17 avril 2008

Couacs ou pas couacs


A en croire la presse nationale, le gouvernement vient de vivre une de ses semaines les plus difficiles depuis son installation. La succession de ce que le microcosme a choisi de qualifier de « couacs » a donné une image d’improvisation et de dissensions au sein de la majorité. On a donc ressorti tous les éditorialistes et journalistes politiques qui font la fierté de notre pays pour qu’ils puissent exprimer toute leur dimension sur les plateaux de télévision. Untel y a vu le signe de tensions croissantes entre le Président de la République et son Premier Ministre, un autre a cru déceler la révolte des parlementaires UMP face à certains ministres et un dernier a pointé les rivalités qui existent au sein même du gouvernement, en vue de remplacer un François Fillon annoncé sur le départ dès 2009.

A croire que la vie politique de notre pays se résume au jeu politicien, avec tout ce qu’il suppose de tactique et de coups bas. Ce n’est plus Le Monde qui donne le ton des débats, c’est le Canard enchaîné, ce ne sont plus les journaux télévisés qui informent les citoyens, ce sont les Guignols de l’info. Loin de remettre en cause la place de la presse satirique, qui est un élément essentiel de la liberté d’opinion, il s’agit de se demander où est passé le journalisme politique. Plus que la presse, c’est toute l’opinion française qui se passionne pour la politique politicienne : les 5 millions de téléspectateurs quotidiens des guignols, dont je fais partie, connaissent tout de la rivalité entre Xavier Bertrand et François Fillon, ils se délectent des stratégies des éléphants du PS, se demandent comment Bertrand va faire pour écarter Ségolène en s’appuyant sur Martine sans trop se fâcher avec François. Bien entendu, les Tartuffes ne sont jamais très loin pour s’indigner des querelles de personnes qui prennent trop de place dans la vie politique.

Pour revenir à notre sujet, il est donc désormais établi que le gouvernement a accumulé les gaffes, les couacs et autres erreurs de communication. Peu importe qu’il s’agisse des OGM, de la carte famille nombreuse de la SNCF, du boycott de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Pékin ou de la diminution du nombre de postes dans l’Education Nationale, ces sujets ne semblent pas exister par eux-mêmes, ils ne sont là que pour servir la thèse du « couac » généralisé. On ne demande plus à un ministre si ce qu’il propose est juste, vrai ou efficace, on lui demande de juger de la qualité de la communication du gouvernement. On entre alors dans un cycle sans fin, complètement nombriliste, fermé sur lui-même et autoréalisateur : la démocratie d’opinion joue à plein puisque les sondages d’opinion sur telle ou telle mesure gouvernemental deviennent des arguments structurants du débat. Prenons donc le temps de sortir de cette bulle et d’analyser brièvement chacun des cas évoqué dans sa spécificité.

La question des OGM est complexe et suscite des avis très contrastés. Derrière elle, se cache un certain rapport à la nature et à la science et des interrogations quasi-philosophiques. Faut-il, en effet, que certains parlementaires aient les convictions chevillées au corps pour prendre le risque de froisser une opinion très majoritairement hostile aux OGM. Il est parfaitement sain et normal qu’un tel débat de principe ait lieu au Parlement et qu’il déclenche les passions. Telle n’est pas l’image renvoyée de ce débat par les médias : certains parlementaires de la majorité sont accusés d’être achetés et à la solde des grands semenciers comme Monsanto, on leur refuse le droit d’avoir une opinion indépendante. Les commentateurs s’indignent : les parlementaires, élus du peuple, osent remettre en cause le travail des représentants auto-désignés des associations qui ont participé au Grenelle de l’environnement ! Quel affront pour la démocratie, comment pouvons nous encore accepter d’être dirigés par cette armée de réactionnaires ? Mais soudain surgit la belle secrétaire d’Etat Nathalie Kosciusko-Morizet, qui a défaut de se faire un nom aura profité de l’occasion pour se faire un acronyme, et qui dit tout haut ce que le peuple pense tout bas, à savoir que les parlementaires UMP sont des lâches. NKM aurait-elle du démissionner au-delà de ses excuses, a-t-elle eu raison sur le fond du dossier ? Peu importe puisque 78% des Français ont approuvé son comportement selon un sondage, elle au moins a compris que la démocratie représentative ne pesait plus grand-chose face à la démocratie d’opinion et qu’un ministre devait davantage chercher la confiance des Français que celle des parlementaires. Après l’alliance entre le Roi et le Tiers-Etat pour diminuer l’importance de la noblesse au XVIIème et XVIIIème siècle, le Grenelle nous prouve qu’on assiste à une alliance d’un nouveau genre entre l’exécutif et l’opinion publique contre les parlementaires, symboles d’un autre âge, celui de la démocratie représentative. Mais si on fait le point sur le fond du dossier, peut-on dire que les Français sont plus éclairés sur la question des OGM après ces semaines de débats intenses ? Certes tout le monde connaît désormais NKM, le sénateur Legrand, le député Grosdidier ou le député Chassaigne, mais qui ose, par exemple, pousser le débat plus loin en faisant, par exemple, un lien entre le développement des OGM comme réponse face à la crise alimentaire qui touche le monde actuellement. Vu du tiers-monde, nos débats interminables pour savoir quelle distance devra séparer un agriculteur utilisant des OGM d’un producteur de bio doivent sembler bien dérisoires.

L’ « affaire » de la carte famille nombreuse de la SNCF est également un cas d’école de faux -couac qui masque un vrai débat. Même s’il faut reconnaître que certains ministres ont affiché des positions parfois contradictoires, le travail de désinformation a atteint des sommets sur ce sujet. C’est le syndrome du téléphone arabe : un rapport (celui de la Revue Générale des Politiques Publiques) comprend une mesure qui prévoit de supprimer la subvention de l’Etat à la SNCF pour cette carte familiale, la presse titre que le gouvernement veut supprimer cette carte, Nicolas Sarkozy choisit de contourner la difficulté en décidant de maintenir la subvention mais en demandant une augmentation comparable du dividende versé par la SNCF redevenue bénéficiaire à l’Etat son unique actionnaire, l’opinion estime que le Président a reculé. Comment peut-on en arriver à un tel dialogue de sourd ? Alors qu’ils sont là pour clarifier les débats, les médias semblent tout faire pour favoriser la confusion. L’idée de base du gouvernement n’est pourtant pas totalement stupide : faire payer une entreprise bénéficiaire, fût-elle publique, pour économiser des dépenses publiques, c’est-à-dire des impôts, même Olivier Besancenot pourrait se retrouver dans un tel programme.

La suppression de postes d’enseignants dans le secondaire souffre également de la confrontation entre l’opinion et la vérité. Il y a d’abord une querelle sur les chiffres un peu surréaliste : le ministre de l’Education Nationale explique que le taux d’encadrement, c’est-à-dire le nombre d’élèves par professeur, restera constant par rapport à l’année précédent, les lycéens et les syndicats lui répondent qu’on réduit le nombre d’enseignant donc la qualité du service public de l’éducation. En décorrélant ainsi le nombre d’enseignants et le nombre d’élève, on pourrait aboutir à la conclusion absurde que le système éducatif français est six fois meilleur que le belge car nous avons environ six fois plus d’enseignants. Sur ce point très précis, il n’est pas question d’opinion, et pour les journalistes, il ne suffit pas de relayer les points de vue des uns et des autres en les affectant d’un poids égal : l’affirmation du ministre est soit vraie, soit fausse, tous les chiffres sont disponibles, qu’attend-on pour mettre fin à cette querelle ? Rares sont les questions politiques aussi simples, si on ne parvient pas à ce mettre d’accord à leur sujet, cela augure mal de ce qui se passera pour les autres débats plus complexes.

Pour finir, parlons d’un « vrai » couac, celui, permanent, de la diplomatie française depuis la Présidentielle, avec, dans le rôle principal, la secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme Rama Yade. Au début, on pouvait approuver voir s’émouvoir des prises de positions courageuses de la jeune ministre, en particulier lors de la venue du colonel Khadafi en France, mais désormais le scénario répétitif d’un pas en avant suivi d’un pas en arrière finit par lasser. A tel point qu’on en vient à se demander si on n’assiste pas à une pantomyne et à un spectacle bien réglé : d’abord les protestations courageuses la main sur le cœur de Rama Yade, puis un démenti de son ministre de tutelle Bernard Kouchner et enfin la secrétaire d’Etat qui revient sur ses propos en disant qu’ils ont été mal retranscrits. Une telle pratique de la politique, qui s’affranchit de toute responsabilité, est détestable, elle s’inscrit pour partie dans une tentative de présidentialisation du régime où les ministres n’ont plus réellement de pouvoir et en sont réduits à se donner de l’importance au travers de coups d’éclats médiatiques.

Cessons une fois pour toute de ramener tous les problèmes politiques à des questions de méthode ou de communication, reconnaissons que ces sujets existent avant tout par eux-mêmes et méritent un examen approfondi. Alors discutons des OGM, de la réforme de l’Etat, de la politique de l’Education Nationale ou de la politique étrangère plutôt que d’attendre les faux-pas du gouvernements et les sempiternels couacs.

1 commentaire:

David a dit…

Salut VLR,

Très intéressant cet article.
En effet, je suis impressionné par le flou que les médias semblent constamment maintenir sur tous ces sujets, même simples.

David