22 juin 2009

Protection sociale et variabilité de l’économie

La crise financière, devenue crise économique, tourne actuellement à la crise sociale. L’occasion pour beaucoup de saluer la protection qu’apporte le modèle social français, qui est désormais érigé en amortisseur de crise. Mais la question fondamentale est : contre quoi ou contre qui ce modèle social nous protège-t-il ? En effet, les notions de sécurité sociale, de transferts sociaux, de mutualisation des risques ou de protection du travail sont trop souvent employés les uns pour les autres et il convient d’y remettre un peu d’ordre.

A la base, tout le monde doit s’accorder sur le fait que l’économie est variable par essence. Cette variabilité est le résultat du progrès technique, des changements de goûts des individus, des aléas individuels (accident, maladie,…) ou encore des aléas naturels (tempêtes, sécheresses…). Cette variabilité entraîne une nécessaire flexibilité de l’économie ou, en d’autres termes, la stabilité complète de l’économie n’est pas un objectif tenable. La protection sociale a pour objectif d’amortir les variations inéluctables de l’économie sur le tissu social. Examinons dans le détail si les principales formes du modèle social français répondent à cet objectif.


La mutualisation des risques


L’essentiel du modèle social français consiste à mutualiser certains risques entre tous les salariés, qu’il s’agisse de l’Assurance Maladie, de l’Assurance Chômage ou de la retraite par répartition. Il convient de séparer les risques universels (maladie, veuvage…) qui concernent l’ensemble des citoyens, les risques propres aux salariés (accident du travail, perte d’emploi,…) et enfin la prévoyance (retraite, que certains présentent parfois sous l’angle du « risque de survie » après 60 ans).

Ces risques sont de plusieurs natures et doivent donc être financés de manière différente. Les risques universels concernent tous les individus, ils doivent donc être financés par l’impôt, ce qui commence à être le cas avec la CSG qui s’est substituée à certaines cotisations maladie. Les risques salariaux doivent être financés par des cotisations sociales assises sur les salaires puisqu’ils ne concernent que les salariés : cette branche de la Sécurité Sociale est de ce point de vue l’héritière directe des Sociétés de Secours Mutuels du XIXème siècle et qui étaient gérées par les salariés eux-mêmes. La prévoyance, enfin, peut être imposée ou pas et peut s’organiser par répartition ou par capitalisation, selon le degré de maturité que l’on accorde aux salariés. Il s’agit, en tout état de cause, d’un salaire différé qui doit être, d'une manière ou d'une autre, financé par les salariés eux-mêmes.

Dans tous les cas, il ne s’agit pas de réduire les risques (maladie, chômage, retraite…) mais d’en limiter la portée sur les individus en les mutualisant. C’est le résultat de l’aversion naturelle des individus pour le risque : ils préfèrent, par exemple, payer un peu tous les mois pour leur santé que prendre le risque de payer d’énormes sommes le jour où ils seront gravement malades. Inutile donc de préciser que ces branches de la Sécurité Sociale doivent être financièrement équilibrées : il n’y a pas dans ce système d’apport d’argent extérieur, ce sont les individus qui se payent leur propre protection sociale. En termes mathématiques, il s’agit d’un système d’espérance nulle mais qui réduit la variabilité pour chaque individu, d’où son utilité sociale.

Cet équilibre financier ne doit pas forcément être réalisé à court terme, car il faut bien amortir les crises économiques. Il ne peut pas simplement viser l’équilibre à long terme car la protection sociale bénéficie uniquement aux générations actuelles et ne doit en aucune façon être financée par les générations suivantes (contrairement à certaines dépenses d’investissement de l’Etat). C’est donc à moyen terme, c’est-à-dire à l’horizon d’un cycle économique, que l’équilibre doit être trouvé. Or ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui, puisque la sécurité sociale française est en déficit chronique depuis 20 années, qui n’ont tout de même pas toutes été des années de crise ! Il semble donc que les Français se mentent à eux-mêmes, ou que les dirigeants politiques les trompent sur ce sujet, ce qui revient un peu au même.




Il faut donc clarifier les financements. L’Etat doit prendre totalement la main sur l’Assurance Maladie, en assurant son fonctionnement par l’impôt et par diverses contributions directes (ticket modérateur, franchise médicale, non-remboursement de certains soins laissés aux mutuelles et aux assurances,…) et en limitant l’augmentation des coûts par sa politique de santé (réforme de l’hôpital, recours aux médicaments génériques…). C’est lui qui a toutes les cartes en main dans ce dossier. Pour s’assurer de l’équilibre de cette branche, il serait bon qu’un financement dédié (l’actuelle CSG) y soit directement affecté.

En revanche, l’Etat doit se désengager de la mutualisation des risques salariaux en confiant directement leur gestion (chômage, accidents du travail,…) aux syndicats de salariés et en fusionnant les cotisations salariales et patronales (distinction qui n’a aucun sens). Les entreprises se contenteraient de verser ce qu’on appelle aujourd’hui le salaire hyperbrut directement aux salariés et les salariés décideraient, par branche, du montant des cotisations, du montant et de la durée des remboursements en votant pour leurs représentants syndicaux. Ces syndicats seraient responsables de l’équilibre financier du système, c’est-à-dire en dernier ressort du versement des allocations.

En ce qui concerne la prévoyance, un système par points qui assurerait mécaniquement l’équilibre financier (en fonction du ratio actifs/retraités et de la croissance) éviterait de relancer périodiquement le débat sur les retraites et permettrait de pérenniser le système par répartition auxquels les citoyens sont à juste titre attachés.


Les transferts sociaux

Les transferts sociaux (RSA, allocations familiales, CMU, minimum vieillesse…) consistent, en dernier ressort, à mettre certaines catégories de la population à contribution aux bénéfices d’autres catégories. Par exemple, la carte Famille Nombreuse ne revient pas à faire financer par l’Etat une partie du billet de train des familles mais à demander aux gens qui ont peu d’enfants ou qui n’utilisent pas le train de payer une partie du ticket des gens qui ont beaucoup d’enfants et qui utilisent le train. C’est ainsi que les choses doivent être présentées.

Un transfert social est donc un choix politique qui ne peut être financé que par l’impôt et absolument pas par des cotisations sociales. Il serait également sain que ces impôts soient dédiés afin que l’on s’assure que le système est bien équilibré à moyen terme et que les générations futures ne contribuent pas aux transferts sociaux des générations actuelles. Notons, de plus, que le caractère obligatoire de l’Assurance Maladie ou de l’Assurance Chômage participe aux transferts sociaux puisque cela revient à faire contribuer les riches et bien portants au-delà des risques qu’ils encourent en réalité.

Dans le cas des transferts sociaux, il s’agit de protéger les individus contre la précarité et de réduire certaines inégalités (si on laisse de côté la politique nataliste). Cet objectif peut se ramener à un problème d’aversion pour le risque dans le cadre de la théorie de la justice de Rawls : il s’agit d’une assurance sur laquelle les individus s’accorderaient avant qu’ils puissent évaluer leur propre fortune par rapport au reste de la société.


Le droit du travail

On a vu que les systèmes de protection sociale consistaient avant tout en une mutualisation de certains risques, qu’ils ne cherchaient pas à supprimer la maladie, le chômage ou « la survie après 60 ans » mais plutôt à rendre ces aléas acceptables par le corps social. Dès lors, qu’en est-il du droit du travail français réputé particulièrement protecteur ? Protecteur contre quoi, protecteur contre qui ? Il ne saurait bien évidemment être question de vouloir supprimer la flexibilité de l’économie puisque cette flexibilité est inéluctable, c’est une « donnée » du problème, pas une variable.

En réalité, le droit du travail est protecteur POUR les insiders (fonctionnaires, CDI dans des grandes entreprises…) CONTRE les « outsiders » (CDD, interim, salariés d’entreprises exposés à la concurrence internationale). C’est l’une des bases du malaise français. La crise actuelle en est l’illustration : la France des insiders, dont je fais partie, n'en vois pas du tout les conséquences, le taux de chômage de cette catégorie est certainement resté stable et relativement bas au cours des derniers mois. En conséquence, tout l’ajustement économique se fait sur la France des outsiders qui sont massivement envoyés au chômage. Autre exemple : l’augmentation du SMIC profite essentiellement à ceux qui ont déjà un emploi assez stable au détriment de ceux qui en cherchent un et dont la productivité est assez faible.

Bref, le droit du travail français semble fonctionner à rebours du reste de la Protection Sociale : il ne mutualise pas les risques : il les concentre ! Pour remédier à cette situation, la fin des coups de pouce au SMIC, un contrat de travail unique et la fin de l’emploi à vie pour les fonctionnaires (dont je fais encore partie) semblent s’imposer. C’est l’une des conditions de la mobilité sociale et de la lutte contre la précarité.


Conclusion


La protection sociale est donc nécessaire pour lisser la variabilité de l’économie sur le corps social en mutualisant un certain nombre de risques. Cette mutualisation doit impérativement se traduire par un équilibre financier à moyen terme, car ce sont les générations actuelles qui profitent de la Protection Sociale. Les rôles et les responsabilités doivent pour cela être clairement établis entre l’Etat et les syndicats de salariés. Enfin, une protection sociale qui aboutit à concentrer les risques économiques sur certaines catégories de la population manque évidemment son but et doit être radicalement modifiée.

3 commentaires:

Vive la République ! a dit…

Pour alimenter le débat, quelques morceaux choisis de Frédéric Bastiat dans "Harmonies Economiques" :

"Les sociétés de secours mutuels, institutions admirables, néee des entrailles de l'humanité longtemps avant le nom même de Socialisme. Il est difficile de dire quel est l'inventeur de cette combinaison. Je crois que le véritable inventeur c'est le besoin, c'est cette aspiration des hommes vers la fixité."

"Le but de ces sociétés est évidemment un nivellement général de satisfaction, une répartition sur toutes les époques de la vie des salaires gagnés dans les bons jours. Dans toutes les localités où elles existents, elles font un bien immense."

"Leur écueil naturel est dans le déplacement de la responsabilité. Ce n'est jamais sans créer pour l'avenir de grands dangers et de grandes difficultés qu'on soustrait l'individu aux conséquences de ses propres actes. Il est à craindre qu'on ne voit se développer, à un point dangereux, le penchant naturel des hommes vers l'inertie, et que bientôt les laborieux ne fussent réduits à être les dupes des paresseux. Les secours mutuels impliquent donc une surveillance mutuelle, sans laquelle le fonds de secours serait bientôt épuisé."

"Mais je demande quelle sera la moralité de l'institution quand sa caisse sera alimentée par l'impôt; quand nul, si ce n'est quelque bureaucrate, n'aura intérêt à défendre le fonds commun; quand chacun, au lieu de se faire un devoir de prévenir les abus se fera un plaisir de les favoriser; quand aura cessé toute surveillance mutuelle et que feindre la maladie ne sera autre chose que de jouer un bon tour au gouvernement ?"

"Car bientôt qu'arrivera-t-il ? Les ouvriers ne verront plus dans la caisse commune une propriété qu'ils administrent, qu'ils alimentent, et dont les limites bornent leurs droits. Peu à peu, ils s'accoutumeront à regarder le secours en cas de maladie ou de chômage, non comme provenant d'un fonds limité préparé par leur propre prévoyance, mais comme une dette de la Société. Ils n'admettront pas pour elle l'impossibilité de payer, et ne seront jamais content des répartitions".


Ces passages datent de 1860 !

Louis-Marie Jacquelin a dit…

A la fin de ton article, mon cher Vincent, je sens que tu n'es pas loin de soulever une question marrante : la garantie de l'emploi à vie des fonctionnaires, pour ne prendre que cet exemple, est un acquis social. Par définition d'un acquis, il ne peut être ôté.
Le premier pas pour accomplir ce changement radical dont tu parles serait peut-être de prouver sémantiquement que c'est possible, comment comptes-tu t'y prendre?

Vive la République ! a dit…

Je commencerais par supprimer le statut d'emploi a vie des fonctionnaires pour la haute fonction publique, ce qui est susceptible de convenir a tout le monde en multipliant les passerelles public-prive. Pour les autres fonctionnaires actuellement en poste, on ne changerait rien, le nouveau statut s'appliquerait pour tout le monde dans le cas des nouvelles embauches.

Enfin ce n'est qu'une esquisse, il faut regarder davantage dans le detail.