17 juillet 2010

L’ « Affaire »

Après l’avoir abondamment commentée sur Facebook, il me paraît nécessaire de faire la synthèse des réflexions que m’inspire l’affaire Woerth. Même si ce blog n’est pas destiné à commenter l’actualité politique, les proportions prises par cette affaire en font un véritable fait de société qu’il convient d’analyser. Cet article sera composé de trois parties : tout d’abord ce que m’inspire le fond de cette affaire, puis les commentaires médiatiques et politiques qu’elle génère et enfin ce qu’elle révèle de la société française.

1. Le fond de l’affaire Woerth

Il faut tout de suite abandonner le singulier pour prendre une à une « les » affaires auxquelles est confronté Eric Woerth. Ce pluriel est dangereux quand il mélange tout, c’est pourquoi il est essentiel de bien distinguer les affaires les unes des autres. Plusieurs d’entre elles font mention d’un conflit d’intérêt, il me semble donc important de traiter de manière générale de cette question avant d’entrer dans le détail de ce qui est reproché à l’ancien Ministre du Budget.

La notion de conflit d’intérêt

La notion de conflit d’intérêt est assez floue, selon Wikipédia, il s’agit « d’une situation injuste dans laquelle une personne ayant à accomplir une fonction d'intérêt général […] se trouve avec des intérêts personnels qui sont en concurrence avec la mission qui lui est confiée, l'intérêt de son administration ou de sa société. De tels intérêts en concurrence peuvent la mettre en difficulté pour accomplir sa tâche avec neutralité ou impartialité. Même s'il n'y a aucune preuve d'actes préjudiciables, un conflit d'intérêts peut créer une apparence d'indélicatesse susceptible de miner la confiance en la capacité de cette personne à assumer sa responsabilité. »

Beaucoup de choses peuvent rentrer dans la catégorie du conflit d’intérêt : un analyste financier qui détient des informations sur une entreprise dont il possède des actions, un couple qui travaille dans deux sociétés concurrentes, un homme politique qui nomme quelqu’un de proche… A plus petite échelle, un coup de pouce donné à un ami pour trouver un emploi dans une structure où l’on a des relations relève également du conflit d’intérêts, de même qu’un professeur qui a l’un de ses enfants en classe,… Les situations de conflits d’intérêts sont nombreuses pour chacun d’entre nous, pour peu qu’on y réfléchisse. La plupart du temps, on ne s’en rend même pas compte : c’est souvent a posteriori que l’on relève les conflits d’intérêts et qu’on les trouve évidents. Mais il faut se méfier de cette évidence a posteriori, symptôme classique de l’erreur de narration chère à Nassim Nicholas Taleb.

Deux éléments permettent de lutter au quotidien contre les conflits d’intérêts : la loi, par exemple quand elle interdit les délits d’initié, et la morale personnelle qui doit permettre de faire la part des choses. Un conflit d’intérêts ne constitue pas un délit, c’est un élément qui peut faciliter un délit, de même que posséder une arme me permet de tuer plus facilement mon voisin. Heureusement, la loi et la morale m’empêche de passer à l’acte, de même qu’elles peuvent m’empêcher de succomber à un conflit d’intérêts. On ne peut pas uniquement baser des accusations sur la notion de conflit d’intérêts.

1er conflit d’intérêts : la femme du Ministre du Budget gérait la plus grande fortune française

C’est par là que l’affaire à débuté : des écoutes clandestines entre Liliane Bettencourt et son gestionnaire de patrimoine Patrick de Maistre laissaient entendre que Florence Woerth avait été recrutée en raison des activités de son époux alors Ministre du Budget. Plus récemment, Patrick de Maistre aurait confié lors de sa garde à vue, qu’Eric Woerth lui aurait demandé de recevoir sa femme pour discuter de sa carrière.

En quoi cette situation pose problème, au-delà de l’éventuelle incohérence d’avoir dans le même couple quelqu’un qui lutte contre la fraude fiscale et quelqu’un qui fait de l’optimisation fiscale ? La première possibilité, c’est que la famille Bettencourt ait recruté Florence Woerth afin de s’attirer les bonnes grâces du Ministre du Budget, notamment en matière de contrôle fiscal. C’est cette affirmation qui a été réfutée par le rapport de l’IGF, disant qu’Eric Woerth n’est pas intervenu d’une quelconque manière dans ce dossier. La deuxième possibilité, c’est qu’Eric Woerth ait abusé de sa situation de Ministre pour faire embaucher sa femme. Notons que cette accusation est infiniment moins grave que la précédente et qu’elle est monnaie courante dans de nombreux couples. Surtout, dans ce scénario, la famille Bettencourt ne serait plus coupable mais victime.

Notons également que la situation de Florence Woerth était connue de nombreux médias (LePost, Libération, la Lettre A notamment ont fait des articles à ce sujet), sans que cela n'ait créé la moindre polémique à l’époque. Cela illustre parfaitement que ce conflit d’intérêts, qui paraît aussi évident aujourd’hui aux yeux de tous, ne l’était pas avant l’éclatement de l’affaire.

2ème conflit d’intérêts : Ministre du Budget et trésorier de l’UMP

Le deuxième conflit d’intérêts concerne le cumul des fonctions de trésorier de l’UMP et Ministre en charge des contrôles fiscaux. Cette situation d’Eric Woerth était pourtant connue de tous depuis son entrée au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en 2004, sans que personne n’y trouve véritablement à redire. Ce conflit d’intérêts m’avait échappé à l’époque, et je dois avouer qu’il continue à me rendre perplexe. En effet, si conflit d’intérêts il doit y avoir, c’est entre un mouvement politique (l’UMP en l’occurrence) et des grandes fortunes, c’est pour cela que la loi sur le financement des partis politiques est si stricte. La personne d’Eric Woerth est ici seconde. En effet, si les grandes fortunes ont de quoi être satisfaites du gouvernement actuel, ce n’est certainement pas parce que les contrôles fiscaux ont été stoppés, mais plutôt parce que le bouclier fiscal a été voté, ainsi que la défiscalisation de l’ISF investi dans les PME. En faisant l’hypothèse audacieuse que c’est la Ministre de l’Economie Christine Lagarde qui est à l’origine du paquet fiscal de 2007, c’est plutôt elle qui aurait été en conflit d’intérêts si elle avait été trésorière de l’UMP. On voit que c’est assez tiré par les cheveux, d’où cette question plus générale : un trésorier d’un parti qui continue à exercer des activités politiques n’est-il pas de facto en situation de conflit d’intérêts ?

Eric Woerth a contribué à la multiplication des partis associés à l’UMP pour contourner la loi électorale

Cette accusation est quasiment avérée aujourd’hui. Elle n’en constitue pas pour autant un délit. Au plus peut-on dire que la loi du financement des partis a été habilement contournée et qu’il est certainement temps de remettre de l’ordre dans tout cela comme le propose François Bayrou. Beaucoup de formations politiques sont concernées : en quoi l’association en faveur d’Eric Woerth ou de Laurent Wauquiez serait-elle moins légitime que Désirs d’Avenir de Ségolène Royal ? Il semble cependant que l’UMP a mis un zèle particulier à multiplier ces structures. Une solution pourrait être d’interdire à une même personne physique de subventionner plusieurs partis ou associations politiques. Quoi qu’il en soit, les sommes ainsi récupérées sont faibles par rapport aux subventions publiques auxquelles ont droit les partis politiques en fonction des scores électoraux qu’ils réalisent. La situation française depuis quelques années peut, à mon avis, être qualifiée de saine et équitable. Rappelons que dans certains pays, notamment les Etats-Unis, ces limitations des dons des personnes physiques n’existent tout simplement pas, ce qui ne les empêche d’être des démocraties exemplaires.

Eric Woerth aurait participé à un financement occulte de l’UMP et de la campagne de Nicolas Sarkozy

A l’évidence cette accusation est la plus grave de toutes. Elle ne s’appuie pour l’instant que sur la parole de l’ancienne comptable de Liliane Bettencourt. C’est donc parole contre parole pour l’instant, et il est bien évident que la justice doit faire toute la lumière sur cette affaire, ce à quoi le procureur Courroye s’emploie avec un certain zèle. En attendant, c’est la présomption d’innocence qui doit prévaloir.

Eric Woerth aurait vendu un champ de course au dixième de sa valeur à Chantilly

Cette dernière accusation est réfutée par le Ministre au motif que le locataire du terrain était propriétaire des bâtiments et ne pouvait pas être forcé de partir. Dans ces conditions, la vente est une option qui permettrait d’optimiser les revenus de l’Etat. Ces déclarations devraient être facilement vérifiables par des professionnels du patrimoine de l’Etat et ne paraissent pas absurdes a priori.

Au final, c’est l’accusation de financement occulte de la campagne de Nicolas Sarkozy qui est de loin la plus grave. Si elle était avérée, Eric Woerth devrait démissionner et serait à coup sûr poursuivi par la justice puis condamné. Si tel n’est pas le cas, on ne voit pas très bien ce qu’il y reste de très grave dans « l’affaire Woerth », sauf à penser que, contrairement à ce qu’affirme le rapport de l’IGF, Eric Woerth aurait fait pression sur son administration pour stopper des contrôles fiscaux contre Liliane Bettencourt.

2. Les commentaires médiatiques et politiques de l’affaire Woerth

Ce qui frappe dans cette affaire, c’est la force de la tempête médiatique et politique qui s’est abattu sur Eric Woerth, au mépris de toute présomption d’innocence. Certains ont accusé Internet de cette dérive, d’autres le parti pris anti-Sarkozy de certains journalistes, il ne me semble pas que ce soit là le cœur du problème. Ce sont surtout des principes de base qui ne sont pas respectés, je vais donc essayer de mettre dans la peau de chacun des acteurs/commentateurs de cette affaire en explicitant ces principes auxquels j’ai fait allusion.

Dans la peau d’Eric Woerth

Si Eric Woerth est coupable, alors il doit démissionner sur le champ et coopérer tout de suite avec la justice. S’il est innocent, alors il doit être le plus transparent possible dans cette affaire, répondre à toutes les attaques dont il fait l’objet, accepter toutes les interviews afin de réhabiliter son honneur.

Dans la peau de Nicolas Sarkozy

Il n’y a pas lieu aujourd’hui d’exiger la démission d’Eric Woerth. Ce serait une atteinte grave au principe de présomption d’innocence. Ne connaissant certainement pas le fond exact de cette affaire, le Président serait toutefois avisé de ne pas exagérer son soutien à son Ministre afin de ne pas se retrouver en position délicate si des faits nouveaux étaient révélés. Enfin, le Président, comme il l’a dit dans son entretien à France 2, serait bien mal inspiré de s’immiscer dans le travail de la justice, et n’a donc pas à écarter tel procureur ou tel juge d’instruction.

Dans la peau de l’opposition

L’opposition n’a pas à réclamer des têtes dès lors que les faits ne sont pas établis. Elle était, en revanche, tout à fait légitime à le faire à propos de Christian Blanc ou d’Alain Joyandet puisque les faits étaient établis et reconnus et que tout n’était qu’affaire d’interprétation politique de ces faits. Dans l’affaire Woerth, il n’y a donc qu’un discours à tenir pour l’opposition : dire que les faits reprochés sont graves mais que la présomption d’innocence prévaut et que la justice doit faire toute la lumière sur ces affaires. Il n’est que sur le contournement de la loi du financement des partis politiques qu’elle peut se montrer plus véhémente, en exigeant que cette loi soit revue et que les structures de l’UMP ainsi mises à jour soient démantelées.

Dans la peau de la justice

La justice serait bien inspirée de respecter la loi, en particulier sur le secret de l’instruction. Il est en effet invraisemblable que des PV d’auditions se retrouvent dans la presse le jour même ou le lendemain. Ces informations sont souvent mal ou sur-interprétées et viennent perturber le travail serein de la justice.

Dans la peau de la presse

Il est normal que la presse informe et qu’elle soit totalement libre de « sortir » des affaires. Une bonne façon de concilier cela avec la présomption d’innocence et de demander un droit de réponse aux personnes mises en cause avant publication. Pour l’affaire du terrain de Chantilly, il est assez difficile à admettre que le Canard Enchaîné et Marianne n’aient pas demandé ses explications à Eric Woerth, charge à eux ensuite d’enquêter sur ces explications et de juger de leur véracité.

3. Ce que l’affaire Woerth révèle de la société française

Ce qui est très intéressant dans cette affaire, c’est ce qu’elle révèle sur la société française. N’ayant pas de sympathie particulière pour le pouvoir en place ou de lien privilégié avec Eric Woerth, c’est même la seule chose qui m’intéresse véritablement. Bien entendu, d’aucuns s’indigneront que de telles analyses sociologiques sont une manière de noyer le poisson et d’aider le pouvoir en place. C’est pourquoi les membres du Gouvernement seraient bien avisés de ne pas y avoir recours, car ils sont juges et parties (on pourrait également dire en position de conflit d’intérêts !). Tel n’est pas mon cas.

Cette affaire est un symptôme supplémentaire de l’éloignement du peuple et de ses élites, avec une crise majeure de confiance. On sent bien que le « tous pourris » n’est pas très loin et que la démocratie est aujourd’hui très exigeante en matière de morale, elle est même parfois moralisatrice. Bien entendu, il est sain qu’une société exige de ses élites qu’elles se comportent de façon morale et je n’ai pour ma part aucune considération ni commisération pour les élites en tous genres qui ont été pris la main dans le sac.

Mais il faut bien comprendre que la morale, ou plutôt le caractère moralisateur, nous éloigne de la politique. Les questions politiques sont plus grandes que ceux qui les portent : la réforme des retraites est plus importante que la personne d’Eric Woerth, les visions différentes de la politique économique entre la droite et la gauche sont plus importantes que les liens respectifs de Nicolas Sarkozy et de Martine Aubry avec l’argent. Le risque, c’est que dans une période très contrainte où les programmes politiques ne se distinguent plus vraiment, le débat politique ne devienne un débat sur la moralité des dirigeants.

Historiquement, la recherche absolue de la vertu a pu conduire à des catastrophes politiques : Robespierre était certainement d’une moralité abstraite exemplaire, il a pourtant causé beaucoup plus de dégâts au peuple Français qu’un homme aussi peu recommandable que Talleyrand. Fondamentalement, je pense que le peuple surestime le mal qu’un dirigeant malhonnête peut causer à la société et qu’il sous-estime le mal qu’une mauvaise politique peut entraîner. Cela n’empêche bien évidemment pas, en parallèle, la presse et la justice de faire leur travail.

Dans plusieurs de mes derniers articles, j’ai dénoncé avec force la vision cynique, qui prospère certainement plus à droite qu’à gauche. L’affaire Woerth m’a fait comprendre que la vision moralisatrice était également dangereuse et qu’elle prospérait actuellement, notamment à gauche. Toute parole politique devrait avoir conscience de ces deux écueils.

8 commentaires:

Boris a dit…

Bonsoir Vincent,

Synthèse tout à fait passionnante, merci!

Je te prie de m'excuser, ma réponse ne sera pas construite. Je voulais juste relever certains des points de ton texte. En résumé, tous ou presque tournent autour du fait que tu occultes, à mon sens, la dimension symbolique de cette affaire, ce qui t'amène du coup à sous-estimer la violence symbolique de cette histoire qui est, à mon sens, le fond du problème.

- tu parles des conflits d'intérêts, semblant mettre sur le même pied le commerçant du coin qui va favoriser l'embauche de sa fille, et un ministre. Mais la portée symbolique du conflit d'intérêt à haut niveau de représentativité et de pouvoir est énorme!

- "au-delà de l’éventuelle incohérence d’avoir dans le même couple quelqu’un qui lutte contre la fraude fiscale et quelqu’un qui fait de l’optimisation fiscale" : symboliquement, cela me semble TRES gênant! Ce n'est pas un point de détail... pour les Français. Ils ont un peu l'impression qu'on se fout de leur gueule du coup (la rigueur, la rigueur, pendant ce temps-là ma femme défiscalise). Rationnellement, cela ne tient peut-être pas (ça se discute), mais cela ne suffit pas pour mettre ça à la poubelle. C'est un peu comme un Président qui arrive et qui s'augmente de 140%. Quoiqu'on en dise, la violence symbolique est forte, quelles que soient les justifications, bonnes ou mauvaises, de cette décision.

- "Cela illustre parfaitement que ce conflit d’intérêts, qui paraît aussi évident aujourd’hui aux yeux de tous, ne l’était pas avant l’éclatement de l’affaire." : et ? Justement, ce conflit d'intérêt latent et non relevé ne souffre pas la moindre petite histoire, sinon tout éclate. On doit être irréprochable (et ne pas avoir le malheur d'être accusé gratuitement éventuellement) pour qu'une telle situation soit tenable. Il y avait donc un conflit d'intérêt en puissance qui n'attend qu'un petit faux pas pour donner lieu à un écartellement public. Il ne faut pas s'en plaindre.

- "A l’évidence cette accusation est la plus grave de toutes. En attendant, c’est la présomption d’innocence qui doit prévaloir." Et le principe de précaution ? Si un enseignant est soupçonné de pédophilie, on n'attend pas que cela soit vérifié pour le mettre temporairement à l'écart. Pourquoi ? Il y a des circonstances particulières, en effet. Mais donc la présomption d'innocence ne prévaut pas systématiquement, semble-t-il... Pourquoi devrait-elle donc s'appliquer systématiquement à un Minitre ? Je connais ton point de vue sur le sujet, mais dans ce texte, l'explication est un peu courte, tu présentes cela comme un évidence.

- "on ne voit pas très bien ce qu’il y reste de très grave dans « l’affaire Woerth »" : ce 'on' ne reflète pas, à mon avis, l'avis des Français. Tu te places d'un point de vue strictement juridico-rationnel ici. Ce que les Français voient, c'est encore une fois des signes indiquants ces collusions entre les élites politiques et financières, qui finalement semblent leur nuire à eux. Des incohérences apparentes entre les discours et les faits. Bref, une violence symbolique très forte.

- "Fondamentalement, je pense que le peuple surestime le mal qu’un dirigeant malhonnête peut causer à la société et qu’il sous-estime le mal qu’une mauvaise politique peut entraîner" : encore une fois, tu t'intéresses aux conséquences. Le peuple cherche-t-il seulement une bonne politique ? Le peuple sera-t-il content d'un homme politique verreux qui détourne des millions mais qui relance l'économie ? Rien n'est moins sûr...

Vive la République ! a dit…

@Boris (partie 1),

Effectivement, j'occulte ce que tu appelles "la dimension symbolique" de cette affaire, et c'est bien volontairement que je le fais. Car précisément je pense que cette "violence symbolique" est une très mauvaise chose. Je peux bien entendu la constater autour de moi, mais il me semble être de mon devoir de ne pas en rajouter. Je n'ai pas la vocation de me faire le porte-parole de la majorité des Français, peu me chaut que mes idées soient minoritaires, elles me semblent justes, ce qui est l'essentiel.

Pour répondre plus dans le détail de tes remarques (dans l'ordre), je refuse que soit demandé à la classe politique une moralité supérieure au reste de la société. Tout groupe social doit se comporter de manière morale, les hommes politiques comme les contribuables, les chefs d'entreprises comme les syndicalistes. Personne n'a à être exonéré de ce devoir qui permet la confiance et la cohésion de la société. Ce qui compte c'est la gravité des actes en eux-mêmes (d'ailleurs hiérarchisés en contraventions, délits et crimes), pas la position de ceux qui les commettent.

Je trouve que tu épouses trop facilement les thèses "couramment admises par l'opinion publique". Une chose est de reconnaître leur existence, une autre est de se les faire siennes. Pour ma part, je me refuses à toute stigmatisation du type "tous pourris" ou "le système politique est corrompu". Sarkozy s'est peut-être augmenté, mais il a supprimé les fonds secrets et a organisé l'audit du budget de l'Elysée par la Cour des Comptes. Le fait que tout le monde lui tombe dessus aujourd'hui ne m'inspire qu'une chose : les commentateurs ont fait preuve, en leur temps, d'une immense mansuétude pour Jacques Chirac et François Mitterrand !

Je ne suis pas entièrement d'accord avec toi quand tu dis "Il y avait donc un conflit d'intérêt en puissance qui n'attend qu'un petit faux pas pour donner lieu à un écartèlement public". Je ne suis pas certain en effet que les conflits d'intérêts existent en eux-mêmes de manière claire, évidente et définitive. C'est un peu comme ce que dit Roland Barthes à propos des coups de foudre : on les réécrit et les rationalise après coup, au moins en partie. On peut être certain qu'il y avait un conflit d'intérêt au même titre qu'on peut être certain que pendant la guerre on aurait été résistant : ces commentaires qui viennent après les faits ne m'ont jamais parus très pertinents. Grâce soit simplement rendue à ceux qui ont dénoncé les conflits d'intérêts de Woerth avant le déclenchement de l'affaire Bettencourt.

Vive la République ! a dit…

@Boris (partie 2),

Ta conception du principe de précaution me semble assez dangereuse : j'espère bien qu'on ne met pas un prof au placard sous la seule dénonciation d'un de ses élèves, sans aucun élément matériel. Je crains que cela soit arrivé une fois où le malheureux instit qui était innocent s'était suicidé. Il y a selon moi trois stades à distinguer : 1- la présomption d'innocence totale, 2- la mise en examen qui doit impliquer un retrait momentané de la personne accusée (ministre ou instit), 3- la condamnation où il n'y a plus de question qui se pose. Avant d'exiger le principe de précaution avant la mise en examen, imagine si une stagiaire de ton labo te reprochait des attouchements sexuels. Trouverais-tu normal d'être contraint à quitter ton poste au moins provisoirement ?

C'est selon moi éclairer l'opinion que lui dire que leurs grands problèmes ne vient pas de la collusion entre les élites politiques et financières. Les grands problèmes politiques peuvent même être considérés comme internes aux 95% des Français des classes moyennes et défavorisées : allongement de la durée de la vie, financement de la protection sociale, équilibre entre temps de travail et temps de loisir, organisation du marché du travail... Une société qui accuse les puissants de tous ses maux est une société qui fuit ses véritables problèmes. Cela n'empêche pas que les élites doivent être irréprochables.

Anonyme a dit…

Bonsoir Vincent,

Quelques petites choses qui me semblent capitales à ne pas oublier et qui sont très liées dans ces « affaires »:

- le conflit d'intérêt qui résulte du cumul des fonctions.
- la complexité du corps judiciaire: la différence entre un procureur de la République et un juge.
- la fonction de l’IGF.


Il faut ajouter dans la notion de conflit d’intérêt celui du cumul (non pas des mandats) mais des fonctions qui amène souvent des hommes politiques ou des institutions à être juge et parti. Petit exemple : N Sarkozy avant d’accéder à la présidence de la République est ministre de l’intérieur et président de l’EPAD. L’EPAD se fait alors épingler par la cour des comptes dont l’autorité de tutelle est justement le Ministre de l’Intérieur. Nul ne sait si N Sarkozy est suffisamment bipolaire ou vertueuse pour ne pas interférer d’une façon ou d’une autre dans une décision de la cour des comptes de fouiller ou de clore le dossier qu’ils ont ouverts et là n’est pas la question. La question est de savoir si nous (j’ai lu ton article sur les pronoms !) acceptons que deux fonctions, clairement contradictoires ici, soient portés par la même équipe. Je dis équipe car il est clair que ce n’est pas une seule personne qui est capable de prendre à la fois la présidence de l’UMP, la présidence de l’EPAD, le Ministère de l’Intérieur et la présidence de Conseil Général des Hauts de Seine.

Autant un homme, honnête et droit pourra faire la part des choses et éviter un conflit d’intérêt, en acceptant que l’EPAD qu’il dirige soit effectivement épinglé par un organisme dont il a la charge et décider de faire tout ce qui est en ce pouvoir pour que l’EPAD s’améliore grâce à cet audit extérieur. Autant, une note interne sur l’audit de l’EPAD par la cour des comptes, remontant petit à petit vers cet homme honnête sera rapidement repérée par son équipe ou par un fonctionnaire du Ministère, qui soucieux de ne pas importuner le Ministre prendra peut être une mauvaise décision. Je dilue volontairement la faute du conflit d’intérêt pour montrer que c’est le système qui va mal et non les personnes.

Le même mécanisme fonctionne dans la justice. Oublions les rumeurs qui prêtent à notre président et au procureur en charge de l’affaire Woerth Betancourt une proche amitié. Nous, citoyens français sommes en droit de nous poser la question : une personne aussi vertueuse et honnête soit-elle, aura-t-elle le courage d’arriver à des conclusions, si les faits les lui indiquent, qui nuisent aux personnes qui ont en charge la fonction dont elle dépend hiérarchiquement ? Une fois de plus la question n’est pas de juger la qualité morale d’un tel ou d’un autre, mais de juger le système. Ce qui semble choquant c’est qu’il y a en France une autre voie que celle du parquet, c’est le juge d’instruction. Pourquoi cette voie la n’est pas prise ? Si je joue au même jeu que toi : « dans le peau de… », je m’empresserai de faire savoir que je suis favorable à la prise en main du dossier par un juge d’instruction.

Anonyme a dit…

Dans la même veine de conflits de fonctions : le rapport de l’IGF. Le directeur de l’IGF qui signe le rapport est nommé par le Président de la République, sur proposition du Ministre des Finances. Une fois de plus la question n’est pas d’évaluer les qualités morales de François Baroin. La question est de savoir si nous citoyens acceptons que la fonction de contrôle soit assurée par quelqu’un qui est nommé par la même personne que celui qui doit être contrôlé. Dernier petit point de statut, l’IGF n’a pas vocation à être un organisme indépendant de contrôle des politiques ni de contre pouvoir institutionnel. C’est un organisme de contrôle de l’administration fiscale. Pourquoi alors saisir l’IGF ? Pourquoi ne pas attendre que la justice suive son cours.

Et pour finir, un dernier petit point sur les fuites juridiques. Il me semble très dérangeant que certaines portions de PV fuitent plus facilement que les autres. L’impact sur l’opinion publique de ces extraits semble assez orienté. Le simple fait que les PV fuitent est selon moi une raison de plus de changer celles et ceux qui mènent l’enquête. Leur orientation est pour moi la goute d’eau qui fait débordé le vase. Ceci étant dit, j’admets bien volontiers que ce dernier point est le moins construit, étayé et réfléchit et traduit mon désespoir face à cette bataille politico-médiatique qui empêche la justice de faire son travail.

Bonne soirée

Thibault

Vive la République ! a dit…

@ Thibault,

Tout d'abord tu m'as appris que Sarko avait présidé l'EPAD, je l'avais oublié (ou jamais su). En revanche, l'exemple que tu donnes vis-à-vis de la Cour des Comptes ne me semble pas si problématique : cet organisme est composé de magistrats recrutés à la sortie de l'ENA, inamovibles et qui n'ont pas de comptes à rendre au pouvoir politique. Seul leur Président est nommé par le pouvoir. D'ailleurs la Cour des Comptes ne s'est jamais empêchée de critiquer sévèrement le budget de l'Etat et même le budget de l'Elysée l'an passé, ce qui prouve leur indépendance.

En ce qui concerne l'arbitrage procureur/juge d'instruction, même si je ne connais pas parfaitement les procédures judiciaires, il me semble que ce n'est pas au pouvoir politique de choisir la voie à emprunter. Il se trouve que le Tribunal compétent est celui de Nanterre où se trouve Philippe Courroye, si jamais il décidait de classer sans suite, une victime potentielle serait en droit d'exiger la nomination d'un juge d'instruction, même si on voit mal qui dans cette affaire pourrait se porter partie civile. Imagine-t-on un instant que la Chancellerie déclare : "M. Courroye, merci de vous dessaisir du dossier car nous estimons que vous êtes trop proche du Président de la République" ? M. Courroye est un professionnel qui a poursuivi avec pugnacité des dirigeants politiques, notamment de droite. 95% des affaires sont instruites par les procureurs de nos jours. Ajoutons que Philippe Courroye était juge d'instruction, cela signifie que si on confiait la mission à un juge aujourd'hui, on pourrait dire : "ce juge pourra devenir membre du Parquet un jour et donc soumis au pouvoir politique". C'est sans fin ! Quand on voit ce que sont devenus Eva Joly, Laurence Vichnievski et Eric Halphen (tous ont rejoint des partis politiques de gauche), on peut se demander s'ils étaient plus indépendants pendant qu'ils étaient en exercice que Philippe Courroye.

Je termine sur l'IGF. Effectivement, je comprends qu'on ne se fie pas complètement à ce rapport. Pourtant il y a une chose qui plaide en la crédibilité de ce genre de rapports : l'ego des gens qui les mènent ! Je peux t'assurer que le patron de l'IGF ou d'un autre grand Corps (Conseil d'Etat, Mines, Cour des Comptes...) est tout sauf une carpette sur laquelle le pouvoir politique s'essuie les pieds. En plus, il s'agit en l'occurence de l'ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius.

Je suis peut-être naïf, mais mon message est le suivant : le système permet aux hauts fonctionnaires et aux procureurs de faire leur travail honnêtement. S'ils cèdent aux pressions éventuelles, c'est qu'il s'agit de personnes de peu de moralité. Et je n'arrive pas à m'imaginer que les élites françaises soient à ce point corrompues pour qu'aucun de leurs membres ne fasse preuve de ce minimum d'éthique !

Anonyme a dit…

Simple question neutre et sans parti pris :
Les questions morales ne sont-elles pas également plus grandes que ceux qui les portent ?

Anonyme a dit…

Dans cette affaire, j'aimerais comprendre qui est "derrière". En effet, il me semble que si l'on fouille bien dans la vie de chacun de nos hommes politiques nous pouvons trouver tant et plus de conflits d'intérêts. Pourquoi s'en prendre donc à Eric Woerth ? Quel est l'intérêt.
Si d'autres politiques sont derrière cette déstabilisation, espérant qu'ainsi ils pourraient gagner de prochaines élections, ils se trompent car, à mon sens, ils dégoutent le français moyen de la politique en général. Il semble que l'épisode de 2002 a été bien vite oublié.

Quand nos hommes politiques se battront-ils pour des idées et non plus pour le pouvoir ?