05 décembre 2010

Non, la politique n'est pas un théâtre

On dit le peuple français épris de politique. Pourtant, à suivre l’actualité de ces derniers mois, il semble que ce soit plutôt le théâtre politique qui intéresse les Français et les médias. An nom de la Politique avec un grand « P », on néglige complètement les politiques qui sont concrètement menées. Ce n’est pas la lutte contre chômage, contre l’insécurité, la politique d’éducation, la politique judiciaire ou encore le positionnement international de la France qui fait débat, mais le spectacle souvent navrant de protagonistes appelés « responsables politiques » et qui s’affrontent sur la scène médiatique dans le but final d’accéder au pouvoir.

La vie politique française semble se résumer, particulièrement depuis 2007, à une série de matchs : Sarkozy contre Fillon, Fillon contre Copé, Copé contre Bertrand, Fillon contre Borloo, Villepin contre Sarkozy, Bayrou contre Sarkozy, Royal contre Aubry, Royal contre DSK, Hamon contre Hollande, Mélenchon contre Besancenot, sans oublier le traditionnel affrontement droite contre gauche, dont il faut considérer comme un axiome de la vie politique française qu’il va de soi. Rien de très nouveau me dira-t-on par rapport aux guerres précédentes entre Chirac et Balladur ou entre Mitterrand et Rocard, sauf que cette fois ci, c’est sur le caractère ou le fameux « style » des différents protagonistes que le débat semble porter.

En effet, qu’est-ce qui, dans la politique menée, distingue Sarkozy et Fillon ? Rien si ce n’est que le premier serait un excité et le second un sage. Quelle est la différence de positionnement politique entre Martine Aubry, Ségolène Royal et DSK ? Personne ne sait vraiment, à moins que la première soit légèrement plus à gauche que la seconde, elle-même un peu moins à droite que le troisième. Le problème, c’est d’expliciter ce que cela signifie « être plus à gauche », préoccupation qui passe au-dessus de la tête de nos commentateurs politiques qui vont même jusqu’à raffiner la zoologie politique jusqu’à définir sans difficulté la « famille centriste » qui se voit parfois accoler l’adjectif « humaniste » et qui aurait été malmenée lors du dernier remaniement car ses leaders, Jean-Louis Borloo en tête, ont été écartés. Ce qui est amusant dans cet exemple, c’est que quelques mois plus tôt, Jean-Louis Borloo n’était pas vraiment considéré comme un leader centriste, il lui a suffit de prendre la porte et de donner quelques interviews dont il a le secret, pleines d’aphorismes incompréhensibles où l’on croit parfois reconnaître les expressions « cohésion sociale » ou « solidarité », pour se voir propulser au rang de présidentiable.

Un trait marquant de cette personnalisation de la vie politique, qui va de paire avec une disparition complète du sens, c’est l’appellation que l’on donne aux grands courants politiques : on est passé en quelques années des socio-démocrates, des démocrates-chrétiens, des libéraux ou encore des souverainistes à des mouvances plus floues comme les royalistes, les aubrystes, les strauss-kahniens, les sarkozystes, les villepinistes et autres bayrouistes. Pour être plus précis, la grande opposition droite/gauche a été remplacée par l’affrontement des sarkozystes et des antisarkozystes, courant lui-même subdivisables en groupuscules étranges. Avec tout le respect que j’ai pour le Président de la République, je ne pense pas que son œuvre politique soit d’une telle force qu’elle puisse structurer le débat politique français.

Il est temps de revenir sur Terre, de quitter ces débats permanents sur la forme pour en revenir au fond de la politique qui est menée. Sarkozy c’est quoi ? C’est le paquet fiscal, l’autonomie des universités, la ratification du Traité de Lisbonne, la réforme des institutions, la réforme des collectivités locales, une politique restrictive en matière d’immigration, la TVA réduite pour les restaurateurs, la suppression de la taxe professionnelle, la réforme de la représentativité syndicale, la réforme des retraites, le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, la refonte de la carte militaire et de la carte judiciaire, le Grenelle de l’environnement. Le seul débat qui vaille c’est si ces changements vont globalement dans le bon sens ou pas ?

Définir le positionnement politique des personnalités de l’opposition est plus ardu, car ils entretiennent pour la plupart un flou sur leurs intentions, considérant à l’instar de François Mitterrand qu’on ne sort de l’ambigüité qu’à ses dépens. De ce point de vue, la palme revient à DSK, qui, ne disant rien, éveille tous les fantasmes et suscite toutes les espérances. Ainsi, il se voit conférer le titre de bon économiste et d’homme de gauche réaliste. Ainsi soit-il ! Pour ma part j’ai du mal à considérer que l’instigateur des 35h soit un si bon économiste que cela, et je me refuse à surinterpréter des propos aussi sibyllins que « l’âge légal de la retraite à 60 ans n’est pas un dogme », qui sont loin de constituer à eux seuls un programme politique précis. Pendant ce temps là, François Hollande s’affronte à la difficulté de définir des mesures concrètes et précises dans l’optique de 2012, dans l’indifférence la plus totale.

Les journalistes ont une responsabilité énorme dans cette dérive du débat politique. D’une part parce qu’ils se complaisent dans cette vision romanesque de la politique, avec ses trahisons, ses alliances et ses adoubements et d’autre part parce qu’ils peinent à maîtriser les tenants et les aboutissants des politiques sectorielles qui sont menées. En effet, il est plus facile de se prononcer sur la forme et sur le théâtre que sur le fond et sur la réalité des évolutions du monde. Il faudrait d’ailleurs s’interroger sur la catégorie même de « journaliste politique », qui tend à se confondre avec le temps avec celle de chroniqueur mondain appliqué au personnel politique. En effet, on voit ce qu’est un journaliste économique, un journaliste spécialisé dans l’environnement ou des les relations internationales, mais j’ai pour ma part la plus grande peine à définir quel est le sujet d’étude précis du journaliste politique. Et pourtant cette catégorie prospère, elle envahit les plateaux télés, les journaux et les magazines.

Je ne peux me résigner à cela. Tous ces commentaires et tous ces commentateurs sont méprisables, ils ne font pas bien leur travail, ils agissent par paresse tout en étant consacrés par le pouvoir social. Même si la forme et le style ne sont pas rien en politique, ils ne peuvent tenir le haut du pavé comme ils le font depuis 2007. Un pays qui se focalise pendant des mois sur un remaniement ministériel et qui ignore le discours de politique générale du nouveau (façon de parler) Premier Ministre est un pays qui a un rapport très malsain avec la politique.

J’ai bien peur qu’au tribunal de l’Histoire, toute cette période politique soit caractérisée par ce mot qu’affectionne tant notre pays : Ridicule !

4 commentaires:

Kévin a dit…

Peu de commentaires à votre post, tout simplement parce que ce que vous décrivez est assez éloquent pour s'en passer. Il n'y a malheureusement pas grand chose à rajouter si ce n'est peut-être que tout cela pose une vraie question démocratique. En effet, que penser d'une démocratie dont on peut penser que les représentants sont plus élus par rapport à leur personnalité que par rapport à leurs idées et leur programme ?

Merlin a dit…

Excellent billet Vincent, si tant est que je puisse en juger, j'aime beaucoup ! Toujours aussi incisif et clair, très rationnel, j'aimerai que la politique en général s'en rapproche un peu plus souvent... Reste l'éternel dilemme : les médias sont-ils à l'origine de cette couverture médiatique théâtralisée, a t'elle été voulue par quelques hommes politiques ou réclamée par les auditeurs et téléspectateurs ? On sert très largement au public ce qu'il demande, dans le divertissement comme dans la politique. Comme toujours, j'imagine qu'il n'y a pas de réponse simple et que différents protagonistes s'en mêlent, je ne crois pas que les médias soient seuls en faute (même si ce n'était sûrement pas le sens de ton billet).

Kévin a dit…

Si je puis me permettre de vous répondre Merlin, je dirais que dans une certaine mesure les médias servent moins au public ce que les auditeurs et téléspectateurs demandent que ce qu'ils pensent que ce public demande. J'ai la sensation que certains médias méprisent complètement la France d'en bas. Ils la considèrent comme naïve, inculte et paillarde et, face à cet état de fait, qui doit-être selon eux irrémédiable, ils l'enfoncent dans sa confusion et son inconscience au lieu de l'éclairer et de l'élever. D'ailleurs, même si ce n'est pas ici l'objet du post, je trouve particulièrement cynique les émissions de télé-réalité ou les animateurs se payent continuellement la tête des français moyens. Bien sûr, si certaines situations sont parfois vraiment risibles, il y a dans cette approche un mépris profond pour des êtres humains. A mon sens, ce mépris profond ne se limite pas à ses émissions débiles, mais on peut le lire chaque jour dans nos journaux ou le but n'est pas d'informer ou d'éclairer mais de faire réagir bêtement. Les journalistes savent parfaitement comment les lecteurs réagiront à leur billet. A cet article ils diront : "Ah ça c'est bien" et à tel autre :"Je suis profondément indigné". Qui sont ces journalistes qui pensent à la place du lecteur ? Ne devrions-nous pas, en lisant le journal, parvenir à nous faire une opinion par nous-mêmes plutôt que d'être conditionné à dire bien pas bien ? Encore faudrait-il, peut être, que l'on veuille vraiment que chacun puisse comprendre le monde dans lequel il vit.

Kévin a dit…

Pour faire suite à mon précédent commentaire, j'ai comme l'impression que beaucoup de médias s'emploient à rendre les gens bêtes et incultes et sont ensuite les premiers à s'étonner que les gens le soient. Comme qui dirait, c'est l'hôpital qui se moque de la charité.