22 décembre 2007

Comment peut-on être conservateur ?


Le conservatisme est reconnu comme un grand courant politique, pourtant, qui aujourd'hui ose se définir publiquement comme un conservateur ? Ce qualificatif est devenu une sorte d'anathème que l'on jette sur l'adversaire pour le disqualifier. Ainsi, la droite stigmatise la gauche à propos de son conservatisme social et sa défense des droits acquis tandis que la gauche dénonce le conservatisme de la droite sur le plan des moeurs. C'est toute la difficulté de ce concept, qui recouvre des champs d'application très large : la politique, l'éducation, le social, le progrès scientifique, les moeurs ou encore l'environnement. Dans au moins une de ces catégories, chacun peut se considérer comme conservateur : les écologistes mettent l'accent sur la préservation, et donc la conservation, de l'environnement tandis que les "républicains" regrettent l'âge d'or de l'Ecole de la IIIème République. Dès lors, d'où vient la difficulté de s'afficher comme conservateur ?

Tout d'abord, il faut préciser que le conservatisme est davantage une attitude qu'une idéologie ou une doctrine politique. Il y a en effet autant de conservateurs différents qu'il y a de systèmes ou de cultures à conserver. La deuxième difficulté est que le conservatisme est avant tout défini par ses adversaires, à savoir les progressistes. Selon eux, l'histoire a un sens, elle suit une marche qu'il s'agit de promouvoir et de célébrer. Les conservateurs sont donc ceux qui refusent ce mouvement et qui s'accrochent aux temps anciens, tandis que les réactionnaires vont plus loin encore en souhaitant un renversement du sens de l'histoire c'est-à-dire un retour en arrière. Mais ce que constestent les conservateurs, c'est l'idée même d'un sens de l'histoire, idée fondatrice de la modernité qui a émergé dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Avant cette période, tout le monde était conservateur, c'est-à-dire que les évènements historiques étaient considérés pour eux-mêmes et pas comme des matérialisation d'un processus historique irrésistible. L'époque moderne nous a fait passer de la contingence à la nécessité et du particulier (les traditions) au général (la déclaration universelle des droits de l'Homme).

Mais on peut parfaitement être conservateur sans s'opposer au progrès humain, la véritable distinction sur ce point entre progressistes et conservateurs est que les premiers y croient quand les derniers le souhaitent. C'est une grande différence qui les conduit à être vigilant à chaque nouveau pas que fait l'humanité pour savoir s'il va ou non dans le bon sens. Selon eux, le progrès ne va pas de soi, il n'est pas un processus mais un objectif. On assiste actuellement d'ailleurs à un renversement complet des rôles par rapport à la fin de la monarchie absolue : à l'époque la pensée critique était du côté des Lumières face à l'Ancien Régime tandis qu'aujourd'hui, la cause moderne étant définitivement entendue, c'est du côté des conservateurs que l'on trouve les analyses les plus critiques, parfois les plus lucides, sur l'évolution de nos sociétés. Dans une optique de développement pérenne, ces phases de doute, de questionnement et parfois de retour en arrière sont essentielles, au même titre que l'apprentissage pour un élève doit alterner entre des phases de progrès et des phases de consolidation.

Dans le domaine social, le conservatisme apparaît comme une entrave délibérée à la mobilité sociale de la part des classes les plus favorisées. Cette critique est parfaitement fondée puisqu'à l'origine, c'était la motivation et le but commun de la "réaction". En plus de ces considérations personnelles, les conservateurs étaient très attachés à une société hiérarchisée en ordres et à l'idée d'autorité. Cette préoccupation est encore un trait typiquement conservateur, sauf que la République a substitué la méritocratie aux trois ordres et a ainsi rendu l'autorité plus légitime qu'elle ne l'était en la basant sur le talent et la compétence plutôt que sur la naissance. Etre conservateur aujourd'hui, c'est donc défendre ce nouvel ordre de la société face au progressisme qui voit l'égalité des conditions comme la réalisation ultime du processus historique. Ainsi, le conservatisme ne doit plus s'opposer mais favoriser la mobilité sociale dès lors qu'elle est justifiée par le mérite. Il est en effet essentiel de préserver une organisation de la société basée sur l'autorité car les deux seules alternatives sont la violence, qui est inacceptable, et la persuasion, qui est inapplicable en pratique.

Le conservatisme est également souvent opposé au réformisme, le conservateur cherchant à maintenir en l'état le mode de fonctionnement de la société, soit qu'il en soit satisfait, soit qu'il craigne les évolutions à venir. Pour résumer, pour chaque réforme, on sait ce que l'on perd et rarement ce que l'on gagne. Cette posture est évidemment condamnable en soi car un système politique qui se fige finit irrémédiablement par décliner puis par disparaître. Ce n'est donc pas à la réforme que le conservatisme doit s'opposer, mais aux révolutions, ou, pour utiliser un terme en vogue, à la rupture. Le conservatisme doit être la voix de l'humilité et du respect des générations passés qui ont construit progressivement la société que nous connaissons. L'homme moderne est souvent caractérisé par son arrogance et sa propension à tout réinventer comme si l'histoire qui le précèdait n'était qu'un simple brouillon et comme si du passé il fallait toujours faire table rase. Le progrès des sociétés humaines doit être réalisé de manière progressive, dans la durée, pas dans un climat de rupture systématique qui plonge les individus dans un climat d'insécurité permanent. Avant de vouloir changer un système, il importe de comprendre son évolution passée qui explique son fonctionnement actuel.

Un respect du passé, sans pour autant l'idéaliser, une exigence de bon fonctionnement du système présent, avec un attachement particulier à l'idée d'autorité, et une ambition raisonnée pour l'avenir, telles sont les trois conditions qui peuvent justifier le conservatisme. C'est un équilibre fragile, car bon nombre de conservateurs adoptent souvent une vision "religieuse" du passé, comme c'est le cas actuellement avec certains défenseurs de l'environnement. Il s'agit, au final, de faire mentir le Président Américain Woodrow Wilson qui disait "Un conservateur est un homme qui reste assis et qui réfléchit ; qui reste assis surtout".

10 décembre 2007

La Fayette et Talleyrand au Panthéon


A l'occasion du 250ème anniversaire de la naissance du marquis de La Fayette, et après l'hommage que le Président de la République lui a rendu lors de son voyage aux Etats-Unis, beaucoup d'intellectuels et d'élus réclament qu'il entre au Panthéon. Cette idée est juste, mais elle le serait encore davantage si on choisissait de le faire entrer en compagnie de Talleyrand, illustre ministre des Affaires Extérieures sous le Directoire, le Consulat et l'Empire.

En effet, ce qui rapproche La Fayette et Talleyrand, c'est leur appartenance à la mouvance libérale qui a mené la Révolution Française de 1789 à 1792, période glorieuse où furent élaborées la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ainsi que la première Constitution démocratique de la France. Ils sont également deux symboles de l'opposition à la dérive jacobine que prend la Révolution et qui la conduit vers la Terreur de Robespierre. Enfin, leur amour de l'Amérique les rapproche : le premier ayant combattu auprès de Washington pendant la Guerre d'Indépendance, le second y ayant trouvé refuge sous la Terreur sans pour autant faire partie des émigrés puisqu'il avait réussi à obtenir un passeport de la part de Danton.


Mais plus que leurs points communs, ce sont leurs différences et leur complémentarité qui justifie leur entrée commune au Panthéon. La Fayette, c'est l'homme des principes et le hérault du libéralisme politique en France. Mais, alors même qu'à plusieurs reprises sa popularité lui aurait permis de prendre le pouvoir (que ce soit lors de la Fête de la Fédération ou en 1830 quand il préfère installer Louis-Philippe), il recule et n'a donc pas eu une influence politique à la hauteur de ses capacités. Talleyrand, c'est tout le contraire : à la manière d'un Jospeh Fouché, il a toujours su manoeuvrer pour être en position d'exercer le pouvoir. Député en vue à l'Assemblée Constituante, ministre du Directoire, ministre de Napoléon, ministre de Louis XVIII sous la Restauration et enfin soutient décisif de Louis-Philippe en 1830. Ce comportement pourrait être condamnable s'il n'était motivé que par l'ambition personnelle et l'ego, il l'est beaucoup moins quand on connaît les services que Talleyrand a rendu à son pays dans les victoires comme dans les défaites, en particulier lors de la négociation du Traité de Vienne où il a su préserver l'intégrité du territoire de la France pré-impériale. Plus qu'un homme d'idéaux, Talleyrand est donc un homme d'exercice du pouvoir et en particulier de la diplomatie. La Fayette et Talleyrand, ce serait donc le mariage de l'idéalisme stérile et de l'opportunisme fécond.

Plus fondamentalement, ces deux hommes font le lien entre l'Ancien Régime et la Révolution : ils savent tous deux que quelque chose de fort et d'irréversible est né en 1789, mais que cela ne suffit pas pour autant à effacer 1000 ans de royauté et d'histoire nationale. La Fayette, qui vient de la noblesse, accepte de défendre la cause du Tiers-Etat en réclamant une monarchie parlementaire. Talleyrand, qui vient du clergé, porte la Constitution civile du clergé c'est-à-dire le transfert des biens de l'Eglise vers la République. Ces hommes-charnières renvoient à la magnifique phrase de l'historien March Bloch : "Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais rien à l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims, ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération".

Faire entrer La Fayette et Talleyrand au Panthéon, c'est également reconnaître deux perdants de l'histoire. En effet, ni leur vision de la Révolution, ni leur soutien à une Monarchie Parlementaire libérale n'ont été pérennes. L'Histoire a tranché : la Révolution fut Jacobine et la France, dès 1848 Républicaine. Même s'ils ont fini l'un sur l'échafaud et l'autre en exil à Saint-Hélène, Robespierre et Napoléon sont des vainqueurs de l'Histoire. Leur influence se fait encore sentir à ce jour et l'immense majorité des Français, à laquelle j'appartiens, sont gré à ces hommes d'avoir installé cette République si particulière en France. Le sang qui a coulé n'a fait qu'enraciner dans l'inconscient national les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité, aussi perverties qu'elles aient pu l'être. Ainsi, faire entrer Talleyrand et La Fayette au Panthéon, ce n'est pas faire un pas vers la réaction, mais rendre hommage à ce libéralisme politique, qui fait également partie de l'histoire nationale, même s'il ne s'y est jamais durablement imposé.

De toute façon, les grands idéaux républicains seront toujours bien gardés au Panthéon : Carnot veille !

02 décembre 2007

L'harmonie dans la société


"Avant tout nous devons constater qu'un progrès qui se peut additionner n'est possible que dans le domaine matériel. Ici, dans la connaissance croissante des structures de la matière et en relation avec les inventions toujours plus avancées, on note clairement une continuité du progrès vers une maîtrise toujours plus grande de la nature. À l'inverse, dans le domaine de la conscience éthique et de la décision morale, il n'y a pas de possibilité équivalente d'additionner, pour la simple raison que la liberté de l'homme est toujours nouvelle et qu'elle doit toujours prendre à nouveau ses décisions.", ces mots sont de Benoît XVI, dans sa dernière encyclique sur l'espérance, texte qui regorge d'érudition et qui pose clairement les termes du débat. Le souverain pontife souligne ici avec justesse le caractère non-cumulatif des connaissances qui ne sont pas scientifiques et en particulier de l'éthique. Mais entre la science et la morale personnelle, il oublie une catégorie : l'organisation de la société, part essentielle du processus de civilisation.

En effet, si on croit en la civilisation, on croit à l'amélioration progressive de l'organisation des rapports entre les êtres humains, parallèlement au progrès scientifique et technique, qui permet de favoriser l'harmonie au sein de la société. Ce processus-là, contrairement à la morale individuelle, est partiellement cumulatif car il tire les leçons du passé. Dès lors, une question centrale de la réflexion politique est de discriminer ce qui doit relever de la morale individuelle et de l'éthique de ce qui doit être déterminé par les règles de la société. Il s'agit de rechercher un optimum respectueux de la liberté individuelle et exigeant envers le genre humain.

Le premier objectif de l'organisation de la société doit être de garantir la paix en son sein. Pour cela, elle établit des règles, qui prennent la forme de lois, qui visent à tempérer les pulsions et les volontés individuelles contradictoires. Ces règles principales sont grosso modo les mêmes depuis les tables de la loi : interdits du meurtre, du vol, de l'adultère ou protection de la propriété. Ce sont des règles minimales, c'est-à-dire que leur respect ne nécessite pas de hautes qualités morales. Les principes du droit français sont à ce propos éloquents : l'idéal proposé est le "Bon père de famille prudent et avisé", cette notion, qui remonte au Code civil instauré par Napoléon, décrit un homme raisonnable, normalement avisé, prudent et pondéré, qui s’occupe de ses intérêts avec diligence. On est très loin d'un modèle de vertu et de courage, la loi n'attend pas du citoyen qu'il mette sa vie en danger pour défendre la veuve et l'orphelin, mais plutôt qu'il paye ses impôts, qu'il ne soit pas trop endetté et qu'il ne trompe pas sa femme. C'est là toute la force du Code civil, c'est qu'il connaît trop bien la nature humaine et ses faiblesses pour ne pas imposer à l'individu un standard moral inatteignable.

Pour illustrer ce propos, prenons le cas du droit de la preuve. Pour qu'une preuve soit considérée valide par un tribunal, il faut qu'elle soit obtenue de manière loyale, c'est là une grande différence avec le droit anglo-saxon. Ainsi, il est interdit, pour faire condamner quelqu'un, de lui tendre des pièges, d'enregistrer une conversation à son insu ou de le tenter. C'est cette caractéristique du droit qui a longtemps empêché la reconnaissance du testing pour mettre en évidence la discrimination à l'entrée des boîtes de nuit. Ainsi, le droit Français considère-t-il dans sa grande sagesse que si l'homme est trop tenté il n'est pas anormal qu'il finisse par céder, même s'il enfreint la loi à cette occasion. On est loin du puritanisme qui imprègne le droit anglo-saxon.

En n'exigeant de ses membres que le juste nécessaire, la société replace les actions de bravoure et les comportements exemplaires dans le cadre de l'éthique individuelle. Il est très important de ne pas banaliser la vertu et les qualités morales. Stigmatiser le grand nombre de Français qui sont restés passifs sous l'occupation, c'est diminuer le mérite et le courage des Résistants. Ainsi, pour garantir l'harmonie sociale, il est important que le niveau d'exigence de la société ne soit pas trop haut. Mais tout ne dépend pas de la loi, et le contrat ou les règles tacites de la société peuvent de ce point de vue aller beaucoup plus loin dans l'exigence que ne le fait le droit. La surveillance permanente de certains salariés au travail, qu'on va jusqu'à placer en "open space" afin qu'ils se surveillent les uns les autres, les garanties de plus en plus strictes imposées par les compagnies d'assurance à leurs clients, ou encore la traque organisée autour des responsables politiques pour voir si leur agissements privés sont en conformité avec leur parole publique, sont autant d'atteintes portées à la paix sociale. Il faut reconnaître le droit des individus à la faillibilité.

Parallèlement, un niveau d'exigence trop bas imposé par la société est contraire à l'épanouissement des individus. Il faut dénoncer le mythe libéral qui voit le salut de la société dans une confiance aveugle dans la liberté individuelle. C'est refuser de voir le penchant présent en chacun d'entre nous vers la facilité et le moindre effort. Prenons l'exemple des programmes de télévision stupides qui font des audiences colossales : à chaque fois que leurs animateurs ou leurs producteurs sont dénoncés, il répondent par le même argument "démocratique", à savoir que les gens sont libres de zapper ou de ne pas regarder et qu'en les stigmatisant, on insulte le public. C'est oublier qu'une même population peut être tirée vers le haut ou vers le bas selon les messages portés par la société. C'est le même peuple Anglais qui a célébré son Premier Ministre Chamberlain après qu'il se soit couché devant Hitler à Munich et qui a porté au pouvoir Winston Churchill avec pour seule promesse "du sang et des larmes". Dans une moindre mesure, les Français d'aujourd'hui ne sont pas plus friands de programmes stupides que leurs parents ou leurs grand-parents, c'est simplement qu'aujourd'hui on leur propose. Qui ne voit pas que cette société des médias et du show-biz met à mal tous les principes de la méritocratie, qu'elle est une célébration permanente de la médiocrité et de la fausseté. Dès lors, la société est en droit d'imposer des règles d'exigences que certains tenants du système actuel n'hésiteront pas à taxer de censure, on peut par exemple conditionner le nombre d'heures de publicité à la présence de programme culturels à l'antenne. Ce problème a des répercutions considérables sur l'Education Nationale : l'école ne peut pas être le dernier endroit où l'on promeut les idées d'effort et d'humilité.

Le niveau d'exigence de la société à l'égard des citoyens est un débat politique par excellence, il conditionne en grande partie le vivre ensemble et l'élévation des individus. Un individu doit être à la fois libre et incité par la société à développer ce qu'il a de meilleur en lui, il y a une voie entre le puritanisme et le libéralisme, que l'on pourrait qualifier de morale laïque. Contrairement à la morale individuelle, qui se reconstruit à chaque génération comme l'a justement remarqué Benoît XVI, cette morale laïque peut être cumulative, ce qui implique qu'elle peut également être régressive. Il faut se défaire de l'idée d'un développement conjoint du progrès technique et de la vie sociale qui irait de soi, le premier semble en effet sur le point de gagner son autonomie. On peut très bien vivre plus longtemps, être plus riche et être plus malheureux si la société se désagrège : si la civilisation avance sur une seule jambe, elle tombe.

25 novembre 2007

Lettre à un jeune qui manifeste


Permets-moi, jeune étudiant, de te prodiguer quelques conseils et de t'avertir de l'impasse qui caractérise ton mouvement actuel. Officiellement, c'est le retrait de la loi Pécresse sur l'autonomie des universités que tu réclames, tu crains une privatisation de l'enseignement supérieur et une sélection à l'entrée de l'université. Comme chaque génération, tu veux ton Mai 68, ton acte de révolte vis-à-vis du gouvernement, des adultes, de la mondialisation ou encore des entreprises. Ces revendications patchwork tentent de dissimuler l'absence totale de revendication précise et de vision politique claire.

Sur le fond, il est stupéfiant que tu défendes avec autant d'acharnement le modèle de l'université française tel qu'il existe aujourd'hui et qui est en faillite en ce qui concerne ses deux missions principales : le développement des connaissances et l'insertion dans la vie professionnelle. Redescends un peu sur terre et regarde ces innombrables filières sans débouchées dans lesquelles bon nombre se précipitent. Tu essayes d'idéaliser cette université, de l'inscrire dans le rêve que tu te construis depuis plusieurs années pour échapper à la réalité : un monde sans sélection, où l'on fait ce qu'on a envie, où l'on travaille modérément et où l'égalité règne. Mais ce rêve devient vite un cauchemar car après avoir multiplié les deuxièmes années de médecine, de psychologie, de littérature ou de sociologie, sans en avoir achever une seule, tu te retrouves lâché sans filet dans la vie professionnelle, courant de petit boulot en petit boulot, de l'ANPE aux ASSEDIC. Oui, la sélection et l'autonomie sont nécessaires dans l'enseignement supérieur, la loi votée cette année ne va d'ailleurs pas assez loin en ce sens.

A quoi s'oppose la sélection ? A la cooptation. La sélection est le bras armé de la République pour récompenser le mérite. C'est le gage d'un système d'excellence. Il faut que tu te rendes bien compte de la rupture qui s'opère entre le secondaire et l'enseignement supérieur. Jusqu'au baccalauréat, la sélection est quasiment absente, l'objectif est de prodiguer un enseignement homogène à tous les types d'élèves et sur tout le territoire. Chaque jeune doit en effet bénéficier d'un socle solide de connaissances générales. La logique de l'enseignement supérieur est radicalement différente : il s'agit de permettre à chaque étudiant de s'épanouir dans une discipline précise, en étant confronté aux problématiques actuelles de la recherche. Cela suppose un très grande diversité des formations, ce qui doit entraîner une spécialisation des universités pour que chacune ne propose pas les mêmes licences et les mêmes masters. Pour pouvoir offrir dans chaque domaine, une formation d'excellence, il est impératif de vérifier l'adéquation des étudiants et de leur filière. Tu peux tourner autour du pot autant que tu le veux, cela s'appelle la sélection. Aujourd'hui, toutes les formations d'"élite" pratique cette sélection, qu'il s'agisse des écoles d'ingénieurs et de commerce ou de la médecine et du droit à l'université.

L'autonomie, comme tu l'as compris découle immédiatement de l'hétérogénéité de l'enseignement supérieur que je viens de décrire. Il n'est plus question de décider des programmes ou des règles d'administration depuis un ministère : c'est à chaque université de se prendre en main. Pour cela, elle doit disposer d'un exécutif fort, comme c'est le cas pour les entreprises (PDG) ou pour les pays (chef d'Etat et de gouvernement) : le Président d'Université doit être le véritable maître à bord, l'autonomie doit donc s'accompagner d'une réforme de la gouvernance des établissements d'enseignement supérieur. C'est à chaque université de définir sa stratégie, de miser sur telle ou telle filière, d'investir dans des labos, de recruter les meilleurs professeurs. Pour cela, on ne doit pas l'empêcher d'aller chercher l'argent là où il se trouve : chez les entreprises ou chez les fondations de droit privé comme il en existe tant aux Etats-Unis. Il n'y a rien de choquant à ce qu'une chaire d'université soit cofinancée par une entreprise, cela répond à un double défi : développer la recherche privée qui est léthargique dans notre pays et favoriser l'insertion des étudiants dans le monde professionnel. Faut-il te rappeler à cet effet que les trois principaux candidats à la présidentielle (N. Sarkozy, S. Royal et F. Bayrou) sont tous les trois favorables à cette autonomie des universités comme ils l'ont encore récemment rappelé ?

Plutôt que de défendre avec acharnement un système qui ne marche pas, tu ferais mieux de réclamer un mouvement de réforme de l'université beaucoup plus vaste, en insistant également sur les conditions de vie étudiante. Plutôt que de politiser le débat en essayant de rejoindre le mouvement des cheminots et des fonctionnaires tu ferais mieux de t'investir au maximum dans ta formation, pour ne pas te rendre compte quelques années plus tard de cet immense gâchis. Plutôt que de défendre des statuts, projette-toi vers l'avenir. Et toi lycéen, plutôt que de te regarder dans le miroir embellissant de la révolte politique, développe l'humilité de l'élève qui n'a pas encore toutes les clés en main pour comprendre le monde extérieur et qui cherche à s'élever par sa formation. Rends-toi compte du grotesque de tes représentants syndicaux qui cherchent à faire "comme les grands" et à entrer en politique par le biais de la révolte. Tu ne devrais d'ailleurs pas avoir de représentants, être lycéen, ce n'est pas une condition sociale car tout le monde (ou presque) passe par là. Ne crois pas ceux qui te disent qu'en démocratie tout doit être démocratique et que la voix d'un lycéen vaut bien celle d'un citoyen ordinaire, qu'il soit professeur, étudiant ou cheminot. A la base de l'éducation, il y a une asymétrie entre le maître et l'élève, n'oublie pas que tu es en formation et qu'avant que tu deviennes majeur, tu n'es pas un citoyen à part entière.

Il faut que cette mobilisation s'achève. Que les lycéens regagnent les cours, que les étudiants se remettent au travail, que les universités se réforment. Tout cela dans un seul but que la France avance et que les Français aient toutes les cartes en main pour aborder l'avenir.

14 novembre 2007

Les sangsues de l'économie


Depuis la révolution libérale des années 80 (Reagan, Thatcher), le système capitaliste s’est peu à peu libérer de l’influence, parfois même de la tutelle, des Etats. Au fil des privatisations, le marché a reconquis des secteurs perdus depuis l’après-guerre, au fil des déréglementations, il a su se déployer dans toute sa force et dans toute son efficacité, au fil de la mondialisation enfin, il a su inverser le rapport de force qui l’opposait aux Etats. Désormais, c’est le pouvoir politique qui fait tout pour rendre son territoire attractif pour les entreprises, plus question de traire les vaches à lait qu’étaient les grands groupes industriels. Face à la concurrence indienne et chinoise, les gouvernements tentent un peu partout dans les pays occidentaux de diminuer le coût du travail.

Mais s’il a su se libérer du carcan étatique, le capitalisme n’en est pas moins libre de tout mouvement. D’autres contraintes l’enserrent, de nouvelles sangsues le ponctionnent. Ces sangsues sont des secteurs d’activité qui permettent aux entreprises – dans le meilleur des cas – d’améliorer leur rentabilité et leurs résultats mais qui n’ont aucune utilité sociale ou, pour le dire autrement qui ne vont pas dans le sens de l’intérêt général. Ces activités ne créent pas de la richesse, il la transfère. Bercées par le mythe de la « création de valeur » le capitalisme moderne se tourne de plus en plus vers ces services qui sont souvent des secteurs de l’économie qui ont été dévoyés. On s'imagine qu'en multipliant les transactions on aboutit à une création spontannée de richesses.

La finance est essentielle pour le développement économique. Depuis la naissance du capitalisme on sait qu’il est vital de placer les capitaux là où ils seront les plus rentables. Pour faire court, il s’agit de mettre en relation ceux qui ont de l’argent (les rentiers) avec ceux qui ont des idées (les entrepreneurs). Ce principe, qui est la base du capitalisme est louable autant qu’il est efficace, l’essor de la microfinance démontre qu’il peut également être juste. Plus que le nerf de la guerre, la finance est le nerf de l’économie. Pourtant, on constate depuis plusieurs années une dérive de la finance qui quitte de plus en plus la sphère économique pour se tourner vers la pure spéculation. Le développement des mathématiques financières est, de ce point de vue, édifiant : on fait abstraction du monde industriel et économique pour ne plus raisonner qu’en terme de gestion des risques et d’augmentation de la rentabilité. L’entreprise devient une machine à faire du 15% de marge chaque année, quelque soit ses spécificités et son secteur d’activité. Les fonds de pension entrent et sortent du capital des entreprises comme bon leur semble, provoquant des catastrophes sociales. Avec la mondialisation, le capital est sûr de sa force et devient arrogant face au travail, c’est lui qui a toutes les cartes en main. Des solutions existent pour réorienter la finance vers ses missions originales : faire que les droits de vote des actionnaires dépendent de la durée de leur investissement, inciter les banques (notamment les banques françaises) à prendre moins de risques dans des montages financiers abstraits du type subprimes mais à en prendre davantage pour développer et soutenir les PME et les starts-up.

Le marketing est une autre sangsue de l’économie. Contrairement à la production, il ne créé pas de valeur ajoutée. Bien entendu il permet de faire grossir la taille des marchés, en créant sans cesse de nouveaux besoins chez les consommateurs mais il est indifférent du point de vue du bien-être social. De même que la finance cherche à faire se rencontrer les rentiers et les entrepreneurs, le marketing, dans sa mission première est un moyen de rapprocher les besoins d’un consommateur avec les produits proposés par les entreprises. C’est donc un système d’information qui participe du progrès économique. En effet, il faut bien un moyen de faire connaître les innovations et les améliorations techniques au grand public, d’apparenter au mieux l’offre et la demande. Mais il n’est plus question de cela aujourd’hui : le marketing est avant tout un outil qui permet de créer des besoins artificiels chez le consommateur pour qu’il finisse par désirer ce qu’on a à lui vendre. Ce système, qu’on peut appeler la société de consommation, permet une augmentation considérable de la croissance quantitative, mais certainement pas de la croissance qualitative, du progrès technique et du bien-être social. Quelle utilité a-t-on, en effet, à satisfaire un désir qui vient juste d’être créé ? On peut parfaitement estimer que cette situation est équivalente au statu quo. Le marketing ne cherche pas à nous faire plaisir mais à nous faire mal, à faire naître en nous l’envie et la convoitise. Les pratiques commerciales permettent également de faire du neuf avec du vieux et de présenter comme des nouveautés des produits dont on a juste changé l’emballage. Dès lors, il faut trouver des systèmes ingénieux permettant de distinguer la « bonne » publicité, qui annonce de véritables innovations, du bourrage de crâne. On peut imaginer une taxation qui frapperait ce deuxième type de publicité, bien entendu, toute la difficulté réside dans la discrimination entre ces deux pratiques commerciales. Il faut en effet taxer la publicité à hauteur des dégâts qu’elle provoque dans la société : nullité des programmes de télévision, abaissement du niveau culturel général, aliénation des individus.

La liste des « sangsues » n’est pas close, on peut y ajouter les multiples conseillers en optimisation fiscale, les cabinets d’avocats qui profitent d’une judiciarisation croissante des affaires, les multiples consultants qui brassent des concepts vagues, abstraits et souvent fumeux et demandent en retour des indemnités faramineuses. Toutes ces activités sont aujourd’hui florissantes et ceux qui les exercent touchent des salaires colossaux, souvent supérieurs à ceux des dirigeants d’entreprises. On peut parler d’un immense détournement de fonds à l’échelle planétaire qui se fait au dépend du bien commun. Bien entendu, il s’agit là d’un tableau fortement noirci, il n’est pas question de remettre en cause le capitalisme mais bien de souhaiter un retour à son essence originale pour que le système économique participe du progrès humain.

01 novembre 2007

La dictature du politiquement correct


Tout ce qui entrave la liberté de penser doit être vigoureusement combattu, il faut ainsi lutter contre le dogmatisme, l'étroitesse d'esprit mais aussi contre le politiquement correct. En effet, la police des mots et de la pensée a aujourd'hui le vent en poupe, les antifascistes veillent et sont prêts à démarrer au quart de tour pour dénoncer pêle-mêle les atteintes aux droits de l'homme, le machisme, le racisme et pour débusquer les supposer réactionnaires.

Le politiquement correct, c'est l'inverse du populisme puisqu'il prospère plutôt chez les élites que chez le peuple et qu'il évite à tous prix la subversion quand ce dernier la promeut et l'instrumentalise. Pour autant ces deux doctrines se renforcent et se nourrissent l'une de l'autre. Le MRAP et SOS Racisme ne seraient rien sans le Front National, comme le tribun démagogue a besoin de l'"establishment" pour exister et donner toute sa mesure. Chacun fait le jeu de l'autre en servant d'épouvantail.

Le politiquement correct a souvent pour origine des combats nobles et des causes justes, mais il opère des généralisations abusives et dangereuses, il jette l'anathème sur quiconque ose remettre en cause ces questions de près ou de loin. Il va sans dire qu'il faut défendre l'antiracisme ou l'égalité entre les hommes et les femmes, ce n'est pas une raison pour interdire toute discussion sur des sujets connexes comme l'immigration ou la parité. En empêchant le débat public sur ces questions, on ne fait que mettre un couvercle sur une marmite en ébullition, car ce qui ne peut plus être ouvertement exprimé est alors insinué et continue à se diffuser dans la société. La censure et la mise à l'index n'ont toujours fait que renforcer ce contre quoi ils étaient censés lutter.

Les médias ont également une responsabilité écrasante dans l'installation du politiquement correct. De Delarue à Ardisson, on glorifie une tolérance aussi insipide que stupide et on vilipende toute pensée qui ne rentre pas dans le moule. Les talk-shows sont devenus des salons mondains de plus en plus déconnectés de la réalité et éloignés des préoccupations des Français, où les tenants de la pensée unique se retrouvent entre eux. On dénonce la main sur le coeur l'utilisation politicienne de l'insécurité mais on habite dans un appartement du XVIème arrondissement protégé par trois digicodes et plusieurs vigils, on s'en prend au gouvernement qui fait des cadeaux aux riches mais on n'hésite pas à faire de l'optimisation (voire de l'expatriation) fiscale. Dans une démocratie, les médias doivent véhiculer les opinions et non les prescrire. Ce n'est pas à eux de juger si une personnalité est fréquentable ou si une idée est défendable.

Ce qui est le plus condamnable dans le politiquement correct, c'est qu'il pousse au simplisme et au manichéisme. Le monde est divisé en deux : d'un côté les victimes et de l'autre les salauds. Si vous apportez la moindre nuance aux thèses antiracistes c'est que vous êtes raciste, si vous pensez que le colonialisme n'est pas qu'une entreprise d'exploitation alors vous êtes un néo-colonialiste, si vous voyez la parité comme une entrave à la promotion par le mérite ou que, tout simplement, vous estimez que le tennis féminin n'offre pas le même spectacle que le tennis masculin alors vous êtes un machiste. Il n'y a plus de place pour la demi-mesure ou la nuance.

Le monde scientifique n'est pas épargné par ce mouvement depuis que l'écologie est devenur la forme ultime du politiquement correct : on refuse d'ouvrir certains débats concernant le réchauffement climatique par peur de passer pour un destructeur de la nature à la solde des industries polluantes. En étouffant le débat sur ce sujet crucial, on ne rend pas service à la planète : ces questions sont tellement complexes qu'elles exigent la confrontation de tous les points de vue, aucune piste ne doit être négligée. Le GIEC (Groupement International des Experts Climatiques), qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix, est en cela une bien curieuse assemblée : on demande à des chercheurs de parvenir à un consensus, comme si la vérité scientifique était affaire d'opinion et de compromis. Les grands scientifiques ont pourtant souvent raison seuls contre tous, certains ont même été brûlés pour cela.

Le politiquement correct est une doctrine curieuse, c'est la tolérance universelle à l'exception de ce qui est intolérable. Il s'agit donc d'une forme de totalitarisme qui pourrait bien être le communisme du XXIème siècle.

13 octobre 2007

Faut-il libérer la croissance ?


Parmi les innombrables commissions installées par Nicolas Sarkozy, une retient particulièrement l'attention, il s'agit de la Commission pour la Libération de la Croissance Française, dirigée par l'ancien conseiller de François Mitterrand, Jacques Attali. Il s'agit en effet de s'attaquer à la faiblesse principale de la France qui est le manque de dynamisme de son économie. Notre pays croît moins vite que le reste du monde, ce qui peut sembler normal, mais surtout, il croît moins vite que les pays voisins comparables, ce qui l'est beaucoup moins. Il s'agit donc de repérer les freins à la croissance, ce à quoi se sont attelés bon nombre d'experts et de politiques avant M. Attali. Un constat semble se dégager : notre pays souffre d'un déficit de libéralisation. En effet, qu'il s'agisse du marché des biens, du marché du travail ou du marché des services, les régulations publiques sont trop nombreuses et trop contraignantes pour la libre entreprise.

De nombreuses activités, comme la grande distribution, les taxis, les notaires ou les auto-écoles sont accusées de profiter de protections réglementaires (loi Galland, numerus clausus,...) pour se constituer des rentes au détriment du pouvoir d'achat du plus grand nombre. Cette analyse est juste et elle est mise en avant pour justifier la libéralisation d'autres secteurs beaucoup moins consensuels comme l'éducation, la médecine ou la protection sociale. C'est ici qu'il faut s'arrêter et réfléchir un peu sur cette notion de croissance : faut-il la considérer comme le but indépassable de la politique économique ? Peut-elle entrer en contradiction avec d'autres principes de la vie en société ? Est-elle l'unique déterminant de la puissance des Etats ?

La croissance mesure l'efficacité d'un système économique, elle est donc intimement liée à l'organisation de ce système. L'histoire économique montre de manière assez claire que c'est le marché qui permet d'obtenir la plus forte croissance quantitative. Ouvrir un secteur au marché n'assure pas une baisse des prix, comme on essaye de le faire croire souvent, mais bien une augmentation de l'activité totale de ce secteur. La libéralisation des renseignements téléphoniques est un bel exemple en la matière : les prix ont augmenté, la qualité de service a diminué mais le marché a explosé. Partant, si l'on considère qu'une bonne politique économique consiste à soutenir l'activité, dans le but d'augmenter l'emploi, les échanges, la production et les services, alors il faut tout libéraliser. On diminuerait très certainement le chômage en confiant au marché l'éducation nationale, la justice, la protection sociale et peut-être même l'ordre public. Chacune de ces missions serait rémunérée à son juste prix et à chaque besoin de la population, le marché apporterait une réponse appropriée.

Cette présentation du problème permet de comprendre qu'une augmentation de la croissance ne s'obtient pas sans douleur, qu'il faut que la population la "paye" d'une manière ou d'une autre, soit en acceptant de travailler davantage, en renonçant à certaines protections, en déteriorant l'environnement ou encore en renonçant à certains principes qui participaient jusque là à leur qualité de vie. Le passage à une société de consommation totale a un coût en termes culturels et civilisationnels, cela tend à remplacer complètement l'"être" par l'"avoir" et provoquer ainsi de graves crises de sens dans la société. On n'est pas forcément plus heureux si on consomme davantage, le quantitatif n'influe pas sur la qualitatif (l'augmentation des ventes de disques ou de livres ne préjuge en rien de la valeur de ces biens culturels). Il y a un grand péril à faire de l'individu un simple consommateur dont on cherche à comprendre le fonctionnement à coups de promotions, de publicité et d'organisation des rayons dans les grandes surfaces, c'est une manière d'assujétir et d'insulter la nature humaine.

La croissance est également ce qui permet de financer les politiques publiques et la solidarité nationale, c'est une des raisons pour lesquelles cet objectif ne fait pas débat entre la droite et la gauche (les moyens de l'atteindre sont moins consensuels). Mais il faut prendre garde à ce que l'Etat ne devienne pas en la matière un "pompier pyromane" en voulant soigner les dégâts sociaux qu'il aura lui-même contribué à faire naître en faisant pression sur le corps social. Ainsi il est possible de supprimer la loi Galland pour baisser les prix dans la grande distribution mais il faudra ensuite s'occuper de la situation des fournisseurs complètement dépendants et pressurisés par certains hypermarchés. Il en va de même avec la libéralisation du marché du travail, véritable opportunité pour la croissance mais risque social majeur.

Même si le sujet est l'objet d'un vif débat entre économistes, une croissance soutenue semble très bien s'accomoder de fortes inégalités. En effet, s'il est efficace, le marché ne dit rien de la répartition des richesses. La société et l'Etat ne peuvent se satisfaire de cette situation, quitte à brider le développement économique du pays. L'Education Nationale, la souscription obligatoire au système de protection sociale et la progressivité de l'impôt sont à ce titre des instruments essentiels de l'égalité des chances chère à notre République. Il est également faux de postuler l'indépendance des questions de création et de redistribution des richesses, chacune influant sur l'autre. Les délocalisations ou les exils fiscaux rendent difficile, sinon impossible, une politique sociale ambitieuse. Avec la mondialisation, l'Etat est soumis à un chantage permanent : la compétitivité de son territoire et ce que cela implique sur sa fiscalité et les caractéristiques de son marché du travail.

Il ne faut pas perdre de vue que l'action politique a une mission civilisatrice qui ne peut se résumer à la bonne tenue de la croissance. Nous ne sommes pas encore des "homo economicus", pourvus d'une simple fonction d'utilité qu'un marché efficient permettrait de maximiser collectivement. La politique, ce n'est pas que de l'économie. Reste à savoir si nous pouvons nous permettre cette réflexion critique à propos de la croissance. La France, si elle veut continuer à peser dans le concert des nations, n'a pas véritablement le choix, elle ne peut pas continuer de subir un appauvrissement relatif. C'est cet impératif qui disqualifie les partisans de la décroissance. La véritable question, c'est quelle croissance voulons-nous ? Il y a d'autres voies que la société de consommation poussée à son paroxysme, on peut favoriser une croissance riche en innovations techniques et respectueuse des questions environnementales et sociales. La libéralisation de certains secteurs ne doit pas être exclue par principe mais elle peut s'accompagner d'interventions de l'Etat. La construction du TGV Est est un bel exemple en la matière : en rapprochant l'Alsace, la Lorraine et l'Allemagne de Paris, on fait naître de nouveaux projets chez les entrepreneurs, on développe le tourisme et en même temps on promeut un moyen de transport respectueux de l'environnement.

Derrière chaque plan de relance de la croissance, il y a un projet de société. Peut-on dire que l'écart de croissance entre la France et les Etats-Unis se traduisse par une moindre qualité de vie dans l'hexagone ? Que la Commission Attali libère la croissance française, mais qu'elle n'oublie pas de s'interroger sur la "qualité" de cette croissance et sur sa soutenabilité par le corps social français.

07 octobre 2007

L'exemple ovale


L'équipe de France vient de battre les All-Blacks, ultra-favoris de la Coupe du Monde de rugby. Certes, cet exploit ne saurait à lui seul augmenter la croissance française ou réduire les déficits publics, comme certains "naïfs volontaristes" aimeraient le croire, cependant le comportement des Bleus est un exemple pour tout le peuple Français. De surcroît, la société dans son ensemble aurait tout à gagner à s'inspirer davantage des valeurs qui font le rugby.

Les grands événements sportifs sont de puissants révélateurs de ce que sont les peuples au fond d'eux mêmes, ils font apparaître leurs qualités morales comme leurs faiblesses. Ainsi, assister au match devant le grand écran de l'Hôtel de Ville de Paris m'a plus renseigné sur le peuple français que n'importe quel sondage d'opinion ou étude sociologique. Côté faiblesses, on a des spectateurs et des médias convaincus de la défaite de leur équipe et qui semblent se complaire dans les premières minutes du match où les All Blacks imposent leur rythme et leur puissance. "De toute façon ils sont trop forts pour nous, ce sont eux qui vont gagner la Coupe du Monde" explique un mari à sa femme. Ces réactions sont les mêmes que celles qui ont précédé le huitième de finale contre l'Espagne l'année dernière dans le mondial de foot, elles composent ce défaitisme si bien analysé et condamné par l'historien Marc Bloch au moment de la débâcle de 1940. Plus qu'une faiblesse, il s'agit là d'une faute morale : même s'ils sont attachés à leur équipe, les Français ne souhaitent pas sombrer avec elle et, en cas de défaite, préfèrent adopter un ton sarcastique et moqueur plutôt que d'afficher une tristesse de circonstance et d'essayer de se remobiliser pour le match suivant.

Autre faiblesse : l'apparition sur l'écran du Président de la République venu assister au match dans les tribunes du Millenium Stadium provoque les sifflets et les insultes de la foule, pourtant, une bonne moitié a du voter pour lui quelques mois plus tôt. Cette hostilité n'a rien à voir avec le désaccord politique légitime, c'est un manque de respect profond à la fonction présidentielle et donc quelque part à la France. Ce déversement de haine à l'égard du pouvoir politique est un mal bien français qui n'a pas connu d'interruption de Richelieu à Sarkozy. Par manque de maturité, le peuple français refuse de penser que ses représentants politiques n'agissent pas contre mais pour lui. Difficile de penser qu'Angela Merkel subisse le même sort en Allemagne, même de la part de militants du SPD.

Côté forces, il y a ce fabuleux hymne national, repris par toute la foule qui s'est levée pour l'occasion, symbole d'un fort sentiment patriotique, base d'un fort lien social. Les Français aiment la France, peut-être même l'idolâtrent-ils parfois. A ce moment précis, aussi ridicule que cela puisse paraître, on se sent tous frères et tous fiers. Il ne s'agit pas d'un chauvinisme étroit, l'hymne néo-zélandais a été écouté dans le silence puis applaudi, mais d'une forme de cohésion et d'identité nationale que l'on se plait à exacerber lors des grands événements sportifs. Enfin il y a cette fabuleuse deuxième période où tout une foule soutient son équipe sans la moindre retenue et laisse exploser sa joie au coup de sifflet final. Au milieu des cris et des applaudissements, on sent une émotion et une grande sincérité. On ne peut pas aimer et comprendre la politique si on ne vibre pas dans ces grands moments de liesse populaire.

Après les spectateurs, les joueurs. Ils ont été exemplaires, combatifs et courageux, surtout en défense dans les dernières minutes du match. S'ils ont su contenir les assauts des All Black c'est par leur cohésion et leur rigueur défensive. Il faut ajouter à ces qualités morales une préparation très poussée et très professionnelle. Loin de se reposer sur son "french flair", l'encadrement de l'équipe de France n'a pas hésité à s'inspirer du jeu et de la préparation des nations de l'hémisphère sud ou de l'Angleterre. Courage, cohésion, rigueur, professionnalisme : un véritable projet de société !

Le rugby est un sport magnifique, c'est un combat où l'on respecte l'adversaire, où pour avancer il faut faire des passes en arrière et donc progresser tous ensemble, un sport de force où le génie a toute sa place comme Frédéric Michalak l'a encore démontré. Puissent les enfants français rejoindre massivement les clubs de rugby pour se nourrir de toutes ces belles valeurs.

19 septembre 2007

Politique sociale et cohésion nationale


Nicolas Sarkozy vient d'annoncer son nouveau contrat social, la Belgique est sur la voie de la cission. Ces deux événements ne semblent pas avoir un quelconque rapport entre eux, ils illustrent pourtant tous les deux le lien très fort qui existe entre la politique sociale d'un pays et la cohésion nationale. En effet, au-delà des symboles fort visibles comme le drapeau et l'hymne national, ce qui génére à proprement parler le vivre-ensemble ou la cohésion d'un pays, ce sont les mécanismes de solidarité entre citoyens (riches et pauvres, jeunes et vieux,...). Cette solidarité, ce "contrat social" pour reprendre les mots du Président de la République, doit viser le rassemblement du pays ce qui implique de ne pas laisser les plus déshérités sur le bord du chemin et de ne pas demander des efforts surdimensionnés à certaines catégories de la population, aussi aisées qu'elles soient.

La Belgique vit une des crises les plus sérieuses de sa (courte) existence : Flamands et Wallons ne parviennent pas à se mettre d'accord pour former un gouvernement en raison des revendications fédéralistes des premiers. En proposant de régionaliser l'assurance maladie, au motif que les francophones cotisent moins qu'ils ne touchent, on porte profondément atteinte à l'unité et à l'existence même de ce pays. En effet, que restera-t-il de commun aux deux communautés du royaume d'Albert II si elles ne parlent pas la même langue et que leur système de protection sociale est scindé en deux ? L'exemple Belge prouve les dangers d'un fédéralisme trop poussé qui exite les tensions communautaires et nourrit le ressentiment. Malgré toutes ses imperfections, le centralisme à la Française a permis de forger une solide identité et cohésion nationale.

Venons-en à la politique sociale proposée par Nicolas Sarkozy au Sénat. Elle comprend tout d'abord des éléments de bon sens partagés par bon nombre de connaisseurs des dossiers sociaux, comme la fusion entre l'ANPE et l'UNEDIC, la poursuite de la réforme du régime général des retraites (comme le prévoit la loi Fillon de 2003) ou la taxation des départs en préretaite. Mais deux mesures sont plus directement liées à la question qui nous occupe ici : la cohésion nationale, il s'agit de la réforme des régimes spéciaux de retraites et du financement de l'assurance maladie.

Plus qu'une question financière, la réforme des régimes spéciaux est une question d'ordre symbolique : les Français, comme l'a écrit Tocqueville, ont la passion de l'égalité et ils admettent difficilement ce qu'ils perçoivent comme des privilèges. Bien entendu, les différents régimes concernés sont dans des situations très hétérogènes : certains, comme EDF ou la RATP, sont bénéficiaires et contribuent, comme le régime général au financement des régimes déficitaires comme ceux de la SNCF, des mineurs ou des marins. Mais le compte n'y est pas, l'allongement de la durée de la vie rend intenable les départs à la retraite à 55 ans, on ne peut pas trop en demander à la solidarité nationale, surtout quand on sait qu'elle provient de salariés (publics ou privés) qui voient leur durée de cotisation s'allonger au fil des réformes. L'alignement des différents régimes de retraite est donc une nécessité, c'est une des garanties (nécessaire mais pas suffisante) pour le maintien d'un régime de retraites par répartition, signe de la solidarité intergénérationnelle.

Les propos du Président de la République à propos de l'évolution de la protection sociale sont en revanche moins rassurants au regard de la solidification du contrat social entre les Français. Il est louable de souhaiter mettre en place un nouveau risque pour la dépendance, c'est une évolution nécessaire de la protection sociale du fait, là encore, de l'allongement de la vie. Il est parfaitement raisonnable de proposer une franchise sur les remboursements de l'assurance maladie pour tenter d'en combler la dette et donc assurer sa pérennité. Mais on peut s'alarmer d'une remise en cause des mécanismes de solidarité nationale au profit d'une plus grande responsabilité individuelle à travers les couvertures complémentaires. Il ne faut pas aboutir à une conception anglo-saxonne de la protection sociale ou l'Etat assurerait un minimum vital, libre aux individus, suivant leurs moyens, de cotiser dans des fonds privés pour assurer leurs arrières. Une telle évolution affaiblirait considérablement le lien social et par-là même la cohésion nationale.

Le modèle social français doit impérativement être réformé, sous peine de devenir obsolète et impossible à financer, mais il serait très dangereux de vouloir en renier les principes qui, n'ayons pas peur des mots, font partie de "l'identité nationale" française si chère à Nicolas Sarkozy. L'alternative est claire : soit on abandonne définitivement ce modèle soit on tente de le sauver en faisant un effort collectif (franchise et allongement de la durée de cotisation). La retraite par répartition, l'assurance maladie universelle et obligatoire ne sont pas des reliques à mettre au rebut, ce sont des joyaux qu'il convient de mettre en valeur.

17 septembre 2007

Le choix et la nécessité


L’action politique est perçue par bon nombre de nos concitoyens comme une suite de choix entre différentes options dans le but d’atteindre des objectifs conformes à de grands principes politiques. On essaye ainsi d’estimer l’impact de telle ou telle mesure « toutes choses étant égales par ailleurs », mais le réel est souvent peu enclin à se laisser figer de la sorte, en outre, c’est bien souvent la nécessité qui guide les choix des responsables politiques.

En effet, en politique comme ailleurs, nécessité fait loi, le choix est un luxe qu’on ne rencontre que rarement. Cette nécessité prend souvent la forme de contraintes financières : l’Etat doit honorer ses dettes vis-à-vis de ses créanciers sous peine d’inspirer une défiance généralisée. Cette préoccupation peut sembler bassement matérielle, elle est en faite bien souvent à l’origine d’évènements politiques d’une importance majeure : c’est la nécessité de financer la guerre de Trente Ans qui ont conduit les deux cardinaux-ministres Richelieu et Mazarin à augmenter considérablement les impôts pour payer les armées, ce qui a peu ou prou conduit à la Fronde. C’est la situation désastreuse des finances de l’Empire qui a condamné le retour de Napoléon lors des Cents Jours, Waterloo n’ayant fait que précipiter sa chute. Enfin, c’est le financement de la protection sociale qui a conduit Jacques Chirac à mener en 1995 une politique contraire à celle qu’il avait prônée lors de la campagne électorale et qui a fini par aboutir au départ d’Alain Juppé.

La nécessité est également omniprésente dans le domaine des relations internationales. Pour s’en convaincre, il suffit de lire « Diplomacy » d’Henry Kissinger, l’ancien Secrétaire d’Etat de Richard Nixon y dresse une histoire des relations diplomatiques sous l’angle de la nécessité. Sous sa plume, l’événement devient l’émanation inéluctable de causes profondes qu’on ne peut comprendre qu’en regardant le passé. Ce qui réduit le champ des possibles pour les gouvernants, c’est la Raison d’Etat, c’est elle qui dicte les grands choix stratégiques. Considérons le déclenchement de la Première Guerre mondiale, pour la première fois en Europe, le système de balance des pouvoirs a été remis en cause et remplacé par un système d’alliances rigides entre des Etats de forces disparates : Angleterre, France, Russie et Serbie d’un côté et Allemagne et Autriche-Hongrie de l’autre. Cet équilibre est d’autant plus fragile que les « petits » peuvent entraîner leurs alliés à entrer à guerre par un chantage au retournement d’alliance. C’est donc, au départ, conduite par la nécessité que l’Allemagne finit par céder aux demandes autrichiennes et entre dans un conflit qui n’était au départ que régional. L’assassinat de François-Ferdinand à Sarajevo n’a fait que précipiter ce qui devait nécessairement arriver, en fait de cause, il s’agit d’un prétexte.

Qu’en est-il de la politique fiscale ? Est-ce la justice ou l’efficacité qui commande à la levée d’un impôt ? Là encore, il semble que la réponse est à trouver du côté de la nécessité. Risquons cette lapalissade : l’impôt que l’on décide est d’abord celui que l’on est en mesure de lever. Sous l’Ancien Régime, quand l’Etat n’était pas suffisamment fort et organisé, il s’agissait des droits de douanes (comme aujourd’hui en Afrique même si cela est mauvais pour l’économie de ces pays) facilement perceptibles à l’entrée des villes, puis dans le cadre d’un Etat-nation plus structuré ce sera l’impôt sur le revenu. Avec la mondialisation, qui implique une mobilité du capital mais aussi des personnes, cette taxation devient plus délicate du fait de l’exil fiscal, de même que l’impôt sur les sociétés peut entraîner des délocalisations et que les charges sur les salaires pèsent sur l’emploi. Reste la TVA, payée par des consommateurs non-délocalisables, et qui prend une part de plus en plus importante dans les recettes de l’Etat et peut-être, demain, dans le financement de la protection sociale. On peut trouver cette situation injuste (elle l’est), inefficace sur le plan économique, ces considérations pèsent peu face à la nécessité de percevoir effectivement l’impôt.

Vision bien pessimiste de la politique qui ne peut rien et qui subit tout. Reste-t-il des choix aux responsables publics pour mener leur pays dans la bonne direction ? Heureusement, oui. La nécessité commande à court et à moyen terme : la situation passée explique en très grande partie la situation à venir ; en revanche, il est possible d’influer sur un avenir plus lointain. Un pays est un gros navire, on ne peut pas changer sa direction instantanément mais on peut choisir le cap. Franklin Delano Roosevelt illustre particulièrement ce propos : voici un homme qui a réussi par sa vision, son charisme et sa capacité de conviction à emmener un peuple majoritairement non-interventionniste (pour ne pas dire isolationniste) à entrer de plain pied dans la Seconde Guerre Mondiale. C’est en grande partie la personnalité de cet homme d’exception qui a dicté l’issue du plus grand conflit de l’histoire de l’humanité. On peut également citer le choix du nucléaire pour la France par le Général de Gaulle (relayé en ce qui concerne le nucléaire civil par ses deux successeurs Pompidou et Giscard d’Estaing) qui assure une partie de notre prospérité actuelle et qui sera probablement décisive dans l’avenir.

On peut ainsi définir le véritable Homme d’Etat, non comme celui qui est courageux, non comme celui qui est honnête, non comme celui qui est charismatique mais comme celui qui parvient à se libérer des différentes formes de la nécessité. Ces gens-là sont rares, ils réussissent l’exploit de marquer le réel de leur empreinte. Lourde tâche pour le peuple que de savoir les repérer.

01 septembre 2007

L'éléphant et le mammouth


Après avoir voulu dégraisser le mammouth, l'incorrigible Claude Allègre entendrait-il décimer les éléphants au parti socialiste, et en particulier le premier d'entre eux ? Son dernier livre "la Défaite en chantant" laisse peu de doutes à ce sujet : il conserve un ton féroce, bien qu'adouci, envers Ségolène Royal et concentre ses critiques sur François Hollande et la nouvelle garde du parti socialiste. Il n'est pas le seul à tirer à boulets rouges sur le premier secrétaire du PS, la chasse est ouverte de toutes parts : Fabiusiens, Royalistes, Strauss-Kahniens et même jospinistes s'en donnent à coeur joie. La défaite du PS c'est lui, la faillite de la gauche c'est encore lui. En réalité François Hollande est un bouc émissaire bien commode qui pourrait bien être le véritable refondateur du parti socialiste.

Tous les dirigeants socialistes s'accordent sur le désordre qui règne en leur sein et sur le climat délétère qui existe entre les différents courants, mais cette complainte lancinante qui se répand sur les ondes est bien moins un constat lucide et objectif qu'une sorte de prophétie auto-réalisatrice. Dire que tout va mal c'est quelque part faire en sorte que tout aille pour le pire. Du coup, on s'enferme dans de faux débats et les mêmes arguments ressortent comme à chaque défaite : le PS doit accepter pleinement l'économie de marché puisqu'il s'y est officiellement rangé depuis le tourant de la rigueur de 1983, il faut prendre acte de la mondialisation, il faut s'affirmer comme socio-démocrates. Plutôt que d'un exercice de réflexion ou de refondation, on assiste en fait à un grand concours d'enfonçage de portes ouvertes.

A ces débats théoriques et abstraits, François Hollande a proposé une autre méthode certainement plus prometteuse. Pour sortir des mots "reconstruction" et "refondation", il a proposé trois grands forums thématiques pour reconstruire un corps de doctrine : la citoyenneté dans la nation, le socialisme et la mondialisation et la place de la solidarité dans une société individualisée. Ces trois interrogations sont pour le moins judicieuse et peuvent se ramener à une thématique chère à Lionel Jospin : comment faire que l'économie de marché ne débouche pas sur une société de marché. Pour éviter de passer de l'un à l'autre, le Premier Secrétaire du parti socialiste avance donc trois gardes-fous : la citoyenneté, le socialisme et la solidarité.

La citoyenneté ne peut plus se contenter d'être un ensemble de droits à réclamer, ce doit être l'expression de la loyauté vis-à-vis de l'Etat et de la nation. Sans cette loyauté, l'individualisme, le communautarisme et le corporatisme prennent vite le pas sur la fraternité et sur le vivre-ensemble. Il faut réaffirmer avec force que la citoyenneté est la première des identités, devant l'origine géographique, la religion, les orientations politiques ou surtout le statut social. Face à un Nicolas Sarkozy qui semble accaparer l'idée de nation, la gauche n'a effectivement d'autres choix que de se faire la championne de la citoyenneté. Derrière ce thème, on trouve celui de la loyauté des élites envers la nation : comment éviter dans une monde ouvert où les cerveaux et les grandes fortunes circulent librement qu'ils restent attachés à leur pays et n'éprouvent pas le besoin de partir à l'étranger.

Le socialisme, l'économie de marché étant acceptée par tous, ne peut s'entendre comme une organisation de la production : c'est au marché et à l'initiative privée de s'occuper de l'allocation des ressources et de l'organisation des moyens de production. Qu'est-ce alors que le socialisme ? Le mot mérite toutefois d'être maintenu, tout d'abord parce qu'il sonne mieux que "social-démocratie" mais surtout parce qu'il exprime l'objectif ultime de la gauche : le progrès social. Un socialisme moderne doit tenter de favoriser le progrès et la croissance économique (pas de différence avec la droite de ce point de vue) mais également de la transformer en avancées sociales. Ces avancées ne doivent cependant pas prendre la forme d'avantages acquis, nouvelle forme des privilèges, elles doivent au contraire s'adapter au monde tel qu'il est. Car ce qu'il faut promouvoir c'est un progrès global pas une défense de chacun des intérêts de chacune des catégories de la population.

La solidarité est lourdement remise en question dans un monde individualisé, il appartient donc à la puissance publique de créer les conditions du lien social et de la solidarité financière entre les Français. C'est la défense - mais surtout l'amélioration - de ce qu'on appelle pompeusement le "modèle social français". Quelle meilleure preuve de solidarité pour un peuple que d'adopter un système de retraite par répartition ou la souscription obligatoire à un régime d'assurance maladie ? La gauche doit réfléchir à la pérennisation de ce système et éviter que l'Etat ne se retrouve être l'assureur en dernier ressort des plus défavorisés, les autres se tournant vers des organismes privés qui leur sont plus profitables.

Le débat d'idées peut donc être lancé au PS sur ces trois thèmes fondateurs, le constat semble juste et lucide, les solutions beaucoup plus dures à trouver. Espérons simplement qu'il ne s'agisse pas là d'une énième manoeuvre de diversion de François Hollande pour conserver, d'une manière ou d'une autre, le leadership au PS.

22 août 2007

Plutôt l'hypocrisie que le puritanisme


Quel rapport y'a-t-il entre le canular de Gérald Dahan contre Ségolène Royal, la mise à l'écart d'Alain Duhamel de la campagne éléctorale suite à ses propos sur François Bayrou, l'insulte de Patrick Devedjan proférée contre Anne-Marie Comparini et le lancement du moteur de recherche de personnes Spock ? Dans tous les cas il s'agit d'atteintes à la vie privée principalement véhiculées par Internet et parfois reprises par les médias traditionnels. Au nom de la transparence et de la lutte contre l'hypocrisie et les doubles discours, on piétine sans relâche l'intimité et on favorise la calomnie.

Qui n'a jamais "Googlé" le nom d'une autre personne sur Internet ? Cette pratique devenue courante et qui, la plupart du temps, se substitue simplement aux anciens vecteurs d'information, est également un moyen d'assouvir un certain voyeurisme en essayant d'obtenir le plus de renseignements possibles sur la vie d'autrui : quel est son métier ? Quelles sont ses opinions politiques ? Quelle est sa formation ? Est-il fan de jeux vidéos ? Est-il un catholique pratiquant ? Appartient-il à des associations ? ... Grâce aux moteurs de recherche, la vie "virtuelle" privée devient publique, maîtriser ce qui se dit sur soi et ce qui apparaît dans l'index Google devient un véritable enjeu. Mais le nom d'une personne semble plus vulnérable que celui d'une entreprise dans le capitalisme moderne, et il est le plus souvent impossible de supprimer des propos désobligeants à son encontre ou même d'empêcher qu'ils soient référencés dans les moteurs de recherche.

Au-delà de cette pratique devenue courante, certains groupes américains veulent aller plus loin en lançant des moteurs de recherche de personnes, fournissant une fiche et des liens sur des individus connus ou inconnus. Dès lors que les informations présentes sur ce type de plateforme sont librement choisies par la personne concernée, il n'y a rien de choquant, c'est d'ailleurs le mode de fonctionnement de tous les réseaux du type Facebook ou MySpace, en revanche, si la vérification des fiches est laissée à la "communauté des internautes", alors toutes les dérives sont possibles. A l'instar de ce qui se fait sur Wikipédia, où certaines firmes ou hommes politiques modifient les articles les concernant, les fiches "Spock" ne seront pas toujours alimentées avec les meilleures intentions.

La réponse de la "communauté des internautes" est sur ce point assez édifiante : des sites ont été créés pour savoir qui écrivait ou modifiait les articles sur Wikipédia. C'est la société de l'hypersurveillance en pleine action. Qui ne voit pas toutes les dérives que peuvent engendrer de tels comportements ? Cette société où tout doit être public, où les puissants doivent être épiés dans leurs moindres faits et gestes, où chaque conversation peut être enregistrée sur un téléphone portable puis diffusée sur DailyMotion ou YouTube sans l'avis des principaux intéressés n'aurait pas forcément déplu à Robespierre ou à Staline. Les nouveaux inquisiteurs de la toile sont légion (Guy Birenbaum, Loïk Le Meur,...) et prétendent mettre fin à l'hypocrisie qui règne dans les sphères d'influences, brisant volontiers le off à des fins prétendues démocratiques qui sont en fait totalitaires. Le Big Brother de George Orwell, c'est nous tous, c'est l'autosurveillance.

Les personnalités publiques sont évidemment les plus touchées par cette obsession de la transparence, elles doivent désormais être attentives à chaque instant. Pourtant, la seule chose qui engage un responsable politique, se sont ses propos publics et officiels. Dès lors, il est parfaitement légitime, qu'en privé Ségolène Royal ait répondu à un canular téléphonique que les Français ne seraient pas mécontents de voir la Corse indépendante, qu'Alain Duhamel exprime une préférence envers François Bayrou ou que Patrick Devedjan ait traité Anne-Marie Comparini de salope. Par pitié, chassons le puritanisme car il amène avec lui le ressentiment et une nouvelle forme de totalitarisme !

14 août 2007

La volonté politique face aux réalités économiques


Le chiffre de la croissance du second trimestre, 0.3%, bien inférieur aux prévisions de l'INSEE, tombe à point nommé pour tempérer l'euphorie des partisans du nouveau pouvoir en place, ceux-là mêmes qui étaient passé le 6 mai dernier du déclinisme le plus noir à l'optimisme le plus rose. Bien entendu, cette "contre-performance" ne saurait en aucun cas être imputée à la politique du nouveau Président de la République : il n'a gouverné qu'un mois durant le trimestre en question, et les réformes qu'il a entrepris n'ont pas encore eu le temps de porter leurs fruits. Ce qu'il faut avant tout retenir de cette information, c'est que la réalité économique est souvent bien loin des discours politiques, qu'elle résiste, qu'elle n'est pas sujette aux effets de manche et aux beaux discours. Plus fondamentalement, il semble que la politique économique nécessite plus de cohérence que de volonté.

On touche là au coeur de la doctrine politique de Nicolas Sarkozy : qu'il s'agisse de délinquance, de politique industrielle, de lutte contre le terrorisme ou de relations internationales, le nouveau credo de l'Elysée consiste à mettre en avant la volonté, ou plutôt le volontarisme, politique. Convenons-en, pour ce qui est du regain d'intérêt pour la politique de la part des Français et, dans une moindre mesure, des affaires étrangères, cette doctrine a été plutôt efficace voire miraculeuse. Aussi, d'aucuns se mettent à penser qu'il en sera de même pour les affaires économiques de la France. Mais si on comprend que la volonté puisse générer la confiance dès lors que des relations humaines sont à l'oeuvre (un candidat vis à vis de ses électeurs ou un chef d'Etat vis à vis de ses collègues), l'économie est un domaine trop abstrait et -malheureusement sans doute- trop désincarné pour être ainsi influencé positivement.

La confiance en économie est davantage le résultat de la visibilité à long terme et de la cohérence de la politique menée, elle ne s'encombre pas de considérations morales (là encore on peut le déplorer) dont son pourtant pleins les discours des responsables publiques. Cette indifférence s'exerce à la fois à l'encontre des principes propres à la gauche comme à ceux propres à la droite : qu'il s'agisse de laréduction des inégalités ou de la réhabilitation de la valeur travail. Nos responsables politiques nourrissent à cet égard une conception "religieuse" de l'économie, étant entendu que si les principes qui sous-tendent leur politique sont justes alors celle-ci sera efficace : rien de plus faux en l'occurence. Réhabiliter la valeur travail -leitmotiv de la campagne de Nicolas Sarkozy- est ainsi beaucoup plus un objectif social pour répondre à une crise morale de la société française qu'un levier sur la croissance économique.

Si l'action politique du Président et de son gouvernement ne manque pas de volonté, elle souffre à coup sûr d'une faible cohérence en matière économique. S'agit-il d'une politique de l'offre (réforme des universités à peine entamée, réforme de la fiscalité qui touche les entreprises, approche plus réfléchie et nuancée en ce qui concerne les délocalisations, développement des pôles de compétivité,...) ou d'une politique de la demande (baisse des impôts pour relancer la consommation...) ? Quoi qu'il en soit, relancer la demande en faisant des cadeaux fiscaux aux revenus les plus aisés (bouclier fiscal, suppression des droits de succession) ne permet qu'ajouter l'injustice à l'inefficacité.

A trop tirer à hue et à dia sur l'économie française, le gouvernement risque, en fin de compte, de la fragiliser. Une politique économique cohérente est possible, elle doit viser à développer l'offre puisque la consommation ne se porte pas trop mal dans notre pays : en tous cas, ce n'est pas de ce "paquet fiscal" fort coûteux dont nous avions besoin.

03 août 2007

La récompense du vice ?


Après la libération des infirmières bulgares détenues en Libye, la classe médiatique a unanimement salué le rôle joué par la France, et en particulier par le Président de la République et son épouse, pour mettre un terme à une affaire qui n'en finissait pas. C'était la démonstration dans le domaine des relations internationales du "credo" sarkozyste : avec la volonté politique, tout est possible. Mais très vite les premiers doutes sont apparus, l'ancien Ministre des Affaires Européennes de Lionel Jospin, Pierre Moscovici, a été le premier à s'être publiquement demandé si les contreparties accordées à la Libye ne consituaient pas une certaine "récompense du vice".

Les affaires internationales sont souvent complexes et rarement limpides, celle-ci ne déroge pas à la règle. Pour tenter de comprendre ce qui s'est passé, il faut considérer les intérêts des différentes parties en présence : La France, la Libye, l'Union Européenne et la Bulgarie. Il faut tout d'abord se demander si les efforts de la France ont eu une portée purement humanitaire ou s'il s'agissait de faire avancer, d'une manière ou d'une autre ses intérêts nationaux.

Une première réponse consiste à dire qu'il est aujourd'hui possible de concilier sans trop de difficulté ces deux objectifs. En effet, avec le développement de la démocratie et l'importance de plus en plus grande accordée à l'opinion publique, il peut être dans l'intérêt de la France de se positionner comme le défenseur des droits de l'Homme et des causes humanitaires. Les Etats-Unis ont occupé ce rôle au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, notamment en s'opposant à la politique coloniale de ses deux plus proches alliés : le Royaume-Uni et la France, il semble aujourd'hui que leurs erreurs répétées en politique étrangère (principalement en Irak) les aient discrédités au yeux du monde et que s'ils occupent toujours de manière incontestable le rôle de "gendarme du monde", la place de "conscience du monde" soit désormais vacante. En s'engageant dans un dossier où la France n'était pas directement impliquée, Nicolas Sarkozy s'est ainsi positionné comme le "meilleur allié" des Bulgares et son action a été d'autant plus appréciée qu'elle a semblé dans un premier temps totalement désintéressée. Est-ce là la nouvelle politique étrangère de la France : jouer l'opinion et les peuples plutôt que les gouvernements en espérant que des relations d'amitié forte entre les peuples naîtront des relations économiques et politiques à l'avantage de notre pays ? Cette politique peut sembler naïve et utopique, il n'est toutefois pas exclu qu'elle soit gagnante à long terme.

Plus prosaïquement, on peut envisager cette affaire des "infirmières bulgares" sous un angle purement franco-français. Dans ce cas, Nicolas Sarkozy a cherché à montrer au peuple Français que son activisme et sa détermination donnaient des résultats et que ce qui était possible sur la scène internationale serait également réalisé en politique intérieure. Pour l'instant, cette stratégie est gagnante, si l'on en croit les derniers sondages d'opinions. En plus d'approuver l'action extérieure de leur Président, les Français ont l'impression, notamment au travers de cet événement, que la parole de leur pays reprend du poids sur la scène internationale. Mais la crédibilité gagnée à l'intérieur a peut-être été perdue à l'extérieur de nos frontières : la politique du "coucou" qui consiste à faire son nid dans celui des autres, c'est-à-dire de récupérer les lauriers au dernier instant d'un travail de longue haleine de l'ensemble de l'Union Européenne (notamment les présidences Britannique et Allemande), a passablement énervé nos partenaires européens. Il n'est qu'à lire la presse Allemande pour comprendre à quel point la stratégie du Président de la République n'at pas fait l'unanimité. Faut-il, pour se rapprocher des Bulgares ou plutôt pour flatter les Français se fâcher avec les Allemands ? Ce serait là un bien mauvais calcul dans les intérêts mêmes de la France.

Vient également l'explication la plus classique et certainement la plus probable : l'application stricte de la Realpolitik. La France a pu profiter de cette crise diplomatique et de la fin de l'embargo sur les armes contre la Libye pour vendre à ce pays ses propres produits. Dans ce cas, les infirmières bulgares auront été un prétexte pour implanter Areva, Thalès et EADS dans le pays d'un Khadafi redevenu fréquentable. Bien entendu, les contrats révélés ces derniers jours ont été engagés sous le précédent gouvernement, mais il semble raisonnable que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, ne les ignorait pas. Si tel était le cas, la France aurait choisi de mettre ses intérêts avant ses valeurs et ses principes, ce qui est monnaie courante en matière de relations internationales. Une chose est certaine, on ne peut pas à la fois obtenir des contrats et se présenter comme un modèle de vertu qui n'a agi que de manière désintéressée.

Enfin, on peut s'interroger sur le rôle joué par l'épouse du chef de l'Etat, qui a relégué pour l'occasion Bernard Kouchner au rang de sous-secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères. Dès lors que cette affaire sort du cadre humanitaire pour entrer dans celui de la politique et de la diplomatie, on ne peut pas cautionner une telle attitude. Cécilia Sarkozy ne possède aucun mandat, sa parole personnelle ne saurait engager celle du peuple Français. Il reste donc plusieurs zones d'ombre dans cette affaire, une comission d'enquête parlementaire, dont le principe a rencontré l'approbation du Président de la République, paraît donc appropriée. C'est en tous cas comme cela que l'on fonctionne dans les autres démocraties.

24 juillet 2007

Faut-il un service minimum ?


Le projet de loi relatif au service minimum, présenté par le ministre du Travail Xavier Bertrand, est actuellement discuté devant l'Assemblée Nationale. Son principe suscite l'approbation de plus de deux Français sur trois mais rencontre l'hostilité des organisations syndicales. Comme souvent en politique, le diable se trouve dans les détails et les déclarations de principe ne permettent pas de saisir toute la complexité du problème.

Deux principes constitutionnels s'opposent ici : le droit de grève et l'obligation de service public. Les deux "camps" ont ainsi tous les deux raisons en même temps, cela oblige à dépasser cette opposition binaire. Il semble évident qu'un fonctionnaire n'est pas un employé comme les autres : les garanties qui lui sont offertes doivent être contrebalancées par des devoirs comme la qualité de l'offre de service public. La question est presque d'ordre moral : la fonction publique ne peut être respectée dans le pays que si son sens de l'intérêt général ne fait pas de doute, dans le cas contraire, on a à faire à une technocratie qui défend ses propres intérêts par son corporatisme. L'engagement au service de l'Etat est noble et respectable, il doit donc être préservé des attaques populistes, pour cela, les fonctionnaires doivent être irréprochables.

Une fois posé ce préalable, il faut insister sur les sacrifices en terme de salaires qui sont souvent consentis par les agents publics (en particulier dans la haute fonction publique). Les fonctionnaires ne sont ni des "planqués" ni des "privilégiés", ils doivent donc pouvoir défendre leurs intérêts au sein d'actions collectives comme les grèves. En revanche, on ne peut pas accepter la "grève par procuration" que semble parfois pratiquer le secteur public au profit du secteur privé qui ne bénéficie pas des mêmes protections de statut. Cette solidarité de classe camoufle en fait la défense d'intérêts catégoriels propres à la fonction publique (ou politiques), comme l'ont montré les conflits sociaux de 1995.

Dès lors, quelle solution adopter ? Il existe plusieurs degrés dans le service minimum : il peut être assez dur (comme en Italie), en interdisant les grèves pendant certaines périodes sensibles de l'année ou plus fexible (comme en Espagne ou en Scandinavie) en s'appuyant sur la concertation sociale et la prévention des conflits. La solution proposée par le gouvernement est à mi-chemin puisqu'elle impose par la loi l'obligation de trouver un accord dans les entreprises de transport concernées. Comme beaucoup de solutions intermédiaires elle n'est pas pleinement satisfaisante : trop souple diront certains, trop "étatique" diront les autres. Le fait est que les pouvoirs publics doivent prendre acte de la faiblesse actuelle des partenaires sociaux, on peut donc se demander si la rénovation du dialogue social n'aurait pas été un préalable intéressant au service minimum.

Quoi qu'il en soit, rien ne justifie la limitation du service minimum aux seuls entreprises de transports. Leurs obligations de service public ne sont ni plus ni moins importantes que celles de l'éducation nationale, de la santé ou des entreprises de l'énergie. Plutôt que de dresser les Français les uns contre les autres, profitons de ce débat pour redonner toutes ses lettres de noblesse à la fonction publique et faire taire à ce sujet le populisme qui sommeille en France.

13 juillet 2007

Pourquoi la politique ?


Voilà plusieurs mois déjà que je cherche, à travers ce blog, à commenter et à réfléchir sur la politique en général. Ce n'est là que l'aboutissement de longues années d'intérêt voire de passion pour ce domaine. D'abord, petit, on commence par regarder des débats politiques auxquels on ne comprend rien mais qui semblent fascinants. Ensuite, on commence à appréhender la multitude des thèmes que recouvre l'action politique, on est littéralement noyé par les informations, on se dit qu'on n'arrivera jamais à avoir une vision d'ensemble cohérente. Enfin, on prend confiance, on gagne en expertise, on commence à trouver que les débatteurs politiques que l'on prenait naguère pour des spécialistes racontent en fait souvent n'importe quoi. Tel a été mon cheminement passif vers la politique : elle s'est imposée à moi naturellement et progressivement. Mais pourquoi s'intéresser à la politique ?

Il y a deux manières d'appréhender cette question : on peut se demander l'intérêt qu'il y a de faire de la politique ou en quoi la politique est intéressante. La recherche du pouvoir, d'une place dans l'histoire et donc d'une certaine forme d'immortalité sont naturellement à l'oeuvre si l'on retient la première logique. Mais il serait inutile et vain d'essayer de trancher ici les rapports entre les Hommes et le pouvoir, c'est donc la deuxième approche qui sera ici examinée.

La politique, c'est l'organisation de la cité, elle intervient dès lors que les individus se constituent en sociétés. Il y a donc une nécessité d'organiser la société selon des lois, des normes ou des codes. Il faut ensuite faire appliquer ces règles et donc bâtir un véritable pouvoir politique. S'engager dans la vie publique permet donc d'arbitrer les problèmes entre les individus et, mieux, de les prévenir. L'homme politique est dans ce cas un "ingénieur social" chargé de prévenir les mécontentements.

Mais plutôt que de considérer, comme je viens de le faire, la politique comme une nécessité due à l'organisation sociale, on peut la voir comme une volonté ou une demande de lien social. Il ne s'agit pas, en effet, de régler simplement les problèmes qui se posent, il faut aussi mettre sur la table ce qui ne fait pas problème mais qui est susceptible d'être un progrès de la société. Ainsi, on peut considérer la laïcité comme un instrument nécessaire de la paix sociale ou bien comme une formidable avancée dans l'organisation de la société, en séparant le temporel du spirituel. On peut voir le système fiscal comme un moyen de financer les besoins de l'Etat ou comme une mise en commun, selon leurs moyens, des citoyens afin de construire des projets collectifs et de se dessiner un avenir commun.

Le XXème siècle nous invite toutefois à être prudent et à ne pas trop idéaliser la politique. Le totalitarisme a montré les dangers de l'exaltation du collectif et de la négation de l'individu, il a prouvé que l'Etat devait savoir rester à sa place et ne pas s'immiscer dans la vie des gens. Tout l'art de la politique doit être de trouver une voie entre l'individualisme forcené qui se développe actuellement au nom de la liberté et le collectivisme qui mène au totalitarisme. La révolution libérale des années 80, en partie fondée sur l'antitotalitarisme, conduit aujourd'hui à une situation où c'est bien l'individualisme qui est le principal danger qui guette nos sociétés.

L'individualisme, en effet, c'est le repli sur soi, c'est la porte ouverte aux communautarismes et aux corporatismes. Plus que de s'attaquer aux grands idéaux républicains, il porte atteinte au concept même de civilisation. C'est une régression qui éloigne les citoyens des grands principes et des grandes aventures collectives pour les enfermer dans leurs préoccupations quotidiennes et souvent superficielles. La société de consommation ou plus exactement la "société de marché" comme l'appelle Lionel Jospin, bien que consolidant les économies, détruit peu à peu les fondements des sociétés, à commencer par la culture. S'intéresser à la vie publique, c'est un moyen de rejetter cette évolution, d'affirmer que ce qui donne un sens à sa vie, se sont les autres (et pas seulement ses proches). Se consacrer à la politique, c'est faire passer le souci du monde avant le souci de soi. Ce projet idéaliste - certains diront utopiste - peut être une réponse à la crise de sens qui sévit actuellement dans le monde occidental.

La France est en cela un pays admirable : sa passion pour la politique, éclatante lors des dernières élections, grandit le peuple Français. Pendant des semaines voire des mois, les gens ont débattu, discuté des candidats et des programmes, ils ont réfléchi sur ce qui constituait l'identité nationale. Même si la plupart des citoyens ne connaissaient ou ne comprenaient que partiellement les détails des propositions avancées par les candidats, ils avaient, dans leur immense majorité, le sentiment que quelque chose d'important se jouait pour le pays. Leur vote a été beaucoup plus guidé par ce qu'ils pensaient être juste que par la recherche d'intérêts directs liés à la victoire d'un camp ou d'un autre. Le seul regret que l'on peut exprimer est que cette campagne se soit focalisée essentiellement sur des sujets économiques et sociaux domestiques et se soit détournée des questions internationales.

La politique, comme la science, la philosophie ou les arts participe du processus de civilisation. Elle est à ce titre éminemment respectable et elle exige, de la part de ceux qui l'exerce, discernement et responsabilité. Selon Aristote, "La fin de la Politique sera le bien proprement humain", cette perspective me semble plus constructive que la vision Rousseauiste d'"éradication du mal".

11 juillet 2007

Déjà un bon bilan


Bien que Nicolas Sarkozy soit installé à l’Elysée depuis moins de deux mois, son bilan est d’ores et déjà conséquent. En effet, avec la réussite du Conseil Européeen de Bruxelles, il a, avec d’autres chefs d’Etat et de gouvernement, réussi à remettre l’Europe sur les rails. Son idée de traité simplifié, qu’il a défendu ardemment pendant la campagne alors qu’il aurait été plus porteur de promettre un nouveau référendum, s’est imposée et a permis d’effacer les non Français et Néerlandais.

Bien entendu il ne s’agit pas de surestimer le rôle du nouveau Président de la République. Si son idée s’est imposée, c’est avant tout parce qu’elle était la seule solution réaliste, acceptable par l’ensemble des pays de l’Union Européenne. Profiter de l’impasse institutionnelle pour proposer de tout remettre à plat aurait été l’assurance de l’échec : la politique des petits pas ne doit pas être méprisée, surtout en matière européenne, la construction d’un espace politique, économique et social comme l’UE ne saurait être une entreprise “révolutionnaire”.

Certes, Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à se mettre en scène lors de ce sommet européen, pour montrer tous les efforts et toute la bonne volonté qu’il déployait. Il serait déplacé de lui en faire le reproche, ces manoeuvres participent également de la diplomatie. De même, il ne faut pas être dupe du jeu de rôle auquel se sont livrés l’Allemagne et la France vis-à-vis de la Pologne, maniant tour à tour le bâton et la carotte pour obtenir, in fine, l’approbation du plus grand pays d’Europe de l’Est.

Quoi qu’il en soit, la France est plus que jamais de retour sur la scène européenne, elle n’a plus à se cacher comme après la victoire du non au référendum européen. Il y a également fort à parier que l’image de la France auprès de ses partenaires, et notamment auprès des nouveaux entrants, est sortie grandie de ce sommet. Ne faisons donc pas les fines bouches et saluons comme il se doit ce succès.

Durant la campagne, j’avais expliqué les trois raisons qui m’ont poussé à voter pour Nicolas Sarkozy : il y avait son projet de traité simplifié, l’autonomie des universités et la réduction des effectifs dans la fonction publique pour réduire le déficit de l’Etat. Le premier objectif semble donc tenu, la réforme des universités est sur les rails même si certains bruits faisant état de la disparition du CNRS sont très inquiétants, enfin le gouvernement a confirmé le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

En revanche, le scepticisme demeure à propos de la détaxation des heures supplémentaires ou de la suppression des droits de succession. Que le débat puisse s’ouvrir sur ces questions est souhaitable, en attendant, sachons saluer les premiers pas de Nicolas Sarkozy sur la scène internationale.

20 juin 2007

Vive la République sur Le Monde.fr


Désormais, les principaux articles de ce blog sont disponibles à l'adresse suivante :
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Venez nombreux !

19 juin 2007

L'étrange défaite


L’UMP a remporté les élections législatives, la gauche a retrouvé des forces et se pose désormais en opposition crédible : tout semble aller pour le mieux dans la démocratie française. Les Français ont été sages, plus sages que je ne l’imaginais puisqu’ils ont stoppé la « vague bleue » plutôt que de l’amplifier. Il ne manque plus qu’une mue sociale-démocrate du Parti Socialiste pour que la fête soit complète. Pourtant, dimanche soir, un événement est venu tout gâcher : la défaite, suivie de la démission du gouvernement, d’Alain Juppé.

Oui, Alain Juppé, en application du non-cumul des mandats, n’aurait pas du se présenter lors de ces élections législatives. Oui, on peut comprendre que les électeurs bordelais aient opté pour une « vraie » députée plutôt que pour un candidat « virtuel ». Oui, on peut trouver absurde la règle édictée par François Fillon qui pousse les ministres défaits à la démission. Oui, on peut saluer la victoire d’une femme de qualité : Michèle Delaunay qui participe au rééquilibrage de la vie politique française après les résultats du premier tour. On peut se dire tout cela et en même temps penser que toutes ces objections ne pèsent pas très lourd en regard du destin brisé d’un homme. Comme si, depuis 1995, tout le tragique de la vie politique s’était concentré sur Alain Juppé.

Cette année-là, alors qu’il est Premier Ministre, il lance une série de réformes audacieuses qui sont à peu près celles auxquelles nous sommes parvenus avec plus de dix ans d’écart. Pour qualifier la France pour l’euro, il doit mener une politique d’austérité et de réduction des déficits. C’est le gouvernement Jospin qui tirera profit de ce travail. En 2004, il choisit de porter seul la responsabilité dans l’affaire des emplois fictifs du RPR plutôt que d’impliquer Jacques Chirac : par fidélité envers cet homme qui lui a tout apporté, par respect des institutions également, il doit purger une peine d’un an d’inéligibilité. On croyait que le temps était venu de son retour en grâce lors de la composition du gouvernement Fillon. Enfin un poste à sa mesure : inventer une nouvelle politique, mettre en application pratique le concept abstrait de développement durable. Les électeurs ont décidé d’écrire autrement le destin d’Alain Juppé.

On peut sourire d’une telle déconvenue, on peut trouver grotesque la « Tentation de Venise » qui revient de manière lancinante chez cet homme. On peut aussi être ému et profondément triste. Alain Juppé est un homme dont tout le monde loue les capacités intellectuelles, qui a réussi, par son mérite et son talent, de brillantes études qui l’ont conduit dans les plus hautes sphères de l’Etat. Il est un des seuls, dans la vie politique française, à ne pas avoir dérapé, à ne pas avoir insulté ses adversaires, à avoir toujours su rester digne plutôt que de sombrer dans un populisme ambiant. Cet homme a construit toute sa vie en direction de la politique : plutôt que de vendre ses capacités dans le privé, il a choisi le service de l’intérêt général et s’est donné les moyens de son ambition personnelle. Un tel destin émouvrait profondément l’opinion publique s’il s’agissait d’un écrivain, d’un chanteur ou d’un athlète : mais la vie politique est cruelle, les perdants n’ont droit qu’aux rires acerbes de leurs adversaires et aux propos donneurs de leçon des éditorialistes. « Maintenant, c’est la curée », a dit Alain Juppé au lendemain de sa défaite : les jaloux et les médiocres vont s’en donner à cœur joie.

Moderniser la vie politique, c’est peut-être aussi prendre le temps de sortir de l’actualité et des luttes fratricides pour considérer qu’un homme politique est avant tout un homme, et que sa souffrance mérite le respect. C’est savoir abandonner momentanément l’objectivité des analyses pour succomber à la subjectivité des sentiments que nous inspirent tel ou tel leader politique. Comment savoir si c’est Alain Juppé qui est passé à côté des Français, ou si ce sont les Français qui sont passés à côté d’Alain Juppé ? Quoi qu’il en soit, cette étrange défaite me laisse un goût amer qui ne s’estompera que dans l’hypothèse d’un ultime retour de ce grand homme d’Etat dans la vie politique nationale.