02 janvier 2011

Racisme, culturalisme, xénophobie

On le sait, certains sujets sont tellement glissants qu’on préfère éviter de les aborder. Cette stratégie d’évitement conduit inéluctablement à un décalage croissant entre le discours et la réalité, à force de détours sémantiques et d’euphémisations. Il en est ainsi de tout ce qui touche à la diversité culturelle et ethnique. Disons-le tout de suite, le tabou qui entoure ces questions a de très bonnes raisons d’être : en effet, le XXème siècle nous a appris jusqu’à quelles atrocités la stigmatisation de l’ « autre » pouvait conduire, et il serait naïf de croire qu’en la matière l’Histoire a servi de leçon. A l’inverse, agiter le spectre des années trente dès lors que le sujet est abordé est aussi absurde que contre-productif.

Le problème qui me semble se poser aujourd’hui, c’est que l’antiracisme est sorti de son lit, c’est-à-dire que le discours qu’il véhicule dépasse son objet direct. En plus de dénoncer avec raison l’inégalité des hommes selon leur origine ethnique, l’antiracisme d’aujourd’hui tend à nier l’influence que la culture d’origine peut avoir sur un individu et fait reposer l’ensemble des difficultés de coexistence multiculturelle sur la discrimination dont les minorités seraient victimes. Dès lors, un amalgame se créé entre racisme, xénophobie et culturalisme. Il me semble nécessaire de remettre un peu d’ordre dans ces notions et de préciser ce qui me semble être le discours à tenir sur ces sujets.

1. L’origine raciale ne joue qu’un rôle marginal dans le comportement et les facultés des individus

Tel me semble être le principal axiome de l’antiracisme. Pour le dire autrement, l’homme est avant tout un être épigénétique c’est-à-dire que son identité est d’abord intellectuelle, sociale et culturelle. Bien entendu, on ne peut pas dire que l’origine raciale ne joue aucun rôle sur les facultés d’un individu (il suffit de penser aux performances sportives par exemple ou aux différences manifestes entre les hommes et les femmes), il s’agit juste de dire qu’entre le développement pré-natal (génétique et plus généralement biologique) et le développement post-natal (éducatif, social, culturel), c’est le second qui est le plus déterminant sur la construction de l’individu. Cette caractéristique est certainement propre aux espèces évoluées qui se soustraient peu à peu de la sélection Darwinienne en remplaçant le milieu extérieur biologique par un milieu extérieur social et culturel.

Il faut souligner que cette thèse minimale de l’antiracisme ne va pas de soi. La domination du monde à partir du XVème siècle par les Européens a fait naître dans l’esprit de beaucoup de personnes (aujourd’hui encore) l’idée que l’homme blanc était supérieur aux autres races. Il est utile de lire l’ouvrage génial de Jared Diamond « Guns, Germs and Steel » pour la chasser définitivement de son esprit. Ce livre qui tente d’expliquer les réussites diverses des civilisations depuis la dernière ère glaciaire commence par une interpellation crue : celui qui n’arrive pas à apporter une explication au fait que les aborigènes n’ont pas réussi à construire une civilisation développée alors que les européens, en s’installant sur la même terre y sont parvenus ne peut pas exclure la thèse raciste. Tout l’objet du livre est précisément d’apporter une réponse argumentée, ce qui en fait un puissant plaidoyer antiraciste.

Pour résumer, il explique que des civilisations séparées (ce qui était le cas pour faire simple de l’Eurasie+Afrique du Nord, de l’Amérique, de l’Afrique sub-saharienne et des multiples îles de l’Océanie avant que ne se développe la navigation hauturière) n’ont aucune raison d’avancer au même rythme puisqu’elles sont soumises à des contingences multiples et que dans ces conditions, ce sont les zones les plus peuplées, les plus vastes et dotées des espèces animales et végétales les plus variées qui ont le plus d’atouts. Diamond explique qu’à ces critères il faut en ajouter un autre : l’orientation Est-Ouest de l’Eurasie qui facilite le développement des espèces végétales les plus productives (puisqu’il se fait à iso-latitude) alors que l’Amérique comme l’Afrique sub-saharienne sont orientées Nord-Sud.

2. Les individus ne sont pas déterminés par leur environnement

Ce second axiome, qui a une portée plus humaniste qu’antiraciste, consiste à reconnaître la prépondérance du libre-arbitre sur les influences extérieures qui peuvent s’exercer sur l’individu et sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir. Pour le dire autrement, l’individu prime sur le groupe, qu’il soit social, ethnique, politique, sexuel ou culturel. Si cela ne doit pas conduire à une vision totalement individualiste de la société, cela exclut de fait les conceptions trop holistes qui font primer la communauté, la famille, la classe sociale, l’orientation ou le genre sexuel sur les individus qui les composent.

De ce fait, tous les discours (essentialistes) qui prétendent que « les Noirs sont comme ci » ou « les pauvres sont comme ça » doivent être dénoncés avec force, de même que ceux qui prétendraient définir comment sont les Blancs ou les riches. Si les questions politiques et économiques sont si complexes, c’est en grande partie parce que les individus ne sont pas réductibles à de grands groupes homogènes qui aimeraient, feraient et penseraient la même chose.

Le discours politique doit également mettre en valeur la volonté individuelle face à toute forme de détermination. Ne pas le faire pourrait conforter certains individus dans une forme d’irresponsabilité en rejetant tous leurs problèmes individuels sur la société, ce qui constitue un équilibre instable. La croyance dans la volonté individuelle et dans le mérite personnel est un élément de base de la société : c’est une nécessité plus qu’un constat.

3. En plus de l’influence sociale, il existe une influence culturelle

Si l’individu n’est pas déterminé par son environnement (axiome 2), il peut être influencé par lui. Cette influence est même prépondérante sur l’influence génétique ou raciale (axiome 1). Mais de quelles influences parle-t-on ? Très souvent, on se cantonne à l’influence sociale : effectivement, la segmentation entre chômeurs, retraités, cadres, ouvriers et techniciens est souvent très utile pour saisir certains faits sociaux. Les taux de réussite scolaire et les taux de délinquance, pour ne citer que deux exemples abondamment commentés, diffèrent ainsi significativement suivant ces groupes sociaux. Cette influence sociale est reconnue par tous, le seul débat, qui distingue peut-être entre la gauche et la droite, concerne le poids de cette influence par rapport à la volonté individuelle.

En revanche, les choses se compliquent dès que l’on parle d’influence culturelle, et l’accusation de racisme n’est jamais très loin. C’est pourtant ce que vient de mettre en évidence Hugues Lagrange, sociologue au-dessus de tout soupçon (de gauche, qui a travaillé dans les quartiers sensibles pendant une dizaine d’année, opposé au durcissement de la politique de l’immigration…) dans son essai « Le déni des cultures » qui a fait couler beaucoup d’encre. Si l’on résume la partie de son ouvrage qui concerne la délinquance, il est fait état qu’au sein des mêmes classes sociales, la proportion d’auteurs d’actes de délinquance est plus élevée chez les Maghrébins, les Turcs et les Noirs hors Sahel que chez les Français autochtones et les Européens et qu’elle est encore plus élevée chez les Sahéliens.

Il n’est pas question de stigmatiser telle ou telle communauté dans cette étude mais plutôt de montrer comment des différences culturelles (nombre d’enfants par femme, place de la femme dans le foyer, structure familiale…) peuvent être des facteurs explicatifs, en plus de la seule analyse par classe sociale, de phénomènes sociaux comme la réussite à l’école ou la délinquance. Cette part explicative est d’autant plus importante que la culture d’origine et la culture du pays d’accueil diffèrent et elle perdure d’autant plus que se constituent des ghettos urbains où la proportions d’immigrés provenant de la même zone géographique est très importante.

Au-delà des informations que cette étude révèle il faut retenir que les cultures existent et qu’elles influencent, à travers une langue, une religion dominante, une structure familiale typique,… le comportement des individus, au même titre que la condition sociale. Une simple introspection permet de soutenir cette thèse pourtant si contestée par nombre de sociologues : est-ce que j’aime l’opéra parce que j’appartiens à la classe des cadres ou parce que je suis de culture française ? Vraisemblablement un peu des deux, explications auxquelles il faut bien évidemment ajouter ma propre inclination personnelle car beaucoup de cadres français autochtones n’aiment pas l’opéra.

Dès lors il faut reconnaître que les cultures ne se mélangent pas sans efforts, que leur coexistence peut faire naître des frictions qui ne peuvent être intégralement expliquées par l’intolérance de la culture d’accueil.

4. Les influences sociales et culturelles ne sont pas stables dans le temps

Il faut aller plus loin dans l’analyse, jusqu’ici nous avons dit que le comportement et les facultés d’un individu s’expliquent principalement par sa volonté personnelle ainsi que par des influences sociales et culturelles et assez peu par sa condition biologique. Mais il ne faut pas prendre les influences sociales et culturelles comme des données intangibles qui ne seraient pas susceptibles d’évoluer dans le temps. Les cultures, comme les structures sociales, sont vivantes, elles évoluent, parfois de concert, parfois indépendamment l’une de l’autre. Ces évolutions peuvent être positives comme négatives et ne sont pas guidées par un quelconque « sens de l’Histoire » qui fournirait une forme de méta-explication.

Pour prendre un exemple précis tiré de l’étude d’Hugues Lagrange, rien ne dit que le taux de fécondité des femmes d’origine Sahélienne (aujourd’hui proche de 7) ne baissera pas pour rejoindre un niveau comparable aux cultures européennes ou maghrébines (plus proche de 2), ce qui aura des répercussions sur les structures familiales, la réussite scolaire des enfants et les taux de délinquance observés. Notons également que rien ne dit que la culture des immigrés Sahéliens en France ne se distingue pas progressivement de la culture d’origine Sahélienne sans nécessairement se fondre dans la culture française.

5. La xénophobie en Europe

Si le phénomène récent marquant dans les cultures musulmanes a été un durcissement réactionnaire, face à une certaine modernité occidentale, l’Europe de ces dernières années a été le théâtre d’une montée progressive de la xénophobie, que l’on peut constater avec l’augmentation des scores des formations dites d’extrême droite. Je pense que cette xénophobie a très peu à voir avec le racisme tel que défini dans cet article. La xénophobie, c’est la peur de l’étranger ou également la peur d’une culture différente, ce n’est pas un sentiment de supériorité raciale. Trois tendances de fond me semblent expliquer cette situation.

Tout d’abord, la globalisation s’est traduite par une intensification des phénomènes migratoires du Sud vers le Nord : l’Europe fait donc face à une augmentation significative sur les dernières décennies du nombre de ses habitants de culture non-autochtones.

Ensuite, contrairement à ce que beaucoup attendaient, la globalisation ne se résume pas à une occidentalisation du monde : si le modèle économique libéral et le mode de vie occidental tendent à se répandre sur toute la surface de la planète, on remarque que sur de très nombreux points, les différences culturelles à l’échelle mondiale ne vont pas en s’effaçant. On pourrait même dire que certaines formes de radicalisation sont interprétables comme une réaction à cette culture occidentale mondialisée.

Enfin, la civilisation européenne n’est plus sûre d’elle-même : elle souffre du phénomène de rattrapage économique des pays émergents (rattrapage qu’elle avait elle-même connu après la seconde guerre mondiale) qui vient diluer sa richesse et son influence. On ne demeure pas la zone du monde avec la croissance la plus faible pendant dix ans sans conséquences. Ce sentiment de déclin rend plus difficile l’intégration de cultures différentes, non pas en raison d’une haine de l’étranger mais parce les européens ne sont plus sûrs de la force de leurs valeurs et que certains craignent qu’elles ne soient pas de taille à lutter contre les valeurs des cultures arrivantes. C’est ce qui explique selon moi le durcissement laïc observé, principalement en France, ces dernières années : il s’agit de défendre des valeurs fortes (au risque de bomber un peu trop le torse parfois) face à l’Islam dont on craint la force (en particulier depuis 2001).

Pour résumer, l’Europe doit intégrer un nombre important de personnes dont la culture d’origine ne se rapproche pas nécessairement de la culture européenne, tout en affrontant une crise civilisationnelle qui diminue la confiance qu’elle a en ses propres valeurs. Il y a là tous les ingrédients pour expliquer la montée xénophobe en Europe. Comme ces causes sont profondes, il est probable que ce phénomène le soit lui aussi, et qu’il ne suffira pas de dire aux Européens qu’ils votent mal ou qu’ils sont intolérants pour le résorber. Ce phénomène se distingue également de ce qu’on a appelé auparavant l’extrême-droite et qui était avant tout un mouvement conservateur et populiste, assez proche du mouvement des Tea Party aux USA. Cette fois, c’est le caractère réactionnaire des cultures immigrées qui est dénoncé, au nom d’une certaine culture européenne libérale et laïque (un exemple est le parcours politique de Pim Fortuyn aux Pays-Bas).

Conclusion

L’antiracisme, en tant que négation des différences de facultés ou de comportements des individus en fonction de leur origine raciale, est une grande idée qu’il faut à tout prix défendre. Elle ne saurait cependant se confondre avec un anticulturalisme qui nierait l’influence que la culture d’origine peut avoir sur le comportement individuel. Ces influences culturelles, au même titre que les influences sociales, évoluent dans le temps, elles sont en particulier affectées par le grand phénomène de notre époque : la globalisation. Celle-ci rapproche géographiquement ces cultures les unes des autres sans en faciliter pour autant la coexistence. C’est fort de ce constat que des politiques d’intégration doivent être pensées en Europe (tâche délicate à laquelle je ne me suis pas attelé dans cet article) et non pas en se focalisant sur une intolérance de type raciste qui existerait en soi et qui déboucherait sur une montée des discriminations. S’arrêter à l’intolérance, c’est refuser de remonter toute la chaîne causale et en quelque sorte refuser de résoudre le problème que l’on dénonce.

10 commentaires:

Seb_M a dit…

Merci d'aborder avec prudence ce beau sujet - la fin de l'article me laisse toutefois sur ma faim : proposes-tu des actions concrètes ?
(facile de poser les questions...)

Kévin a dit…

Comme d'habitude très bon post, bravo.
Ce qui est remarquable avec cet antiracisme qui glisse dans le déni des différences culturelles, c'est que l'on pourrait y voir la même volonté qu'a eu la 3ème République de créer un état-nation lisse, sans différences apparentes et moderne.
Quelques explications :
A mon sens, les politiques d'intégration des années 60-70 ont pu naïvement croire que les immigrés allaient faire fi de leur culture et adopter la modernité comme ont pu le faire les français un siècle plus tôt. En effet, la Troisième république s'étant efforcer de gommer tous les particularismes locaux (us et coutumes, patois, etc.) pour faire entrer la France dans la modernité, nombre de français ont perdu leurs cultures et leurs racines. Cette perte, si elle n'a pas été trop destructive au niveau des individus, s'est révélée assez destructrice d'un point de vue collectif, puisqu'elle a engendré ce "système" qui n'a pas grand chose à faire des aspects sociaux et environnementaux de notre pays.
A mon avis, nombre d'immigrés et leurs enfants refusent individuellement ou plutôt "communautairement" aujourd'hui ce que les français ont du accepter collectivement hier. Aussi, est-il possible que certaines personnes soient racistes du fait qu'ils n'acceptent pas que des gens puissent ne pas accepter ce qui leur a été imposé.
Il est certain que nier les différences culturelles et associer la mise en avant d'une différence à de la discrimination ne résoudra en rien le problème. Il nous faut aujourd'hui comprendre les différences, les accepter et les intégrer plutôt que de vouloir un pays lisse sans contrastes. Mais pour les accepter aux niveaux communautaires, il faudra certainement aussi accepter les différences régionales ce qui comprend une adaptation à l'environnement plutôt qu'une adaptation de l'environnement au système théorique que j'ai pu dénoncer dans un commentaire précédent.

Boris a dit…

Salut Vincent,

Merci pour cet article très intéressant!

A sa lecture (bon, depuis plus longtemps en fait), je me pose une sérieuse question : c'est quoi, le racisme ?

"le racisme tel que défini dans cet article" : je ne vois pas vraiment où tu l'as défini :)

Parce que tu parles d'antiracisme, mais sans avoir donné une définition réellement précise du racisme. Ce qui peut sembler aller de soi, mais justement il y a eu un vrai glissement de sens.

Le racisme, à la base, ce n'est pas, me semble-t-il, de postuler l'existence de "races", mais de postuler l'infériorité/la supériorité de certaines par rapport à d'autres.

Mais est-ce que le simple fait de parler de "races" fait de quelqu'un un raciste ? En France, de plus en plus. Aux Etats-Unis, pas du tout!

On entend souvent dire "Les noirs courent plus vite" (par exemple). Est-ce raciste ? Je vois plusieurs réponses possibles :
- c'est raciste, car on s'intéresse, une fois de plus, aux caractéristiques physiques des noirs. Pourquoi l'exemple n'est-il jamais "Les blancs grossissent plus facilement" ? Indirectement, le simple fait de poser la question contribue au racisme.
- c'est raciste, car c'est scientifiquement infondé
- c'est raciste, car cela met en avant des caractéristiques selon des critères liés à la notion de "race", et la question de savoir si c'est vrai ou pas n'est pas pertinente
- (ressemble au point précédent) c'est raciste, car cela postule une caractéristique (statistiquement vérifiable ou réfutable) d'un groupe d'individus dont la seule pertinence/homogénéité est la couleur de peau, ce qui n'a pas de sens (et pourquoi pas "les Chinois + les Français sont en moyenne plus bridés que le reste du monde", c'est statistiquement vrai... mais cela paraît moins pertinent car il n'y a pas de critère "qui saute aux yeux" pour définir comme un groupe homogène Chinois+Français, contrairement à la couleur de peau qui paraît un critère de classification "évident", et qui pourrait donc relever dans cette acception du qualificatif 'raciste')
- ce n'est pas raciste, puisque cela ne porte aucun jugement de supériorité ou d'infériorité sur une "race".

La question me paraît éminemment d'actualité avec le procès de Zemmour. Ce qu'il a dit (je pense surtout à son grosso modo "il est normal de contrôler plus les arabes et les noirs puisqu'ils sont plus délinquants"), est-ce du racisme ? C'est très difficile à dire...
- non, puisqu'il ne fait qu'énoncer une loi statistique (vraie ou fausse)
- oui, car ce genre de propos colporte l'idéologie raciste, quelque soit sa véracite éventuelle (mais alors, tout propos récupérable doit être proscrit ?)
- oui, car il énonce une généralité s'appuyant sur le concept de races (si l'on considère que c'est du racisme)
- oui, car certains pensent savoir ce que Zemmour sous-entend en disant cela (idéologie raciste supposée de l'auteur des propos)
- oui, car le propos est suffisamment confus pour confondre causalité (l'arabe ou le noir, par essence, est un délinquant en puissance) et corrélation (étant souvent défavorisés, ils sont de fait plus délinquants), et oublier les engrenages de type contrôlé plus/plus délinquant.

En tout cas, on voit bien que le politiquement correct rend les débats très difficile, et rend l'analyse même de ces interdits très difficile. On ne sait plus vraiment ce qu'on peut dire ou pas, ni pourquoi on peut le dire ou pas...

Je pense que cela mériterait un article de blog :) Même si effectivement, c'est un point plus détaillé par rapport au niveau plus "sociétal" auquel tu veux mener ton analyse (mais je pense que s'intéresser simplement au racisme permet, en passant à l'antiracisme qui fait aujourd'hui autorité sur ce qui relève du racisme ou pas, d'analyser certains aspects sociétaux).

Vive la République ! a dit…

@Tz'1,

L'étude de Lagrange montre des disparités très fortes au sein des différentes cultures, même quand il corrige avec la classe sociale (P147 de son livre).

@Seb_M,

Difficile de proposer des actions concrètes, d'où le fait que j'en reste à l'analyse pour l'instant. La crispation identitaire vient à la fois de facteurs conjoncturels (chômage élevé qui va souvent de pair avec une montée de la xénophobie) et de cette lame de fond structurelle que j'ai tenté de décrire dans l'article (le déclin relatif de la civilisation européenne qui lui fait douter de ses propres valeurs). Ces deux facteurs appellent deux types de solutions : il est presque évident qu'une amélioration de la conjoncture économique, en particulier du chômage, calmera la tension, il faut donc trouver les bonnes politiques économiques, ce qui n'est pas une mince affaire.

Mais à mon avis cela ne suffira pas à enrayer le mouvement de fond qui appelle un double effort de la classe politique à mon avis : 1) définir quelles sont les valeurs européennes 2) les affirmer sans les dénaturer et en faisant preuve de tolérance vis-à-vis des autres systèmes de valeurs.

Le problème c'est qu'il est dans l'identité culturelle de l'Europe de souhaiter une portée universaliste à ses propres valeurs (la constitution de 1793 qui rend Français tous les orphelins du Monde est un exemple magnifique) : comment, dès lors, concilier universalisme et relativisme de notre propre système de valeurs ?

Droits de l'Homme, égalité homme/femme, laïcité, libéralisme politique, démocratie... Telles me semblent être les valeurs européennes : je pense qu'il faut assumer une défense subjective, je dirais même sentimentale, de ces valeurs.

Le piège à éviter, en tous cas, c'est que certains partis politiques défendent d'autres valeurs comme l'origine ethnique ou la religion. C'est une chose de dire que le christianisme a contribué à forger l'identité culturelle de l'Europe, s'en est une autre, que je condamne, que de dire que seul le christianisme est compatible avec les valeurs européennes.

Vive la République ! a dit…

@Kevin,
On pourrait répondre qu'il est dans l'identité culturelle de la France que de vouloir construire un système de valeurs abstrait et de portée générale. A mon avis, cela n'est pas incompatible avec l'acceptation des différences que vous prônez, mais certains principes peuvent avoir une portée supérieure et s'imposer à tous les particularismes (laïcité, égalité homme/femme, droits de l'homme et libéralisme politique cf. mon commentaire précédent).

Vive la République ! a dit…

@Boris,
J'ai l'impression de donner une définition assez claire du racisme dans l'article : dire que les facultés (intellectuelles) et les comportements des individus s'expliquent en grande partie par la génétique. Du coup, l'antiracisme au sens strict pour moi revient à considérer que l'homme est avant tout un être épigénétique. Je dis "avant tout" car il est évident que la génétique joue tout de même un rôle, j'y reviendrai.

Je reprends ton exemple "les noirs courent plus vite que les blancs". Pour moi ce propos est tout d'abord une évidence. Si on n'a pas le droit de dire cela, alors on n'a pas le droit de dire que les noirs sont discriminés à l'embauche en France : dans les deux cas on s'appuie sur un ensemble de données statistiques assez nettes ! Ce propos n'est à mon sens pas raciste, même s'il parle de "facultés", parce qu'il s'agit de facultés physiques et pas intellectuelles. La constitution des fibres musculaires a peu à voir avec l'éducation ou la culture, cela ne me choque pas d'invoquer la génétique dès lors. Effectivement, il faudrait raffiner l'analyse pour savoir si ce sont les noirs qui courent plus vite ou bien certaines ethnies plus précises et que les gens généralisent ensuite parce qu'ils ne retiennent que la couleur de peau comme critère.

En ce sens la démonstration de Lagrange est éclairante : il prend les chiffres de la police pour les actes de délinquance, donc tout le monde l'attend au tournant pour dire "la police discrimine les noirs donc c'est normal qu'elle trouve plus de délinquants parmi eux". Sauf que pour un policier lambda, quelqu'un d'origine Ivoirienne ou Sahélienne c'est un noir, discriminé de la même manière, or il y a une vraie différence entre ces deux groupes quand on regarde les taux de délinquance. Donc la définition du groupe est effectivement très importante.

Vive la République ! a dit…

@Boris (bis),
J'en viens à l'affaire Zemmour qui est selon moi scandaleuse. Je répète que je déteste ce type (cf. mon article sur l'esprit de système), mais il a de mon point de vue parfaitement le droit de dire ce qu'il a dit. D'une part cela me paraît assez juste, comme l'atteste l'étude de Lagrange, les propos de Bilger ou ceux de Chevènement. D'autre part si on commence à condamner les gens, non pas sur ce qu'ils disent, mais sur la façon dont ce qu'ils disent peut être comprise, alors ça devient complètement kafkaïen ! Surtout, depuis quand a-t-on besoin d'une étude scientifique avant d'exprimer une opinion ? Bientôt avant de dire qu'il est difficile de rouler sur le périph à 9h du matin il faudra attester d'une étude de trafic prouvant ce propos ! On marche complètement sur la tête : le fait que la procureure ait requis contre lui est tout simplement scandaleux. Si le jugement suit cette requête alors ce sera du pain bénit pour le FN qui gagnera 5 points dans les sondages !

Boris a dit…

Sur Zemmour, je suis 100% d'accord avec toi. C'est très grave ce qu'il se passe actuellement (et j'ai pourtant comme toi une sympathie fort mesurée pour le personnage).

"Effectivement, il faudrait raffiner l'analyse pour savoir si ce sont les noirs qui courent plus vite ou bien certaines ethnies plus précises et que les gens généralisent ensuite parce qu'ils ne retiennent que la couleur de peau comme critère." : tu sembles en faire un point secondaire. Mais c'est à mon avis un point fondamental pour définir une acception plus large de la notion de "racisme".

Et enfin, un petit détail : "Si on n'a pas le droit de dire cela, alors on n'a pas le droit de dire que les noirs sont discriminés à l'embauche en France ". Je vois parfaitement où tu veux en venir, mais l'explication n'est pas très convaincante. La création d'une catégorie imaginaire peut avoir des effets réels, dont on peut avoir le droit de parler!

Anonyme a dit…

Juste un petit lien connexe avec le sujet.
De la meme maniere que les cultures sont niees au nom de l'antiracisme, l'existence meme des races est souvent niee, avec des affirmations peremptoires indiquant une impossibilite suposee de la definir a partir des genes.

Voici un petit graphe qui demontre pourtant le contraire :
http://infoproc.blogspot.com/2008/11/human-genetic-variation-fst-and.html


La aussi, le veritable anti-racisme n'a rien a gagner a precher quelque chose de materiellement faux et a excommunier a tout va... et pourtant c'est chose commune !

Nicolas a dit…

@Seb et Vincent



Parmi les différents scénarios envisageables, l’auteur propose de favoriser une mixité sociale sans diversité culturelle. On assiste à l’émergence d’une nouvelle classe montante issue de l’immigration qui choisit de quitter les cités pour aller s’installer non loin dans des zones moins dégradées et dotées d’écoles ayant meilleure réputation et de meilleurs résultats. Il faudrait donc pouvoir capter cette « élite sociale », voire favoriser sa promotion interne. Pour cela, deux leviers sont possibles : l’emploi et l’offre institutionnelle. Les emplois aidés à destination des femmes peu scolarisées ont des effets bénéfiques sur les résultats scolaires. Cette politique de soutien à l’activité féminine est déjà forte parmi les femmes sahéliennes, là où l’on observe un retrait des femmes maghrébines, et alors que l’emploi est en baisse dans les quartiers de référence. On peut y voir la volonté d’une orientation vers le monde à travers l’implication professionnelle, non pas une « affirmation d’autonomie de type néoféministe », mais « la trace d’une volonté d’améliorer les perspectives de réussite de leur famille » (p. 302). Afin de faciliter ce type d’attitude, Lagrange préconise des mesures d’emporwement consistant à accroître les capacités de réalisation des femmes. Encore faut-il outrepasser les dilemmes de l’autonomie vulnérable, apporter un soutien matériel sans briser la dynamique familiale.



Il ne suffit pas de juger des mesures en fonction de leur orientation sans prendre en compte leur mise en œuvre et les effets qu’elles produisent réellement sur les bénéficiaires. Le bilan des politiques d’intégration tant sociale et culturelle que politique mises en œuvre depuis les années 1990 a montré leurs limites. Parler d’« inclusion », c’est considérer que l’intégration peut se faire sans nier les différences culturelles, la participation économique sans désaveu des loyautés communautaires, par hybridation. Le maître mot est celui de reconnaissance. Il s’agit de procéder à des changements dans les modes de représentation afin d’accueillir dans notre système des cultures différentes et les minorités visibles. Lutter contre les discriminations indirectes ne suffit pas. L’excès de distinction des communautés interroge, en particulier en Grande-Bretagne. Ce pays est allé très loin dans le séparatisme ethnique. « Entre le déni des minorités culturelles qui caractérise les discours laïques classiques et les cours arbitrales qui appliquent les dispositions de la charia, il existe d’autres voies » (p. 327).



Rapporter la misère sociale à l’origine culturelle serait céder au « culturalisme » [8]. Mettre l’accent sur les différences culturelles serait imputer les problèmes à ceux qui les subissent le plus. Dénoncer le déni des cultures, ce serait contribuer au déni des discriminations. Or Lagrange se garde bien de ce type de ce type de raccourci. Il inverse l’imputation de causalité en soulignant que les problèmes de socialisation des familles sahéliennes résultent au moins autant, sinon plus de la crispation de la société d’accueil que des comportements des migrants ; que ceux-ci ne sont pas fixés par la culture d’origine, essentialisés, mais qu’ils peuvent évoluer en jouant sur les bons leviers. Certes, tenir les deux bouts de la chaîne n’est pas simple. Le livre n’est pas dénué d’ambivalence lorsqu’il amène à considérer les positions des migrants du Sahel et de leurs enfants comme le produit d’un héritage culturel et le produit d’un double processus de ségrégation sociale et ethnique, plutôt que comme l’expression d’un rapport de domination produit et reproduit par les institutions et le racisme. Néanmoins, il conduit à prendre en compte des réalités sociales dont les « élites » semblent aujourd’hui totalement déconnectées en France. En un mot, il contribue à faire la sociologie de la société telle qu’elle est et non pas telle que nous voudrions qu’elle soit.