10 décembre 2007

La Fayette et Talleyrand au Panthéon


A l'occasion du 250ème anniversaire de la naissance du marquis de La Fayette, et après l'hommage que le Président de la République lui a rendu lors de son voyage aux Etats-Unis, beaucoup d'intellectuels et d'élus réclament qu'il entre au Panthéon. Cette idée est juste, mais elle le serait encore davantage si on choisissait de le faire entrer en compagnie de Talleyrand, illustre ministre des Affaires Extérieures sous le Directoire, le Consulat et l'Empire.

En effet, ce qui rapproche La Fayette et Talleyrand, c'est leur appartenance à la mouvance libérale qui a mené la Révolution Française de 1789 à 1792, période glorieuse où furent élaborées la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ainsi que la première Constitution démocratique de la France. Ils sont également deux symboles de l'opposition à la dérive jacobine que prend la Révolution et qui la conduit vers la Terreur de Robespierre. Enfin, leur amour de l'Amérique les rapproche : le premier ayant combattu auprès de Washington pendant la Guerre d'Indépendance, le second y ayant trouvé refuge sous la Terreur sans pour autant faire partie des émigrés puisqu'il avait réussi à obtenir un passeport de la part de Danton.


Mais plus que leurs points communs, ce sont leurs différences et leur complémentarité qui justifie leur entrée commune au Panthéon. La Fayette, c'est l'homme des principes et le hérault du libéralisme politique en France. Mais, alors même qu'à plusieurs reprises sa popularité lui aurait permis de prendre le pouvoir (que ce soit lors de la Fête de la Fédération ou en 1830 quand il préfère installer Louis-Philippe), il recule et n'a donc pas eu une influence politique à la hauteur de ses capacités. Talleyrand, c'est tout le contraire : à la manière d'un Jospeh Fouché, il a toujours su manoeuvrer pour être en position d'exercer le pouvoir. Député en vue à l'Assemblée Constituante, ministre du Directoire, ministre de Napoléon, ministre de Louis XVIII sous la Restauration et enfin soutient décisif de Louis-Philippe en 1830. Ce comportement pourrait être condamnable s'il n'était motivé que par l'ambition personnelle et l'ego, il l'est beaucoup moins quand on connaît les services que Talleyrand a rendu à son pays dans les victoires comme dans les défaites, en particulier lors de la négociation du Traité de Vienne où il a su préserver l'intégrité du territoire de la France pré-impériale. Plus qu'un homme d'idéaux, Talleyrand est donc un homme d'exercice du pouvoir et en particulier de la diplomatie. La Fayette et Talleyrand, ce serait donc le mariage de l'idéalisme stérile et de l'opportunisme fécond.

Plus fondamentalement, ces deux hommes font le lien entre l'Ancien Régime et la Révolution : ils savent tous deux que quelque chose de fort et d'irréversible est né en 1789, mais que cela ne suffit pas pour autant à effacer 1000 ans de royauté et d'histoire nationale. La Fayette, qui vient de la noblesse, accepte de défendre la cause du Tiers-Etat en réclamant une monarchie parlementaire. Talleyrand, qui vient du clergé, porte la Constitution civile du clergé c'est-à-dire le transfert des biens de l'Eglise vers la République. Ces hommes-charnières renvoient à la magnifique phrase de l'historien March Bloch : "Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais rien à l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims, ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération".

Faire entrer La Fayette et Talleyrand au Panthéon, c'est également reconnaître deux perdants de l'histoire. En effet, ni leur vision de la Révolution, ni leur soutien à une Monarchie Parlementaire libérale n'ont été pérennes. L'Histoire a tranché : la Révolution fut Jacobine et la France, dès 1848 Républicaine. Même s'ils ont fini l'un sur l'échafaud et l'autre en exil à Saint-Hélène, Robespierre et Napoléon sont des vainqueurs de l'Histoire. Leur influence se fait encore sentir à ce jour et l'immense majorité des Français, à laquelle j'appartiens, sont gré à ces hommes d'avoir installé cette République si particulière en France. Le sang qui a coulé n'a fait qu'enraciner dans l'inconscient national les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité, aussi perverties qu'elles aient pu l'être. Ainsi, faire entrer Talleyrand et La Fayette au Panthéon, ce n'est pas faire un pas vers la réaction, mais rendre hommage à ce libéralisme politique, qui fait également partie de l'histoire nationale, même s'il ne s'y est jamais durablement imposé.

De toute façon, les grands idéaux républicains seront toujours bien gardés au Panthéon : Carnot veille !

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