23 octobre 2006

Non aux jurys populaires !


L'extrême-gauche est-elle en passe de pouvoir gagner les prochaines présidentielles ? Electoralement cela semble très peu probable, pourtant, une de ses mesures-phares est aujourd'hui soutenue par Ségolène Royal, candidate probable (à défaut d'être souhaitable) du parti socialiste. La presidente de la région Poitou-Charentes propose que des jurys populaires tirés au sort soient chargés de vérifier si les élus ont tenu leurs promesses en cours de mandat. Cette proposition est la plus forte sur le plan de la démagogie qui m'ai été donné d'entendre dans cette pré-campagne.

Faut-il que nous soyions gouvernés par de dangereux malfrats pour mettre ainsi sous surveillance les élus du peuple ? Quel mépris pour le suffrage universel et surtout quel danger pour la démocratie. L'idée-même de mandat politique avec une durée fixée à l'avance implique une certaine décorrélation entre la volonté de l'opinion au jour le jour et les décisions prises par les responsables politiques. Non contente d'être là où elle en est aujourd'hui grâce à l'opinion et aux instituts de sondages, Ségolène Royal leur rend aujourd'hui l'ascenseur. Ainsi, dans un terrible cercle vicieux, la démocratie représentative est en train d'être balayée par la dictature de l'opinion.

Je reprendrais enfin les propos du ministre de l'agriculture Dominique Bussereau qui sont un cruel - mais au combien juste - renvoi d'acenseur : "Si Madame Royal avait été soumise aux jurys populaires, elle ne serait pas aujourd'hui candidate à l'élection présidentielle. Battue à Trouville, battue dans les Deux-Sèvres dans son propre canton, battue à la mairie de Niort, peu présente à l'Assemblée nationale et venant par intermittence en Poitou-Charentes où elle n'habite pas, les jurys populaires l'auraient déjà sanctionnée."

16 octobre 2006

De la théorie des jeux en politique


La théorie des jeux a aujourd'hui le vent en poupe pour modéliser les décisions d'acteurs économiques dans un schéma non-coopératif. L'objet de cet article est de l'appliquer à la politique française. Imaginons tout d'abord N candidats qui ont exercé des responsabilités gouvernementales. Afin d'incarner le renouveau, chacun a individuellement intérêt à rejeter ce qui a été accompli au cours des dernières années pour ne pas apparaître comme le candidat du système. Cependant, si une majorité d'entre eux dénoncent leur "bilan commun" alors tous les candidats y perdent et ce sont les candidats des extrêmes qui remportent la mise car leur discours se trouve conforté par des hommes politiques ayant assumés des responsabilités.

Afin de résoudre le problème, il faut quelques notations : on note A le différentiel de voix (en %) obtenu par un candidat qui dénonce le système par rapport à celui qui ne le dénonce pas (si moins de la moitié des candidats agissent ainsi). On note B le poids total des extrêmes en temps normal et B+C leur poids dans le cas où la défiance est généralisée. Chaque candidat cherche à maximiser son score sachant qu'il estime que le nombre d'autres joueurs qui vont rejeter le système actuel est un nombre complètement aléatoire entre 0 et N-1. Le résultat est le suivant, les candidats vont tous "trahir le système" si C < A(N-1)(N/2-1/2), dans le cas contraire aucun ne va le dénoncer.

Il faut maintenant introduire des données numériques. Admettons que C=10% (gain des extrêmes si les partis de gouvernement dénoncent la situation actuelle), que A=5% (gain relatif d'un candidat qui dénonce le système) et que N=4 (candidats Verts, PS, UDF et UMP), dans ce cas on a bien 10<22.5 donc tous les candidats critiquent l'état actuel du pays donc les extrêmes remportent la mise. En revanche si N=3 (on enlève les Verts) et A=4% alors on a 10>8 donc les extrêmes ne montent pas. Si on reprend l'expression litérale, on remarque que plus il y a de candidats de "gouvernement" plus le risque de trahison généralisée est grand.

Revenons maintenant au monde réél et à la vie politique française. Je ne sais pas si la classe politique s'intéresse à la théorie des jeux, en tous cas les candidats (ou leurs porte-paroles) ont clairement adopté la stratégie du reniement du passé. Partout, du PS à l'UMP en passant par l'UDF on entend la même ritournelle décliniste : notre pays va très mal, tout ce qui a été fait depuis ces vingt dernières années est mauvais, il faut donc tout changer. Cette stratégie des partis de gouvernements est selon moi le principal moteur du vote contestataire puisqu'il tend à légitimer des partis extrêmistes qui disent que tout va mal depuis déjà longtemps. On ne prendra pas des voix à Le Pen en utilisant ses mots ou en reprenant ses thèmes mais bien en soutenant un minimum ce qui a été fait par le passé. Bref, il faudrait convaincre nos responsables politiques que, dans le cas de la France, C > A(N-1)(N/2-1/2), ce qui signifie en langage plus usuel que le risque extrémiste est très élevé.

14 octobre 2006

Eloge du pragmatisme


"Au possible nous sommes tenus", cette phrase est le titre d'un rapport de Martin Hirsch - président d'Emmaüs et membre du Conseil d'Etat - sur la pauvreté, elle est pour moi d'une vérité et d'une force considérable. C'est la réponse universelle à adresser aux révolutionnaires utopiques et aux conservateurs frileux, en effet, aux premiers elle dit que la politique ne peut faire abstraction du réel, ce qui compte n'est pas tant ce qui est souhaitable que ce qui est possible. Aux seconds, elle dit qu'il faut se retrousser les manches et tout faire pour améliorer la situation actuelle. Bref, "Au possible nous sommes tenus" devrait être le slogan de tous les réformateurs.

Au-delà, cette formule nous invite à nous débarrasser de l'idéologie et à promouvoir le pragmatisme. Ce mot a souvent mauvaise presse en France car il est associé au court-termisme et à l'absence de vision politique, bien au contraire, il faut y voir le refus de faire rentrer la diversité et la complexité du monde réel dans un schéma explicatif soi-disant universel. Le pragmatisme doit être vu comme un hymne à la créativité : les bons hommes politiques seront ceux qui sauront être suffisamment inventifs pour traiter des problèmes toujours plus délicats et originaux.

L'ancien monde était suffisamment lent pour faire la place aux idéologies qui n'étaient jamais que des vérités provisoires avec un temps de vie relativement long. Aujourd'hui tout va plus vite, les mesures politiques prises par l'ensemble des gouvernements de la planète sont partout examinées, copiées ou adaptées. Ce qui était vrai hier peut devenir une ineptie demain, il faut donc réagir, se réorienter, corriger le tir en ayant toujours un oeil sur la société, un peu à la manière d'un scientifique qui scrute ses expériences pour valider ses modèles théoriques.

Pour sortir des généralités et appliquer à moi-même le principe de réalité, je citerai une mesure concrète prônée par le même Martin Hirsch : l'internalisation par les entreprises des dégâts sociaux. L'idée est d'aligner les objectifs de la société et des entreprises par une fiscalité incitative. Ainsi, on pourrait taxer les industries agro-alimentaires en fonction du taux d'obésité chez les enfants ou encore les sociétés qui fournissent des crédits (Cofidis, Sofinco,...) en fonction du taux de surendettement de leurs clients...

J'irai même plus loin en proposant de substituer une partie des charges qui pèsent sur le travail par un impôt spécifique à chaque entreprise en fonction de son secteur d'activité. En plus des risques sociaux, on pourrait intégrer les risques environnementaux en appliquant le principe pollueur/payeur. Bref, des solutions originales existent, elles doivent être expérimentées d'abord à petite échelle puis étendues en cas de succès. Réactivité, inventivité et expérimentation, voilà ce qui devrait faire le succès du pragmatisme.

10 octobre 2006

Pour la diplomatie : Villepin ou Sarkozy ?


Les relations internationales ont le vent en poupe ces jours derniers dans la campagne électorale. Et il y a de quoi : la prolifération nucléaire de la Corée et de l'Iran, la situation en Irak ou la paix au Proche-Orient (auxquels il faudrait encore ajouter le Darfour, la Côte d'Ivoire ou la Thaïlande) sont autant de menaces graves pour la paix sur la planète. De plus, l'élection présidentielle doit choisir le chef de la diplomatie et des armées, autant ne pas se tromper de candidat.

On a assisté à une passe d'armes très intéressante entre le Premier Ministre et son Ministre de l'Intérieur sur ce sujet. Outre le fait qu'elle témoigne d'un affrontement tactique entre les deux hommes, il n'en reste pas moins qu'ils ont sur ce sujet deux visions largement différentes et toutes les deux respectables.

Résumons la position de chacun, telle qu'ils l'ont exprimée ces jours derniers : pour Nicolas Sarkozy, l'éthique et la morale doivent être plus présentes dans les affaires internationales, c'est pourquoi il préfère serrer la main de Georges Bush plutôt que de rencontrer Vladimir Poutine. A ce titre il pense que la France a intérêt à se rapprocher des Etats-Unis, plus grande démocratie du monde car, seul, notre pays ne peut pas réellement peser, au mieux est-il capable d'être donneur de leçons et arrogant. Le ministre de l'intérieur pense également que ce thème doit sortir du "domaine réservé" du chef de l'Etat, c'est-à-dire que le Parlement doit pouvoir se prononcer et délibérer sur la politique étrangère de la France.

A ces propositions, le Premier Ministre oppose sa vision "gaulliste" et met en avant son expérience. Pour lui, la politique étrangère doit viser un compromis entre le respect de l'éthique et des droits fondamentaux et les relations d'Etat à Etat. En clair, la morale ne saurait ignorer la Realpolitik. C'est pourquoi il refuse de critiquer vigoureusement la Russie car c'est selon lui un acteur important sur le plan diplomatique (cf. Iran et Corée du Nord) et énergétique. La diplomatie exige donc que les responsables politiques pèsent leurs mots et privilégient le compromis. En ce qui concerne la relation avec les USA, Dominique de Villepin refuse une alliance trop asymétrique comme elle peut exister entre USA et Royaume-Uni et, de fait, selon lui, la diplomatie Française pèse beaucoup plus que la diplomatie Britannique car on lui reconnaît une liberté de parole et d'initiative. Enfin, il pense que la politique de défense et la conduite de la diplomatie doivent rester dans le giron du Président de la République car c'est une manière de personnaliser la voix de la France et donc d'éviter les dissensions et les atermoiements. De plus, le Président est certainement la personnalité politique la plus à l'abris de pressions extérieures. C'est pourquoi Dominique de Villepin accepte que le Parlement débatte sur ces questions (comme sur le Liban) afin de dégager un consensus national mais refuse qu'il vote.

Pour savoir quelle vision est la meilleure il faut se demander à quoi doit servir la diplomatie aujourd'hui. Les priorités actuelles semblent claires : éviter la prolifération nucléaire et l'embrasement de certaines régions sensibles. Il faut donc donner raison à Dominique de Villepin de n'écarter personne des discussions et de garder de bonnes relations avec des puissances qui sont influentes sur ces dossiers comme la Russie et la Chine. Cependant, on voit bien que la patience de la communauté internationale envers l'Iran et la Corée du Nord sont sans résultats et que la culture du compromis doit parfois s'effacer devant une ligne plus ferme réclamée par les Américains. Que le langage diplomatique n'exclue personne et soit empreint de Realpolitik me paraît une bonne chose à condition que certaines limites soient posées et que le recours aux sanctions ou à la force ne soient jamais définitivement écartés.

Une chose est sûre : la France a eu raison de s'opposer à la guerre en Irak qui a vite tourné au fiasco et qui augmente l'instabilité régionale en même temps qu'elle réduit la capacité de projection de l'armée Américaine sur d'autres théâtres d'opérations. L'Iran a ainsi pu augmenter son influence sur cette région (et notamment sur l'Irak) et ne semble plus prendre les menaces américaines au sérieux. Evoquer l'arrogance de la France à propos de la crise Irakienne, comme l'a fait Nicolas Sarkozy, me paraît donc une erreur, d'autant plus que cette vision n'est pas partagée par les Français qui ont soutenu la position de leur pays à l'époque.

05 octobre 2006

La première des priorités : réformer l'Université


Dans son dernier livre, Daniel Cohen - abondamment cité sur ce blog - décrit le modèle français comme résultant de la contradiction entre un système de valeurs cléricales et aristocratiques. D'un côté la République prône l'égalité de tous (qui renvoie à l'égalité devant Dieu) mais en même temps elle fait l'éloge de la noblesse des conduites. D'ailleurs, dès la Révolution Française, le nouveau régime abolit les privilèges et institue en même temps l'Ecole Polytechnique et l'Ecole Normale Supérieure, c'est-à-dire qu'il créé une nouvelle aristocratie basée sur le mérite et les compétences.

Le système Français de l'enseignement supérieur semble l'héritier direct de l'opposition entre ces deux systèmes de valeurs. Les valeurs cléricales sont pour l'Université qui ne fait pas de sélection à l'entrée et qui ne demande pas de droits d'inscription très élevés et les valeurs aristocratiques pour les grandes Ecoles qui font au contraire de la sélection leur pierre angulaire et qui cherchent à pousser les élèves au maximum de leurs capacités. On voit que cette répartition des tâches ne se fait pas du tout à l'avantage de l'université qui devient un choix par défaut pour beaucoup d'étudiants.

Le problème, c'est que dans la société mondialisée basée sur la connaissance qui est la nôtre aujourd'hui, l'université est devenue un élément central, c'est l'institution qui prépare l'avenir et la croissance d'un pays. Or les universités françaises vont mal, comme le montre par exemple le classement de Shangaï. Certes cet instrument de mesure est très imparfait, il surestime le poids des prix Nobel et fait la part belle aux "grosses" universités, il n'empêche qu'il indique un décrochage indiscutable de la France dans ce domaine. Plus grave : des dizaines de milliers d'étudiants entrent chaque année dans des filières bouchées et sans perspectives, ce qui constitue un immense gâchis humain.

En France, dès qu'il y a un problème, on réclame - souvent à tort - plus de moyens. L'enseignement supérieur est l'un des rares domaines où cette "réclamation" me paraisse juste : notre pays dépense moins par étudiant que la moyenne des pays de l'OCDE, il est même certainement le seul au monde où l'Etat dépense plus par an pour former un lycéen qu'un étudiant. Cela ouvre le problème du financement des universités et notamment la question des frais de scolarité. Il est normal, dans une société basée sur la connaissance, de payer pour former son capital humain qui sera réinvesti tout au long de sa vie professionnelle. C'est ainsi que l'Angleterre développe un système de prêts garantis par l'Etat pour les étudiants qui s'endettent pendant leurs études et remboursent une fois qu'ils ont un emploi. Pour éviter que la question des frais de scolarité augmente encore la ségrégation sociale que nous connaissons déjà il faut mettre en place un véritable système de bourse basées sur le mérite et qui ne se limitent pas aux frais de scolarité mais prennent également en compte l'hébergement et la nourriture.

Il faut surtout aller vers plus d'autonomie financière des universités - comme le réclame Yannick Vallée - pour permettre à un président d'université de développer des filières avec l'aide d'entreprises. Il faut cesser d'ériger une barrière imperméable entre le monde de l'enseignement supérieur et celui de l'entreprise, il s'agit là de conceptions idéologiques éculées. Les lignes semblent bouger à ce sujet puisque certains socialistes comme Dominique Strauss-Kahn semblent prêts à s'engager sur cette voie. Cette question rejoint celle, plus vaste, de la gouvernance et de l'autonomie des universités. Aujourd'hui celles-ci sont gérées par des sortes de comités d'entreprise très disparates au lieu d'avoir un véritable conseil d'administration. Les universités doivent être capables de se diversifer et de spécialiser, chaque ville ne doit pas avoir sa propre université généraliste. Contrairement à l'enseignement général qui doit être le même pour tous (en tout cas cas dans chaque filière), l'enseignement supérieur doit être concurrentiel et proposer des projets éducatifs originaux. Voilà un vrai débat qui s'oppose au faux débat de la carte scolaire et de la compétition entre les collèges et les lycées.

Enfin, il reste un vieux serpent de mer : la sélection des étudiants. Certains y sont favorables comme le président de la Sorbonne Jean-Robert Pitte tandis que les syndicats étudiants y sont farouchement opposés au nom de la liberté de choix. La solution retenue par l'actuel ministre de la recherche de faire une présélection au mois de février précédent le bac me paraît aller dans la bonne voie. Chaque élève aura droit à une réponse personnalisée qui pourra l'aider à faire ses choix. Il faut en effet lutter contre les asymétries d'informations dans le système éducatif français qui sont souvent plus déterminantes que les inégalités sociales.

Il y a plusieurs raisons, malgré ce constat apocalytptique, d'être optimiste. Tout d'abord la campagne éléctorale qui vient permet de traiter toutes les questions et donne au pouvoir politique fraîchement élu une forte légitimité pour réformer et pour agir. Ensuite, il existe un assez grand consensus sur les modifications à apporter au système actuel chez les économistes, les profs et les présidents d'université et les politiques. Enfin, il y a un effet bénéfique paradoxal du classement de Shangaï et surtout de sa publicité : réformer les universités devient possible car pour les Français : "cela ne peut pas être pire". Ainsi, beaucoup de sujets en débat actuellement (autonomie, sélection, liens avec l'entreprise,...) n'auraient même pas pu être évoqués il y a quelques années. Signe que les mentalités évoluent.