26 janvier 2008

Je n'appellerai pas mon fils Enzo !


Enzo, Lucas et Mathis pour les garçons, Emma, Léa et Clara pour les filles, tels sont les prénoms qui figurent au top 3 des prénoms les plus donnés pour l'année 2006. L'information peut sembler anodine, elle est en fait révélatrice du modernisme compulsionnel actuel. Nous sommes en train de vivre une rupture patronymique dont il convient d'étudier les ressorts.

En effet, jusque dans les toutes dernières années, la plupart des parents utilisaient des prénoms français "classiques" tels que Jean, Michel ou Philippe (les trois plus portés). Ainsi, si l'on considère les prénoms les plus donnés depuis 1900, on constate qu'aucun prénom "exotique" ne figurent dans les 50 premiers. Bien entendu, les modes ont toujours existé, mais elles s'effectuaient auparavant sur des échelles de temps plus longues et, surtout, elles recyclaient des prénoms tombés en désuétude pour les faire revenir au goût du jour. Ce phénomène est toujours à l'oeuvre, ainsi, après un creux dans les années 70, Paul et Louis sont aujourd'hui aussi populaires que dans les années 30. Là où notre époque se singularise, c'est par l'importation ou la création de nouveaux prénoms qui ne sont plus reliés au patrimoine Français.

Et alors, me direz-vous, où est le problème ? Il vient en partie de ce que les prénoms sont une part de l'identité d'un pays, ils reflètent un certain passé et une certaine culture. Si la France n'avait pas été largement influencée par le catholicisme, il n'y aurait pas eu autant de Marie, Joseph, Madeleine, Paul ou Pierre. Nous vivons sur un héritage judéo-chrétien qui s'est enraciné dans les patronymes de presque chacun d'entre nous. Et même quand la religion a reculé dans notre pays, cet usage n'a pas été remis en cause au nom de la culture et de la tradition. C'en est encore trop pour le modernisme actuel. Toute attache au passé est perçue comme une chaîne dont il faut se libérer. En laissant libre cours à notre créativité patronymique, nous sommes comme le Dernier Homme de Nietzsche, à la fois satisfaits ne nous-mêmes et libérés du passé.

On peut faire remonter le phénomène actuel à une dizaine d'années, à l'époque, les prénoms les plus fréquemment donnés étaient Nicolas, Alexandre et Thomas pour les garçons et Manon, Marie et Laura pour les filles. Des prénoms originaux existaient bien avant, mais ils restaient marginaux. Ce n'est que dans les années 90 que l'explosion a eu lieu : de 1990 à 2000, le nombre d'Enzo a été multiplié par plus de 20, même chose pour Mattéo, Killian et autres Théo. Il y a cependant eu un précédent avec les prénoms d'origine américaine qui ont connu une croissance encore plus rapide à la fin des années 80, leur apogée au début des années 90 et qui sont en chute libre depuis les années 2000. Ce phénomène n'a rien à voir avec celui décrit plus haut, en effet, il concerne presque exclusivement les couches populaires peu instruites, qui choisissent le prénom de leur enfant en fonction de ce qu'elles entendent dans leur environnement : pendant plusieurs siècles cela s'est traduit par des prénoms français classiques et depuis l'irruption de la télévision et des séries américaines (regardées au quotidien dans certains foyers) certains prénoms anglo-saxons ont fait leur apparition. Pour preuve, beaucoup d'enseignants, en début d'année, peuvent à la simple lecture des noms de leur future classe pronostiquer ceux qui seront en échec scolaire lourd : les Kevin, Jonathan et Christopher ne semblent pas bénéficier des mêmes chances que les autres.

Ce ne sont pas les classes populaires qui emploient aujourd'hui des prénoms originaux mais plutôt les classes moyennes et supérieures de la population. Pour utiliser un raccourci un peu grossier : ce sont les bobos qui appellent leur fils Enzo ! Deux facteurs sont à l'oeuvre, tout d'abord le multiculturalisme devenu la valeur cardinale de la société. Un prénom français paraît bien trop étriqué, il faut savoir s'ouvrir aux autres cultures, notamment en leur employant leurs prénoms. La deuxième explication réside dans l'essor de la marchandisation et de la consommation : désormais on choisit le prénom de son enfant comme on choisit un yaourt dans un rayon de supermarché, il faut avant tout qu'il plaise, qu'il soit joli et qu'il sonne bien. Pourtant, un prénom est un élément fondamental de l'identité, il accompagne l'individu tout au long de sa vie et pas seulement quand il est enfant. Cette évolution consumériste de certains parents se rapproche des choix des entreprises quand elles cherchent un nouveau nom : la signification s'efface devant le son, comme c'est le cas pour Véolia, Vivendi ou Areva. C'est la dictature de la forme sur le fond, l'obsession du paraître.

Pour ne pas être en reste, le législateur a cru bon de laisser, depuis le 1er janvier 2005, un pouvoir discrétionnaire aux parents pour le nom de famille de leur enfant. On peut ainsi donner le nom du père, de la mère ou des deux dans l'ordre souhaité. Victoire de la parité pour certains, cette décision constitue surtout une rupture avec un usage en vigueur dans la quasi-totalité des sociétés humaines, à savoir que la mère donne la vie à l'enfant et que le père lui donne son nom. Mais, ici comme ailleurs, le bon sens doit s'effacer devant la bien pensance. L'identité complète (nom et prénom) est donc devenu un catalogue dans lequel on vient piocher à l'envi, au gré des humeurs. A croire que tous les repères sont destinés à disparaître, que l'homme était arrivé à un tel degré de maturité qu'il pouvait se défaire définitivement du passé.

Plus que jamais, je n'appelerai pas mon fils Enzo.

16 janvier 2008

Le véritable anticapitalisme, c'est le libéralisme


Deux anticapitalistes : Olivier Besancenot et Charles Beigbeder

Michel Rocard a raison d'insister sur le niveau abyssal d'ignorance qu'ont les Français en économie. Au prétexte qu'il s'agit d'une science "sociale", chacun se croit autorisé à donner son avis. Ce manque de culture économique se traduit par une confusion dans les termes employés. En particulier, il est d'usage dans notre pays d'assimiler libéralisme et capitalisme. Ainsi, la gauche de la gauche se réclame-t-elle tour à tour de l'antilibéralisme ou de l'anticapitalisme. Pourtant, ces deux termes sont en tous points opposés et le véritable débat économique contemporain doit précisément porter sur la confrontation de ces deux doctrines.

Le libéralisme est une doctrine politique dont la déclinaison économique se traduit par la mise en oeuvre de concurrence libre et non-faussée sur l'ensemble des marchés. Cela se traduit par une atomicité des acteurs économiques, une parfaite transparence dans l'information, une homogénéité des produits, la libre entrée sur les marchés et la libre circulation des facteurs de production. Dans ce cadre, les économistes prédisent un profit nul pour les entreprises puisque les prix s'établissent aux coûts marginaux. Le raisonnement est très simple, dès lors qu'une entreprise ferait un profit, n'importe qui aurait intérêt à créer une entreprise avec des biens comparables pour prendre une partie de la marge.

Le capitalisme, c'est tout le contraire, on pourrait le définir comme le moyen de se départir des hypothèses de la concurrence parfaite. En effet, quel chef d'entreprise peut accepter pour seul horizon une absence de profit ? Tous les capitalistes cherchent ainsi à acquérir un pouvoir de marché, l'idéal étant le monopole, à protéger l'information dont ils disposent, à se différencier des concurrents et à bloquer la porte aux nouveaux entrants pour qu'ils ne viennent pas partager la marge avec les acteurs existants. L'opposition entre libéraux et capitalistes ne date pas d'hier, Adam Smith, déjà, fustigeait en son temps le mercantilisme qui restreignait la concurrence et, par conséquent, favorisait la position des gens en place.

Soyons réalistes, d'où vient aujourd'hui la plus grande menace pour un géant comme Microsoft : des mouvements antilibéraux qui se développent dans les démocraties occidentales ou de la Commission Européenne que l'on qualifie à juste titre de libérale ? On voit d'ailleurs de nombreux grands groupes industriels chercher l'appui "patriotique" de la population pour s'opposer aux décisions de la Commissaire à la Concurrence de l'Union, en brandissant par exemple l'importance des "champions nationaux". En réalité, ceux qui promeuvent le libéralisme dans le monde patronal sont davantage les responsables de PME qui subissent de plein fouet le pouvoir de marché de ces grands groupes qui leur bloquent l'entrée, c'est le cas en particulier de M. Beigbeder, patron de Poweo, qui cherche à pénétrer le marché de l'électricité.

La différence principale entre ces deux doctrines est que le libéralisme cherche un optimum social (surtout dans sa vision utilitariste), il cherche à maximiser le bien-être de la population tandis que le capitalisme ne cherche qu'à défendre des intérêts privés. Ainsi, il n'y a pas d'incompatibilité majeure entre le socialisme et le libéralisme puisque tous deux se placent du point de vue de la collectivité, les sociaux-libéraux ne sont donc pas forcément atteints de schyzophrénie comme on l'entend parfois. Ce qui fait cependant diverger ces deux doctrines, c'est la répartition des richesses entre les individus et pas seulement leur production de manière globale. Le socialisme cherche à combler les inégalités sociales alors que le libéralisme ne dit rien sur ce thème. Le raisonnement est le suivant : si l'on veut partager le gâteau, il faut d'abord un gros gâteau et donc une maximisation globale. D'ailleurs, la plupart des grands économistes (surtout les Prix Nobel) ne sont-ils pas à la fois de gauche ET libéraux ? Le capitalisme ne s'intéresse pas, quant à lui, à ces aspects macroéconomiques et se concentre principalement sur une optimisation microéconomique.

Doit-on pour autant en conclure que le libéralisme représente le bien quand le capitalisme incarnerait le mal ? Les choses ne sont pas si simples en réalité, même quand on prétend se placer du point de vue de la collectivité. En effet, si on fait un peu d'histoire économique, on comprend que la révolution industrielle, qui a eu lieu au XIXème siècle en Europe Occidentale, doit énormément à l'accumulation primitive de capital chez certains gros patrimoines. Sans cet effet de taille, il est probable que la dynamique ne se serait pas enclenchée, en tous cas pas si vite. Plusieurs économistes expliquent ainsi que si la Chine n'a pas décollé à cette période, c'est parce que l'Etat empêchait toute accumulation privée de richesses. Ainsi, il y a fort à parier que si une Commission Européenne existait au XIXème siècle et pratiquait la même politique qu'aujourd'hui, l'Europe n'aurait pas connu le même essor. Sans remonter si loin dans le passé, on doit reconnaître que les rentes de certaines entreprises sont essentielles pour le développement de la recherche appliquée, elles servent à financer des projets risqués mais prometteurs. Vouloir limiter les profits des entreprises au profit de la collectivité peut donc constituer un frein au développement économique et au progrès technique.

Plus fondamentalement, ce qui remet en cause la pensée économique libérale, c'est qu'elle ne parle pas de la réalité mais d'un monde merveilleux où règne la concurrence pure et parfaite. Ainsi, le discours libéral est davantage normatif que prédictif, il vise à rapprocher la réalité de son modèle plutôt que de trouver un modèle qui reflète la réalité. De surcroît, le libéralisme économique devient critiquable quand ceux qui le défendent ne choisissent que certaines parties de cette doctrine : en clair, ils sont d'accord pour libéraliser le marché du travail pour gagner en compétitivité mais beaucoup moins pour libéraliser les conditions de la concurrence qui pourrait leur faire perdre des parts de marché. Une telle approche, totalement opportuniste, n'est finalement pas si étrangère au capitalisme, qui fait feu de tout bois tant que ses intérêts ont quelque chose à y gagner.

Et si finalement le mot de la fin ne revenait pas à l'historien et homme politique Français Jacques Bainville : "La supériorité des occidentaux tient, en dernière analyse, au capitalisme, c'est-à-dire à la longue accumulation de l'épargne. C'est l'absence de capitaux qui rend les peuples sujets." Cette phrase mérite en tous cas d'être méditée à une époque où la question de la détention des capitaux (notamment par les pays émergents) va se faire de plus en plus brûlante.

12 janvier 2008

Peut-on à la fois être réformiste et conservateur ?

Cet article est une forme de synthèse entre "Comment peut-on être conservateur" et "Une politique de civilisation" dont il reprend quelques éléments.

Après l’ouverture politique en 2007, le thème de l’année 2008 est désormais connu : il s’agira de la politique de civilisation, comme l’a annoncé le Président de la République lors de ses vœux aux Français. Cette annonce a surpris le microcosme politique et elle doit être saluée par tous ceux qui se font une haute idée de l’action publique. C’est surtout l’occasion de rassembler deux doctrines politiques que l’on pensait jusque là opposées en tous points : le réformisme et le conservatisme.

En effet, on doit à la fois construire et conserver une civilisation. Dans une vision statique, celle des Anciens, la civilisation ne s’inscrit pas dans la marche de l’Histoire, il s’agit donc de préserver la culture et les modes de vie traditionnels. Transposé à aujourd’hui, cela recouvre les thèmes de la préservation de l’environnement (chère à Edgar Morin), de la refondation de l’Ecole et d’une meilleure transmission de la culture dans la société. On peut effectivement se demander si l’humanité n’est pas en train de se disloquer et si le progrès technique ne masque pas un déclin humaniste. En d’autres termes, on peut très bien vivre plus vieux grâce aux progrès de la médecine, être plus riche grâce à la croissance économique tout en étant plus malheureux parce que le lien social se désagrège ou que l’environnement se détériore. C’est ce nouvel éclairage qui réhabilite aujourd’hui le conservatisme.

Dans une vision dynamique de l’Histoire, celle des Modernes, la civilisation est avant tout un processus : à l’instar de la bicyclette, si elle n’avance pas, elle tombe. Dès lors, il ne faut avoir de cesse de préparer l’avenir et de s’adapter au monde. S’endormir sur ses lauriers, c’est prendre le risque du déclin, le seul chemin raisonnable est donc celui de la réforme. Dans ce cadre, les résultats de la Commission Attali sur la libération de la croissance française revêtent une haute importance. En effet, la France doit absolument sortir de sa léthargie économique pour prétendre à un rôle important dans le monde et pour régler ses problèmes sociaux. Souhaitons également que cette focalisation sur la compétitivité de la France permette de sortir de la séquence politique du « pouvoir d’achat » lancée par le Président lui-même. Il faut aborder les problèmes dans le bon sens et s’attaquer aux causes plutôt qu’aux conséquences. Il est très dangereux d’installer dans la tête des citoyens qu’ils gagnent nettement moins qu’ils ne le méritent, surtout quand on reconnaît par ailleurs que « les caisses sont vides ». Le pouvoir d’achat, c’est l’obsession du présent alors que la croissance, c’est un combat pour l’avenir.

La « politique de civilisation » nous invite donc tour à tour à être conservateurs et réformistes. L’un ne va pas sans l’autre : il est impossible de défendre un système qui s’écroule tout comme il est difficile de s’engager dans l’avenir sans savoir d’où l’on vient et qui l’on est. A ce titre, la formule présidentielle de « nouvelle Renaissance » est un habile oxymore qui rassemble ces deux aspirations. Concrètement, l’homme moderne doit comprendre que le monde dans lequel il vit est plus vieux que lui et qu’un détour par le passé peut lui être utile. Le conservatisme doit donc être la voix de l'humilité et du respect des générations passés qui ont construit progressivement la société que nous connaissons. Plutôt que de tout réinventer comme si l'histoire qui nous précédait n'était qu'un simple brouillon, le progrès des sociétés humaines doit être réalisé de manière progressive, dans la durée, plutôt que dans un climat de rupture systématique qui plonge les individus dans une insécurité permanente. Avant de vouloir changer un système, il importe de comprendre son évolution passée qui explique son fonctionnement actuel.

Tous ceux qui se reconnaissent dans cette notion de "réformiste conservateur" ont donc un double devoir : faire que la « politique de civilisation » ne reste pas un simple slogan pour qu’elle imprègne l’action du gouvernement dans les mois à venir et œuvrer pour que le débat sur la relance de la croissance, qui accompagnera la remise du rapport Attali, ne soit pas escamoté. C’est notre intérêt, mais c’est surtout celui de la France.

05 janvier 2008

Une politique de civilisation


Avec 2008, une deuxième étape s’ouvre : celle d’une politique qui touche davantage encore à l’essentiel, à notre façon d’être dans la société et dans le monde, à notre culture, à notre identité, à nos valeurs, à notre rapport aux autres, c'est-à-dire au fond à tout ce qui fait une civilisation. Depuis trop longtemps la politique se réduit à la gestion restant à l’écart des causes réelles de nos maux qui sont souvent plus profondes. J’ai la conviction que dans l’époque où nous sommes, nous avons besoin de ce que j’appelle une politique de civilisation. Nicolas Sarkozy, qui parle beaucoup, pour ne pas dire trop, depuis qu'il a été élu Président de la République, a certainement prononcé ici ses mots les plus importants et les plus prometteurs. Il convient cependant de rendre à César ce qui est à César puisque la formule "politique de civilisation" est le titre d'un livre du philosophe Edgar Morin et que le discours du Président a été écrit (comme toujours quand il est bon) par Henri Guaino, mais cela n'a guère d'importance : en effet, en écrivant son livre, Edgar Morin n'a pas préempté cette expression et il ne saurait s'ériger en arbitre universel de ce qui relève ou pas de la civilisation, de plus, si Nicolas Sarkozy garde sa confiance et son amitié à son nègre de talent, c'est bien qu'il se retrouve dans les discours que ce-dernier lui écrit.

Venons-en à l'essentiel, car c'est bien de cela dont il est question : la civilisation, comme je l'ai écrit à maintes reprises sur ce blog, c'est le coeur du projet politique, son essence même. Bien entendu, en se constituant, les sociétés ont eu besoin d'une organisation politique pour gérer les affaires courantes mais la politique ne s'est jamais cantonnée à ce rôle que lui offre la nécessité, elle s'est toujours voulue un ferment, un catalyseur de la civilisation. Le rayonnement culturel de chaque civilisation est un projet politique qui ne peut en rien se réduire à une quelconque organisation de la société. Ce qui fait la grandeur de l'Homme, c'est qu'il peut faire passer des valeurs avant des intérêts. Longtemps, ce qui a dominé le projet de civilisation de l'Europe Occidentale, c'était la morale chrétienne, aujourd'hui, les sociétés sécularisées doivent également s'appuyer sur un socle de valeurs morales laïques, fussent-elles inspirées par les religions qui ont marqué notre monde.

De ce point de vue, il faut souligner la bêtise de certains responsables socialistes, en particulier de Benoît Hamon pour qui le discours de Nicolas Sarkozy est bien la preuve qu'il n'est pas totalement républicain puisqu'il souhaite revenir à un ordre moral religieux. Comment ne pas comprendre qu'une société sans morale est destinée à s'effondrer ou que la morale peut être laïque ? Sans distinction entre le bien et le mal, partagée par le plus grand nombre, seul le nihilisme peut se développer. L'harmonie dans la société n'est pas la résultante des individualismes, des intérêts et des égoïsmes, elle nécessite une impulsion et des repères venus d'en haut. Ce "haut", qui a souvent été la religion par le passé, peut aujourd'hui être l'Ecole Républicaine, la famille ou encore l'élite intellectuelle de ce pays, si du moins elle existe encore.

Il est bon de soulever le débat sur la "politique de civilisation", encore faut-il annoncer les réponses qu'on entend y apporter. Nicolas Sarkozy a égrainé un catalogue à la Prévert : bâtir l'Ecole et le ville du XXIème siècle, promouvoir l'intégration, la diversité, les droits de l'homme, protéger l'environnement ou encore moraliser le capitalisme financier. Cette liste n'est certainement pas exhaustive en même temps qu'elle peut manquer de cohérence. Ce qui est important, c'est de raccrocher le progrès humain au progrès technique, ce qui ne va pas de soi. C'est ainsi qu'il convient de distinguer, comme nous y invite Edgar Morin, le "bien-être" (notion de base de l'économie utilitariste) du "mieux-être". Cela repose sur une interrogation profonde sur la notion de croissance qui est parfois utilisée hâtivement pour juger du niveau de bonheur d'une société. La croissance économique n'est pas suffisante à un projet politique d'envergure en même temps qu'elle y est indispensable. Ainsi, les libéraux qui y voient l'alpha et l'oméga de la vie sociale et les partisans de la décroissance font tous deux fausse route.

Il est primordial que, pris dans le torrent de l'actualité, nous prenions le temps de nous arrêter pour réfléchir à la société que nous voulons. Ce qui est paradoxal, c'est que la personne qui nous y invite soit la cause principale du déluge médiatique qui nous abreuve quotidiennement et qui nous rend aveugle à l'essentiel. Comment accepter, en effet, de prendre de la hauteur avec un homme qui se veut avant tout pragmatique et qui ne cesse de se réclamer de l'action et du résultat ? La pratique présidentielle de Nicolas Sarkozy, basée sur la compréhension des aspirations de la population, même si celles-ci sont changeantes et superficielles est en opposition avec la posture de l'homme politique qui cherche à élever son peuple et à le guider sur les chemins de la civilisation.

Autre paradoxe, comment parler de "civilisation" avec un homme qui incarne mieux que quiconque le matérialisme à outrance et qui se vautre dans le luxe et les paillettes ? Est-ce bien le même homme qui entend redonner ses lettres de noblesse à l'action politique et qui se complait dans des goûts de nouveau riche ? A-t-on élu Guaino pour se retrouver avec Christian Clavier ? C'est ce doute permanent qui fait le mystère de Nicolas Sarkozy, un narcisse qui en appelle à l'intérêt général, un homme qui prononce autant de fois le mot "je" que le mot "France". On peut certes objecter qu'il ne faut pas confondre la vie privée de Nicolas Sarkozy avec ses propos publics, le seul problème est que la morale repose en grande partie sur l'exemplarité qui peut devenir alors une force de conviction impressionnante, comme l'a malheureusement prouvé Robespierre.

Sarkozy cherche-t-il à gagner la confiance du peuple, allant jusqu'à flatter ses bas instincts, pour être en mesure de le tirer vers le haut et de contribuer au renouveau de la France ou au contraire est-il le symptome de son époque qui cherche à se racheter une conscience par quelques disocurs aux envolées lyriques ? Une chose est sûre, la notion de "politique de civilisation" est promise à un belle avenir, elle jouera en 2008 le rôle qu'à joué l'"ouverture" en 2007.