20 mars 2010

La loi de Moore et la retraite à 65 ans

Comment ne pas être émerveillé devant la loi énoncée en 1965 et rectifiée en 1973 par l’ingénieur d’Intel Gordon Moore selon laquelle le nombre de transistors par circuit allait doubler tous les 18 mois à prix constant ? Cette curieuse loi empirique a en effet été respectée jusqu’à aujourd’hui avec une redoutable précision. Cette prouesse technologique ne doit toutefois pas tout au hasard : l’industrie des microprocesseurs est un secteur où il est très important pour une entreprise de ne pas être trop en retard, sous peine de disparaître, ni d’être trop en avance, sous peine de ne pas trouver de débouchés à ses produits.

La loi de Moore est donc plus qu’une simple loi empirique : c’est une loi normative qui permet de coordonner tous les acteurs de la filière pour qu’ils avancent au même rythme. Bien entendu, cela n’est possible que grâce aux trésors d’inventivité déployés par les ingénieurs pour pouvoir suivre ce rythme infernal. D’un point de vue microéconomique, cette loi permet à tous les acteurs de disposer du même ensemble d’information : je sais que le nombre de transistors par circuit va doubler dans 18 mois et je sais que l’entreprise d’à côté le sait également. Par une telle construction sociale, la loi de Moore devient auto-réalisatrice.

C’est par un raisonnement analogue qu’il faut promouvoir le report de l’âge légal de départ à la retraite. Jusqu’ici, les gouvernements qui se sont attelés à la réforme des retraites ont choisi de relever la durée de cotisation donnant droit à une retraite à taux plein : le gouvernement Balladur a fait passer cette durée de 37,5 à 40 annuités pour les salariés du privé, le gouvernement Raffarin a aligné les fonctionnaires sur cette durée de cotisation et a prévu de la faire passer progressivement à 41 ans pour l’ensemble des actifs d’ici 2012. Aucun de ces gouvernements n’est revenu sur l’âge légal de départ en retraite à 60 ans instauré par François Mitterrand en 1981.

En relevant cette durée de cotisation, on diminue le montant des droits de ceux qui partent à 60 ans, ce qui est une manière de les inciter à travailler plus longtemps et donc d’augmenter l’âge effectif de départ à la retraite. Toutefois, les réformes passées n’ont pas eu les effets escomptés et le taux d’emploi des seniors (entre 55 et 64 ans) est resté très faible en France par rapport à la moyenne européenne. Fort de ce constat, on peut recommander de renforcer les incitations à partir plus tard à la retraite, soit en augmentant encore la durée de cotisation, soit en augmentant la décote pour ceux qui partent trop tôt. Cette approche présuppose que le départ à la retraite relève avant tout d’une décision individuelle. On peut, au contraire, estimer que si les salariés partent trop tôt, c’est parce qu’ils n’arrivent pas à trouver de travail quand ils sont trop âgés. Les entreprises peuvent en effet se montrer réticentes à embaucher et à former des personnes qui pourront les quitter assez vite, c’est un investissement qui n’en vaut pas la peine. Ce qui compte ici, c’est la croyance que les employeurs se forgent sur l’âge effectif moyen de départ à la retraite.

Une bonne réforme des retraites doit donc jouer sur deux leviers : l’incitation des salariés à travailler plus longtemps et la croyance des employeurs qui vient d’être évoquée. Reste à trouver les bons outils. Si l’augmentation de la durée de cotisation a un effet certain sur le premier levier, elle ne semble pas en mesure d’infléchir beaucoup le second : les employeurs ont beau savoir qu’il devient plus dur pour un individu de prendre sa retraite à 60 ans, ils ne peuvent pas écarter ce risque ni se faire une opinion précise de l’âge effectif de départ en retraite. Le report de l’âge légal de départ à la retraite permet, au contraire, de jouer sur ces deux leviers à la fois.

Cette mesure permettrait d’unifier et de rationnaliser les croyances des employeurs, un peu comme la loi de Moore permet de le faire pour les acteurs de l’industrie des microprocesseurs. Dans les deux cas, il s’agit de fixer une norme exogène qui devient peu à peu une norme sociale autoréalisatrice. Reporter l’âge légal de départ en retraite aurait donc un meilleur impact qu’une augmentation équivalente de la durée de cotisation sur le taux d’emploi des seniors et donc sur l’équilibre financier du système par répartition. Cela permettrait d’optimiser le rapport efficacité/coût de la réforme.

Reste à savoir à quel niveau il faut fixer ce nouvel âge légal. Le gouvernement, momentanément appuyé par Martine Aubry, a commencé à évoquer l’idée de le porter à 62 ans. Cela ne semble guère suffisant quand on se compare à nos voisins européens : l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique, l’Autriche ou encore la Pologne sont déjà passés à 65 ans quand ce n’est pas 67. Qui peut croire que la France peut échapper à cette évolution ? La bonne tenue de notre natalité permet tout au mieux un allongement plus progressif que chez certains de nos voisins.

L’équilibre financier de la protection sociale est un impératif moral pour chaque génération, une réforme est donc impérative, mais rien n’empêche de la rendre la plus efficace possible. S’inspirer de l’exemple de la loi de Moore, c’est mettre toutes les chances de notre côté pour que notre système de retraite soit aussi prospère que l’industrie des microprocesseurs !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bine que malheureusement ce soit de plus en plus le cas, preuve en est l'économisme profond dans lequel nous sommes englués, je ne suis pas sûr que l'on puisse utiliser une théorie scientifique pour faire une réforme et plus globalement de la politique.
Le scientifique n'est pas l'humain, l'épanouissement et le bonheur ne sont pas quantifiables

Vive la République ! a dit…

Certes, mais il existe une réalité objective des comptes sociaux. Un déficit est un déficit, quand bien même l'épanouissement et le bonheur ne seraient pas quantifiables. Il faut bien dissocier, en politique, ce qui relève de l'opinion de ce qui relève de la nécessité ou de la vérité.