22 mars 2009

Faut-il sortir de la crise au plus tôt et à tout prix ?


Une question obsède actuellement l’ensemble des gouvernements mondiaux, les partis politiques et les économistes : comment sortir au plus vite de la crise économique et financière dans laquelle nous sommes plongés. L’essentiel du débat porte donc sur les moyens les plus efficaces à mettre en œuvre pour remédier au mal, faut-il relancer par l’investissement ou par la consommation ? Faut-il interdire les licenciements aux entreprises qui font des bénéfices ? Faut-il modifier les règles du capitalisme mondial pour redonner confiance aux acteurs ? L’objet de cet article est de s’interroger sur le bien-fondé même de cette volonté de sortir de la crise au plus tôt et surtout à n’importe quel prix. Plus qu’une réponse complète, il s’agit plutôt ici d’une réflexion ouverte sur le sujet, tant les certitudes manquent actuellement en matière économique.

Il faut pour cela distinguer deux problématiques assez largement différentes. La première consiste à savoir quelle préférence on doit collectivement accorder au présent, c’est-à-dire aux générations actuelles. Il va sans dire, en effet, que le sort de la génération actuelle nous importe plus que celui des générations passées ou à venir, ce serait faire preuve d’hypocrisie que de le nier. Comme le dit Keynes, la seule certitude c’est qu’à long terme nous seront tous morts, il est donc légitime d’essayer de régler en priorité les problèmes qui se posent aujourd’hui. Cependant, cette préférence pour le présent ne saurait être totale, elle doit cohabiter avec le souci de laisser un monde vivable aux générations futures, mais aussi, et on l’oublie trop souvent, de respecter l’héritage des générations passées. C’est cet altruisme intergénérationnel qui explique que l’on puisse se soucier du réchauffement climatique ou encore du niveau de la dette publique.

Il n’est donc pas question de remettre en cause l’endettement en soi, dès lors qu’il s’agit de construire des choses utiles, surtout quand l’Etat peut se financer à peu de frais sur les marchés. En revanche, la question devient légitime si la relance n’a d’autre buts que conjoncturels, c’est-à-dire qu’elle aide à faire passer la crise sans rien laisser de durable une fois celle-ci passée. La vraie question devient, par exemple, jusqu’à quel point a-t-on le droit de risquer la signature de la France sur ses bons au Trésor au nom de la lutte contre la crise ?

La deuxième problématique concerne l’efficacité économique globale de la relance. Il s’agit de savoir ce qu’il convient de faire aujourd’hui pour maximiser la situation dans les années à venir. Trois visions s’affrontent : pour la première, ne rien faire aujourd’hui, c’est compromettre gravement la situation future, pour la seconde, quoi que l’on fasse, rien ne changera véritablement, ni en bien ni en mal, pour la dernière, enfin, vouloir à tout prix corriger les effets de la crise aujourd’hui aggravera la situation demain. Plutôt que de trancher entre ces différentes hypothèses, ce dont je suis bien incapable, essayons au moins de les expliciter.

La première thèse est retenue par la quasi-intégralité des acteurs politiques et économiques aujourd’hui. Elle consiste à dire que le coût de l’inaction pourrait être considérablement plus important que celui de la relance. Ainsi, quand bien même le niveau de la dette serait l’objectif à retenir, il serait plus judicieux de dépenser aujourd’hui beaucoup d’argent pour relancer la machine économique plutôt que de subir plusieurs années de récessions qui coûteront également très cher au budget de l’Etat. On suppose ainsi un fonctionnement de l’économie non-réversible, c’est-à-dire que dépenser aujourd’hui pour rembourser demain n’est pas considéré comme quelque chose de neutre mais de bénéfique. L’explication sous-jacente s’appelle l’effet d’hystéresis : en essayant de lisser la conjoncture économique, on évite que des gens se retrouvent au chômage, que des entreprises fassent faillite, ce qui évite que des compétences soient définitivement détruites, de même on essaye de maintenir de la confiance dans l’économie. Dès lors qu’il y a un coût à la formation de personnes longtemps éloignées de l’emploi ou la création de nouvelles entreprises, cet effet d’hystérèse est justifiable. Bien entendu, dès que la situation économique s’améliore, il faut cesser ces politiques conjoncturelles et commencer à rembourser leur coût, ce qui est rarement le cas (particulièrement en France). Pour résumer cette thèse en une proposition, on dirait qu’une conjoncture stable a un impact positif sur la croissance structurelle de l’économie, en évitant les pertes dues aux multiples hystéresis.

La deuxième thèse est celle de la neutralité. Elle postule, au contraire de la précédente, que la politique conjoncturelle (budgétaire et monétaire) n’a d’impact que sur … la conjoncture, par définition. Elle est donc en particulier totalement neutre sur le long terme. Le choc positif provoqué par les mesures de relance aujourd’hui se traduira donc, vraisemblablement, par un choc négatif de même ampleur quand il s’agira de rembourser le coût de ses mesures. Bien entendu, ce choc négatif peut-être dilué dans le temps, au rythme du désendettement et de la hausse des impôts. L’exemple le plus probant est celui de l’équivalence Ricardienne, où chaque agent anticipe une dépense publique comme une augmentation future des impôts, et qui épargne donc l’argent qui pourrait lui être distribué, d’où une annulation des effets de la politique conjoncturelle. Cette thèse ne signifie toutefois pas qu’il ne faille rien faire, on peut très bien envisager que, même si elles n’ont aucun impact économique à long terme, les mesures conjoncturelles permettent d’amortir les variations des cycles économiques pour éviter les crises sociales. C’est un peu ce qui a inspiré les 2,6 milliards de dépenses supplémentaires qu’a consenti le gouvernement français après le sommet social du 18 février dernier.

La troisième thèse, plus « Shumpeterienne », pense que les crises sont inhérentes au système capitaliste et qu’elles ont leur vertu. Dès lors, il est vain et même contreproductif, d’essayer d’en limiter les effets. Le meilleur exemple est certainement celui de l’industrie automobile. Les aides apportées aujourd’hui par les gouvernements à cette filière peuvent être un frein à sa restructuration nécessaire. En refusant de regarder la réalité en face, on ne fait alors que prolonger artificiellement une situation dont on sait qu’elle n’est pas durable (encore que je ne sois pas tout à fait convaincu que l’automobile soit dans la crise structurelle décrite par beaucoup). Bref, mieux vaut laisser agir la crise, le monde qui en sortira pourra alors repartir sur des bases saines pour un bon moment. Là encore, cela n’empêche pas des dépenses publiques pour permettre la reconversion des salariés dans les industries en difficulté.

Face à ces trois thèses semble émerger un consensus parmi les politiques, les économistes et les syndicalistes : il faut agir tout de suite. C’est donc la première thèse qui serait la bonne. Doit-on être rassuré par un tel consensus ? Je n’en suis pas convaincu. Tout d’abord, la science économique est actuellement en plein doute, et tous les consensus qui émergent devraient donc nous sembler suspects, tant les vérités absolues sont rares dans cette science. Mais surtout, la plupart des acteurs précités sont à la fois juges et parties dans cette affaire : ils ont tous plus ou moins intérêt à ce que ce soit la première thèse qui soit juste. Les responsables politiques sont incités, de par la durée limitée de leur mandat, à rechercher des solutions aux résultats rapidement visibles, les syndicalistes se doivent de répondre à l’urgence sociale du moment, enfin, les économistes sont jugés sur la capacité à sortir de « cette » crise-là, quand bien même leurs solutions seraient le germe de la crise future.

La réponse apportée à l’éclatement de la bulle Internet est de ce point de vue éclairante : à l’époque, il existait également un consensus pour que la Réserve Fédérale baisse fortement ses taux, ce qui a été fait par son président de l’époque, Alan Greenspan. Pourtant, tout le monde reconnaît aujourd’hui que cette politique monétaire accommodante est l’une des causes principales de la crise que nous connaissons aujourd’hui. Pour faire un raccourci, pour sortir de la dernière crise, on a créé les conditions de la suivante. Le soldat Greenspan a servi de fusible, on lui a imputé l’entière responsabilité de cette décision, mais ce « lâchage » est d’autant plus facile à réaliser a posteriori, une fois que les conséquences des décisions prises sont connus. Dès lors, on est en droit de se demander si la résolution de la crise actuelle, qui passe par des déficits publics massifs et des politiques monétaires encore plus accommodantes n’est pas en train de préparer le terrain à une prochaine crise, qui pourrait être celle de la faillite des Etats ou de l’hyperinflation.

Personnellement, je pense que chacune des trois thèses à sa part de vérité : les effets d’hystéresis existent, les mécanismes de neutralisation également, tout comme les éléments bénéfiques de la crise pour assainir la situation économique, la politique choisie dépend donc de la pondération que l’on apporte à ces différents éléments. Une réponse possible consiste à trouver des mesures qui sont compatibles avec chacune des trois thèses, afin d’être sûr de ne pas se tromper. J’en retiendrai deux : tout d’abord, les dépenses sociales conjoncturelles, ciblées sur les plus fragiles semblent nécessaires, au pire elles n’ont aucun impact économique majeur au mieux elles favorisent le retour à l’emploi mais dans tous les cas elles permettent d’amortir le choc économique pour qu’il ne se transforme pas en choc social. Ensuite, il semble opportun que les Etats limitent au maximum leurs dépenses de fonctionnement, afin de pouvoir éventuellement agir de manière massive et temporaire en investissant quand la crise se fait sentir. Pour pouvoir assurer cette politique conjoncturelle ambitieuse, l’Etat ne doit pas être paralysé par un déficit structurel. Ainsi, la volonté actuelle du gouvernement de poursuivre le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite est non seulement compatible avec la lutte contre la crise, elle est même nécessaire.

La question reste donc ouverte, faut-il sortir au plus vite de cette crise et à tout prix ? Je suis particulièrement intéressé par les réponses que les lecteurs assidus et avisés de ce blog apportent à cette question.

2 commentaires:

Stanford Psycho a dit…

Encore une fois, des pistes de réflexion très intéressantes.

Je pense que la première chose à faire, c'est de définir ce qu'on entend par "sortir de la crise". Nous sommes en pleine pièce de théâtre : est-ce plutôt une comédie, où l'on cherche à revenir à la situation initiale après l'introduction d'un élément perturbateur, ou une tragédie dont l'issue que j'espère non funeste nous échappe encore ? Comme tu l'expliques, à en croire les politiques de relances actuelles, les décideurs aimeraient nous placer dans la première catégorie : la crise est vue comme une perturbation passagère qu'il nous faut traverser au plus vite pour revenir à l'équilibre qui prévalait auparavant (si tant est qu'on puisse parler d'équilibre).

Or rien ne prouve que nous ne sommes pas dans la deuxième catégorie, auquel cas un ordre nouveau - et pour l'instant imprévisible - accouchera de cette crise. C'est même l'hypothèse la plus probable mais la plus difficile à envisager et à expliquer pour des décideurs qui préfèrent rassurer le peuple, et peut-être se rassurer eux-mêmes, en oeuvrant pour un retour à la normale le plus rapide possible.

Pour reprendre ta nomenclature, même si les réponses apportées pour l'instant correspondent à la première thèse, c'est très certainement l'hypothèse Schumpeterienne de destuction créatrice qui s'imposera. On est donc en droit de penser que les politiques actuelles de type "première thèse", non seulement manqueront leur but (nous ramener à un illusoire état initial devenu inatteignable) mais également joueront un rôle d'amortisseur néfaste vis-à-vis du processus Schumpeterien en s'opposant vainement à l'inéluctable. En créant au passage, comme tu le soulignes, un grand risque d'hyperinflation ou de faillite des États - il suffit de lire Nouriel Roubini pour avoir quelques fissons.

Ce qui ne veut pas dire que la "première thèse" doive systématiquement s'opposer à la troisième : des politiques d'investissements assez visionnaires pourraient accompagner la naissance d'un ordre nouveau au lieu de s'y opposer. La crise servirait ainsi de tremplin, et plutôt que d'attendre qu'émerge un nouvel ordre, on faciliterait le processus en profitant des effets d'hystérésis. On entre ainsi dans un mix de la première et de la troisième thèse, ou plutôt dans une sous-catégorie de la première qui accepte l'idée Schumpeterienne et se met même à son service.

Bien-sûr cela suppose un courage politique non négligeable et immplique une période transitoire forcément difficile qui sera plus ou moins acceptée en fonction de notre taux d'escompte psychologique. Eu égard aux multiples échéances à court terme qui parasitent la vie politique et à l'arbitrage en faveur du présent qui en découle, on peut être sceptique...

Unknown a dit…

J'ai l'impression qu'un élément renforce le poids politique de la première thèse: le contexte de compétition mondiale ainsi qu'un certain patriotisme économique.

Je suis peut-être pessimiste, mais il me semble que la France est bien placée dans cette compétition plus par l'héritage dont elle bénéficie (son capital humain ou non) que par sa compétitivité intrinsèque. Est-ce que l'on pourrait envisager de créer un autre Renault, Total, BNP Paribas ou Bouygues, nos champions plus généralement aujourd'hui si ces entreprises faisaient faillite?
Rien n'est moins sûr...

Donc je pense que la France et les pays riches en général n'ont aucun intérêt à rebattre les cartes, à une crise shumpéterienne. Cela ne se réduit pas au devenir de nos ouvriers. Il s'agit de la défense d'un certain standing, une certain confort, un modèle social que nous ont légué nos ancêtres. Les parents ont peur que leurs enfants vivent moins bien qu'eux.

Alors oui, le statut quo n'est sans doute pas la bonne solution. Mais c'est ce que tout le monde recherche. A cet égard, il est intéressant que le plan de relance ne se concentre pas sur les faiblesses de la France (la R&D par exemple) mais sur ces forces en perte de vitesse (l'automobile, les infrastructures,...). Peut-être que le modèle finira par exploser de lui-même (et alors les hommes politiques ne pourront pas être tenus pour responsable). Ou alors il faut le modifier très doucement et la crise n'est pas un bon moment pour ça (trop de pression sociale).