs. Pour preuve, Michel Pébereau dans son rapport sur la dette, mettait en évidence que l’Etat surestimait systématiquement le retour sur investissement de ses dépenses productives. Enfin, si cet emprunt connaît un grand succès, il est susceptible de déstabiliser d’autres collecteurs d’épargne comme le Livret A qui sert à financer le logement social.

Surtout, au moment où chacun cherche à éviter que ne se développe de nouvelles bulles comme celle des subprimes, il est risqué de faire appel à l’Etat plutôt qu’au marché pour juger de la pertinence de grands investissements. En effet, le propre de l’économie de marché, ce n’est pas de générer des bulles (tous les systèmes en génèrent), mais c’est de les faire éclater. La crise des subprimes est la réponse du marché à une mauvaise allocation des ressources, notamment dans le secteur immobilier américain. Dès lors que ce n’est plus le marché mais l’Etat qui est à la manœuvre, il revient aux politiques et aux fonctionnaires de juger si les ressources sont correctement allouées ou pas. Bref, une nouvelle bulle serait générée que l’on ne s’en rendrait pas compte !

Bien entendu, comme l’Etat a une taille très importante et, donc, un grand pouvoir de marché, il peut estimer nécessaire de relancer la machine économique à son démarrage en mettant du carburant dans le moteur. Cette intervention prend d’autant plus de sens que les acteurs privés sont paralysés et n’osent plus réaliser le moindre investissement. Mais il y a un risque de cercle vicieux avec un effet d’éviction de la demande privée au profit de la demande publique, comme si l’économie privée toute entière était devenue une plante trop fragile pour se passer d’un tuteur, l’Etat. La deuxième justification possible d’investissements publics massifs, c’est le caractère risqué de ceux-ci. Il est clair que le parc nucléaire Français n’a pu se développer aussi rapidement que parce que l’Etat en était le garant au cours des années 70-80. Mais gare à l’idéalisation : un investissement risqué ce n’est pas quelque chose qui rapporte à tous les coups pourvu que l’on soit suffisamment « gros », c’est aussi un investissement qui peut échouer. Fort heureusement cela n’a pas été le cas pour le nucléaire car la politique énergétique de la France n’a pas varié depuis près de 40 ans, rien n’indique qu’il en ira de même pour d’autres projets à l’avenir.

2. La signification politique du Grand Emprunt

Beaucoup de bêtises ont été dites à propos de ce Grand Emprunt, mais la plus grande est certainement qu’il s’agirait d’une sorte de référendum sur la politique économique du gouvernement. En effet, ceux qui souscriront à l’emprunt ne jugerons pas cette politique, ils ne regarderont même pas la manière dont on se propose d’utiliser leur argent : ils considèreront simplement le taux d’intérêt qu’on leur propose. Pour le dire plus directement, j’ai beaucoup plus de chance de souscrire à un emprunt à 7% qui servira à creuser des trous puis à les reboucher qu’à un emprunt à 4% qui financera les biotechnologies.

Bien entendu, il ne faut pas sous-estimer le patriotisme des Français, dont certains seront prêts à apporter une partie de leur épargne pour aider leur pays à s’en sortir, ce qui pourrait s’apparenter (de très loin) à un soutien à la politique gouvernementale. Dans ce cas, il faudrait plutôt compter le nombre de Français qui souscrivent à l’emprunt que son encours.

En revanche, l’impact médiatique de cette opération est d’ores et déjà considérable : l’exécutif démontre ainsi sa volonté d’agir et de préparer l’avenir du pays. Si bien qu’on en est amené à se demander s’il ne s’agit du but essentiel de l’opération. Certains conseillers de l’Elysée ont du se dire : au lieu de faire ce que nous faisons tous les jours sur les marchés, emprunter, nous allons appeler cela Grand Emprunt, le proposer aux Français et réaliser ainsi une manœuvre politique de grande ampleur.

3. Le financement du Grand Emprunt

Venons-en au financement de ce Grand Emprunt, dont il semble presque assuré qu’il se fera, pour partie au moins, auprès des particuliers Français. Cette opération, qui rappelle les précédents Emprunts Pinay, Giscard ou Balladur (dont on dit qu’ils n’ont pas été très fructueux, en particulier l’emprunt Giscard), peut sembler étrange à une époque où les marchés financiers permettent à l’Etat de se financer sans aucun problème auprès d’acteurs institutionnels à des taux compétitifs, comme le prouve le graphique suivant :


Une première raison de solliciter les Français serait de leur demander un taux inférieur à celui du marché. Cela pourrait se faire en pariant sur le patriotisme évoqué plus haut, ce qui représenterait pour le coup une sorte de référendum sur le soutien à l’exécutif, mais il est très peu probable que le gouvernement prenne un tel risque. Une deuxième option, soufflée par le rapporteur du budget, le député UMP Gilles Carrez, connu pour son souci des finances de l’Etat, est celle de l’emprunt obligatoire pour les catégories les plus aisées de la population, mais cette idée a semble-t-il déjà était écartée par le Premier Ministre.

Ainsi, il semble probable que la formule retenue sera celle d’un taux proposé supérieur à celui du marché. Pour un emprunt de 5 ans, cela signifie un taux annuel supérieur à 2,8% soit environ 15% sur 5 ans. Dans ce cas, il en coûtera à l’Etat la différence entre le taux proposé et le taux de marché, ce qui se traduira par une nouvelle dégradation des finances publiques.

A moins que le succès attendu du Grand Emprunt permette de mobiliser des ressources inutilisées, les fameux bas-de-laine accumulés par les Français, surtout en période de crise. Personnellement, j’ai des doutes sur le caractère significatif de telles réserves (qui ne servent ni à la consommation ni à l’épargne) et surtout sur le fait que leurs propriétaires soient incités à les vider pour acheter des obligations d’Etat. Mais admettons…

Un peu de formalisme : soit A la fraction de l’emprunt E correspondant à ces ressources « bas de laine ». Soit T le taux proposé par l’Etat (sur la totalité de la durée de l’emprunt, avantage fiscaux inclus) et t le taux de marché pour une maturité équivalente. Enfin, soit P le taux de prélèvement obligatoires, c’est-à-dire la part du montant E qui reviendra dans les caisses de l’Etat via les impôts et les taxes. Alors, si l’Etat fait appel au marché, il lui en coûtera t*E en intérêts et s’il fait appel aux particuliers, il lui en coûtera T*E – P*A*E. L’opération sera donc rentable pour les finances publiques si, et seulement si, T – t – P*A < 0. Dès lors que T > t et que l’on suppose A marginal, on voit que cette condition est fortement improbable, même si le taux de prélèvements est élevé en France !

Conclusion

Il semble donc que l’idée de Grand Emprunt ne soit bonne ni dans son principe, ni dans le financement envisagé à ce jour. La seule chose qui la justifie véritablement est le « coup politique » qu’elle représente. Elle aura au moins un mérite : celui d’avoir ramené le PS sur le chemin de la rigueur budgétaire. En effet, ce parti qui proposait depuis des mois un nouveau plan de relance s’insurge aujourd’hui contre ce Grand Emprunt qui pourrait gravement endommager les finances publiques. Comme quoi il ne faut jamais désespérer de rien…

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