La dette publique française n’a cessé d’augmenter au cours des 30 dernières années, à l’instar de ce qui s’est passé dans la plupart des pays comparables. La crise économique récente a considérablement accéléré cette évolution. Si la situation est préoccupante, elle est loin d’être catastrophique pour le moment, la signature de la France suscitant toujours la confiance des investisseurs. Dans ces conditions, on est en droit de se demander si la dette publique est réellement un problème pour notre pays et si vouloir la contenir ne s’apparente pas à une mise sous tutelle de la politique sous la contrainte comptable.
Il y a pourtant trois raisons essentielles qui invitent à s’inquiéter du déséquilibre persistant des finances publiques :
- La première d’entre elles, c’est le risque d’emballement de la dette qui finirait par la rendre insoutenable et qui entraînerait notre pays vers la faillite. Ce scénario, qui n’est aujourd’hui pas le plus probable étant donnée la notation de la dette française, pourrait être causé par une forte remontée des taux d’intérêts qui viendrait augmenter le service de la dette, par une incapacité politique à réduire les dépenses publiques, par l’impossibilité d’augmenter les recettes de l’Etat ou par une combinaison des trois. Laisser déraper les finances publiques, c’est augmenter ce risque dont les répercussions économiques, sociales et politiques seraient absolument catastrophiques.
- La deuxième raison c’est la volonté de retrouver des marges de manœuvre budgétaires, synonymes de marges de manœuvre politiques. En effet, se soustraire à la contrainte d’équilibre des finances publiques, comme cela a été le cas en France depuis 35 ans, ce n’est pas faire disparaître la contrainte financière, c’est la déplacer : sur les générations futures qui ne peuvent pas s’exprimer à travers la volonté générale du moment mais aussi à plus court terme par une limitation croissante des marges de manœuvre budgétaire de l’Etat en raison de charges d’intérêt de la dette publique croissantes (bientôt le premier poste de dépenses publiques). Aujourd’hui, la charge de la dette représente autant que ce que rapporte l’impôt sur le revenu, dès 2010 ce poste pourrait représenter un tiers du budget de l’Etat.
- La troisième raison, certainement la plus essentielle, c’est que la dette publique est le moyen à travers lequel la classe politique et l’opinion publique françaises se mentent à elles-mêmes depuis des années. Prôner l’équilibre des finances publiques ce n’est pas avoir une vision étriquée et comptable de la politique, c’est au contraire lui redonner sa noblesse. En effet, faire de la politique c’est faire des choix, c’est admettre que tout n’est pas possible et que tout ne peut pas être prioritaire. L’équilibre financier d’un Etat est donc la marque d’un peuple et d’une classe politique responsable. L’évolution comparée des déficits publics et de la croissance du PIB montre que le creusement de la dette publique a été un moyen pour la France de maintenir son niveau de dépenses publiques malgré une croissance moindre (plus de 5% avant le premier choc pétrolier de 1974, moins de 2,5% après). Le risque est grand que le même scénario ne se reproduise après la crise actuelle avec une nouvelle baisse de notre croissance structurelle et un maintien des dépenses publiques à un niveau d’avant-crise. Il y a un danger réel d’accoutumance à l’endettement public, un peu à la manière des pays disposant d’abondantes ressources naturelles et qui en deviennent dépendants au point de ne pas diversifier le reste de leur économie.
Ces trois raisons impliquent que l’objectif de diminution de la dette publique est la seule voie responsable pour les années à venir. Il est toutefois difficile d’établir un niveau cible à atteindre : s’agit-il d’un ratio dette/PIB de 60% comme inscrit dans le Pacte de Stabilité et de Croissance ? Plutôt que ce rapport entre un stock et un flux, il semble préférable de considérer le ratio entre les charges d’intérêts de la dette et le budget de l’Etat qui traduit mieux l’oberration des marges de manœuvre budgétaires due à l’endettement. Un objectif raisonnable pourrait être que le service de la dette pèse moins que l’une des principales dépenses d’avenir : le budget de l’Education Nationale. Cet objectif relève plus d’un symbole politique que d’une analyse quantitative sur le niveau de dette optimale.
Cet objectif de diminution de la dette publique étant posé, il convient de présenter un chemin permettant de le respecter. Nous commencerons tout d’abord par énumérer un ensemble de « fausses solutions » souvent présentées comme des recettes miracles pour réduire l’endettement avant de détailler les conditions qui nous semblent nécessaires pour y parvenir.
2. Les fausses solutions pour réduire l’endettement de notre pays
Les pistes évoquées ci-dessous sont souvent considérées comme allant dans le sens d’un meilleur équilibre des finances publiques, toutefois elles sont largement insuffisantes pour ramener le déficit public dans des proportions raisonnables. Il convient donc d’être particulièrement lucide face aux différentes recettes miracles du désendettement.
a) Un retour de la croissance
Comme indiqué précédemment, la croissance structurelle de la France s’établit autour de 2,2% depuis le premier choc pétrolier. En admettant que la crise actuelle n’ait pas d’impact sur ce taux de croissance structurel, ce qui implique une forte croissance dans les années à venir pour compenser les années 2008 à 2010, la Cour des Comptes estime que notre déficit diminuerait jusqu’à se stabiliser à un niveau structurel de 3% du PIB.
Si l’on considère un scénario moins favorable où les pertes de 2008 à 2010 soient irréversibles et où la croissance à partir de 2011 s’établisse à un niveau structurel légèrement plus faible de 1,8%, le déficit structurel de la France serait alors égal à 7,5% du PIB ce qui est très clairement insoutenable.
Postuler que la croissance seule pourra solutionner le problème de la dette, c’est faire le pari d’une croissance dans les années à venir supérieure en moyenne à ce que connaît notre pays depuis le milieu des années 70, ce qu’aucun élément tangible ne vient accréditer aujourd’hui. La croissance doit bien entendu rester un objectif prioritaire de la politique économique, mais un discours de responsabilité sur l’endettement public implique de ne pas se reposer sur d’éventuels « lendemains qui chantent » et de prendre en considération un scénario aujourd’hui très crédible : le maintien d’une croissance structurelle pour notre pays autour de 2%.
b) Un retour de l’inflation
L’inflation est souvent présentée comme un remède miracle pour réduire les dettes des Etats. Il est vrai que par le passé, que ce soit au sortir des guerres de Louis XIV ou plus récemment à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, c’est ainsi que l’Etat est parvenu à assainir ses finances. Mais la situation actuelle est différente pour trois raisons essentielles :
• La Banque Centrale Européenne est aujourd’hui indépendante et son mandat, dont la remise en cause exigerait l’unanimité des pays de la zone euro, est de limiter l’inflation à 2%.
• L’inflation ne se décrète pas dans un monde globalisé : avec la mobilité des capitaux, les torrents de liquidités déversées par les Banques Centrales conduisent davantage à créer de nouvelles bulles qu’à générer de l’inflation. Structurellement, les réserves mondiales de main d’œuvre à bas salaire sont un frein important à une inflation significative (sauf si des politiques très protectionnistes étaient menées, ce qui ne me semble pas désirable).
• Quand bien même on assisterait à un retour de l’inflation, il faut savoir que 10% de la dette publique aujourd’hui est indexée sur l’inflation et que 15% de la dette publique est à court terme. Il ne fait aucun doute qu’une forte inflation conduirait à une augmentation des taux exigés pour cette dette à court terme, ce qui limiterait l’impact positif d’une telle évolution pour les finances publiques. Rappelons également que, sauf à ce que l’inflation reste forte sur une très longue période, la période de désinflation, qui succéderait à une période d’inflation, serait douloureuse pour les finances publiques.
Rappelons enfin que l’inflation n’est pas un phénomène neutre, elle est un facteur d’imprévisibilité pour les acteurs économiques et pèse donc sur la croissance structurelle de notre pays.
c) Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite
Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite est l’élément phare de la Révision Générale des Politiques Publiques menée par l’Etat depuis 2007. Cette évolution est absolument nécessaire à long terme pour revenir à une fonction publique moins pléthorique qui génère d’importantes dépenses de fonctionnement pour l’Etat. Cependant, à court et à moyen terme, cette mesure n’a qu’un impact très limité sur l’équilibre des finances publiques. L’économie souvent avancée est de l’ordre de 500 M€/an. En effet, un fonctionnaire qui part à la retraite continue à être une charge financière pour l’Etat qui doit alors lui verser une pension. De plus, les fonctionnaires sont aujourd’hui recrutés avec un niveau de qualification supérieur à celui que possédaient leurs aînés partant à la retraite, ce qui se traduit par une rémunération supérieure.
Pour se donner un ordre de grandeur, cette mesure de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite rapporte aujourd’hui 5 fois moins que ne coûte la baisse de la TVA consentie à la restauration. On voit bien, dès lors que ce n’est pas de là que viendront les grandes économies qui viendront rétablir l’équilibre des finances publiques.
3 commentaires:
La situation est donc pas top, avec vocation a s'aggraver : pour l'instant c du gaspillage d'argent en intérêts, et ça peut devenir vraiment dangereux, si j'ai bien compris.
Il n'y a pas de solutions miracles, de toute façon, avec une dette: la rembourser empêche d'acheter autre chose a côté!
Après, vaut il mieux se serrer un peu la ceinture, longtemps, ou très fort, pendant moins longtemps?
J'attends tes solutions avec impatience! Même si ça sera sans doute pas drôle...
Reste aussi le danger du remboursement de la dette: cf la politique budgétaire de Bill Clinton, qui est parvenu à rééquilibrer en son temps le budget des Etats-Unis. Le hic, c'est qu'avec une demande constante de dollars dans le reste du monde, c'est la dette privée qui a augmenté, prémices de la crise des subprimes.
Hélas je suis d'accord avec Louis-Marie, il n'y a pas de solution miracle. Augmentation des impôts, ou bien réduction des dépenses publiques, il va falloir faire avec moins. Savez-vous d'ailleurs comment la taxe professionnelle et la baisse de TVA dans la restauration sont censées être compensées ?
Vincent,
Très bon article, comme souvent.
D'après toi, une crise monétaire majeure est-elle plausible ?
Merci.
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