Dérogeant quelque peu à la vocation de ce blog de produire des réflexions générales sur la politique et l'économie, je vais, au travers de cet article, donner mon avis, ou plutôt mon intime conviction, sur les rebondissements judiciaires de l'affaire Clearstream et en particulier la décision du procureur Jean-Claude Marin de faire appel du jugement de première instance.
L'intime conviction est brillamment définie à l'article 253 du code de procédure pénale : " La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : " Avez-vous une intime conviction ? "". Bien entendu, je n'entends pas me transformer en juge de la justice, les réflexions qui suivent n'ont comme seul objectif de dépasser le prêt-à-penser médiatique sur cette affaire.
En première instance, la justice a condamné MM Gergorin et Lahoud, conformément à l'avis du parquet et a relaxé M. de Villepin contrairement à l'avis du parquet. MM Gergorin et Lahoud ont décidé de faire appel et ils ont été suivis par le parquet, si bien qu'un nouveau procès aura lieu avec toutes les parties prenantes de l'affaire. Deux thèses s'affrontent à propos de cette décision du parquet.
Tout d'abord, le procureur Marin dit avoir pris sa décision de façon indépendante, sans pression de Nicolas Sarkozy, car il estime que le dossier établit la culpabilité de M. de Villepin et qu'il est de coutume pour le parquet d'interjeter appel quand une partie des prévenus font appel afin de rejuger complètement l'affaire. La seconde thèse, défendue par Dominique de Villepin et relayée par une grande partie de la presse est que c'est Nicolas Sarkozy qui a demandé au parquet, sur lequel il a autorité de poursuivre à nouveau Dominique de Villepin.
Pour essayer de trancher, il faut aller plus loin dans les détails. Tout d'abord, les deux arguments avancés par M. Marin sont recevables, c'est-à-dire que sa décision n'est pas une exception par rapport à ce qui peut se faire en de pareilles circonstances. Ensuite, il faut dire que M. Marin dépend hiérarchiquement de la Chancellerie (i.e. le ministère de la justice) et non pas directement du Président de la République et cela sous deux mécanismes différents. La Chancellerie peut tout d'abord donner des ordres publics et écrits aux procureurs, ce qui n'a pas été fait ici, elle est également en charge de la promotion des membres du Parquet (mais ne peut pas destituer un magistrat du parquet en place).
M. de Villepin formule donc une accusation assez grave : il estime que l'Elysée a commis une action illégale et que Jean-Claude Marin a cédé à cette pression. Mon intime conviction est qu'il n'en a pas été ainsi, pour l'étayer, je vais me pencher sur ces deux acteurs et leurs motivations.
Commençons par Nicolas Sarkozy. Il me semble qu'il n'a aucun intérêt à cet appel, qui offre une nouvelle tribune politique à son rival à un an des présidentielles et qui permet à ce-dernier d'accentuer sa posture de victime. Bien entendu, le jugement d'appel n'est pas donné d'avance, mais il semble probable que l'absence de preuves matérielles contre M. de Villepin soit également mise en avant par la cour d'appel. Nicolas Sarkozy, en annonçant dès la connaissance du verdict qu'il n'entendait pas faire appel en tant que partie civile a plutôt montré que son intérêt était d'en finir avec cette affaire Clearstream. En résumé, si "crime" il y a, il ne me semble pas profiter à Nicolas Sarkozy. Ajoutons qu'en faisant pression sur le parquet, l'Elysée prend le risque que le procureur refuse de céder et dénonce publiquement ces pressions.
Mais le plus important est de considérer la position de Jean-Claude Marin. Ce haut magistrat est-il la marionnette du pouvoir décrit par les médias ? A-t-il enfreint la loi en prenant consigne auprès du pouvoir exécutif de ce qu'il devait faire ? Pour répondre à ces questions, il faut envisager ses motivations potentielles. Jean-Claude Marin peut espérer monter dans la hiérarchie en étant complaisant avec le pouvoir, mais il possède déjà un poste très en vue et il n'a pas été promu lors de la dernière vague de nominations comme avocat général à la cour d'appel de Paris. Une promotion avant 2012 est donc plus qu'incertaine et une promotion après 2012 serait conditionnée à la victoire de Nicolas Sarkozy.
Ainsi, l'exécutif dispose d'assez peu de moyens de pression sur Jean-Claude Marin ou, pour le dire autrement, si le procureur a cédé à d'éventuelles pressions de l'exécutif, c'est qu'il est un homme de peu de moralité. Là est le point central : la théorie complotiste d'une justice aux mains du pouvoir suppose que les individus magistrats n'ont aucune conscience professionnelle et ne pensent qu'à leur carrière. C'est cette hypothèse qui me semble, en définitive, fortement contestable. J'ai la faiblesse de penser que la dignité et l'honneur sont des valeurs plutôt répandues dans la société et en particulier chez les gens qui sortent de l'Ecole Nationale de la Magistrature.
Je pense donc, au final, que le procureur Marin a dit la vérité sur Europe 1 (je suis en revanche un peu choqué qu'il se soit exprimé dans les médias pour annoncer sa décision), c'est-à-dire qu'il est convaincu de la culpabilité de Dominique de Villepin. Si tel est bien le cas, alors il DEVAIT, en conscience, interjetter appel.
La leçon plus générale que je tire de cet épisode judiciaire et médiatique, c'est que le cynisme ambiant n'est qu'une mauvaise représentation de la réalité. Contrairement à ce que pensent beaucoup de personnes, le cynisme, ce n'est pas de la lucidité, c'est une vision contestable du monde qui sous-estime selon moi l'influence des valeurs morales dans la société. Je suis peut-être naïf, mais j'ai l'impression de vivre dans un Etat de droit.
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